Puissant ou misérable…

Le 06/05/2016
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par Alan
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Thèmes / Débile / Faux obscur
Ce texte de haute volée a été posté par l'auteur d' "Un cadavre étrange", texte ayant défrayé la chronique durant la #SaintCon2016 tant l’intentionnalité de l'auteur ne semblait pas du tout évidente. J'avais en bon dictateur alors réaffirmé la toute puissance de l'intention éditoriale sur l'intention des auteurs. Et de nouveau, le même cas se présente à l'identique dans le cadre de l'appel à textes permanent. Que cherche à nous faire comprendre l'énigmatique Alan ? Ce texte parle du zèle et de la morgue des sous-fifres qui ont un Maître en ce bas monde, quelque soit leur contemporanéité, même si on devine que le texte est une uchronie située à l'époque du roi Soleil. Il leur suffit d'un titre honorifique redorant pompeusement leur carte de visite pour vivre dans le déni de leurs tâches ingrates et se convaincre qu'ils sont exceptionnels, au dessus de la mêlée qu'ils exècrent et que leur labeur est avant tout une passion, qu'ils sont au service d'une quasi-divinité réincarnée. Quoi qu'il en soit, en tant qu'admin zonard, je vois surtout en ce texte une formidable occasion de vous reparler de la semaine #TDM2016. Vos contributions sont vivement attendues avant le 20/06/2016. De plus amples informations sont accessibles sur le forum. Comme quoi, tout se répète, et un excellentissime texte, avec sa propre morale et sa raison d'être singulière, peut être détourné en vulgaire prospectus et en outil de propagande.
Ce matin, en la regardant bien, il la trouvait plutôt belle. Oui, assurément, il a des raisons d'être satisfait : elle figure une saucisse brune avec des craquelures sur la surface. D'ordinaire, il examine des congénères beaucoup moins plaisantes, preuves d’un grand dérèglement intérieur. Alentour du docte savant, les spectateurs admirent, s'extasient, se réjouissent également.

— Eh bien Fagon, qu’en pense-t-on, ce matin ?
Le Roi-Soleil, assis sur la chaise d’affaires, tandis que le barbier besogne sur sa noble face, ne daigne même pas jeter un regard vers son médecin ordinaire, agenouillé sous le siège. Il a lancé cette question par habitude, à la cantonade, en réprimant un rictus de souffrance. Car le monarque n'est plus qu'un corps supplicié, perclus de douleurs.
Le guérisseur, le nez presque dans le bourdalou, se redresse un peu, se rengorge et, le visage radieux, déclare, en montrant l'objet à l’assemblée :
— Sire, ce matin, votre selle est divine ! Que son altesse en soit félicitée ! Eussé-je la langue coupée, je ne pourrais celer que votre étron est d’une fort belle moulure, d’une charmante couleur et d’un délicat parfum ! Ce sont les prodromes d’une guérison ! Il faut que vous le sachiez, votre Majesté !

Le souverain ne prête pas le moindre intérêt à l’enthousiasme de son interlocuteur. Cela fait belle lurette qu’il ne croit plus à son salut, se soumettant de mauvaise grâce, pour l'État, aux pratiques perverses de ces vendeurs d’orviétan. Cependant, des courtisans emperruqués vont et viennent dans la chambre, telle une volée de moineaux, faisant tourbillonner autour d'eux une exhalaison de musc et de patchouli.

Guy-Crescent Fagon se remet debout, avuant la merde royale. Il se retire sur-le-champ, en multipliant les révérences. Une fois chez lui, il la dépose avec respect au fond d'un bocal, ajoutant une pièce à la collection qui trône déjà le long des murs de son cabinet, sur les étagères. Il vit entouré de bran monarchique.
Se préoccuper de la défécation bourbonne est son sacerdoce. Grand clerc en fèces régaliennes, il consigne depuis des années la moindre évacuation, fervemment et avec force détails : déroulement, aspect, poids, longueur, teinte, odeur, saveur. Attablé, il commence incontinent la rédaction de son rapport quotidien lorsque tout à coup, on heurte à sa porte. L’intrus insiste. Guy-Crescent finit par lâcher la plume et va ouvrir, en maugréant. L’importun est Jacques Roussel, un pauvre paysan.
— Que me veux-tu, maraud ? tempête l'illustre archiatre, dénué de sympathie.
Roussel, en un patois abscons, explique la raison de sa venue. Il souffre atrocement d’une diarrhée sanguinolente. Il lui semble que l’on trifouille ses entrailles à l’aide d’une aiguille. Courbé en deux, il implore la miséricorde de l'Esculape pour qu’il le soulage. La réponse de ce dernier est cinglante :
— Hors de ma vue, triste gueux, sale manant ! s’écrie-t-il, répugné. Et de lui fermer la porte au nez.

Un peu plus tard, Guy-Crescent quitte sa demeure. L’âme légère et court-vêtue de scrupules, il s’en retourne à Versailles, songeant à la magnificence du château. Quel honneur d'en faire partie ! Quel privilège d’y côtoyer Louis-Dieudonné ! Sa vanité est comblée. Soudain, tout en cheminant, son cœur flanche, puis s’arrête. Il choit lourdement dans un fossé rempli d'ordure. Totalement souillé, le maître ès excréments, avant d’expirer, a juste le temps de bénir Stercorius d’une si délicate attention. Eût-il pu rêver plus digne hommage ?