Dans l'gazon

Le 26/02/2016
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par Joseph Kacem
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Joseph Kacem nous livre, pour sa première contribution sur la Zone, qui, croisons les doigts, ne sera pas la dernière, un texte anarcho-primitiviste romantique ou tout du moins amoureux. C'est sublime et subtile, un genre que je n'avais jamais lu avant. Le narrateur est bien plus convainquant que la plupart des hommes et femmes sur la scène politique et on aimerait bien adhérer à son parti "front écologique anti capitaliste pro sexe libre dans ta gueule". Ce serait un beau programme pour 2017, je serais prêt à coller des affiches et distribuer des tractes et des pains pour la cause. ça me fait beaucoup penser à Natural Born Killers sauf qu'heureusement c'est pas ce con d'Oliver Stone qui l'a pondu. Ce que je trouve sociétalement paradoxal, c'est que l'utopie hippie in fine c'est le capitalisme en post combustion ultra financiariste qui est en train de la mettre en place en particulier avec le phénomène d'überisation, et par là j'entends, qu'à force de paupériser tout le monde, d'imposer l'indigence de masse, ce nouveau système nous oblige pour survivre à partager notre bagnole, notre piaule, notre temps libre et dans pas très longtemps nos gosses et nos conjoints. Ben oui, aujourd'hui, si t'es pas hippie, que tu partages pas, tu gagnes plus assez d'oseille pour payer tes impôts et garder ta liberté de penser.
« Il creusa lui-même sa tombe
En faisant vite, en se cachant,
Et s'y étendit sans rien dire
Pour ne pas déranger les gens... »

Pauvre Martin de G. Brassens
Dans le gazon...


Il y a des matins de chômage heureux que les institutions criminalisent.
J'ai le cul à l'air sous le soleil de septembre ; et les institutions en sont jalouses.
Une jalousie laborieuse de bureaucrates fiers d'en chier pour un salaire.
À côté de mon cul qui chauffe sous le soleil de midi, ils sont banquise à la dérive. Ils sont vies momifiées par les crédits et les caddys bourrés de merdes compensatoires... pitoyables vies « d'intégrés » !
Pour m'éviter les injonctions intégrationnistes, une seule option : ma main dans la gueule...

Non contents de te bombarder la tronche de leur abominable normalité, ces délirants tiennent à m'informer de l'état de mon compte en banque. Ça doit être pour me rappeler que c'est leur abomination qui domine. Pas ma paresse. Pas mes caresses. Pas mon amoureuse, ni nos enfants, ni mes phrases.
En somme, le portable me crache un découvert de 600 euros et me prie de me sortir les doigts du cul. C'est brut. C'est net. Mais... mais c'est plutôt agréable d'avoir des doigts dans le cul. Alors ? - Et bien... ma main dans la gueule ?

La bureaucratie bancaire ou sociale, c'est kif-kif. C'est fait pour te museler la gueule avec le fric et te renvoyer, t’abîmer sur un chantier ou dans une usine. C'est pour ton bien qu'on te dit ! Et si tu as l'audace de dire que tu as autre chose à foutre que d'aller trimer, te voilà canoniser « parasite ».
À 13h05, c'est mon mardi et c'est la femme que j'aime qui est au bout de ma bite. À cet instant précis, je n'ai pas trop l'impression d'être un nuisible...
...par contre :
C'est qui qui vient me harceler avec des tafs pourris ?
C'est qui qui vient me demander le fric que je n'ai pas ?
C'est qui qui s'pointe (sans y être invité!) alors que je fais l'amour dans l'herbe en plein été indien ?
C'est qui qui me textote au moment où je me répands sur les jolis petits seins de ma brindille de femme ?
C'est qui qui me dégueule ses frigides exigences, alors que mon amoureuse et moi nous nous hurlons des « je t'aime » en pagaille ?
C'est qui qui me parasite à cet instant précis ? Je vous le demande !

Et bah ce sont les « honnêtes » nègres sans couleurs ni saveurs de la France qui se lève tôt.
Ce sont les esclaves « heureux » de la Banque Postale ou des services sociaux.
Ils voudraient me voir enthousiaste à trouver ma place dans ce vaste suicide collectif qu'est le capitalisme. Sauf que moi, je ne suis plus suicidaire, voyez-vous...
Alors ?
Moi ?
Qu'est-ce que je me chante en débandant ???
Que voulez-vous que je fasse de ma main, si ce n'est la coller dans la gueule de l'un de ces bureaucrates ?!

Me ravisant de coller une délictueuse tarte à l'un de ces parasites, je m'empare de moi.
Pour les yeux joyeux de cette maman qui est aussi ma nana, je me branle. Elle aime me voir prendre forme.
Je me branle pour grandir. Pour être gros. Pour la prendre encore et encore et l'éventrer dans ce si joli petit cri que j'aime la voir pousser...
C'est bon...
Mon corps se tend...
...et puis non ! Le téléphone sonne !

Au bout du fil une conseillère Pôle Emploi (qui travaille, elle!). Elle a une voix digne des speakerines de FIP.
Sa voix de pin-up n'est pourtant pas suffisante.
La catastrophique débandade s'impose de nouveau.
Prise de panique, la plus belle femme du monde s'empare de moi. Et l'autre qui me parle tandis que mon amour me re-tend...
Tous les mots se confondent : « érection, radiation, éjaculation, insertion, orgasmons... »
Forcément, moi, je pose le téléphone et je grimpe mon amoureuse en saisissant ses jolies fesses. Et l'autre qui cause... qui cause ! et qui affirme que tout est enregistré.
Alors quoi ?
À celle-là aussi je dois foutre ma main dans la gueule ?!

J'orgasme.
Tu orgasmes.
Il/Elle orgasme.
NOUS ORGASMONS !!!
Et l'autre qui doit penser dedans le téléphone : « Vous orgasmez... Ils/Elles orgasment... »

Sans une tune, mais souriant et gourmand, nous sommes à poil sous le soleil. Nous sommes vivants pour de vrai . L'autre, elle est salariée, normale, banale, morte avant même d'être née. Elle est seule face au combiné d'où elle me cause. Elle est seule face aux belles images qu'on lui ordonne d'acheter. Elle n'a pas le mistral, mais la clim. Elle n'a pas le soleil, mais un faux plafond. Elle n'a pas d'amant, mais un associé financier qui pourrait aussi lui servir d'auxiliaire de procréation d'ici peu.
Et quoi ?! Il faudrait que je désire vivre ça ??
Et même si je voulais... ma femme ne veut pas... et comme ma vie sans ma femme, ça me semble pas bien rigolo...

De toute façon : la clim, le faux plafond, le Groupement d’Intérêt Conjugal et le rendement génital... tout ça mis bout à bout, ça ne me donne pas envie de m'insérer... !
Ou bien si, mais dans le ventre et les bras de ma brindille à moi.
Mais certainement pas dans votre machin que vous avez l'audace de canoniser « réalité » !

« Réalité »... un peu comme la réalité de ces trois randonneurs septuagénaires qui accélèrent le pas alors que nous nous mélangeons, mon amoureuse et moi. Ils grommellent de nous voir amoureux et forniquant. Ils hâtent le pas en se faisant entendre. Ils nous envahissent avec leurs mœurs vacancières de retraités heureux d'avoir perdu leurs vies pour un ou deux titre-s de propriété !
« Chut !!! »
Indignés par notre bonheur un peu salop, un peu terroriste, ils se rappellent à nous. Ils se parlent fort. Ils remuent des pierres. Ils sont pires que des sangliers !!!
« Mais vos gueules, merde ! Ici on s'aime bordel ! »
Manquerait plus qu'ils nous lapident comme de vils déviants sexuels iraniens...
Aux randonneurs aussi, ma main dans la gueule ?

Ils m'ont entendu hurler. Et puis ma brindille elle avait sorti ses crocs de compète. Elle les aurait bouffés tout cru s’ils avaient bronché, s’ils s'étaient approchés. Elle est si belle ma brindille...

Plus rien que le soleil, les oiseaux, l'herbe et cette putain de colonie de fourmis qui nous grimpe dessus. Saloperie d'insectes anthropophiles... Mais c'est jouable. C'était presque prévu dans le scénario.

Plus rien que nous (et quelques fourmis).
J'ouvre ses cuisses et elle m'y accueille heureuse.
Son grand sourire me touche très loin au fond de moi. Je l'aime.
Je l'aime et le lui dit en l'embrassant, en l'envahissant... c'est bon, c'est bien, c'est beau...
C'est bien plus beau que du Gilberto Gil.

D'ailleurs, c'est quoi cette bagnole qui remonte la piste DFCI avec sa putain de musique cubaine guévariste à la con ???
Non, mais sans rire : C'est Gilberto Gil qui s'approche !
Qu'est-ce qu'il vient hurler à la mort dans les montagnes ?!
Moi et ma miette de femme cannibale on s'arrête. On se redresse et on zyeute ce qui s'amène...
Et chiotte !
C'est l'autre naze du Collectif Gaz de Schiste qui se radine dans sa Dacia. Une Dacia homologuée « gauchiste » avec son chapelet d'autocollant tantôt « contre » tantôt « pour », mais toujours avec du Gilberto Gil en fond sonore.

« Enculé !!! »
Il va nous prendre la tête avec une pétition d'impuissants. Ou alors il va nous engueuler pour nos colères et nos facilités à mordre et à tarter les emmerdeurs.
C'est donc cet émasculé le prochain... ? C'est sur le fan club pacifiste et citoyen de Gilberto Gil que va finir par atterrir ma main ? - Faut croire...

Il sort de sa Dacia.
Il a son tee-shirt « non au gaz de schiste ».
Il a laissé Gilberto Gil à fond.
Il a des lunettes de soleil LIDL.
Ma brindille a sorti son deux-coups.
Premier tir : la tête de l'autre explose.
Maintenant, ma sniper court à poil vers la Dacia et décharge la seconde et dernière cartouche dans l'autoradio.
Ça fait du bien...
Elle est trop belle ma brindille sanguinaire...
J'ai de nouveau envie d'elle, des fourmis et du soleil.

Elle est dans mes bras. Toute nue.
Elle est belle, elle est heureuse.
Nos bras, c'est notre place dans l'univers.

De sa main libre elle me saisit la joue et m'embrasse. De l'autre, elle tient toujours sa pétoire.
C'est presque impossible, sauf si tu vis près d'une centrale nucléaire et que tu es doué d'une grande souplesse, mais une troisième main à laquelle je ne crois pas trop me caresse l'omoplate gauche.
Je lui dis que j'aime ses trois mains.
Elle me dit qu'elle n'en a que deux, comme tout le monde.
J'ouvre les yeux. Elle ouvre les siens. Et elle dévisage la troisième main qui est dans mon dos.

« - Maître Tuc. Huissier de justice. Je suis mandaté pour recouvrer votre créance... »
Et ma miette de femme qui lui mord le nez. Et moi qui me retourne et qui lui plante mes dernières canines dans sa carotide.
On te le saigne l’huissier !
On te le boit !
Pire : on s'aime ainsi !
On s'aime en carnassier tueur de flic de tout acabit !
Et on patauge dans le sang de nos parasites à nous.
On y patauge nus et hurlants.
On se roule dedans et on s'aime et on jouit.
Et par-dessus tout : on vous emmerde...

*

« - C'est la guerre mon amour...
-...je t'aime...
-...c'est... ...c'est la guerre mon amour...
-Crache-moi ta rage... Plus fort ! Là ! Plus fort !!!
-...je t'aime... »

Et nos paupières se ferment sur ce que vous dites être la « réalité » tandis qu'elles s'ouvrent pour contempler le soleil et le sang, la rage et l'amour, la cyprine et le sperme, le désir et la faim.

Vous n'êtes rien.
Cadavres vivants ou bien rampants, vous n'êtes rien.
Nous, les milliards de « nous » baisant sous le soleil de midi en pleine semaine, nous sommes tout.

Nous nous désirons et votre Ordre n'a strictement rien de désirable.
Nous crachons dans votre soupe à la grimace.
Nous abolissons nos dettes.
Nous refusons de nous coucher dans le trou que vos pédagogues-fossoyeurs nous ont forcés à nous creuser.
Votre Ordre n'est que viol du bonheur par l'horreur ordinaire ; par le tonfa de l'abrutissement ; par la matraque de la résignation.

Comprenez que vous n'êtes plus acceptables...
Et veuillez faire quelques efforts de compréhension, s'il vous plaît !
Certes, depuis vos goulags résidentiels où chacun achète sa parcelle sur 20 ans, c'est dur, je comprends. Mais anticipez l’inévitable incendie à venir. Il est imparable. Inévitable. Vous le sentez. Vous le savez presque.
Vous devinez déjà que tout ce en quoi vous avez foi va brûler d'ici peu.
Vous n'avez plus rien à défendre dans l'avenir, car tout ce pour quoi vous vous êtes sacrifiés jusque là va disparaître.
À déjà disparu en fait...

*

Ne nous méprenons pas : je n'ai rien contre vous.
Je peux même vous aider. Comme vous prétendez m'aider d'ailleurs...

Si ma main dans votre gueule peut vous rendre service... n'hésitez pas !
Je reste serviable.

Tout aussi serviable que vous le fûtes avec les miens jusque là.


Joseph Kacem, 22 sept 2015.