La relative tranquillité du bucheron

Le 27/09/2009
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par Trompette
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Thèmes / Obscur / Autres
Bizarre pseudo, bizarre titre, bizarre texte. On est bien barrés, tiens. Un héros bûcheron, avec une psychologie de Winnie l'ourson sous meth, incapable de fixer sa pensée plus de trois secondes. C'est absurde sans être drôle, la confusion mentale est palpable, et ces caractéristiques qui définiraient la bouse du siècle, font de ce texte un OVNI qu'on apprécie pour son étrangeté. Je suis pas sur que ça raconte vraiment quelque chose, mais je crois qu'on s'en fout, c'est bien.
Bandini se trouvait dans un bien pauvre état d’esprit. Il s’était assis au milieu d’un parc, avait dispersé autour de lui, sur l’herbe, sa bicyclette, un demi sandwich au thon, son sac à dos, ses lunettes, du papier, un stylo brisé en deux et un briquet, qu’il ne trouvait plus.
Bandini était maussade, en tailleur, à même le sol. Entouré de choses inutiles ou cassées ou les deux. Il avait marqué son territoire. Étrangers, vous n’êtes pas les bienvenus.
Bandini avait claqué une porte et pédalé jusqu’au parc. Les parcs l’apaisaient. Parfois. Pas cette fois. Il regardait les arbres et pensait « tronçonneuse ». Il regardait l’herbe et pensait « merdes de chiens ». Il regardait jouer les enfants et se sentait vieillir sur place. Il suivait des yeux les jolies femmes qui offraient leurs pas aux allées de gravier et leur prêtait à chacune une perversion originale. Celle-ci puait de la chatte. Celle là pétait au lit. Cette dernière avait mangé ses enfants, d’une manière ou d’une autre.
Une guêpe vint le déranger. Il voulu l’avaler mais n’y parvint pas. Il se demanda un moment à quoi cela aurait pu lui servir d’avaler une guêpe puis oublia.
Bandini était pieds nus. Il remarqua que ses ongles de pieds étaient longs et sales. Il pensa à toute cette merde dont il convenait de se gaver au cours d’une vie et combien, pour finir, c’etait inutile. Il pensa aux kilomètres d’ongles dont il s’était séparé, depuis le temps. Il envisagea des autoroutes de cheveux, des tapis roulant d’étrons, des litres de morve et de vomi. Il estima la prodigieuse quantité de crottes de nez dont il avait entreprit l’excavation depuis sa naissance. Le grand cycle de la vie lui donna la nausée.
Bandini déchirait une feuille morte puis il eut envie de fumer. Il roula une cigarette. Toujours cette forme grotesque. Ce surplus de tabac au milieu de son collage qui faisait ressembler ses mégots à des serpents repus.
Un enfant apprenait à faire du vélo. Bandini se souvint que son briquet était introuvable. Le père tenait la scelle d’une main et le col de son fils de l’autre. Il serrait fort. L’enfant voulait descendre, pleurait sans faire de bruit. « Qui m’a foutu un gosse aussi con ! » maudissait le père. Bandini l’entendait, sa clope éteinte pendouillant au bord des lèvres. Un pigeon le frôla. Les pieds de l’enfant quittèrent les pédales. Ses mains lâchèrent le guidon. Le vélo rouge et jaune termina sa course aux pieds de Bandini. On aurait dit un cheval mort, couché sur le flanc. L’enfant ne touchait plus terre, suspendu par le col, aux mains de son père, son père enragé. « Fils de pute. Qui m’a foutu un gosse aussi empoté ? ».
Bandini se leva.
Calmement.
Les feuilles mortes craquaient sous ses pas. Ses phalanges entre ses poings.
Les pas réguliers d’un homme au bien pauvre état d’esprit.
La gifle claqua aux oreilles de Bandini. La tête de l’enfant fit un tour. Il ne pleurait pas. Il regardait son père, la main de son père, puis son vélo, couché, puis le ciel. Bandini avançait. Il savait que l’enfant priait. Faites qu’il crève. S’il vous plait. Faites qu’il crève le plus vite possible. Le père hurlait, plein de santé et de vocabulaire. L’enfant n’entendait rien. Son oreille gauche sifflait et il se concentrait là-dessus. Ses yeux quittèrent le ciel, se plongèrent dans ceux du paternel. Ses pieds touchèrent le sol. Il respira à nouveau. Bandini était juste là, maintenant, sa main sur l’épaule de l’homme. Il dit « Z’auriez pas du feu ? ». L’homme lâcha l’enfant et sourit à Bandini. Dents blanches et urbanisme. « Mais certainement ».

Le gamin s’éloigna tandis que l’homme fouillait dans ses poches. Le môme aurait pu courir jusqu’à la sortie du parc, monter dans un bus, puis un autre, puis un autre, réserver une chambre d’hôtel, acheter une bouteille de whisky et appeler une pute, rester là quelques jours, peindre, se saouler et baiser. Mais l’enfant était prisonnier de ses six ans et il avança lentement vers son vélo en se tenant la joue. Il redressa sa monture et Bandini le regarda faire. « Voilà » fit l’homme en approchant une flamme. Bandini se pencha. On entendit crépiter le papier à cigarette.
Il pointa son menton vers l’enfant en tirant une longue bouffée.
-    L’est pas doué vot’drôle…
L’homme s’alluma une cigarette à son tour. Ses mains tremblaient un peu.
-    Il y arrivera ce petit fils de pute. Vous avez des enfants ?
-    J’ai claqué la porte, répondit Bandini. Vous voulez que je vous le tienne un peu le temps que vous lui foutiez sur la gueule ?
L’homme refusa l’offre. L’enfant revint vers eux en se frottant les yeux du revers de la main. Une main sale d’enfant de six ans.
-    Peut-être qu’il préfère le skateboard ? suggéra Bandini. Peut-être qu’il obtiendra le Nobel de mathématiques…
-    J’en doute. Maladroit et con comme la lune, voilà ce qu’il est.
-    Sans doute qu’il vous tuera alors, conclut Bandini. Z’ auriez pas une tronçonneuse ? Au fond de votre garage ? Une tronçonneuse, vous auriez pas ça qui traine ?
-    Et pourquoi faire une tronçonneuse ?
-    Toutes ces saloperies d’arbres, montra Bandini, je voudrais en abattre un. Au moins un. Vous avez déjà fait ça, vous ?
-    Jamais, fit l’homme.
-    Moi j’ai jamais frappé mes gosses. Pas une fois. Mes plantes bousillées dans le jardin, le feutre sur les murs, la grippe, les nuits blanches, les carnets de notes toujours plus minables, le shit qu’on trouve au fond d’un tiroir, la putain de guitare, les matchs de foot à la con, à des heures de bagnole, les parents de cette fille en cloque qui frappent un soir à la porte, les insultes, les fugues, et puis le silence. Pas une fois, je leur ai foutu une mandale. Je voudrais vraiment faire tomber un de ces arbres.
-    Ca se pourrait que j’aie une tronçonneuse, conclut l’homme.

Cette nuit là, les voisins appelèrent la police à cause d’un taré et du boucan dans le parc. Quand ils débarquèrent, les agents découvrirent un magnifique chêne, couché sur un banc public. Tout au bout, à coté de la souche, ils trouvèrent Bandini, enivré par l’odeur de l’essence, fumant une cigarette mal roulée. Il souriait. Autour de lui, un tiers de sandwich au thon, un stylo en mille morceaux, du tabac, une bicyclette aux pneus crevés, un sac à dos éventré, des lunettes piétinées, quelques livres déchirés dont les pages s’éparpillaient ici ou là et un briquet, tout neuf.
Lorsque les agents l’interrogèrent, Bandini ouvrit la bouche et cracha une guêpe morte.
Puis il ferma les yeux et se laissa emmener.