Agarttha (II)

Le 16/07/2016
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par Lourdes Phalanges
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Rubriques / Agarttha
Second volet d'Agarttha, hommage appuyé de Lourdes Phalanges aux dystopies de P. K. Dick et à l'innovation gadget telle que la définit et la déifie, BPI France, arrosant des centaines de milliers de start-up et leurs business models fantaisistes avec la complicité de gouvernements successifs incompétents et dépassés qui au lieu de saupoudrer les deniers publics auprès de jeunes nigauds et escrocs de la finance feraient mieux d'injecter de manière concentrée l'intégralité du crédit impôt recherche et les fonds à l'innovations dans la recherche scientifique universitaire au service de la construction des grandes industries de demain pour contrecarrer l'impérialisme efficient des GAFA et du NASDAQ d'américains qui nous ont bien niqué, ubersisé, reniqué et se foutent bien de notre gueule alors qu'on gît l'anus ensanglanté, notre chômage de masse et nos investisseurs ruinés, sur le carrelage froid du futur.
«Et quand on en aura fini avec tout ça, on pourra dormir tranquille, les couilles vides et la panse pleine.» Tenzin Gyatso
Il se réveilla.

Les différents logiciels internes se relancèrent instantanément, sauf l’add-on pirate sur les jeux de mots finnois que lui avait subrepticement incorporé son neveu pendant une sieste, qui crashait, et qu’il s’était promis de patcher dès que possible.

Doris avait déménagé depuis maintenant 3 mois et ce matin n’était pas différent des autres. Il n’en avait d’ailleurs aucunement la vocation. Jour 300 ou 500 du Cycle en cours, peu importe, il devrait suivre le même programme que les autres et c’était tant mieux. L’imprévu est l'ennemi. C’est en tout cas ce qu’il pouvait lire sur le panneau de régulation qui se dressait en face de la résidence. Encore une vieillerie qu’on ne pouvait admirer que dans sa ville-dortoir. «L’imprévu est l'ennemi.» Les citoyens n’y pensaient d’ailleurs même plus, à l’imprévu, et ce depuis bien longtemps. Ils étaient bien trop occupés, et c’était tant mieux.

Il se prépara. La gélule nourricière laissa échapper dans son organisme les macro-bots de régulation qui vinrent se fixer ici et là, entamant un check-up des organes à risque ou susceptibles d’être réquisitionnés. Il s’empiffrait parfois de fruits organiques juste pour sentir le rayon chaud du bot pacificateur dans son estomac. Son costume de travail sensitif purifia sa peau et appliqua l’exact dose de déodorant qui convenait à sa journée de travail. En revanche, il devait toujours lacer ses lacets, et comme tous les matins, il s’étonna qu’un ingénieur quelconque n’ait pas trouvé depuis le temps une solution à cette micro-agression de l’esprit sur la matière. Il s’assit donc, se pencha et forma une croix avec ses deux lacets. Il enroula ensuite celui du dessus autour de celui du dessous, puis serra. Il forma une boucle avec les deux lacets... «Une oreille de lapin»... Tirez sur la boucle formée puis... «Le trou du lapin...» Equilibrez la taille et...

13 minutes de transports, et le voici arrivé à son bâtiment productif, entouré d’une foule compacte et ordonnée. L’élévateur qui le conduisit au 8ème Cercle n’était pas plein à craquer mais judicieusement rempli et il inspira bien fort avant d’en sortir.

Durant ce Cycle, il était Sélectionneur-Acheteur-Récupérateur. La spécialisation, c’est bon pour les insectes.

Son premier rendez-vous était déjà là, assis dans la salle d’attente.

«Entrez Citoyenne.» dit-il en souriant à la belle brune qui visiblement debriefait un récent coït. Elle interrompit le logiciel de rediffusion interne et le suivit dans son bureau.

Une fois installé, il entra dans le vif du sujet :

- «Vous souhaitez donc vous en séparer, c’est bien ça ?»

- «Oui, tout à fait Citoyen. J’avais d’abord pensé le conserver avant de m’apercevoir, il y a six mois, que l’argus de ma morpho-catégorie avait grandement augmenté.»

- «Pourquoi ne pas terminer le process et le vendre à une Catégorie Sup’ ?»

- «J’y ai pensé, mais vous savez la douleur…»

- «Je comprends.»

Ils convinrent d’un prix de vente, examinèrent les vidéos des derniers check-up et une fois les formalités terminées, il l‘accompagna au 9ème pour la Récupération. Il enfila des gants de manuance 4, les plus confortables, et paramétra ce qui devait l’être. La Citoyenne se déshabilla, s’installa sur le Divan Gy’ et plaça ses pieds sur les étriers. L’assistante effectua la lubrification. A son signal, il actionna les rayons Abor et le bien se décrocha pour glisser dans le bac réfrigéré placé sous le Divan’. L’assistante l’examina. Elle lui fit signe que tout était ok, le foetus était consommable, malgré la grasse couche de vernix caseosa qui enveloppait son corps. Il le transféra donc dans la section cosmétique et raccompagna la vendeuse.

- «Merci, à bientôt» dit la brune en montant dans l’élévateur.

- «Joku on laskenut kahvipannut» répondit-il, équanime.


«L’imprévu est l'ennemi.»

Au fil des années, «L’imprévu» avait été régulièrement barré puis remplacé par un autre mot. Puis, un jour, plus rien. La politique par la slogan avait fait son temps. Nous avions fait le tour de la question et à force d’ânonner, de soliloquer, de psalmodier, d’espérer, de maudire, siècle après siècle, nous étions revenu à l’essentiel. Maintenant, nous avions des objectifs. Un après l’autre, il fallait les atteindre puis passer au suivant et ainsi de suite jusqu’à... L’Objectif est Tout.

«L’Objectif est Tout»

Il regarda par le hublot de son habitation, à nouveau assailli par des images qui n’avaient rien de retransmises, paramétrées, et qu’aucun par-feu ne semblait pouvoir arrêter. Il n’allait plus vers l’Objectif. Il ne savait pas ce qui lui arrivait.