Deux fenêtres et un courant d’air.

Le 28/02/2016
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par Jean-Claude Goiri
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Dans ce texte, Jean-Claude Goiri se fait l'anthropologue observant dans son écosystème naturel le bobo parisien en interaction avec lui-même, son ego, son inconscient, son subconscient, son sur-lui et l'altérité. L'ébullition introspective du bobo parisien fait émerger cette partie de l'altérité avec qui il vit en concubinage et qu'il appelle "ma petite biatch" dans l'intimité. Cette abstraction pure se soustrayant de l'outre-lui-même est un repère fondamental mais pas seulement parce qu'il interagit sexuellement avec. Le bobo parisien aime à se construire des boîtes à outils conceptuels pour customiser comme il peut ce sous-ensemble de la réalité augmentée qui est tout bonnement la réalité surtout parce que c'est une approche old school. C'est en particulier à travers l'Art et la Culture que le bobo parisien s'adonne au networking mais bien moins pour se constituer un réseau de connaissances et d'amis que pour subdiviser l'altérité en sous-ensembles d'alter egos qui peuvent se réduire souvent à de simples émoticons. Doux et rêveur, un brin bisounours, le bobo parisien aime à construire des patterns sociétaux et y projeter ses alter egos pour jouer aux Sims avec eux dans la virtualité éclatante de sa réflexion perpétuelle et bouillonnante sur son microcosme incluant le reste de l'univers de manière anecdotique mais bien plus prépondéralement, le monde des idées infiniment plus vaste. Heureusement cependant le texte de Jean-Claude Goiri s'attaque bien plus subtilement à cette vision stéréotypée du bourgeois bohémien dans un style humoristique proche de l'esprit de Raymond Devos.
Pour connaitre une personne, certains utilisent ces évaluations dans l’ordre : d’abord le physique, puis le caractère, et enfin la culture. D’autres évaluent dans le désordre, ou en oubliant un critère. Quoi qu’il en soit, personne n’échappe à ce regard. Moi, c’est sur le caractère que ça bloque. Je veux dire que les autres bloquent sur mon caractère, car personnellement, je n’ai rien contre les caractères. Ça écoule les ruines, un caractère. Il fait ce qu’il peut pour se débarrasser de ce qu’il peut. Un jour, un ami m’a dit que j’avais un caractère de chien. Faux. Je n’aboie jamais, je ne mords pas, et surtout, je ne remue pas la queue devant tout le monde. Parfois, on projette son caractère sur les autres. Car lui, il fait le beau. Il lève les pattes avant et se met à lécher n’importe qui. Rien que pour avoir une caresse. Mais ne vous y trompez pas : c’est quelqu’un de formidable. Pour une caresse reçue, il en donne mille. Pourtant, sa femme n’en veut pas de ses caresses. Alors il va remuer la queue devant d’autres femmes. Rien que pour savoir comment ça marche les caresses des femmes. Il n’est jamais tombé amoureux d’une autre femme que la sienne. Un jour, il m’expliqua pourquoi :
« Tu vois, avec Lou, je croyais que c’était ses connaissances qui m’attiraient… tu comprends, les gens cultivés me fascinent, je me dis que c’est comme une terre promise… que je vais découvrir plein de choses… mais je me suis vite rendu compte que dans toute sa culture, il n’y avait rien qui m’intéressait… et pourtant, il restait quelque chose entre nous… je veux dire un lien… et tu sais ce que c’est, ce lien ? L’intellect !! Entre Lou et moi, c’est purement IN-TEL-LEC-TUEL !! Je veux dire qu’on comprend le monde de la même façon… tu vois ce que je veux dire ?... par exemple, dimanche, Didier est venu manger, et, après quelques verres, il a pété un plomb… il s’est mis à me faire des reproches… il m’a même insulté ! Bref, je n’ai rien dit, et Lou non plus… et quand on s’est retrouvé tous les deux le soir, sans discussion, on était d’accord pour garder le contact avec lui, parce que tu vois, c’est un artiste génial !... on a mis un tableau de lui dans le salon, et bien tu vois, il y a quelque chose de très fort là-dedans, moi, je n’ai pas la culture pour l’exprimer, mais Lou, elle dit que ça convoque l’individu, que ça déborde d’universel… bref, c’est tout ce que j’ai retenu de ce qu’elle a dit… parce que Lou, quand elle parle de culture, je comprends rien… mais on est d’accord sur le fait que c’est génial et c’est déjà pas mal… en plus, grâce à lui, on a plein de relations dans le monde artistique, alors tu vois, c’est cool… donc les insultes et tout ça, on s’en fout… c’est toujours notre pote… en plus quand des potes viennent à la maison, ils sont scotchés devant son tableau… ils demandent de qui c’est, et quand je leur dis que c’est un ami cher, ils sont encore plus épatés ! Comme ça, ça fait une conversation, ce qui déborde du tableau, ça rassemble tout le monde… et Lou est bien contente de pouvoir discuter un peu… avec tout ce qu’elle sait, elle n’en finit plus de parler… tu verrais comment elle frétille ! Ah non, je te jure, l’art c’est quand même quelque chose !! Ça permet de flotter même quand on ne sait pas nager ! Et on peut construire de beaux châteaux que tout le monde admire !! Du coup, j’ai décidé de me mettre aussi à la peinture !! »

Ensuite, ce jour-là, dans son excitation, il fit une chose interdite chez moi : fumer une cigarette dans le salon. Je fis donc, sans réfléchir, une chose qu’il ne supporte pas : ouvrir les fenêtres pour que le courant d’air débarrasse la fumée. Je vis son désarroi, et pourtant, il ne fit aucune remarque. Il en profita pour me rappeler pourquoi j’étais son meilleur pote : ce n’était pas parce qu’en tant qu’écrivain et revuiste je lui apportais des relations et quelques conseils, non, c’était parce que mon caractère de chien lui plaisait beaucoup. Le fait que je ne fasse aucune concession ni rond de jambes pour plaire aux autres excitait son « intellect ». Il trouvait formidable, voire sensationnel, de pouvoir vivre comme ça.

Aujourd’hui encore il me le répète souvent, surtout quand nous commençons à être en désaccord sur un point.

Il va sans dire que nous finissons toujours par être d’accord.
Il faut comprendre que c’est un ami.