Narcissisme de situation acquise - 1/2

Le 17/10/2009
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par Koax-Koax
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Déjà que notre vie personnelle, on en a rien à battre, mais alors la vie de quelqu'un d'autre, franchement... Ennui, drogues diverses, putes et écriture pour se donner un genre. Pareil que moi en gros (sauf les putes, chez moi c'est des koalas, mais bon). Le narrateur a plus de pognon que moi, aussi, ce qui le fait passer pour un personnage de Bret Easton Ellis bâclé et sans originalité. J'avais vraiment pas besoin de m'entendre dire à quel point ma vie est médiocre, merci, maintenant je vais me suicider au sirop de grenadine.
L'odeur fétide se propageant dans mon appartement avait eu raison de mon sommeil par nature fragile. J'allumais l'ordinateur par habitude et poursuivais mon quotidien sans trop réfléchir aux prochains évènements qui allaient survenir.
Des piles de mégots dans mes cendriers, eux-mêmes en équilibres sur des bouquins pas terminés d'auteurs en vogue du XXIème siècle, Lunar Park dans un coin, le dernier Houellebeck, (qui est une belle merde au passage) dans l'autre, entre deux sachets de beuh thaïlandaise modifiée et coupée de divers neuro-stimulants, et quelques capsules de bières slaves, de degré conséquent, elles mêmes en équilibre sur des amas de notes aléatoires issues de l'époque où je me shootais régulièrement aux extas, aux champis, à l'insuline, et que je fourmillais de phrases chocs et éparses, mais fortes à mon esprit. A cette époque je me considérais, bien que ce soit encore le cas par moment, comme un mec qui gagnerai à être connu. Des phrases qui s'entassent sur des post-it, eux mêmes perdus au milieu d'un tas de feuilles à moitiés blanches, sur lesquelles sont disséminés çà et là des textes avortés et des dessins incolores que je ne finirai sans doute jamais.

Voilà à quoi ressemble ma vie dans mes moments de perdition morale complète. L'état de salubrité de mon appartement ressemble à l'intérieur de ma tête, c'est un état proche de la psychologie de placement. Lorsque je suis désespéré, anéantis par le poids des conséquences de mes actes, et par mes responsabilités, c'est tout un microcosme informe et bordélique qui prend le pas sur le vide de mes quarante cinq mètres carrés. Vivre seul me permet à peu près deux semaines sur deux si ce n'est plus de me laisser aller et de m'enfoncer dans ce confort relatif et démotivant. Mais qui me rend incoerciblement productif.

A l'inverse, lorsque tout va bien dans ma vie et que je redescends peu à peu vers un état d'esprit plus convenu, je n'ai plus aucune inspiration, je me drogue évidemment toujours, je fais un ménage salvateur et deviens même un post-maniaque du rangement. Ni motivé ni convaincu par ces choses, car je sais pertinemment qu'elles sont éphémères, et que d'ici deux semaines tout redeviendra instable, sale et désordonné.
Je reçois tout les trois soirs environ la visite de femmes (et je parle là de vrais femmes, approchant la trentaine, sac à main Vichy, talons Prada, épilées en totalité, les yeux débordant de putasserie et d'effluves d'alcools et d'autres produits astringents, le genre de fan de Desperate Housewives et de tant d'autres séries américaines s'adressant à cette nouvelle génération de féministes frustrées et libérées de toute morale. Des accessoires de putes refoulées, globalement). Je les baises sans plus de conviction, tout ceci me défoule, me conforte dans mon potentiel de séduction, en prenant au passage quelques traces de Kétamine ou d'une autre substance, j'ôte scrupuleusement la capote qui recouvre mon appât. Le summum ? Non. Mais je n'ai jamais eu autant l'impression de contrôler mon environnement que durant ces périodes de dépravation. Elles amènent toujours un peu de drogue sur elles. Basse qualité, coupure suspicieuse, mais largement suffisant. Je suis beaucoup plus performant à l'intérieur d'une chatte quand mon esprit ne s'attarde pas ailleurs que sur la vérité de l'instant présent.

Certains soir je sors seul, attiré par la puanteur de la ville comme une mouche peut l'être par une merde fraiche et moelleuse . La plupart du temps c'est avec la bande d'étudiants en droit qui me tiennent lieu d'amis, du moins de faires-valoir, pour aller boire un peu de Chardonnay à la terrasse du Bananza, en prenant toujours soin de m'installer à proximité et à bonne vue des fesses rebondies et des décolletés voluptueux des serveuses, et autres clientes de passage. Laeticia est une salope depuis son plus jeune âge. I. est mon meilleur pote. Yann est un sacro-saint enculé. Hervé est un nègre. Et moi je suis l'oeil aveugle de ce cyclone de loques.

Rien de spécial, si ce n'est ces quelques points, j'ai toujours un sachet de Coke pure sur moi et un petit agenda pour y noter mes fulgurances.
Rien de spécial, si ce n'est qu'il m'arrive de fumer de temps à autre un cigare d'origine non-industrielle en prenant des poses suggestives, avec un air blasé et supérieur, dans des lieux fréquentés.

Dans les premiers instant l'inaction m'apporte l'inspiration. Je me mettais à écrire des courtes brèves sur le mode désabusé, avec un style laconique remarquablement lourd de vérité, selon les quelques hypocrites qui m'entouraient. J'avais lu Fight Club, j'avais dix sept ans, allais sur mes dix huit, et à ce moment précis où j'ai refermé pour de bon le manuscrit, je me suis mis à pomper le style Palaniuk trait pour trait en prenant soin de remplacer quelques lignes inutiles comme celles qui ponctuaient son œuvre par des mots grossiers tels que putes, baltringues, salopes, enculés, foutre, mouille, chattes, et autres superlatifs affectueux. c'était insensé, et je finissais toujours par bruler mes textes, au bout d'un moment. Je devrai peut être le faire avec celui-ci.

C'était ma période Héroïne, qui, a durée, me rendait passablement irritable et ignoble envers mon entourage. Environ six mois avant que je n'en vienne à ma première désintox, j'avais terminé d'écrire mon premier projet de livre. C'était l'histoire d'un psychiatre israélite qui était en charge d'un réseau de terroristes potentiels, tous dépressifs néanmoins. Il y avais du sang, du sexe, de la manipulation et une bonne dose de racisme primaire. C'était un gros navet et je l'ai très vite glissé dans une poubelle, sur l'avenue du 11 Novembre, avec ce qui devait être ma dernière seringue.

A force de passages à vide et d'ingurgitation de drogues en tout genres, j'ai été conduit de force par ma mère dans une maison curative huppée, sur la côte méditerranéenne, vers Barcelone.
Mon voisin de chambre venait régulièrement me rendre visite pour échanger quelques traces de rachacha contre de la coke ou de l'alcool. Je ne comprenais pas son langage mais il semblerait qu'il était en gros responsable d'un grand fiasco monétaire au sein d'une chaine de banque assez réputée dans son pays. Nous nous droguions et parfois même, nous nous faisions tourner une petite blonde venant d'Angleterre, junkie chronique, une fille à papa dépressive venant de Winchester, fraichement arrivée et complètement perchée. Et foutrement bonne. Elle aimait qu'on la traite de pute, qu'on lui claque les fesses quand on la prenait en levrette. Comme tant d'autres filles perdues qui finiront par se shooter au vide en passant de bites en bites. Elle est partie peu de temps après que mon comparse aie replongé dans la Rablah. Il ne sortait plus de sa chambre depuis quatre mois, si ce n'est pour autre besogne que d'aller prendre ses cachets et de participer aux thérapies de groupe, où il restait là, à moitié endormi, à écouter les lamentations des autres internes.

Tout ceci pourrait paraitre glauque, paraitre le parcours typique d'un adolescent paumé en manque de sensations fortes, nous pouvions, moi et les autres internes sombrer dans la dépression la plus complète, il n'en était rien et nous survivions dans la tempête en prenant soin de bien cacher les preuves de nos faiblesses, tant bien physiques que psychiques.
Le vingt et un mai deux mille trois, mon compagnon d'infortune s'est pendu avec ses draps enroulés autour d'eux-mêmes. Son corps livide flottait au dessus du vide, nu, par la fenêtre du couloir F se situant à quatre étages au dessus de ma chambre.

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Si j'en venais à régulièrement user de produits stupéfiants, c'était tout au plus pour justifier ma paresse et éviter de sombrer dans la violence.
Mais selon mon psychiatre, un pathétique père de famille se confortant dans le petit luxe prolétarien, toutes ces exactions avaient une origine plus lointaine, familiale.
Les psychiatres ne voient que par causes à effet, ils ne s'emmerdent pas à trouver une source interne et par conséquent, prétextent un milieu particulièrement propice à la perte des valeurs remises en question.

Certes.

Mon père était un alcoolique notoire, prototype même de l'ouvrier honnête envers son travail et exécrable avec sa famille, transfusant ses frustrations sur les "siens". Un beauf typique et caricatural, le genre de père de famille que produisent à la chaine les scénaristes de séries débiles made in U.S.A. . Vivant dans un confort relatif et étroit, il ne s'embarrassait pas des politesses et des morales. Sans gêne et qui faisait montre, bien trop souvent, d'un manque de discernement et d'une stupidité exemplaire. Immodéré et incapable de contrôler ce qui l'entoure, ses nerfs lâchaient parfois lorsqu'il était tout seul. Je l'entendais fulminer comme un con, grogner, de ma chambre située juste au dessus du salon.
Sa phrase type, pour lancer une joute verbale agressive entre nous deux, c'était "tu devras bien travailler un jour, l'usine c'est à ça qu'on voit que t'es un homme, tu ne connaitras jamais le vrai sens du mot travail si tu n'vas pas à l'usine un jour". Et ces paroles je les connait tellement sur le bout des doigts que ce qui précède cette phrase est strictement vérité, le contexte est ce qu'il y a de plus proche de la réalité.
j'avais droit à ce discours depuis l'âge de sept ans. Au début j'acquiesçais, sans aller plus loin.
Plus tard je l'insultais copieusement, lui s'énervait d'autant plus, alors je l'insultais plus fort. Parfois même nous en venions aux menaces de mort et aux mains.

Puis, par habitude, chaque adversaire retournait dans sa partie du ring jusqu'à ce que l'un des deux finisse par revenir la queue entre les jambes en geignant. C'était toujours lui. Il revenait me voir avec un billet entre les doigts, et repartait aussitôt s'allonger sur son canapé pourrit par la moisissure, ce canapé d'un gris immonde qu'il affectionnait tant. Tout comme son bâtard de chien. Gris et moisit lui aussi. Je comprends mieux mon attrait pour les choses rouillées maintenant. Voici en quelque sorte le cadre type d'une classe sociale située le cul entre deux chaises, entre richesse et pauvreté, la classe bateau qui se laisse porter par les flots de la société.

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A ma sortie de désintox, c'est à dire huit mois après mon arrivée au centre, je me suis mis à cogiter sérieusement sur ce qui provoquait mon dégout pour l'espèce humaine, et sur ce qui me poussait à toujours plus m'enfoncer dans les addictions en tout genres. La cure n'avait rien apporté de bon, si ce n'est le numéro de téléphone de Faye, la petite anglaise aux seins pointus. J'avais repris les bonnes habitudes, sans Héroïne mais avec du Subutex, en tant que substitut. Et toujours les éternels joints, les bière, la coke (en moindre quantité il faut l'admettre). Je n'avais pas à me plaindre puisque c'était quand même assez fort pour m'envoyer dans le vide et me faire oublier que bientôt, je devrai gagner mon argent par moi-même.

Mais ça ne m'avançais pas plus que ça. Je revenais au même point et j'étais définitivement décidé à attendre. Quoi, ou quel évènement, je n'en savais rien.
Il me manquait quelque chose. Je suis retourné dans mon appartement qui durant tout ce temps avait été subventionné par ma mère.
Ma mère.
Ancienne baba-cool, ouvrière tout comme mon père, mais elle avait, par héritage, un compte en banque suffisamment fourni pour me mettre à l'abri du besoin. Mon père n'en savait rien, à propos de cette petite fortune. Elle ne l'aimait déjà plus depuis mes six ans. Mais elle est restée avec lui pour moi, et à toujours veillée sur mon bien être. C'était une cuisinière hors-pair. Surprotectrice, elle à fait de moi un enfant gâté jusqu'à son divorce d'avec mon paternel. Je me suis toujours demandé ce qu'elle pouvait bien foutre avec ce type.
J'avais quatorze années quand elle a mit les voiles. Je suis resté vivre chez mon géniteur (puisque le collège se situait à proximité), et j'allais chez elle quand c'était possible. Une femme bien, ma mère.
A cette époque mon père déprimait sérieusement, il ne se l'avouait pas mais je crois qu'il l'aimait profondément. Et ce fut d'un coup de moins en moins drôle.
Il poussait l'alcoolisme à son paroxysme, sortait chaque soir du week end en boite de nuit et bien souvent, je devais le ramasser, quand il sortait du taxi (sa voiture avait même une place attitrée devant son club habituel, le patron de celui-ci savait pertinemment quels genre d'alcoolos trainaient dans son lieu, et mon père en était l'un des plus fiers représentant).

Mais parfois il m'arrivait de le laisser dormir sur les marches qui précédaient la porte d'entrée de la maison. seul, à moitié nu, dans le froid de la nuit.
C'est véritablement à cette époque que j'ai compris que je ne l'aimais, de toute évidence, absolument pas. Et que jamais ça ne serai le cas. J'en avais pas besoin, j'étais mon seul et unique modèle masculin.

Ces évènements se sont produits quatre ans avant la désintox, à cette période je ne faisais que fumer quelques joints en rêvant de changer le monde, je me shootais au déo et à l'eau écarlate régulièrement avec quelques connaissances, ma scolarité restait exemplaire, et j'avais pour habitude de me branler tout les dimanches soir devant le porno-soft d'M6 (je n'avais alors que ces films de bas étage pour seule excitation).

Jusqu'au décès brutal de l'un de mes plus proches ami, la vie poursuivait son cours. Jusqu'à mes quinze ans.
Mes quinze ans. Tout s'est enchainé. L'époque "rebelle". Crane rasé, je portais des Rangers aux lacets blancs sur lesquelles trônait un aigle orné d'une croix faite d'ossements (je n'étais pas un nazillon en herbe, mais la peur que j'inspirais me faisait bander avec ferveur, et je jouais avec ce côté provocateur avec une certaine satisfaction). J'écrivais des nouvelles particulièrement crues et violentes, bien que dénué de talent littéraire, et je disais à qui voulait l'entendre que j'étais sans nul doute un putain de génie et que d'ici une dizaine d'années je serais connu à travers le monde, ou du moins en France.
Mais ces quelques positivités étaient agrémentées de configurations comportementales nouvelles. J'étais, et ceci est stipulé noir sur blanc sur une feuille format A4 authentifiée et tamponnée, sur la voie de la paranoïa. Je riais à ces mots mais il faut admettre que mon addiction récente au Shit m'avait totalement changé. Il y a eu l'insomnie, aussi. Environ un soir sur trois. Et les expériences plus ou moins conséquentes, tels que les bad trips nocturnes et autres malaises dûs à ma nouvelle façon de vivre. Quinze ans, défoncé comme pas possible, envié de beaucoup pour mon détachement, craint, parfois, respecté, rarement, mais isolé dans ma supériorité supposée. J'arrivais quand même et à tout moment, avec n'importe quelle fille, à me faire sucer dans les toilettes du bahut, tout en insultant dans un langage teutonique ladite personne. La grande époque, sauf que mes névroses se reflétaient sur mon comportement, et à bien des niveaux, les gens me prenaient pour un fou. Ce qui n'était de toute évidence pas loin de la réalité. Et puis les choses se sont dégradées quand j'ai appris le cancer de I. .
C'est à cette période de ma vie que je commençais à consulter de plus en plus souvent le professeur Serres, psychiatre de son état, et à peu près proche de la retraite.
I. en était déjà à sa phase terminale lorsque le médecin lui a apprit la nouvelle concernant son propre sort. Cancer de la gorge.
Et moi, j'en étais à ma première cuite, monumentale.