Je chie sous moi

Le 06/03/2016
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par Clacker
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Clacker dans ce court texte sombre, nous parle de fin de vie. Alors que la société n'hésite plus à aborder cette thématique longtemps occultée, dans de belles campagnes de désinformation, propagande inspirée du storytelling Disney : on nous vend des histoires emplies de soins palliatifs, de doux trips à la morphine, comme si les mouroirs n'existaient plus et qu'à la place tout le monde avait droit à sa petite fumerie d'opium personnelle jusqu'à la dernière expiration. S'envoler vers les cieux, quitter les Hommes, dans un doux rêve cotonneux et serein, détachés des problématiques bassement quotidiennes de la survie ? Que nenni ! Clacker se lance dans le fairytale-jacking. Il nous arrache violement à ces illusions de happy end pour lesquelles nous sommes programmés par nos gènes et conditionnés par la société. Il n'y aura pas de happy end, à moins qu'il soit brutal et rapide. L'agonie, la dépendance, l'humiliation, des années durant est une réalité cachée et Clacker après nous avoir éjecté de notre zone de confort, nous y projète violement. La folie est la seule échappatoire à cet inexorable cauchemar lucide auquel on ne sera jamais assez préparé. Sur ce, bon week end, sous vos applaudissements, bien sûr.
Nom de Dieu, qui Etes là, à mon côté, soyez témoins : ce que c'est bon. Personne ne se rend compte que ce n'est pas la mort qui m'empêche de manger. C'est la morphine. Elle coule, goutte à goutte, et mon sang frémit de sa violence. Oh... la petite infirmière. Elle est affreusement laide, mais elle me passe l'éponge sur la poitrine. Elle est aussi bonne que mon poison. Dieu, Dieu, Dieu que c'est bon. Je Te bénis Mon Créateur, Toi qui as inventé l'éponge mouillée.
Elle est incommodée, la petite. Elle sent ma merde. Elle reste impassible, mes ses narines dilatées la trahissent. Elle se prend pour ma pierre tombale.
Voilà qu'elle a mal interprété mon sourire, puisqu'elle a souri à son tour. Déjà, elle repart. Elle en a une douzaine comme moi. Mais ils ne sont pas comme moi. J'entends souvent rire dans la pièce d'à côté. Ils sont au moins quatre là-dedans. Ils parlent du cul de la belle infirmière, celle qui ne vient jamais me voir.
Le pire, c'est que je ne peux même pas les emmerder quand je veux. Ca pète au hasard dans mon plumard. La dernière fois j'ai bien cru chier mes viscères. Mais non, c'était juste une diarrhée. Ils me l'ont laissé toute la sainte journée. Histoire de se venger.
Le microcosme de l'hôpital. Mon royaume, après celui de Dieu. Je les connais toutes, les blouses qui flottent dans les couloirs. Leurs sourires, leurs airs contrits. Ils vivent. C'est fou comme ils vivent. Calepin à la main, ils occupent le temps, qui n'en fait qu'à sa tête. Hier n'était pas hier. Je n'ai pas dormi. En fait, je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai dormi. Où ? Dans ce lit. Quand ? Peut-être depuis toujours.
Il y a que je ne veux pas dormir. Je veux faire honneur à mon seigneur, penché sur moi. Il a confiance, Il m'aime, Il sait que je me bats, que je me saigne aux quatre veines. Il m'embrasse à bouche que veux-tu. Que veux-tu de moi ? J'ai fait tout ce qui est en mon pouvoir pour vivre. Il dit que le sacrifice est nécessaire. Il dit que le Jugement Dernier n'est pas le dernier.
Je veux mon piano, je veux mes doigts de nouveau. Les harmonies, les silences. Je veux tout, à nouveau. Dieu ne veut pas passer de marché, et Diable est absent.
Je veux une cigarette. Celle qui consumera mes restes. Je ne veux pas me faire incinérer, je ne leur ai pas dit. Merde. Je veux m'allonger à la droite du Très-Haut, dans un lopin de terre noire. Il installera ma perfusion, et je verrais mon sang monter droit vers Lui. Le feras-Tu pour moi ? Né de la terre, pâte d'amidon, je m'étalerai de tout mon long. Du sésame qui ne fleurira jamais.
Tout ça n'est pas aussi douloureux que je le pensais, et les spasmes finissent par s'espacer. Je crois que des veines ont lâché, et ma tête enfle comme si elle était remplie d'hélium. Je Te rejoins, mais Tu me repousses.
Laissez-moi vous décrire Notre Seigneur. Il Est noir, grand, voûté comme ses églises, et de Sa bouche s'échappent des scolopandres. Il rit constamment, et boit du rhum.
La Vallée de la mort à l'extérieur. Il fait nuit ? Personne ne vient, il fait nuit. Quelqu'un vient. La perfusion de nourriture, on est à la moitié du jour. Je suis l'oie de mon infirmière. Qui sait, va-t-elle me manger le foie ?
Elle allume la radio, c'est une petite nouvelle. Elle pense que la musique classique apaise les morts. Mettez-moi le requiem.
Je connais la chanson, mais le disque est rayé, et ma vie n'en finit pas. Ca recommence.
Je chie sous moi.