Marne-la-Vallée (la plèbe)

Le 16/12/2008
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par nihil
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Dossiers / Remix
Ce texte reste fidèle à l'esprit de la ballade de Dourak qui l'a inspiré. En plus sinistre encore, si c'était possible. Le narrateur, en visite à Disneyland, se met à tirer au hasard dans la foule, proposant ainsi une nouvelle attraction en remplacement des habituels manèges et parades chamarrées. Un petit jeu malsain entre l'amuseur public, armé jusqu'aux dents, et la plèbe avide de sensations. La ballade donnait un coté un peu 'léger' à l'histoire, ici n'y a plus que du lourd, du brutal, du chaotique. Une ode au massacre et au renoncement, livrée sans notice.
[remix de Marne-la-Vallée de Dourak Smerdiakov]
Sous un déluge de cotillons multicolores j’arpente le pavé. A l’arrière-plan, un décor bariolé ceinture l’horizon. Des châteaux roses bonbon, ventrus, enflés comme des tumeurs. Des attractions surpeuplées de personnages de dessins animés, joufflus et grotesques. Un cauchemar pastel pour marmots hystériques.
Mais les manèges ont cessé de tourner, et les mascottes de danser.
Une masse grouillante, indistincte, reflue en désordre devant moi. Des articulations malmenées, des ventres et des bras mêlés dans un grand bourbier de chair compressée. La foule s’ouvre en grand sur mon passage. Ca se débat et ça détale en tous sens. Les petits sont à terre, piétinés par les grands. Moi, je poursuis ma route, droit devant. Le canon de mon fusil comme une étrave, je fends les flots de leur boue organique.

La fête des fous bat son plein. Ca tortille et ça grimace, ça s’agite en cadence sous la baguette fumante du bouffon en chef. Les hauts-parleurs débitent en grésillant une petite ritournelle euphorique. Les fuyards font les choeurs. Même les détonations ne couvrent pas leur vacarme. La panique contamine toute l’assistance, de proche en proche, et c’est maintenant toute une foule qui s’égaille sans ordre. Dans la cohue, tous les visages se ressemblent. Moi, mes nerfs sont à vif.
Comme les autres pauvres bêtes, les vigiles ont détalé : plus rien n’empêchera le percuteur de percuter. Toutes les barrières sont tombées.
Les enfants braillent, je les fais taire. Leurs génitrices rubicondes s’agenouillent pour implorer ma pitié, je la leur accorde, à bout portant. Et ça geint, et ça pigne, mais je n’entends plus rien, rien d’autre que l’écho des détonations. Coup après coup. J’enjambe les corps sans freiner, il y a du sang sur mes bottes.

Un coup, et la majorette s’abat, la poitrine fracassée. Un coup, et le grand chien jovial se plie en deux, ses mains gantées de blanc pressées sur son ventre.
Moi aussi, j’ai le droit de m’amuser : comme les autres, j’ai fait la queue et payé mon billet pour le paradis factice. Emporté par la plèbe avide de sensations, j’ai passé ses arches bariolées.
Que le spectacle continue : un coup pour l’homme, un coup pour la bête, tous unis dans leur sang répandu. Tous. Tous. Tous. Tous éteints, tous fauchés.
Je ne sens plus rien, rien d’autre que les chocs encaissés encore et encore, mes articulations malmenées.

Tous les bons spectacles ont une fin. Ma cartouchière vidée repose à mes pieds, et j’ai abandonné mon arme. Les haut-parleurs se sont tus et la stupeur s’est abattue sur la foule. Quelques sanglots étouffés, des murmures, à peine un souffle sur l’eau. Bientôt le grand troupeau, apaisé, pourra reprendre son activité habituelle. Et tout oublier. Le rideau tombera, et tout recommencera, comme si rien n’était arrivé. En attendant, je me gorge de silence. Je n’entends plus que le vent dans les branches. Je m’assieds à terre.
Dans l’ombre de la grande masse anonyme se détachent les silhouettes de Goofy et Donald, qui s’avancent pour me maîtriser. Je passe la main sur ma ceinture de bombes. J’ai le détonateur bien calé dans mon poing, pour le bouquet final.