Face au miroir, Noam articulait de vieilles comptines pour s’échauffer la voix et polissait ses meilleures répliques en boutonnant sa chemise. Comme « Monsieur-de-Saint-Laurent-la-canne-en-argent-le-bouton-doré », il avait la dalle, et sa verve sous stéroïdes allait brûler tous les lieux communs ce soir.
Plus que son art, sa précieuse répartie lui avait permis de grimper les premiers échelons vers les hautes sphères parisiennes. Quand on grandit dans une banlieue chaude, le bon mot qui blesse n’est pas en option. Sans aucun regret, il avait abandonné son quartier et tous les boulets qui entravaient son ascension : ses potes graffeurs qui lui avaient tout appris, sa veuve de mère, ses morveux de frères. Certes, l'ambitieux banlieusard s’était d’abord fait remarquer grâce à ses origines modestes, mais pour s’affranchir de son statut de bête curieuse, un grand nettoyage fut nécessaire. Les bourgeois sont sensibles au contraste, à l’inattendu, à la nouveauté. Une racaille qui peint à la bombe et prétend surclasser Basquiat, c’est épatant au début mais ça lasse vite. Il fallait devenir comme eux pour durer.
Plus que son art, sa précieuse répartie lui avait permis de grimper les premiers échelons vers les hautes sphères parisiennes. Quand on grandit dans une banlieue chaude, le bon mot qui blesse n’est pas en option. Sans aucun regret, il avait abandonné son quartier et tous les boulets qui entravaient son ascension : ses potes graffeurs qui lui avaient tout appris, sa veuve de mère, ses morveux de frères. Certes, l'ambitieux banlieusard s’était d’abord fait remarquer grâce à ses origines modestes, mais pour s’affranchir de son statut de bête curieuse, un grand nettoyage fut nécessaire. Les bourgeois sont sensibles au contraste, à l’inattendu, à la nouveauté. Une racaille qui peint à la bombe et prétend surclasser Basquiat, c’est épatant au début mais ça lasse vite. Il fallait devenir comme eux pour durer.
Au prix d’efforts harassants, il était parvenu à gommer son accent populaire, surtout ses « ch » entre les « t » et les « ié », et ses « r » trop frottés, trop arabisants. Il avait lu beaucoup de livres, enfin des résumés générés par IA, ce qui suffisait dans ce panier de cuistres, puis grâce à cette même IA, il avait rédigé ses premiers scripts ponctués de punchlines de son cru pour les déblatérer sur sa chaîne YouTube.
Samira, la petite hackeuse du square Bir-Hakeim, lui avait révélé le secret des algorithmes en échange de promesses. Elle était folle amoureuse, mais ils s’étaient fâchés lorsque Noam avait proposé à l’adolescente de bosser pour lui. Cette petite conne avait refusé un bizness en or : cent euros la pipe, de riches clients faciles, à la pelle. Qu’elle reste dans son trou à merde avec tous ces crevards qui rêvent de luxe et de célébrité sans lever le petit orteil !
Il ricanait devant son nouveau reflet qu’il se félicitait d’avoir façonné tout seul. Un vrai dandy parisien, stylé, sophistiqué, même s’il soignait toujours une forme de décontraction : juste un peu de maquillage pour atténuer ses cernes sur sa peau mate, et surtout, l’agencement à la diable de sa magnifique chevelure auburn, partie de son corps dont il était le plus fier, celle qui lui valait de réjouissants regards envieux parmi ses nouvelles fréquentations.
Notre opportuniste en herbe ignorait qu’une conspiration se tramait contre lui, une mise à mort sociale qui permettrait à ses ennemis de tirer leur épingle du jeu durant cette fameuse soirée. Ces jeunes nantis le craignaient, lui et sa popularité grandissante. Et son esprit belliqueux ! Leur amour-propre avait trop souffert de ses piques humiliantes. Il était temps de remettre ce roturier à sa place, de le renvoyer dans la fange qu’il n’aurait jamais dû quitter.
Le thème de la soirée lui était inconnu. L’invitation stipulait que chacun devait apporter un verre vide pour s’abreuver sur place. Il descendit les escaliers jusqu’au sous-sol le plus profond et s’imposa naturellement sous les néons rouges de ce caveau postmoderne. Sa démarche gracieuse et chaloupée, comme seul un pratiquant confirmé de danse urbaine peut assumer, attira quelques pupilles brillantes et alluma des regards entendus entre les conspirateurs.
Le caveau avait été configuré pour l’occasion. EMPTY, l’artiste dont Noam devait publier la critique sur sa chaîne ArtCore, pratiquait l’art du vide, d’où son nom, qu’on pouvait aussi écrire « EMTY », ou encore « MT », voire parfois « », bref, les murs bétonnés étaient nus, aucune table, aucune chaise, aucun fauteuil, aucun volume n’emplissait l’espace, pas même celui d’une musique. Seule une palette de bouteilles de gnole artisanale, transparente, sans étiquette, trônait en plein milieu. L’eau et toute autre boisson étaient interdites.
Les conspirateurs avaient organisé cet événement, non seulement car ils savaient que leur futur bouc émissaire ne buvait jamais d’alcool, mais qu’EMPTY, après quelques verres, devenait imprévisible, incontrôlable et violent, surtout avec les gens sobres. La main sur le portable, parés à filmer, ils sentaient d'instinct qu’un drame croustillant allait se produire ce soir entre ces deux hommes de caractère.
Noam avait accepté cette proposition juteuse et avait déjà monté l’essentiel de sa critique vidéo sans même s’intéresser à l’œuvre d’EMPTY, surfant sur la vague du néoféminisme pour descendre l’artiste qu’il attaquait sur sa misogynie, et en effet, celui-ci refusait toute présence féminine à ses expositions. Du pain béni pour sa future vidéo : approbation des wokistes, agressions des droitards, clashs sans fin, vues à foison.
Les conversations prenaient forme au fur et à mesure que les interlocuteurs se remplissaient de gnole et que leur sang chauffait. Les uns se félicitaient du nombre croissant de leurs followers, les autres profitaient des néons antirides pour se photographier en bonne compagnie, certains tentaient déjà d’envoyer quelques vidéos spontanées sur TikTok mais aucun réseau n’était accessible à cette profondeur.
Les premiers signes d’ivresse et autres substances complémentaires poussèrent quelques individus à s’approprier les murs pour s’adosser puis s’asseoir aussi confortablement que possible sur le sol recouvert d’une toile vierge. EMPTY espérait ainsi exploiter de nouveaux matériaux artistiques. Il avait verrouillé la porte d’entrée avant que la première victime d’une envie pressante pût s’en apercevoir assez tôt, laquelle urina en catastrophe dans un coin sur la toile prévue à cet effet.
L’anxiété s’installa parmi les invités, même les conspirateurs commencèrent à protester. Noam, soumis à la panique générale, tenta d’enfoncer la porte d’entrée à coups d’épaule. EMPTY éclata de rire, la porte était blindée et à moins d’utiliser un chalumeau, il était impossible de sortir sans la clef qu’il brandit devant tout le monde et avala à l’aide d’une rasade de gnole. Il alluma une cigarette et recracha la fumée dans l’air qui devenait irrespirable, puis lança à travers un sourire malade qu’il ne s’agissait pas « d’un putain d’escape game à la con » et que tout le monde devra attendre l’aboutissement de son cycle digestif, autrement dit, « qu’il chie sa race », pour retrouver la liberté.
Noam prit une bouteille de gnole, la jeta vers la tête d’EMPTY qui esquiva, la bouteille se brisa contre le mur, éclaboussant les corps effrayés dont les plus couards, malgré l’absence de réseau, tentaient encore d’appeler à l’aide sur leur téléphone dernier cri. EMPTY se tordit de rire et leur ordonna de ranger leurs écrans, de se déshabiller et d’en profiter. Il n’y aura aucune limite ce soir, ni aucune preuve de la suite de l'évènement. Quelques artistes admiratifs saluaient cette performance inédite, terriblement avant-gardiste, peut-être encore plus audacieuse que la dernière œuvre du PLasticien, ce serial-killer expressioniste qui éparpillait des corps de prostitués. La plupart des convives, saouls et drogués, se résignèrent, et même si parmi eux certains envisageaient d’ouvrir le ventre d’EMPTY pour récupérer la clef, aucun n’avait la motivation suffisante pour s’exécuter.
Étrangement, la situation fut acceptée par tous, et la défonce allant crescendo, notamment grâce à la 3-MMC en vogue, les plus atteints perdirent toute pudeur et dignité sans l’œil des portables, se déshabillant, pissant n’importe où, vomissant sur les murs, braillant des insanités, baisant et s’enculant à tout va. Deux performers hilares s’étaient accroupis sous l’unique bouche d’aération et déféquaient de concert sur des tessons de bouteille pour ensuite s’en lacérer le torse allégrement. L’odeur régnant dans l’huis-clos devenait intolérable, surtout pour les personnes sobres qui finirent par se précipiter sur les goulots de gnole afin de supporter cette ambiance infernale digne d’un tableau de Jérôme Bosch.
Les conspirateurs jubilèrent en voyant Noam, la seule personne restante en état de sobriété, bousculer les corps fous et s’avancer d’un pas déterminé vers EMPTY qui semblait l’attendre, l’œil luisant.
Les prémices de lutte furent brouillonnes, on ne sut qui frappa le premier, et s’il y eut vraiment un coup porté. Tel un lama épileptique, EMPTY cracha de la gnole au visage de Noam qui essayait tant bien que mal de fourrer ses doigts dans sa gorge pour le forcer à vomir la clef. EMPTY réussit à prendre le dessus en tirant la magnifique chevelure de Noam. Il y eut une pause bizarre, les deux hommes s’immobilisèrent devant tous les regards sidérés et ravis, le bruit répété d’une pierre de briquet retentit, les cheveux de Noam s’enflammèrent comme une torche, et des flammes jaunes se propagèrent sur son visage souillé de gnole.
Le corps de Noam ne semblait plus lui appartenir et ses gestes désarticulés accompagnaient ses cris stridents. Les spectateurs excités se rapprochèrent et firent cercle autour du supplicié. Les conspirateurs éloignèrent tous les vêtements susceptibles d’étouffer les flammes, et pour éteindre le feu qui rongeait sa chair, Noam se mit à vriller sur sa tête contre la toile au sol. Ce headspin - figure de breakdance très réputée - fit sensation. EMPTY s’avança solennellement, ouvrit une autre bouteille et versa son contenu sur le pauvre danseur qui prit feu entièrement.
Personne n’eut la présence d’esprit d’empoigner son portable pour filmer ce corps tourbillonnant, décalquant sa peau brûlée sur les traces de pas, de vomi, d’urine, de merde et de foutre, peignant des courbes charbonneuses comme un fusain trop gras sur la toile maculée des frasques de toute cette soirée. Sa chair crépitait, se perdait dans la fumée, violait les narines, et seules les flatulences enflammées du danseur démoniaque perçaient ce brouillard puant, comme les feux follets fantastiques d’un cimetière amérindien.
A l’instar de la toile d’EMPTY vendue à prix d’or, les rétines présentes ce soir-là s’imprimèrent à tout jamais de cette vision mystique. Sûrement plus spectaculaire que le bûcher de Jeanne d'Arc. Encore plus transcendante que l’incendie de Notre-Dame.
Et surtout, tellement plus arty.
Samira, la petite hackeuse du square Bir-Hakeim, lui avait révélé le secret des algorithmes en échange de promesses. Elle était folle amoureuse, mais ils s’étaient fâchés lorsque Noam avait proposé à l’adolescente de bosser pour lui. Cette petite conne avait refusé un bizness en or : cent euros la pipe, de riches clients faciles, à la pelle. Qu’elle reste dans son trou à merde avec tous ces crevards qui rêvent de luxe et de célébrité sans lever le petit orteil !
Il ricanait devant son nouveau reflet qu’il se félicitait d’avoir façonné tout seul. Un vrai dandy parisien, stylé, sophistiqué, même s’il soignait toujours une forme de décontraction : juste un peu de maquillage pour atténuer ses cernes sur sa peau mate, et surtout, l’agencement à la diable de sa magnifique chevelure auburn, partie de son corps dont il était le plus fier, celle qui lui valait de réjouissants regards envieux parmi ses nouvelles fréquentations.
Notre opportuniste en herbe ignorait qu’une conspiration se tramait contre lui, une mise à mort sociale qui permettrait à ses ennemis de tirer leur épingle du jeu durant cette fameuse soirée. Ces jeunes nantis le craignaient, lui et sa popularité grandissante. Et son esprit belliqueux ! Leur amour-propre avait trop souffert de ses piques humiliantes. Il était temps de remettre ce roturier à sa place, de le renvoyer dans la fange qu’il n’aurait jamais dû quitter.
Le thème de la soirée lui était inconnu. L’invitation stipulait que chacun devait apporter un verre vide pour s’abreuver sur place. Il descendit les escaliers jusqu’au sous-sol le plus profond et s’imposa naturellement sous les néons rouges de ce caveau postmoderne. Sa démarche gracieuse et chaloupée, comme seul un pratiquant confirmé de danse urbaine peut assumer, attira quelques pupilles brillantes et alluma des regards entendus entre les conspirateurs.
Le caveau avait été configuré pour l’occasion. EMPTY, l’artiste dont Noam devait publier la critique sur sa chaîne ArtCore, pratiquait l’art du vide, d’où son nom, qu’on pouvait aussi écrire « EMTY », ou encore « MT », voire parfois « », bref, les murs bétonnés étaient nus, aucune table, aucune chaise, aucun fauteuil, aucun volume n’emplissait l’espace, pas même celui d’une musique. Seule une palette de bouteilles de gnole artisanale, transparente, sans étiquette, trônait en plein milieu. L’eau et toute autre boisson étaient interdites.
Les conspirateurs avaient organisé cet événement, non seulement car ils savaient que leur futur bouc émissaire ne buvait jamais d’alcool, mais qu’EMPTY, après quelques verres, devenait imprévisible, incontrôlable et violent, surtout avec les gens sobres. La main sur le portable, parés à filmer, ils sentaient d'instinct qu’un drame croustillant allait se produire ce soir entre ces deux hommes de caractère.
Noam avait accepté cette proposition juteuse et avait déjà monté l’essentiel de sa critique vidéo sans même s’intéresser à l’œuvre d’EMPTY, surfant sur la vague du néoféminisme pour descendre l’artiste qu’il attaquait sur sa misogynie, et en effet, celui-ci refusait toute présence féminine à ses expositions. Du pain béni pour sa future vidéo : approbation des wokistes, agressions des droitards, clashs sans fin, vues à foison.
Les conversations prenaient forme au fur et à mesure que les interlocuteurs se remplissaient de gnole et que leur sang chauffait. Les uns se félicitaient du nombre croissant de leurs followers, les autres profitaient des néons antirides pour se photographier en bonne compagnie, certains tentaient déjà d’envoyer quelques vidéos spontanées sur TikTok mais aucun réseau n’était accessible à cette profondeur.
Les premiers signes d’ivresse et autres substances complémentaires poussèrent quelques individus à s’approprier les murs pour s’adosser puis s’asseoir aussi confortablement que possible sur le sol recouvert d’une toile vierge. EMPTY espérait ainsi exploiter de nouveaux matériaux artistiques. Il avait verrouillé la porte d’entrée avant que la première victime d’une envie pressante pût s’en apercevoir assez tôt, laquelle urina en catastrophe dans un coin sur la toile prévue à cet effet.
L’anxiété s’installa parmi les invités, même les conspirateurs commencèrent à protester. Noam, soumis à la panique générale, tenta d’enfoncer la porte d’entrée à coups d’épaule. EMPTY éclata de rire, la porte était blindée et à moins d’utiliser un chalumeau, il était impossible de sortir sans la clef qu’il brandit devant tout le monde et avala à l’aide d’une rasade de gnole. Il alluma une cigarette et recracha la fumée dans l’air qui devenait irrespirable, puis lança à travers un sourire malade qu’il ne s’agissait pas « d’un putain d’escape game à la con » et que tout le monde devra attendre l’aboutissement de son cycle digestif, autrement dit, « qu’il chie sa race », pour retrouver la liberté.
Noam prit une bouteille de gnole, la jeta vers la tête d’EMPTY qui esquiva, la bouteille se brisa contre le mur, éclaboussant les corps effrayés dont les plus couards, malgré l’absence de réseau, tentaient encore d’appeler à l’aide sur leur téléphone dernier cri. EMPTY se tordit de rire et leur ordonna de ranger leurs écrans, de se déshabiller et d’en profiter. Il n’y aura aucune limite ce soir, ni aucune preuve de la suite de l'évènement. Quelques artistes admiratifs saluaient cette performance inédite, terriblement avant-gardiste, peut-être encore plus audacieuse que la dernière œuvre du PLasticien, ce serial-killer expressioniste qui éparpillait des corps de prostitués. La plupart des convives, saouls et drogués, se résignèrent, et même si parmi eux certains envisageaient d’ouvrir le ventre d’EMPTY pour récupérer la clef, aucun n’avait la motivation suffisante pour s’exécuter.
Étrangement, la situation fut acceptée par tous, et la défonce allant crescendo, notamment grâce à la 3-MMC en vogue, les plus atteints perdirent toute pudeur et dignité sans l’œil des portables, se déshabillant, pissant n’importe où, vomissant sur les murs, braillant des insanités, baisant et s’enculant à tout va. Deux performers hilares s’étaient accroupis sous l’unique bouche d’aération et déféquaient de concert sur des tessons de bouteille pour ensuite s’en lacérer le torse allégrement. L’odeur régnant dans l’huis-clos devenait intolérable, surtout pour les personnes sobres qui finirent par se précipiter sur les goulots de gnole afin de supporter cette ambiance infernale digne d’un tableau de Jérôme Bosch.
Les conspirateurs jubilèrent en voyant Noam, la seule personne restante en état de sobriété, bousculer les corps fous et s’avancer d’un pas déterminé vers EMPTY qui semblait l’attendre, l’œil luisant.
Les prémices de lutte furent brouillonnes, on ne sut qui frappa le premier, et s’il y eut vraiment un coup porté. Tel un lama épileptique, EMPTY cracha de la gnole au visage de Noam qui essayait tant bien que mal de fourrer ses doigts dans sa gorge pour le forcer à vomir la clef. EMPTY réussit à prendre le dessus en tirant la magnifique chevelure de Noam. Il y eut une pause bizarre, les deux hommes s’immobilisèrent devant tous les regards sidérés et ravis, le bruit répété d’une pierre de briquet retentit, les cheveux de Noam s’enflammèrent comme une torche, et des flammes jaunes se propagèrent sur son visage souillé de gnole.
Le corps de Noam ne semblait plus lui appartenir et ses gestes désarticulés accompagnaient ses cris stridents. Les spectateurs excités se rapprochèrent et firent cercle autour du supplicié. Les conspirateurs éloignèrent tous les vêtements susceptibles d’étouffer les flammes, et pour éteindre le feu qui rongeait sa chair, Noam se mit à vriller sur sa tête contre la toile au sol. Ce headspin - figure de breakdance très réputée - fit sensation. EMPTY s’avança solennellement, ouvrit une autre bouteille et versa son contenu sur le pauvre danseur qui prit feu entièrement.
Personne n’eut la présence d’esprit d’empoigner son portable pour filmer ce corps tourbillonnant, décalquant sa peau brûlée sur les traces de pas, de vomi, d’urine, de merde et de foutre, peignant des courbes charbonneuses comme un fusain trop gras sur la toile maculée des frasques de toute cette soirée. Sa chair crépitait, se perdait dans la fumée, violait les narines, et seules les flatulences enflammées du danseur démoniaque perçaient ce brouillard puant, comme les feux follets fantastiques d’un cimetière amérindien.
A l’instar de la toile d’EMPTY vendue à prix d’or, les rétines présentes ce soir-là s’imprimèrent à tout jamais de cette vision mystique. Sûrement plus spectaculaire que le bûcher de Jeanne d'Arc. Encore plus transcendante que l’incendie de Notre-Dame.
Et surtout, tellement plus arty.