Le feu est beau, le feu est bon

Le 02/05/2016
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par LePouilleux
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Voici un texte idéal en transition de la fin de #SaintCon2016 et la reprise de la publication normale. Derrière un titre digne d'une chanson de Charlie et Lulu, LePouilleux nous livre une belle photographie de la connerie humaine, de notre contemporanéité, de son rapport au feu, à la poudre et ses drive by en terrasse : " Remember, remember, the thirteenth of November, Gunpowder Treason and Plot, I see no reason why the gunpowder treason should ever be forgot. Jawad, Jawad ,'twas his intent To blow up the President and the Parliament. Three score barrels of powder below, Poor old Republic to overthrow: By God's providence he was catch'd With a dark lantern and burning match. Holloa boys, olloa boys, make the bells prevent. Holloa boys, holloa boys, God save the President ! Hip hip hoorah !"
Il a cassé le bois léger des cagettes qui traînaient dans la cour. Il a apporté des bûches fraîchement coupées. La paille sèche en guise de foyer originel s'est enflammée au frottement de la pierre de silex. Ça a prit. Ça a bien prit. « Ça crame, ça crame !». Une lueur d'excitation s'est allumée sur son visage. Il était heureux, satisfait de ce qu'il avait créé de ses mains. Il a nourri la bête flamboyante de tout ce qu'elle pouvait amalgamer en son ventre. Il a nettoyé le monde des matières superflues. Il a réactivé un rite ancien. Il a rejoué un conte issu des entrailles de l'humanité.
Cette nuit là il a côtoyé les rats et les chauves-souris. Il sentait leurs ailes lui raser la tête. Mais elles demeuraient invisibles. Cachées dans les ténèbres. Le feu projetait leurs ombres contre le grand mur décrépi de la vieille église. Les vitraux prenaient une teinte orangée, comme si à l'intérieur on y célébrait un sabbat infernal. Au-dessus de lui un chêne faisait vibrer ses feuilles au rythme du vent. Les crépitements du feu s'ajoutaient à cette musique nocturne. Paul, père des flammes, la trouvait agréable.

On a coupé la verdure et la viande pour le festin. Les invités avaient faim. Au fond de la vieille maison on a trouvé une grille pour faire rôtir les aliments. On a retiré un peu de cendres. Paul a posé de petites briques rouges autour de la flambée. La chaleur était agréable, c'était la récompense de son travail. On s' est attroupé autour de lui pour admirer les contorsions de cette lumière vivace. Elle les fascinait. Elle était si différente du halo froid de leurs smartphones.

Ça a pété d'un coup. C'était un son qu'on entendait que dans les films d'action hollywoodiens. Le bruit d'un automatique qui sulfate à tout va. Il y a eu des cris, des tables renversées, les verres brisées, certains n'ont pas eu le temps de réagir. On s'est blotti derrière une table ou derrière un camarade mort. Puis ça s'est arrêté. Il s'est passé quoi ici ? On aurait dit la guerre. En plein Paris. C'est fou …

La carne grillée a un goût exquis. On loue nos ancêtres crotteux qui ne vivaient leurs journées que pour cet instant sublime où ils contentaient leurs ventres creux. Puis on se demande si les clous plantés dans les planches qu'on essaye de faire de brûler vont exploser sous l'effet de la chaleur. Les trois rescapés du petit massacre de novembre savent qu'ils sursauteront à ce moment là.

Dans le vieille maison à côté il y a des portraits de saints. À part ça, les pièces sont vides. À quelques pas d'ici on a emprisonné un dictateur fasciste et sa maîtresse. Puis on l'a saigné comme un cochon, on lui a écrabouillé la tête pour qu'il soit méconnaissable et on a exposé sa carcasse devant la foule sur une place publique. Il y a une plaque en bas, sur la route, pour rappeler cet événement. L'Europe est un peu plus calme depuis ce jour là.