Serial edit 23 : le trou

Le 11/06/2008
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par Aka
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Rubriques / Serial Edit
A force de se faire traiter de pute, Aka a fini par assumer. Et de nous raconter comment elle pompe des bites à longueur de temps. Par rapport aux textes précédents, pas d'évolution majeure, c'est toujours de l'introspection résignée, toujours axé sur un choix de vie mal perçu par la norme (après le camé, le routier, voici la fille facile). Mais le contraste entre la poésie bienheureuse de Glaüx et la vulgarité terre-à-terre de celui-ci est appréciable.
Textes précédents :

- Extrait du Faust, de Goethe
- Le pacte par nihil
- L'impact par Glaüx-le-Chouette
Peu assument. Trop croient qu’il y aurait quelque chose à préserver. Pour bien vivre il faut baiser, baiser comme on vit, comme on bouffe, comme on dort. Baiser comme on subit : avec joie. La joie du soumis.

Ce soir je baise. Chez moi ou chez lui, dans une ruelle ou les chiottes d’un bar, je baise. Quoi que je puisse faire de mes nuits, je n’en ressens pas moins, jour après jour, leur lamentable inutilité et la fausseté de chacune de mes parties de jambe en l’air. C’est un constat plein d’amertume mais joyeux, car je l’accepte comme inévitable. Dieu m’a dotée d’un trou à combler, de besoins à assouvir. Je baise.

Je baise et je ris. Une femme comme il faut, qui aurait l’embarras du choix comme ils disent, baisant au grès des opportunités. Qui peut imaginer cela ? Je ris et je suis encore un peu plus distante du monde, en riant, un peu plus seule et perdue dans ma débauche. Il y a déjà dix ans que j’ai abandonné l’idée même du « comme il faut », abandonné les conseils inutiles et les rites imposés. Une putain convertie qui songe à la prochaine bite qu’elle accueillera dès qu’elle n’a pas les jambes écartées. Jadis je me devais de tenir un rôle, un rôle par moi-même, identitaire, reconnu par les autres. Je croyais qu’être une femme c’était être belle, être intelligente, être désirable ; être suffisamment tout ça pour n’en choisir qu’un et finalement être mère. Je voyais les salopes comme une espèce à part, le constat d’un échec en tant que membre du sexe féminin. Puis j’ai ouvert les yeux, peu à peu, je ne sais pas selon quels processus mais sans crises. J’ai dévié des voies tracées pour suivre ma route ; rayé le modèle tout tracé de la bonne potiche qui après avoir « profité de sa jeunesse » doit assumer d’être réduite à la servitude par une seule queue. J’ai quitté toutes ces chimères pour la réalité de ce que je suis, de ce que nous sommes toutes : des chiennes. J’ai quitté tout cela dans la joie de l’acceptation, enfin. Avec un grand rire.

A chaque fois que je m’allonge, quel que soit celui ou celle à qui j’ouvre mon corps, quels que soient les lieux, quelle que soit la manière, mes pensées sont les mêmes. Je dis oui, je baise et je dis oui. Chaque jour, je me hâte vers la mort qui m’appelle, sans me hâter, chaque jour j’accepte en souriant le temps qui passe - car la fin ne peut être qu’un soulagement à une existence sans autre but que de se faire fourrer. Baiser à en crever.

J’ai refusé tous les mensonges et je ris de les voir toutes s’offusquer. Car je suis la condition féminine incarnée. Je suis l’essence de la Femme : ses seins bien droits à la vue de tous, son cul à peine caché par des jupes trop courtes, sa bouche pulpeuse qui ne sert pas à grand-chose d’autre qu’à sucer des bites ou lécher des chattes. Je sais le mensonge de notre espèce ; je ne souhaite rien d’autre que brûler toutes les forces qu’il me reste encore, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus, me jeter dans la bataille comme s’il n’y avait pas de lendemain, car c’est ainsi, il n’y a jamais de lendemain. Connaître l’extase aveuglante ou bien l’oubli doux et tiède ou bien la souffrance brûlante plutôt que leurs succédanés d’émotions ternes. J’aurais pu devenir ce qu’ils appellent quelqu’un de bien pour me fondre dans la masse, j’ai choisi pour vivre heureuse d’être ce qu’on est : un animal.

Je suis une putain parmi les putains, une putain parmi mes sœurs, une putain pour celui qui jouit en moi. Rien d’autre. Je suis la chose dans laquelle ils se vident, la chose à laquelle elles se comparent en se félicitant de ne pas être ainsi. La chose. Je suis à leurs yeux l’Erreur de la Nature alors que j’en suis l’incarnation. Je suis un trou. Et je baise.

Je ferme les yeux et me vide de mes pensées, je n’ai plus aucune idée, je n’ai plus aucun désir ; je baise. Je ne souffre plus, je ne subis plus l’amertume, je ne suis plus étouffée par ces règles qui n’étaient pas les miennes, je respire librement. J’ai dit oui et j’ai commencé à vivre véritablement. Je me suis arrachée aux tourments, je me suis soustraite aux paradoxes de mon âme. Je connais une félicité plus pure que nul n’imagine. Je vole dans les vibrations grasses de leurs râles, je me fonds avec leurs mouvements, leur odeur, leur crasse et leur inutilité. Sans moi ils ne sont rien, je suis celle qui leur fait approcher Dieu, celle sans qui l’extase ne serait pas possible, celle qui les fait se sentir forts, se sentir Hommes. Mais de moi qu’est ce qu’ils en ont à foutre ? Alors je ferme les yeux et me vide de mes pensées, je n’ai plus aucune idée, je n’ai plus aucun désir ; je baise.

J’ai cru au départ qu’il y aurait une contrepartie. Que d’assumer à la face du monde en amènerait forcément une. J’ai pensé à regretter, payer, souffrir à nouveau, même redevenir ce qu’ils attendaient que je sois. J’avais tort. La fuite en avant n’a pas de fin, l’acceptation et l’oubli n’ont de fin que celle qui doit être. Il n’y a ni peur, ni regret, ni doute, ni détresse. Il n’y a que les bars, les boites, les chambres d’hôtel, les appartements, les queues encore et encore, et il y a moi. Moi et mon trou. Mon trou à disposition, sale car il est sale, utile et rien d’autre qu’utile ; moi qui avance et ne fuis pas, droite et disant oui, oui au monde, et quand bien même, et tant pis. Je sers à ceux qui je peux servir et j’accepte.

Et maintenant, seule dans cette chambre d’hôtel dont je connais les moindres recoins, je dis oui une fois de plus, j’ai compris l’étape suivante de mon chemin. Le front collé contre la vitre de la fenêtre, je me souviens de tous ces soirs à contempler la ville endormie, de tous ces soirs où je les envie d’être noyés dans le mensonge d’une vie « comme il faut » et soit disant utile, de tous ces soirs où je fantasme sur le fait que dormir, manger, boire, pisser, chier et baiser ne seraient pas les seules choses qui aient vraiment du sens. Je sais avoir déjà vu à cet endroit le vide m’appeler et mes larmes aussi, au coin des yeux. Puis je tirais les rideaux et essuyais mon visage. Mais je me souviens avoir su dès ma première nuit ici qu’un soir, lorsque j’assumerai totalement, lorsque j’estimerai mon trou suffisamment comblé, je ne fermerai pas ces rideaux et j’ouvrirai la fenêtre.

Je me souviens avoir su ce soir-là qu’il serait encore temps, plusieurs longues secondes, de murmurer oui à voix basse et, encore et encore, de jouir et de dire oui, et merde au monde et d’apprécier une dernière fois ne plus avoir jamais à mentir.