Ficelle

Le 03/10/2011
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par Clacker
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Texte anecdotique dont la forme, bien que soignée, ne libère pas le fond de son inintérêt évident.
Tam tam. Tam tam. Les tambours sont en arrière plan et font vibrer les planches de la cabane. Les violons ressortent forts dans cette direction.
Archibald fixe le plafond sans cligner des yeux, et moi j’observe les insectes qui se logent dans Archibald. Il est détendu, bien calme.
« -Alors vous l’aurez délivré de tous ses automatismes et rendu à sa véritable liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers comme dans le délire des bals musette. Et cet envers sera son véritable endroit. » qu’il dit, avant de se plaindre de fatigue foudroyante et de fermer un œil. Mon endroit à moi, il est à l’envers de celui des autres, il est l’alternative au carrefour du verre demi-plein et du verre demi vide. Je prends mon verre et je vide tout le brun dans ma gorge. Le soleil s’est infiltré dans la cabane, alors je prends mes clefs et je sors. On peut dire que je suis passé de l’autre côté sans fouler la case putréfaction. Je suis six pieds sous les gens, les vifs travailleurs gorgés de caféine. Moi je suis gorgé de parfums à soixante-quinze centimes, pour pas être imbibé de la mort. C’est pas moi que ça dérange l’odeur de charogne, c’est les propres du dessus. Pas de trafic, c’est l’aube et le sommeil fascine encore le vif sous les couettes. On y est, je coupe le moteur. Dans le hall, soudés à la machine à café, les stagiaires se taisent. Ils sont pâles, ont tout juste posés les yeux de l’autre côté, furtivement, et cette légère excursion n’a pas ravi leur cœurs. Il faut le temps pour les découdre les codes moraux, le temps pour se questionner soi, réellement. Faucher les préjugés éthiques, passer la frontière de la fausse honnêteté inculquée sans consentement. Enfant on pose les bonnes questions. Plus tard on craint les réponses et on se tait. Je pousse encore une porte, et j’y suis.

Je tire le casier vers moi et… Quelle chance. C’est une femme. Elle n’est pas vraiment jolie, mais ça fera l’affaire. Je baisse les lumières, elle fait moins morte comme ça. Je commence par la caresser du bout des doigts, du cou jusqu’au nombril. Une nécrose lui mange les cuisses et un peu plus haut. Je touche, je gratte légèrement et ça se décolle par endroit. Ses seins sont sacrément rigides, j’essaie de ramollir tout ça comme un cuistot, je pétrie. Elle est froide, mais moi je me réchauffe. Je prends mes aises, je me colle au casier et je frotte son corps, des côtes aux hanches. Ca me fait suer. Je reviens à la petite mortification et j’appuie, je pousse. Sous les doigts, c’est comme du papier gras, y’a des petits craquements et ça suinte un peu. Maintenant qu’on a fait connaissance, je monte sur la plaque et me fous sur elle comme un sur une petite jument. D’habitude je colle pas trop ma bouche aux cadavres, mais celle-ci m’a drôlement chauffé. Je lui suce le menton tout en me frottant à elle et en baladant ma main sur ses cuisses et son vagin gris. Je descends progressivement sur son corps, à la manière d’un reptile filant sur son rocher.
Je fais glisser ma langue sur son palais, ça sent pas la rose mais je suis relativement habitué. Allez, celle-ci je vais la fourrer.
Pour une fois que la vie baise la mort.

C’est pas le tout mais le doc va venir disséquer d’ici peu, je la refous dans son casier après une séance de toilette réjouissante qui conclut plutôt bien l’affaire.
Je sais ce que vous vous dites, mais je n’ai plus honte. J’ai passé un cap.
Alors je la passe cette journée en compagnie du docteur Richard, qui l’ouvre ma conquête et qui lui retire tout bien, pour qu’elle soit bien présentable pour son costume et son linceul. Vous savez que les draps mortuaires sont souvent retrouvés mastiqués bien après la mise en terre ? Ceux-là, c’est que je leur en ai pas mis assez…
Dans ce boulot on a jamais d’escale avec l’ordinaire. On commence par descendre dans une cave de métal où les morts sont en supériorité numérique, et on en prend soin de ces cadavres, on les bichonne pour ensuite les ouvrir, puis retour à la douche. Je sais plus être intime qu’avec eux.
A l’heure du café, le doc s’approche de nous avec ses dossiers:
« - Il va me falloir quelqu’un pour une toilette cette après-midi. On en a une qui était pas prévue. Des volontaires ? » qu’il nous dit, à moi et aux stagiaires, avec sa moustache gelée.
« - Je peux m’y coller. » Tant qu’à faire, un petit bonus ça se refuse pas.

Je passe une fois de plus devant l’Opéra de la Dame, et je garde cette espérance d’un désastre aérien qui ferait taire les violons de mes nuits. A la maison, Archibald, ou Artaud comme il me plait de l’appeler, n’a pas bougé. Il contemple les étoiles de mon plafond sans ciller. Je me sers un verre de brun et je m’allonge à ses côtés. Je pousse le mécanisme du transistor.

                                            « … Je suis les iles
                                            Je suis les ailes
                                            J’suis la ficelle qui se tend
                                            J'suis pas cruel
                                            Juste violent…
 »