L'enfer des bibliothèques

Le 26/12/2009
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par Das
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
La première partie de ce texte fait immanquablement pensé à "Eclats de voix", de Glaüx : l'histoire d'un type qui se retranche dans le silence des livres. Voilà pour le décor. Pour le reste, je soupçonne Das de vouloir de nous refourguer une histoire d'amour sans même prendre la précaution de l'emballer dans un sac poubelle. Notre bibliothécaire voit resurgir une ombre de son passé ; s'ensuit une scène de sexe où le grotesque l'emporte par KO.
Nassima me souhaite en franchissant la porte de passer une bonne soirée. Elle sait, ils savent tous ce qu'il en est. Au début, ils trouvaient la pratique étrange, et je les intriguais, mais le temps leur a permis de me voir avec une sorte de détachement condescendant. Ils me laissent faire et ne posent pas de question, c'est tout ce qui importe. Comme cette affiche que j'ai scotché sur la porte : « Purgatoire ». Ils ne comprennent pas et font semblant de ne pas voir. C'est très bien.
Elle s'enfuit discrètement et me laisse assis devant le bureau qui reflète avec l'impudence des objets fonctionnels la fadeur blanche des néons. Il est 22 heures et sept minutes, je plonge la bibliothèque dans le noir et commence alors ma danse rituelle. Après quelques minutes passées à savourer le calme sombre de la pièce, je m'allonge et me concentre pour entendre vibrer les écrits. L'un d'eux craque à l'étage, c'est là que commencera ma tournée aujourd'hui. Je monte et caresse la couverture d'un vieux Gaffiot dont les pages dépassent irrégulièrement, l'ouvre au hasard et mon regard tombe avec soumission sur la locution Liberate me ex inferis. Elle m'arrache un murmure amusé : « les mots ne mentent jamais ».

La phrase est aussitôt absorbée par le silence sévère des livres. Ils dominent l'espace, les sons, ce sont eux les maitres maintenant. Je repose l'imposant volume et m'éloigne du rayon « littérature grecque et latine » en caressant avec une distraction feinte la tranche des œuvres complètes d'Aristophane. C'est là que sont rassemblés les plus anciens manuscrits. Je m'imprègne de leur odeur en inspirant bruyamment et quitte définitivement la section. Le pas lent et la main pesante, je descends les escaliers avec un dédain marqué envers les autres volumes de l'étage : « littérature générale et comparée » à gauche, « ouvrages critiques » à droite. Masturbation intellectuelle, insolente et inepte, partout.

A peine arrivé en bas, une vision. Elle m'avait quitté près de trois ans auparavant, après sept jours enflammés par le sexe et l'alcool, durant lesquels nous étions restés enfermés dans la chambre, un autre purgatoire à l'époque. Nous avions alors délaissé le temps et joui d'un malheur qui n'était pas le notre. Sept jours passés à forniquer, à dévorer tout ce que nous pouvions, à se réveiller mutuellement pour se violer, à diviniser la malédiction qu'elle était. Avant qu'elle ne me quitte, je lui avait avoué :
«- Je serai bibliothécaire... Et désolé.
- Alors tu a choisi... le silence des objets...Quel courage!
- Tu comprendra, j'en suis sûr.»

Elle s'était lentement retournée et avait marché jusqu'à la voiture. Je suis resté toute la nuit à l'attendre sur la parking de l'hôtel, assis sur ma vieille valise en cuir. Peu après le lever du soleil, j'ai compris qu'elle ne reviendrait pas. Pas ici.

J'avais depuis fui en avant, l'imaginant partout et ne la retrouvant nulle part. Elle était devenue la vie elle-même dans mon ombre. J'avais tout trahi. Par ma faute, ses mots ne quitteraient jamais le papier. Les miens non plus, alors même que nous les avions hurlé ensemble. Nous les avions craché depuis les sommets, et nos désirs s'étaient écrasés mollement sur la réalité absconse. Nous les avions vomi à qui ne voulait pas les entendre sur le zinc des bars ténébreux. Enfin nous les avions psalmodié, côte à côte, sans se toucher, dans le silence des nuits sans étoile. Mais il n'était plus temps aujourd'hui.

J'avais fui.
J'avais déserté.
Et j'étais presque mort.

Et elle m'avait retrouvé, pour me pousser à la violence et me déchaîner de nouveau. Je compris qu'elle était revenue à la force, me faire vivre, que nous n'étions au monde qu'ensemble, que nous ne pouvions exister qu'en mouvement, et que nous serions porté par l'élan vers l'absolu. Je compris que nous n'étions pas fait pour la vie fainéante et atone de ce monde, que nous ne pouvions vibrer qu'en transgressant. Je compris enfin ce que c'était qu'un livre.

Un mouvement.

Elle laissa sa robe glisser le long de sa peau sombre et la soie violette vint s'écraser dans un froissement ouaté sur la moquette grise. Je contemplai ce corps parfait, offert sans préambule à ma fureur de vivre, puis ses yeux, changés, noir jais. Son regard était celui de ceux qui savent, celui de ceux qui ne changeront plus. Je me déshabillai à mon tour et elle se rua sur ma gorge dès que je fus torse nu. Sa morsure me surpris et je la frappai au ventre pour me dégager. Elle me griffa presque aussitôt au visage et les premières gouttes de sang coulèrent comme une délivrance. Elle commença à rire timidement, puis de plus en plus fort. Je restai, moi, allongé sur le dos, à écouter le voie divine mêlée à l'impossible silence des livres.

Je fis résonner ses mains sur mon corps alors qu'elle achevait de me déshabiller. Quand elle eut terminé, elle posa son sexe chaud sur le mien en m'emprisonnant du regard et entreprit de me chevaucher avec véhémence. De sa poitrine coulaient de plus en plus de gouttes de sueur froide. Je décidai de la lécher en prélude, mais elle repoussa mon visage d'un coup de coude à l'arcade. Mes dents parvinrent à lui emporter l'extrémité du sein gauche. Elle hurla décrescendo et chevaucha encore plus vite en me giflant des deux mains. Ses cheveux volaient au rythme de ses coups et l'odeur de nos corps envahit bientôt la pièce entière.

Chaque parcelle de la bibliothèque puait le sexe. Je la portai jusqu'au bureau et l'allongeai sur le dos. Ses longues jambes, délicatement repliées m'évoquaient les battements d'ailes d'un papillon, au rythme des mes bombardements rénaux. Je décidai de la retourner et lui plaquai la face contre la table, sa nuque dans ma paume. Son anus, bien propre, était fermé et semblait supplier la dilatation. Je débutai en humidifiant le trou de ma salive. D'une main, de jouai avec son clitoris, de l'autre, je ramassai l'agrafeuse dans un tiroir ouvert. Quand elle commença enfin à gémir, j'introduisis mon sexe, de toute sa longueur. Ses cris devinrent peu à peu des soupirs. Je lui enfonçai une agrafe dans la fesse à chaque entrée complète de ma verge en elle. Elle sentit que j'allais bientôt décharger et se retira avec adresse pour me sucer lentement.

Elle avala tout, et après s'être assurée qu'il ne restait plus rien, referma la mâchoire sur mon sexe et le recracha sur l'un des rayons à proximité. Je devins Galle par sa bouche, et dans la souffrance où j'étais, je trouvai le force de brandir ce membre devenu mou au dessus de ma tête. En me privant de mon arme, elle m'avait fait surhomme.

L'entrejambe en sang, je la trainai par les cheveux jusqu'à un gros volume qui contenait quelques photos de bustes des stoïciens les plus fameux imprimées sur des pages de papier glacé. Assis sur la poitrine d'Océane et pendant qu'elle me lacérait le dos, je fis glisser avec application les feuillets dans sa fente, de plus en plus rapidement. Le sang se mit à couler doucement et n'arrêta en rien mon geste, qui se fit de plus en plus appuyé. Je continuai jusqu'à ce que ses bras tombent au sol. Je roulai alors à coté d'elle, exténué. Elle se leva péniblement, tituba jusqu'au bureau, revint avec deux coupe-papiers, et m'en jeta un.

En quelques instants, nous fûmes debout, face à face. Elle m'embrassa très délicatement. Je reculai d'une vingtaine de centimètres et nos regards devinrent identiques. Le temps expira de nouveau, et il me fut impossible de savoir si c'était d'un coup bref et vif ou en quelques secondes que nous nous étions mutuellement tranchés les jugulaires.