Marne-la-Vallée (la grande parade)

Le 12/12/2008
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par Traffic, Marquise de Sade
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Dossiers / Remix
Le texte de Dourak Smerdiakov, qui sert de base à celui-ci, mettait en scène un visiteur qui tire dans la foule à Disneyland. Ici, on prend le point de vue d'un acteur en déguisement de Mickey, tout aussi destructeur, mais plus frénétique et grimaçant. Oui, parce qu'avec les débris qui servent d'auteurs, fallait pas s'attendre à du sérieux. Ca tchatche beaucoup, c'est déjanté, drôle. Avec un peu plus d'ambition et de sérieux, ça aurait pu faire un grand texte, là c'est pas assez fignolé et y a dix fois plus de blabla que d'action.
[remix de Marne-la-Vallée de Dourak Smerdiakov]
Elle est défraichie la vallée.

Les grands hôtels Disney ont perdu de leur superbe. Les attractions n’ont pas été repeintes cette année encore et on commence à avoir quelques attractions en panne. Mais le plus médiocre, c’est encore ce costume de Mickey que moi, Jonathan, enfant d’un fils de pute à la peau sombre et d’une salope connasse juive, j’enfile chaque matin. Il y a de la vermine dans la remise à costumes et mis à part quand la sale vieille femme vient tout asperger de son produit irritant, il y a toujours ces satanées bestioles qui courent dans les bottes et autres accessoires.

La psy m’a regardé et lorsque je lui ai dit que j’avais une assez piètre opinion de l’existence, elle a eu un air narquois. « Parce que vous méritez quoi à votre avis ? »

C’était pas que ma nana m’ait trompé avec mon meilleur pote, c’était pas qu’enfiler un costume de Mickey aux ordres d’un connard de chef petite queue soit plus déplorable qu’autre chose, c’était pas que je reçoive des insultes anonymes par téléphone parce que j’étais métis et que j’essayais d’habiter un putain de quartier de blanc. C’était pas que je veuille à tout prix que tout soit simple. C’était autre chose et ça venait de bien plus loin. Je pense que c’était en relation avec une vie antérieure. Quand j’étais dans les terres et que je défendais mon territoire.

Je crois que j’ai ouvert une putain de porte dans ma tête et qu’il y a ce type qui est revenu. Et que ce type est fort déçu que tout soit ainsi, que le monde pue, que les humains soient devenus si petits, et si moi je peux m’accommoder de ce monde merdique que je déteste, lui ne peut pas.

Tout a commencé lorsqu’il y a eu cette ambiance de tam-tam dans Adventureland. Je me suis senti d’un coup très froid. Ce n’était pas la même musique que d’habitude. Et soudain alors que je me promenais avec Jeff en Pluto à la recherche de Groscontouristes comme on les appelle, j’ai eu une sensation de terreur. Une terreur venue du fond de moi, un cri guttural est sortie de ma poitrine et juste derrière rien n’était plus pareil. Je voulais courir me mettre à l’abri. Jeff-Pluto m’a demandé de ralentir le rythme car il ne pouvait plus me suivre. J’étais enfermé dans ce carcan comme dans la peau de fourrure d’un tigre à dent de sabre. Je voulais courir et j’ai couru mais je me suis ramassé la gueule avec ces putains de bottes mickey. Les temps avaient bien changé.

J’étais étalé devant l’échoppe à barbe papa, le nez devant la balayette d’un gars habillé tout en jaune, à me demander si ma place n’était pas à coté des papiers et des mégots de cigarettes. Deux gamins avec un chapeau de magicien me montraient du doigt en pouffant malgré les injonctions pas vraiment crédibles de leur mère de ne pas se moquer de Mickey.
Mickey, elle avait aussi peu de lustre que moi, cette vieille conne de souris. Lequel de ces mômes suivaient encore ses aventures ? Ma gueule sur le trottoir, je me sentais aussi miteux que cette vieille image qui fit la gloire de Disney.

« Hé John ça va? me dit Pluto en m’aidant à me relever. Qu’est-ce qui t’a pris de courir comme ça ? »

« Rien, t’inquiète. Une idée comme ça. J’me sens pas bien, je retourne derrière quelques minutes », lui répondis-je en me demandant combien de personnes au monde rêvaient de parler à un chien orange avec de grandes oreilles jusqu’à leur retraite.

Les deux mômes avaient faussé compagnie à leur mère et faisaient la file dans Dicoveryland pour aller dézinguer de l’extra-terrestre en poussant de grands cris insupportables. Les haut-parleurs diffusaient une musique aux clochettes que des tam-tams vinrent recouvrir. De plus en plus fort, martelant ma tête.
Cette tête à grandes oreilles qui me serrait le cerveau, mes tempes allaient déchirer le velours noir si je n’ôtais pas ce déguisement idiot. Je courus jusqu’au vestiaire, poursuivis par la musique qui prenait maintenant toute la place. J’enlevais ma tête de Mickey, la jetai dans la fond de mon casier et essuyai la sueur qui inondait mon cou. Dehors, entre les percussions qui semblaient perforer ma poitrine, j’entendais des voix, des chants d’enfants qui m’exhortaient à les accompagner dans la chasse aux martiens. Je pris l’arme soigneusement enveloppée d’un mouchoir dans mon sac et traçai deux grands traits rouges sur mes joues avec le maquillage sur la table de Pocahontas.

L’esprit des anciens me guidait vers mon gibier. Je suis le loup, je suis le lynx, je suis l’aigle. Je grimpe sur les structures métalliques recouvertes de grandes toiles noires. Les wagons traversent le ciel entre les étoiles, les lasers mitraillant les décors. J’évite les lumières, tapi derrière les moteurs. Je les vois arriver, je vise. Ma respiration est rapide. Les anciens me disent de me calmer. La patience du chasseur. Attendre sa proie.

Entre Saturne et la constellation du centaure, deux coups croisent le laser de Buzz l’éclair.
Les chants célèbrent ma victoire.
Je suis Naouda, grand guerrier.

Je suis redescendu des coursives métalliques à moitié déguisé en Mickey et je voulais rejoindre la remise à costumes pour récupérer ma tête. Je suis pratiquement tombé sur le garde du secteur qui a compris à ma tenue que quelque chose n’allait pas. Il m’a arrêté d’un geste ferme. Genre. « Bouge pas. Je me renseigne. Après je m’occupe de ton cas. »

« Poste sécurité 8 à Central. Ici Discoveryland, Zone Buzz l’éclair. J’ai intercepté un gars… ».

D’un geste vif, je lui ai sauté à la gorge et j’ai arraché avec mes dents tout ce que j’ai pu happer dans un mouvement de mâchoire digne d’un grand prédateur.

Le sang a giclé sur ma liquette de Mickey. Puis par terre, dans les coulisses sombres, ça faisait comme une tâche et l’autre portait ses mains à son cou décharné. Et j’y suis retourné arrachant encore de la chair pendant que ses cris ne faisaient que des bulles d’hémoglobine.

Après normalement, je devais commencer à me préparer pour la grande parade de 18h. J’avais fait ce que j’avais pu pour me débarrasser de la tâche de sang sur le nœud pap’ du mulot et aussi sur la chemise et, là, j’étais en train de regarder la télé disposée dans le vestiaire. C’était branché sur Disney Channel et je voyais un âne filer des coups de sabot à un fermier des années trente qui se retrouvait dans une mare avec un nénuphar sur la tête et un crapaud qui venait sauter sur le nénuphar quand Jeff-Pluto fit irruption dans la pièce.

« Putain, John, t’étais passé où ? Je me suis farci tout Fantasyland solo. Fais chier. Avec Aladin et cette pute de Fée Clochette en maladie, j’étais carrément obligé de m’arrêter tous les deux mètres pour des photos avec les gamins. La prochaine fois que tu me fais un coup pareil, je te signale au chef d’équipe.»

J’ai grommelé que je m’excusais, prétextant un malaise. Ce n’était pas le moment des disputes. La parade allait commencer. Jeff-Pluto a ôté sa tête de chien et s’est ouvert une bière. Il était là avec son masque à côté de lui et ses cheveux roux étaient parfaitement assortis à son pelage. Il buvait une Amsterdamned en transpirant.

« Putain j’en ai ras le cul de cette foutue parade. En plus ce soir, on a l’inventaire des costumes»

« Moi ça va. Je sens que la parade ce soir va tout particulièrement bien se passer. »

« Tu vas baiser Minnie ? »

« Ouais. Ca se pourrait bien. Tu vois, ça se pourrait bien. »

« T’es bizarre aujourd’hui toi. Vraiment t’as mal choisi ton jour pour me faire chier. »

Il m’a regardé d’un air super menaçant, très sadique et j’ai revu toute cette bande d’enflures qui n’avaient jamais pu me blairer depuis le début en fait. Trop de ces fils de putes avaient pu échapper à une quelconque justice. Salopards. Crevez tous.

La parade partait chaque soir de la gare de FarWest City. Je me suis enfoncé une tête de souris de deux mètres de circonférence sur ma face mal blanchie et, me penchant de côté, j’ai fait un petit signe des deux mains à Pluto qui a préféré me tourner le dos d’un air frondeur.

C’était la dernière parade de la saison. Après le parc passerait aux horaires d’hiver, Tarzan cèderait sa place aux patineurs de la Belle et la Bête, des boules de Noël s’accrocheraient au château de Cendrillon, et Groscontouriste troquerait son short et sa caquette contre une doudoune et un bonnet.

Cette année encore le service déco parade avait mis le paquet sur l’ambiance débile. Nous évoluerions autour des poissons clowns et des sirènes enfermés dans un aquarium géant rempli d'eau. En regardant le pauvre gars à qui on avait confié la tâche d’endosser un costume latex de poisson orange et blanc, je me dis que j’avais de la chance avec ma tête de souris miteuse. Il pouvait à peine marcher, l’orifice de sortie des jambes le bloquant à hauteur des genoux. L’équipe technique le hissa avec un treuil jusque sur le char où il fut harnaché puis installa trois sirènes sur des colonnes et leur tendit des paniers remplis de coquillages en mousse bleue. Pathétique. Ils devaient maintenant attendre une bonne heure que les chars prennent leur position, qu’on leur file leur masque de plongée, puis qu’on replisse l’immense aquarium d’eau avant de parader devant la foule ébahie par l’exploit.
Le spectacle allait être grandiose, toute la presse serait là pour le raconter.

Tout le monde s’affairait à ses déguisements, à revoir leur place sur leur char, à écouter les briefings des coordinateurs pour bien suivre la procédure. Je croisai Minnie, cette pute de Japonaise qui me méprisait depuis que j’étais là, angoissée parce qu’elle ne retrouvait pas ses gants blancs.

« La blanchisserie a rapporté les costumes de la parade il y a à peine une heure. Faut aller chercher ses costumes au dépôt. Je vais récup le mien aussi. Regarde ça, j’ai un gosse qui a renversé sa foutue glace à la fraise sur le mien. »

Minnie regardait les taches rouges sur ma jaquette avec dégoût en me suivant dans les couloirs vers le dépôt. Je lui ouvris la porte, avec galanterie, sans même attendre un merci de sa part et je la refermai derrière moi.
La pièce qui servait à entreposer les costumes était en réalité l’annexe de la chaufferie. Le mix des odeurs de transpiration et de friture des costumes à nettoyer qui croupissaient dans le fond et l’odeur antiseptique de ceux rapportés par la blanchisserie les jours de parade donnait envie de vomir.
Minnie aurait pu confirmer, surtout quand je lui enfonçai les collants du prince charmant au fond de la gorge pour étouffer ses cris. Elles rêvent toutes du prince. Grand, blond, romantique, attentionné qui les emmènerait sur son cheval blanc.
Je retirai ma tête de rongeur.

« Tu en penses quoi toi, de ma gueule de prince charmant ? » Elle ne pouvait pas vraiment répondre, juste un cri étouffé quand je lui remontai les intestins avec le crochet du capitaine.

« Tic tac tic tac, ton heure est arrivée ma souris. Tic tac tic tac. » Les tam-tams reprenaient leur place en chœur avec l’horloge du capitaine Crochet. J’abandonnai Minnie au milieu des costumes à nettoyer, les collants du prince dans la bouche, le crochet remonté jusqu’à la gorge et le cul défoncé par le club de croquet de la Reine de Cœur, j’enfilai mon costume aseptisé de Mickey, et fermai soigneusement la porte derrière moi, accompagné des incantations des vieux de la tribu.

Les bonbonnes d’oxygène et les masques prévus pour l’aquarium étaient toujours dans l’armoire des accessoires. Les dieux demandaient un sacrifice pour célébrer la grande fête des eaux de la forêt. Je leur offris 75% d’oxygène puis refermai soigneusement l’armoire avant de rejoindre le reste du groupe.

Perdre des chances étaient mon crédo. Quand j’avais commencé à me laisser embarquer dans cette histoire de tam tam et d’esprit ancestral, je m’étais mis à consulter ce putain de psy. Il disait que j’étais en train de subir une légère schizophrénie sans doute due à mes récents échecs. C’était fréquent d’après lui. Il suffisait que je me recentre sur autre chose d‘après son grand diagnostic. Et c’était lui qui m’avait donné l’idée au fond. J’avais cherché un moment.

Ahmed en Merlin l’enchanteur, la Fée Clochette pute qui faisait des pipes à Winnie l’ourson, Jacques le vieux comptable rincé obligé de se grimer en un putain de serpent, je les avais tous liquidés dans le parc à un moment ou un autre. Le message de la direction avait été clair. Tous en congés maladie. Il était hors de question que quelqu’un sache qu’un tueur fou rodait dans le parc. Je me doutais bien que peu de temps restait avant que quelqu’un ne finisse par deviner qui était l’auteur de ce massacre.

Je marchais vers les autres mecs de l’équipe personnage pour la parade. Des gens me poursuivaient pour se faire prendre en photo. Je m’arrêtais levant haut mes jambes, pivotant à droite, à gauche.

Clic Clac. Clic Clac.

Je me suis mis en tête de notre joyeuse troupe et un des organisateurs demandait à la volée si quelqu’un avait vu Minnie. Je voyais dans ses yeux un putain d’éclair d’inquiétude. J’ai secoué ma tête et il était temps de démarrer. On m’a collé Blanche Neige à coté et la fanfare a résonné.

Cette putain de fanfare résonnait chaque fois d’une force insensée afin de bien attirer les gens vers la sortie. Tout le monde était agglutiné au beau milieu et je me remémorai mentalement la manière dont étaient placés les personnages.

Quand j’étais môme, ce que j’avais toujours aimé avant toute chose c’était de faire sauter des pétards. Le psy m’avait renvoyé à ce moment de ma vie. Un jour j’avais fait sauté une dizaine de mammouths sous le chat des voisins et ce con était mort. Ca avait fait toute une histoire et mes parents avaient décidé de déménager.

1 kg de plastic dans Jeff-Pluto, dans Dingo, dans le grand Méchant loup, dans le génie de la lampe, dans le roi lion. Tout ce beau monde encadrait le chariot des sirènes qui allaient pour leur part rapidement flotter le ventre en l'air ballotées contre les parois de leur prison de verre et d'eau.

Ces costumes pesaient des tonnes et personne ne pouvaient s’apercevoir de rien. Il y a avait des cotillons qui nous tombaient sur les épaules et nous agitions du mieux possible nos membres sous la musique sirupeuse à souhait.

Les Groscontouristes, à l’estomac garni de barba papa et hotdog à 6 euros, exprimaient une plénitude insupportable, le bonheur sidéral made in America et tout était défraîchi en vérité.

Nous étions entourés d’enfants qui se trompaient de rêves assurément. Les yeux brillaient pendant qu’ils tombaient amoureux du décolleté de Blanche neige.

J’avais la mission quasi divine de les sauver. On en fait toujours trop dans ces cas là mais c’est excusable puisque ça part d’un bon sentiment.

Il y avait cette odeur de vomi et de merde dans les chiottes du parc quand tout le monde le quittait. Mais pas ce soir. Ce soir, il y aurait autre chose.

Je suis allé d’un pas rapide vers les gens attirant le plus possible d’entre eux parmi nous. Et tous se laissaient faire. Tous.

Je me suis reculé pour contempler le tableau de loin et c’était vraiment méprisable. Ces sales gens, les Américains avaient tué mes ancêtres indiens pour en arriver pas plus loin que là et même si le sacrifice de cette civilisation ne rendrait jamais la justice à la hauteur de ce que ça aurait pu, j’ai quand même appuyé sur le détonateur avant de m’éloigner du côté du cimetière des scélérats.