Considération sur les armes à percussions et les Tuperweare

Le 10/05/2025
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par Magicien Pampers
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Dossiers / "Trop bizarre pour vivre, trop rare pour mourir"
Dans un élan de plume aussi sauvage qu’un coyote sous amphétamines, je me lance dans la critique du texte de Magicien Pampers, cet hommage à Hunter S. Thompson qui sent la sueur, l’encre et la vérité crue, sans le moindre gramme de LSD pour maquiller la réalité. Ce bougre de Pampers, d’habitude perdu dans ses contes de ragondins sorciers et de pangolins chevaliers, dégaine ici une prose si affûtée qu’elle pourrait trancher le cuir d’un redneck texan à cent mètres. Mais attention, pas de novlangue bisounours ici, pas d’argot personnel qui vous fait rouler des yeux jusqu’à l’arrière du crâne : non, c’est du propre, du net, du brutal, comme un Hunter sobre, à jeun, clean, qui vous fixe droit dans les yeux sans ciller. Et pourtant, on sent le chaos sous la surface – combien de personas grouillent dans le cerveau de ce Magicien ? Est-il Gollum, cachant son précieux talent sous des couches de folklore absurde, ou juste un malin qui joue avec nos nerfs ? Pampers fait un choix gonzo, mais pas celui qu’on attend : il bazarde les clichés thompsoniens, pas de drogue, pas d’avocat mexicain hystérique, pas de délire psychédélique pour faire ricaner les blaireaux. Au lieu de ça, il nous balance Hunter en plein vortex redneck, un duel de western improbable où le journaliste, flamboyant mais en panne d’inspiration, affronte des abrutis du cru comme un cow-boy sans revolver. Et le pire ? Il n’écrit même pas à la première personne pour nous enfoncer davantage dans notre médiocrité face à sa plume maîtrisée – un affront, un uppercut littéraire ! On dirait qu’il s’amuse à nous humilier en silence, avec un sourire narquois. Mais pourquoi ce strip-tease de talent ? Peut-être parce qu’il n’y a pas de concours, pas d’enjeu, juste le plaisir pur de montrer ce qu’il a dans le bide. Le texte sidère par son audace : ne pas ignorer la passion de Thompson pour les armes, pas même celle qui l’a emporté, ce serait comme parler de Jésus sans mentionner la croix – pas de sacrilège calculé ici. Pampers ne cherche pas à invoquer la dope pour des gags faciles ; il préfère un Hunter en processus créatif, luttant avec sa page blanche au milieu d’un quotidien de journaliste ordinaire, entouré de ploucs qui n’ont jamais ouvert un bouquin. C’est du Thompson sans le cirque, du Thompson nu, et pourtant, il reste énorme. Que demande le peuple ? Un texte qui cogne, qui surprend, qui révèle un Magicien Pampers débarrassé de ses oripeaux folkloriques pour nous flanquer une claque. Et cette claque, mes amis, elle résonne comme un coup de feu dans le désert du Nevada.
De l'herbe rase. Des collines basses et boisées. Des rochers. Des crapauds-buffles à l'ombre des rochers. Des serpents partout, de toutes les marques. Attendants qu'on leur marche dessus. Des vieux pneus. Des tas de saloperies qu'il serait emmerdant de détailler. Une Ford A sans moteur. Qui rouille. Un vieux ranch trapu. Une grange de guingois. D'anciennes stalles pétrifiées sans chevaux. Au dessus de tout ça, un ciel. Turquoise. Avec le soleil écarlate. Qui brûle tout ce que je viens de décrire. Parce que c'est l'été.
Sous l'ombre de la véranda, deux types se font face. Assis sur des chaises basses à dossiers inclinés. Il siffle de la Jax en bouteille. Au moment de l'achat , la Jax était fraîche. Une demi-heure plus tard, la Jax est presque tiède. Mais, ce n'est pas si grave. L'important étant d'arriver avec un truc avec soi, lorsqu'on débarque chez quelqu'un que l'on ne connait pas.
L'hôte est très ridé. Sans nul doute, parce qu'il est vieux. Pas de signes distinctifs particuliers. Sauf des yeux perçants, peut-être gris. Il bave avec dignité son jus de chique dans la boite de conserve posée sur le devant de sa chemise rouge élimée à boutons de nacre. Le visiteur est grand, mince et athlétique, très jeune, déjà un peu chauve, coiffé d'un bob clair incongru. Il fume Chesterfield sur Chesterfield sans filtre et n'a pas encore eu l'idée de les emmancher sur un cylindre de nacre.
a) pour ne pas bouffer des brins de tabac.
b) parce que c'est joli.

Ce jeune homme débute dans la profession journalistique. Après s'être fait lourder du Time (NY) et d'autres canards, il fait ses armes en solo. Electron libre sans méthode étudiée, sans relations, sans contrat avec un quelconque journal.

Mars 1959, le yankee myope revenu quelques temps chez sa mère au Kentucky, file vers l'ouest. West is the best. Comme le dira l'autre givré, un peu plus tard ... Tennessee, Arkansas, Oklahoma, Texas, New-Mexico, Hunter trace la route. Long chacal en quête d'une histoire singulière, d'un scoop, de bonnes cuites ...

Un matin, sa Nash 37 complètement déglinguée avec : ses clopes, un Zippo, un carnet presque vierge de toutes annotations, trois stylo-billes, cinquante dollars, des lunettes de vue teintées, un vieux Colt Lighting planqué sous le siège-conducteur, s'arrêtent dans la rue principale de Raton, New-Mexico, huit-cent âmes, aucune architecture remarquable à noter, collines basses tout autour...

Hunter sort de sa caisse bordeaux et déplie son corps ectomorphique naturellement raide. Un vestige d'envie de chier chatouille sa tuyauterie interne. Mais, il est trop tard pour satisfaire cette action triviale mais importante. Les spasmes défécatoires sont passés. Dans la vie, il est primordial de saisir ses chances au bon moment. Hunter sait tout cela. Il n'a pas voulu prendre le risque de s'arrêter en pleine nuit, afin de débourrer au bord de la route. A cause des rattlesnakes et des mocassins. Et aussi, parce qu'il est à court de papier WC et qu'il ne possède que trois slips. Il baille, enlève ses lunettes et s'essuie les yeux. Il allume une sèche et traverse la rue venteuse. Un tumbleweed venu de très loin coupe sa route et se prend dans ses chaussures. Hunter jure. Un frisson métaphysique parcours son échine.
Café. Pas si mauvais. Serveuse au bout du rouleau. Tarte au citron-meringue très sucrée. Cinq clopes. Réserve une chambre au motel d'en face. Dors trois heures.

Plus tard. Chez le coiffeur. Hunter fait raser sa barbe d'une semaine. Le coiffeur dégoise. Ce qui est dans l'ordre des choses.
« Qu'est-ce que vous faites dans la vie ? Z'êtes pas du coin ? Ici, ce n'est plus comme avant. Mais avant, ce n'était pas comme aujourd'hui.
- Dans le temps, ajoute un vieux qui attend sa coupe réglementaire du mois - bien dégagé derrière les oreilles - on devait compter avec : les Comanche, les yankees, les mex, les éleveurs, le temps, la pluie, la sécheresse, le gel, le blizzard, les insectes, les crotales très longs, la diphtérie, les fièvres du bétail … les gens étaient d'une autre trempe. Et les taxes gouvernementales n'étaient pas …
- Et vous avez des bonnes histoires à raconter ? demande Hunter au vieux qui attend sa coupe et qui, réflexion faite, n'est pas si vieux que ça mais paraît plus âgé.
Faut dire, il marne sous le cagnard et le gel - depuis plus de trente ans - sur les derricks des alentours.            
- Sûr… répond l'autre ravi, avant hier, le gros Bill s'est pété la gueule de la plateforme. Ses dents ont atterrit pile-poil sur le rail en acier qui attendait plus bas … il en a perdu dix-sept. Mais, on peut dire que Bill est un veinard. Il économisera un râtelier tout neuf puisqu'il est mort très rapidement, avec la nuque brisée...
- Bonne histoire mais un peu courte pour faire un papier avec ça … répond Hunter platement en se levant de son siège, après avoir été préalablement essuyé avec une serviette chaude.
- Monsieur est reporter. » explique le coiffeur non sans une espèce d'étrange fierté.
Le vieux qui n'est pas vieux est content de l'apprendre. D'autant qu'il possède un bon stock d'autres histoires d'accidents. Mais, le coiffeur lui coupe l'herbe sous le pied. Juste avant qu'il ne raconte la noyade sèche de Billy Jack qu'il a déjà entendu 456 fois.
« Elmer, Monsieur le reporter n'est pas venu de si loin pour t'entendre raconter des banals incidents de travail. Se tournant vers l'étranger qui attend de payer devant le petit lutrin, le merlan rajoute. Je gage que vous êtes à la recherche de récits aventureux, pittoresques, voire, épiques … ?
- Hum... répond H qui possède une physionomie étrangement fixe et qui ne sait pas très bien ce qu'il cherche lui même.
- En ce cas, il faut aller voir le vieux Tuperweare Fud. Il habite à cinq kilomètres (on traduit en décimale), prenez la nationale en direction d'Albuquerque et tournez à gauche, lorsque vous arriverai à l'épave de remorqueur. Suivez la piste, le ranch de Fud se trouve à moins de huit cent mètres. »
Hunter se demande ce qu'un remorqueur peut bien foutre en plein Nouveau-Mexique et pourquoi ce Fud porte le sobriquet singulier de Tuperweare ?

Tuperweare Fud bave une nouvelle fois dans sa boite de conserve. Il est content de recevoir du monde. Même si le type chauve n'est pas très causant. En tout cas, il possède une belle descente. Et c'est très aimable à lui de s'être pointé avec trois packs de bonne bière ! Même si elles sont tièdes.
Oh, tiens, potentiel lecteur ! J'ai dit tout à l'heure que ce vieux ne possédait pas de signes particuliers. Je dois faire une rectification concernant cette affirmation, qui est fausse. Je ne disposais pas encore de tous les paramètres et détails, lorsque j'ai commencé la rédaction de ce récit véridique et étonnement palpitant.
Fud porte un bol jaunâtre coiffant la moitié supérieure de son crâne tronqué. Ce dôme transparent est enfoncé dans les rebords des os pariétal et frontal de sa boîte crânienne. Derrière la barrière de plastique, pulse une cervelle en parfait état de conservation.
Hunter est à présent habitué au spectacle de cette effrayante exhibition. La troisième Jax permet d'ailleurs d'appréhender avec décontraction la mutilation singulière de son interlocuteur. Ce dernier est en train de relater les méthodes de contrebandes qui permettaient de faire entrer du scotch par la frontière canadienne, ceci, entre deux jets de salive brunâtre. Hunter prend des notes, par courtoisie, l'époque de la prohibition ayant déjà été largement couverte.
« On roulait en convoi. La Chevy devant et le camion juste derrière. C'était l'hiver 27. Et la neige nous avait fait sortir de la route. On roulait avec prudence. Sur une plaine. Avec les flics du district de Saint-François qui nous talonnait. Comme on avait coupé les phares, je suis monté sur le marche-pied de la voiture, pour mieux voir. Et un cahot m'a précipité par terre. Et le camion qui venait derrière m'est passé par dessus. Et je me suis couché sur le sol. Mais pas assez vite. J'ai cogné certainement un essieu avec le sommet du crâne et j'ai laissé ce que vous ne voyez pas...
- ça a du être douloureux. fait Hunter en décapsulant sa quatrième bière.
- Pas trop, j'étais dans les vapes … arrivé en lieu sûr, les copains se sont rendus compte qu'il me manquait un truc... faut dire, j'étais plein de sang et qu'il m'avait balancé sur la banquette arrière sans m'examiner plus en avant, à cause des flics. Ensuite, j'ai vécu pendant une bonne vingtaine d'années avec un couvercle de fer enfoncé dans la tête. Un peu comme ce Dracustein des films qu'aiment les jeunes d'aujourd'hui ... c'était d'ailleurs très inconfortable. J'avais froid en hiver et trop chaud en été. Je cachais ça sous des très larges chapeaux. Afin de pas effrayer les gens. Mais, je dois dire que certaines femmes appréciaient beaucoup cette singularité … spécifie le vieux sans se départir de sa dignité, finalement, c'est ma petite nièce qui a eu l'idée de m'envoyer cette remarquable protection en plastique. C'est beaucoup plus élégant, léger, et moderne. C'est fou ce que l'on peut arriver à fabriquer aujourd'hui … il paraît même que les cosmonautes de l'espace mangent dans des assiettes comme ça... »

Hunter est un peu déçu. Cette histoire de Tuperweare n'intéressera jamais personne. Même si elle est rudement bien, de son avis. Il lui demande ce que peut bien foutre un remorqueur à plusieurs centaines de kilomètres de la première côte maritime mais le vieux n'écoute pas et il se lève de son siège.
« Je vais vous montrer quelque chose... » dit le vieux qui quitte la véranda, entre et revient avec une boite plate en carton grise sous le bras.
Le vieux tends la boite à Hunter qui la pose sur ses genoux et l'ouvre.
« Hum … c'est un Remington 1858 calibre .44 fait le reporter qui soupèse le long et lourd révolver dans ses mains. Son bronzage a très bien tenu dans le temps … et son mécanisme semble en très bon état ... le barillet est chargée, aussi ... étrange que cette arme n'ai jamais été modifiée ... ajoute Hunter qui connait parfaitement le processus laborieux de rechargement des armes à percussions.
Le vieux s'esclaffe franchement et répond.
- Je m'en sert pour faire fuir les coyotes. Et le premier propriétaire de cette arme n'aurait jamais, pour rien au monde, modifié le fonctionnement de cette arme …
- Pourtant, répond Hunter qui connait la question, les cartouches métalliques ont rapidement remplacées ce système déjà obsolète durant la guerre de sécession...
- Obsolète, dans certaines circonstances. Et puis, vous oubliez le prix des munitions à chemises métalliques en 1880 … j'ajoute que, si le 7 ème de cavalerie avait été équipé de ce modèle de révolver, il n'aurait pas pris la plâtrée que l'on sait à Little Big Horn... »
Hunter n'est pas de cet avis. L'équipement individuel des cavaliers de Custer n'entrait pas en ligne de compte avec la déculottée précitée. Le reporter termine sa bière, rote courtoisement dans le creux de son poing, allume une énième cigarette et déclare avec une certaine passion teintée d'agacement.
« Cette arme remarquable et précise est cependant très lente à recharger. Vous imaginez verser de la poudre noire avec une poire dans ses six alvéoles, forcer les billes de plombs avec le levier de rechargement en plaquant la crosse contre votre ventre et terminer l'opération en allant pêcher dans votre poche des capsules de fulminate de moins de quatre millimètres que vous essayerai ensuite de coiffer sur les cheminées minuscules du barillet ? Et tout cela sous une pluie de flèches et de balles ?
- Hé ! C'est vrai qu'on ne voit jamais faire ça au cinéma … le vieux réfléchi. C'est dommage que je ne dispose pas d'un autre revolver plus moderne sous la main, j'ai vendu tous mes outils lorsque j'ai acheté ce ranch ... je vous aurai fait la démonstration de sa rapidité ...
- Mais ! Effectivement, j'ai - comme tout citoyen libre qui se respecte - un six-coups et une boite de balles dans la voiture ! Cela tombe très bien ! fait Hunter qui commence à s'exciter et qui se déclare intérieurement que ça, c'est vraiment une bonne idée !
- Quoi de plus amusant que de vider quelques barillets en bonne compagnie en vidant des bières chaudes !
Alors, allez chercher votre pétoire, jeune homme, je vais vous apprendre quelque chose. »


             Le duel amical entre Tuperweare Fud et Hunter Stockton Thompson.

    

De l'herbe rase. Des collines basses et boisées. Des rochers. Heu, je l'ai déjà dit, non ? Bref, deux types là dessus, se tenant face à face, à quinze pas, l'estomac plein de bière, avec des révolvers chargés qui pendent au bout de leurs poings.
Les règles du jeu sont simples. On vide son arme au dessus de la tête de l'autre et on recharge.
Le premier qui balance sa seconde bordée est déclaré vainqueur.
Hunter est vraiment superDriscoll content. C'est toujours une idée rudement chouette que de se tirer dessus, pour rire … ce vieux chacal est vraiment pas croyable ! Même s'il ne possède pas l'ombre d'une chance de gagner … même bourré, Hunter estime qu'il mettra moins de trente secondes pour recharger les six chambres de son arme de six nouvelles cartouches.
« Hey ? Vous n'avez pas oublié votre poire à poudre ? Fait-il un peu chancelant à l'adresse de son interlocuteur qui vacille, lui aussi.
- T'occupe, blanc-bec ... répond gentiment Tuperweare en tâtant la poche de son vaste pantalon de velours sombre. T'entends la portière de la Ford qui claque à intervalle irrégulier dans le vent ?
- Ouaip !
- Au prochain claquement, on tire. Mais, fait bien gaffe de pas abimer mon Tuperweare ! »

La portière claque. Douze détonations irrégulières déchire le calme de la plaine. Environné du nuage noir produit par sa pétoire, la moitié supérieure du vieux est présentement dissimulée au regard de myope de Hunter qui bascule le barillet de son flingue sur le côté, éjecte les étuis vides à l'aide de la pompe installée sous le canon, fouille dans ses poches à la recherche de ses balles, les glissent une à une dans les chambres vides, referme le barillet et ...
Trop tard.
« PAF ! PAF ! PAF ! PAF ! PAF ! PAF ! » déclare le Remington 1858 pendant que le bob clair percé de trous s'envole dans le ciel turquoise.

Coiffé de son bob percé de trous, Hunter passe en roulant à tombeau ouvert devant le cadavre du remorqueur qui rouille sur le bord de la route. Hum ... Mystère non élucidé. Mais, il trouve qu'il vient de passer un agréable moment. Et, ce vieux renard de Tuperweare l'a bien eu en dissimulant un autre barillet chargé dans le fond de sa poche !!! … et c'est parfaitement exact, dans ces conditions, le 1858 antique possède encore des arguments qui ne sont pas négligeables.