Balthazar, roi des clochards, impose sa loi dans les bas-fonds. Il est accompagné par Magda la fumeuse de crack et Riton qui transforme des canettes en cendrier. Avec les autres rebuts des sous-sols ils vivent de la manche. Leur monde s’effondre quand Pied Pourri, un jeune blond à la jambe gangrénée, impose ses drones et boîtiers high-tech pour racketter les passants. La guerre éclate, brutale, entre les clochards de l'ancien temps et ceux du monde moderne.
Un brouillard dense assombrissait les abords de la gare, une brume froide mêlée de gaz d’échappement et de relents de pisse. Sous un escalier de béton tagué, Balthazar se tenait debout, un manteau râpé tombant sur ses épaules larges, ses bottes plantées dans une flaque de boue. Ses doigts noueux serraient une bouteille de vin frelaté, le goulot fêlé laissant goutter un liquide brun sur ses phalanges. Il porta la bouteille à ses lèvres, aspira une gorgée, et cracha un jet épais qui s’écrasa sur un rail rouillé. Ses yeux caves balayaient la foule des passants - des costards pressés, des sacs plastiques claquant au vent - tandis qu’un grondement sourd montait des voies, un train invisible vibrant sous ses pieds.
À quelques mètres, Magda était accroupie près d’un muret, ses cheveux raides collés par la crasse, une pipe en plastique cramé accrochée au ceinturon. Sa veste trop grande, tachée de boue, traînait sur le sol, et ses yeux jaunes, ternis par une lueur fiévreuse, suivaient les mouvements de Balthazar. Elle toussa, un râle profond qui fit trembler ses épaules osseuses, et ramassa un mégot à moitié consumé, le portant à ses lèvres avec un rictus édenté. Une bourrasque fit voler un ticket de métro usé, qui se colla à sa botte, et elle le repoussa d’un coup sec, ses ongles jaunis grattant le cuir usé.
Riton surgit d’une ruelle adjacente, un sac poubelle déchiré sur l’épaule, des canettes vides cliquetant à chaque pas. Son visage ridé, barré d’une cicatrice, luisait de sueur, son pantalon déchiré dévoilant une cheville enflée. Il s’arrêta près de Balthazar, lâcha le sac dans un fracas métallique, et tendit une main tremblante. Balthazar grogna, un son rauque, et lui passa la bouteille. Riton but, s’essuya la bouche d’un revers de manche, et désigna la gare d’un signe brusque : « Y’a du monde aujourd’hui. » Balthazar hocha la tête, ses bottes crissèrent, et il s’avança vers la sortie principale, Magda et Riton suivant à distance.
Sous l’auvent fissuré de la gare, la foule s’écoulait, un flot de manteaux et de sacs à dos. Les gens rentraient du boulot. Des laborieux, des esclaves. Balthazar s’appuya contre un poteau, tendit une main calleuse, et sa voix roula, grave : « Une pièce, m’sieur. » Un type en costard ralentit, fouilla sa poche, et laissa tomber une pièce qui tinta sur le bitume. Magda s’approcha d’une femme à talons, son mégot éteint pendant à ses lèvres. Elle tendit une main, toussa bruyamment, et la femme recula avec dégoût. Magda cracha en sa direction et l’insulta de tous les noms. Les gens s’écartaient sur son passage. Riton, lui, rôdait près d’un kiosque, ses yeux suivant un ado qui jetait une canette à moitié pleine. Il plongea, la saisit, et vida le fond dans sa gorge avant de la fourrer dans son sac. Il en faisait des cendriers et ensuite il les revendait ; c’était pour ça qu’il avait tout le temps les paumes entaillées.
Le soir tomba, une lumière orange filtrant à travers les vitres crasseuses de la gare.
Ils se retrouvèrent derrière un supermarché proche, une cour jonchée de palettes cassées et de cartons trempés. L’odeur de viande avariée flottait, montant d’une benne ouverte où Riton fouillait, ses mains plongeant dans des sacs gluants. Il en tira un bout de pain moisi, le lança à Balthazar, qui l’attrapa d’une main et mordit dedans, ses dents grinçant sur la croûte. Magda s’assit sur une palette, ses doigts tripotant la seringue vide, et alluma son mégot avec un briquet volé, une flamme vacillante dansant dans l’air humide. Elle aspira, la fumée s’échappant en volutes épaisses, et ses yeux jaunes croisèrent ceux de Balthazar. Il grogna, cracha un morceau de pain, et s’appuya contre la benne, ses bottes écrasant une boîte de conserve vide.
Un klaxon déchira le silence, un camion de livraison reculant dans la cour. Les phares balayèrent leurs visages, et Riton plongea derrière la benne, un sac sur l’épaule. Balthazar resta immobile, ses yeux plissés fixant les pneus qui écrasaient la boue. Magda toussa encore, un son creux, et se leva, ses pas légers claquant sur le bitume. Elle s’approcha de Balthazar, tendit une main tremblante, et laissa tomber le billet froissé à ses pieds. Il le ramassa, le déplia, et grogna, un son bas qui fit vibrer sa gorge. Elle s’assit à nouveau, ses doigts serrant sa pipe, et un rictus étira ses lèvres.
La nuit s’installa, une obscurité froide trouée par le ronflement d’un générateur au loin. Balthazar s’adossa à la benne, la bouteille vide roulant à ses pieds. Riton tria ses canettes, un tintement régulier montant dans l’air. Magda aspira une dernière bouffée et s’allongea, ses bras repliés sous sa tête. Un tram passa, un grondement sourd qui fit trembler le sol, et Balthazar ferma les yeux, sa main crispée sur le billet, une ombre massive dans la lumière vacillante d’un réverbère crevé.
…
Une pluie fine crépitait sur le bitume près de la gare, un voile gris trempant les auvents fissurés et les rails rouillés. Balthazar se tenait sous un abribus, son manteau gorgé d’eau pendant lourdement, ses bottes écrasant des mégots noyés dans une flaque. Ses doigts serraient une bouteille vide, qu’il lança contre un poteau dans un éclat de verre. À ses côtés, Riton fouillait un sac poubelle ramassé près d’un kiosque, ses mains calleuses sortant une canette écrasée qu’il fourra dans sa poche. Magda rôdait à quelques mètres, accroupie près d’un muret, ses yeux jaunes détaillant chaque passant ; elle essayait de deviner celui ou celle qui avait le plus d’argent.
Un bourdonnement monta soudain, un vrombissement léger qui trancha l’air humide. Une ombre passa au-dessus, un drone aux hélices clignotantes planant vers une benne derrière le supermarché. Balthazar plissa les yeux, ses narines dilatées, et suivit le drone, ses bottes claquant sur le sol mouillé. Riton lâcha son sac, un tintement métallique résonnant, et Magda se redressa, ses pas légers derrière eux. Ils débouchèrent dans une ruelle étroite, bordée de murs tagués et de poubelles renversées, où une poignée de silhouettes s’agitait sous un réverbère vacillant.
Un type boitait au centre, une béquille calée sous son bras, sa jambe gauche suintant un liquide jaunâtre qui gouttait sur le bitume. Une odeur douceâtre flottait, écœurante, mêlée de plastique brûlé. Celui qu’on nommait Pied Pourri tendit un terminal noir, ses lumières rouges et vertes clignotant, vers un passant qui s’arrêta, fouilla sa poche, et passa une carte. Un bip aigu s’éleva, le passant s’éloigna vite sous le ricanement victorieux de Pied Pourri. Derrière lui, deux gamins manipulaient des drones, leurs hélices vrombissant alors qu’ils plongeaient dans une benne, en tirant un sac de pain rassis qu’ils jetèrent à leurs pieds.
Balthazar grogna, un râle profond, et avança, ses bottes éclaboussant une flaque. Le type à la béquille tourna la tête, ses lèvres s’étirant en un rictus tordu. Il tapa sa béquille, un coup sec, et un drone pivota, ses lumières rouges frôlant le visage de Balthazar. « Tiens, le roi des poubelles », lâcha-t-il, sa voix aiguë claquant dans l’air. « T’as vu ça ? » Il leva son boîtier, appuya, et un bip résonna encore, suivi d’un rire rauque de ses hommes. « Plus besoin de remuer la merde, vieux. Bienvenue dans le futur. » Balthazar serra les poings, ses phalanges craquant, et Riton recula, ses yeux fixant le drone qui planait au-dessus.
Magda s’approcha, ses pas traînant dans la boue, et s’arrêta près de Balthazar. Ses doigts osseux saisirent sa pipe ; elle la bourra de crystal et la porta à ses lèvres, allumant une flamme vacillante avec son briquet. Elle aspira, la fumée s’échappant en volutes épaisses, et ses yeux jaunes croisèrent ceux de Balthazar. « Regarde-les », murmura-t-elle, sa voix râpeuse tranchant le bourdonnement des drones. « Ils ramassent plus en une heure que nous en un mois. Ces machins, ça prend les cartes, les bitcoins - tout ce qu’on touche pas. » Elle toussa, un son creux, et tapota le boîtier d’un des gamins, tombé dans une flaque, qui bipa faiblement. « Pendant que nous, on ramasse que des pièces rouges dégueulasses. »
Balthazar grogna encore, plus fort, et arracha le boîtier de la flaque. Il le tourna entre ses doigts, un bip aigu s’échappant, puis le lança contre le mur, où il se brisa dans un craquement d’étincelles. Le type à la béquille ricana, tapa sa béquille deux fois, et ses hommes s’avancèrent, leurs boîtiers clignotant dans l’ombre. « T’es fini, vieux », lâcha-t-il, boitant vers la benne, un drone sur ses talons comme un garde du corps personnel. Balthazar fixa les éclats du terminal de paiement, ses bottes immobiles dans la boue, et cracha, un jet épais qui s’écrasa près de Magda. Elle recula, ses yeux jaunes plissés, et toussa encore, un rictus étirant ses lèvres.
Riton ramassa son sac, ses mains tremblantes serrant une canette, et murmura : « Ils sont partout, maintenant. » Balthazar ne répondit pas. Il pivota, ses bottes claquant, et s’éloigna dans la ruelle, le manteau battant contre ses jambes.
Magda suivit, ses pas légers, et ramassa un fil du boîtier brisé, le glissant dans sa poche. Le bourdonnement des drones s’évanouit derrière eux, remplacé par le crissement des pneus sur le bitume mouillé. Sous le réverbère, une lumière vacillante tomba sur le visage de Balthazar, ses traits crispés, ses poings serrés dans ses poches.
La nuit s’installa, une obscurité froide trouée par le ronflement des plaques d’aération. Ils s’arrêtèrent sous l’escalier de la gare, la pluie gouttant sur le béton. Balthazar s’adossa au mur, ses bottes écrasant un ticket trempé. Riton tria ses canettes, un tintement sourd montant dans l’air. Magda s’accroupit, ses doigts tripotant le fil volé, et alluma sa pipe, la flamme dansant dans ses yeux jaunes. Elle aspira, la fumée flottant vers Balthazar, et murmura : « Le monde change et on ne peut rien n’y faire. On vit hors du monde, mais pas hors du temps. »
Il grogna, un son bas, et cracha encore, le glaviot s’écrasant sur le rail. Ses yeux fixèrent la ruelle, là où les drones avaient disparu, une ombre massive dans la lumière vacillante.
…
Une brume épaisse roulait dans le parking souterrain, un voile grisâtre mêlé d’odeurs de gasoil et de fer humide. Des néons volés, suspendus à des câbles tordus, crépitaient au-dessus, jetant une lumière blafarde sur des piliers de béton tachés. Balthazar se tenait près d’une flaque huileuse, son manteau déchiré battant contre ses jambes, ses bottes écrasant des éclats de verre. Ses poings serraient des tessons, leurs arêtes scintillant dans la lumière vacillante. À ses côtés, Riton boitillait, une barre de fer rouillée pendant dans sa main, ses yeux caves balayant l’obscurité.
La guerre avait éclaté sous la gare, une ombre brutale rampant dans les ruelles. La veille, Riton avait surgi d’un tunnel, traînant un gamin maigre par le col, lui arrachant son terminal des mains. Balthazar avait fracassé l’appareil contre un mur, ses bottes piétinant les éclats dans un craquement d’étincelles.
Plus tard, près d’une benne, ils avaient coincé un autre type de la bande de Pied Pourri, celui qui jouait du drone. Riton l’avait cloué au sol, la barre s’abattant sur ses côtes, tandis que Balthazar vidait ses poches - des pièces, un briquet, un bout de fil tordu. Le type avait gémi, du sang gouttant sur le bitume, avant de s’enfuir, boitant dans la nuit.
Ce soir, le parking était une arène, une foule de loques serrées en cercle, leurs visages luisants de sueur et de crasse. Pied Pourri émergea de l’ombre, sa béquille claquant sur le sol, sa jambe violette suintant un pus épais qui laissait des traînées luisantes. Une puanteur douceâtre monta, se mêlant au ronflement d’un générateur bricolé. Il leva un terminal, ses lumières rouges et vertes clignotant, et tapa sa béquille, un bip aigu tranchant l’air. « Je me suis déjà fait trois cents balles aujourd’hui ! » s’exclama-t-il. « Et toi, vieux débris, combien t’as ramassé ? »
Balthazar grogna, un râle profond, et chargea, ses bottes éclaboussant l’eau sale. Pied Pourri esquiva, vif malgré sa jambe, et abattit sa béquille sur l’épaule de Balthazar. Un craquement résonna, suivi d’un grognement sourd. La foule rugit, un chœur rauque qui vibra dans l’air tiède. Balthazar tituba, un tesson tombant de sa main, et frappa, son poing s’écrasant sur la mâchoire de Pied Pourri. Du sang gicla, mais ses jambes fléchirent, un tremblement remontant jusqu’à sa poitrine. Il tomba à genoux, le souffle rauque, la sueur gouttant sur le béton. Pied Pourri ricana, tapa sa béquille, et un drone plongea, ses lumières rouges frôlant le visage de Balthazar. Il leva un bras, tenta de l’attraper, mais ses doigts glissèrent, et il s’effondra, la joue contre une flaque huileuse.
Les rires éclatèrent, un vacarme qui rebondit sur les murs. Une bouteille de villageoise passait de main en main dans des gradins improvisés fait de vieux caddys défoncés. Pied Pourri s’approcha, sa béquille levée, un rictus tordant ses lèvres. Une ombre surgit alors, ses pas légers claquant dans l’eau. Magda. Sa veste traînait derrière elle, ses cheveux raides collés par la sueur. Elle brandit un boîtier volé, son écran fissuré clignotant, et appuya, un bip rauque s’élevant dans l’air. La foule se tut, les yeux fixés sur elle. Elle s’accroupit près de Balthazar, ses doigts osseux fouillant un sac de toile à ses pieds. Elle en tira un autre boîtier, le posa devant lui, et tapota l’écran - un bip faible, puis un autre, résonnant dans le silence.
« T’as perdu avec ta manche à l’ancienne », lâcha-t-elle, sa voix râpeuse éraflée par une toux sèche. « Les gens n’ont plus de monnaie sur eux… » Balthazar releva la tête, le visage maculé d’huile, et fixa le petit terminal. Ses doigts se crispèrent sur un tesson, le verre crissant contre le sol. Il grogna, un son bas, et le boîtier bipa encore, un écho qui fit trembler ses mains.
Pied Pourri ricana, sa béquille claquant à nouveau. « Garde ton débris, sorcière. Il est mort. » Il leva son terminal et un drone revint planer au-dessus, ses lumières clignotant en rythme. Il en sortir deux de son sac et les jeta à Magda. Elle les ramassa, vacillante, et se dirigea vers les siens. Les damnés de la rue. Quelques mains se levèrent, saisissant les appareils, des doigts sales tripotant les écrans.
Balthazar grogna et tendit une main vers Magda, ses phalanges rouges frôlant la toile de son sac. Elle s’accroupit, saisit son bras, et tira, ses os craquant sous l’effort. Il se releva, titubant, le manteau alourdi par l’eau et la crasse. Le silence tomba, lourd, seulement brisé par le crépitement des néons. Pied Pourri plissa les yeux, sa béquille immobile, puis tourna les talons, boitant vers le fond du parking, ses quatre drones flottant derrière lui comme des cavaliers de l’Apocalypse. Une partie de la foule le suivit, leurs pas traînant, mais d’autres restèrent, leurs doigts serrant les boîtiers, les yeux fixés sur Balthazar.
Il vacilla, s’appuya contre un pilier, le terminal dans sa main bipant une dernière fois. Magda s’assit sur le sol, ses jambes repliées, et ramassa un fil du sac, le tordant entre ses doigts. Balthazar fixa le néon au-dessus, clignotant en rythme, et lâcha le tesson, qui s’écrasa dans une flaque avec un tintement aigu. Ses bottes crissèrent, un pas lourd vers elle, et il s’arrêta, le souffle court, une ombre tremblante sous la lumière blafarde.
...
Une pluie froide tambourinait sur les tôles rouillées d’un abri de fortune, un coin de cour derrière le supermarché jonché de palettes cassées et de pneus crevés. Balthazar était assis sur une caisse, son manteau trempé pendant lourdement, ses bottes plantées dans une flaque de boue huileuse. Ses mains tremblantes serraient un boîtier volé, son écran fissuré clignotant faiblement sous la lumière d’un réverbère vacillant. La défaite de la veille pesait encore sur ses épaules, un écho de rires et de bips résonnant dans sa tête. À ses pieds, des tessons de verre scintillaient, vestiges d’une bouteille éclatée contre un mur dans un accès de rage.
Magda s’approcha, ses pas légers claquant dans l’eau sale, sa veste trop grande traînant derrière elle comme une ombre difforme. Ses cheveux raides collaient à son visage, ses yeux jaunes brillant dans la pénombre. Elle s’accroupit près de lui, ses doigts osseux fouillant un sac de toile taché de graisse. Elle en tira un autre boîtier, un fil pendant de son boîtier, et le posa sur la caisse à côté de Balthazar. Elle appuya, un bip rauque s’éleva, et ses lèvres s’étirèrent en un rictus édenté. « Tiens », lâcha-t-elle, sa voix râpeuse éraflée par une toux sèche. « Faut que t’apprennes. »
Balthazar grogna, un son bas qui vibra dans sa gorge, et fixa le boîtier. Ses phalanges rouges frôlèrent l’écran, un bip faible jaillissant sous son toucher maladroit. Il retira sa main, comme brûlé, et cracha, un jet épais qui s’écrasa sur une palette. Magda toussa encore, un râle profond, et tapota l’écran du sien, un bip plus net résonnant dans l’air humide. « Regarde », dit-elle, ses yeux jaunes le transperçant. « J’ai appris ça de lui. Pied Pourri. J’ai dû… » Elle s’arrêta, ses doigts serrant le fil, et un éclat sordide passa dans son regard. « J’ai dû faire ce qu’il fallait, pour qu’il me montre. Les cartes, les bitcoins, tout ça. » Elle appuya encore, un bip aigu, et donna le terminal à Balthazar.
Il se figea, ses narines dilatées, et ses poings se crispèrent, faisant craquer ses jointures. Il grogna plus fort, arracha le boîtier de ses mains, et le lança contre le mur. L’appareil rebondit, un bip mourant s’échappant dans un crépitement d’étincelles. Magda ne broncha pas. Elle ramassa un autre du sac, appuya, et un bip clair trancha l’air. « T’as plus le choix », murmura-t-elle, sa voix basse mais ferme. « On doit prendre le train en marche. » Elle posa le boîtier sur la caisse, ses doigts tremblants frôlant ceux de Balthazar.
« Et s’ils sortent de la rue, ils vont faire quoi après ? »
Il respira fort, une buée s’échappant de sa bouche, et fixa l’appareil. La pluie gouttait sur son visage, traçant des rigoles dans la crasse. Il ramassa le terminal, le tourna entre ses mains, et appuya, un bip hésitant s’élevant dans l’air. Magda hocha la tête, toussa encore, et s’assit sur une palette, ses jambes repliées sous elle. Elle sortit un fil du sac, le brancha au boîtier, et un écran clignota, affichant des chiffres flous. « Ils peuvent rester dans la rue, mais avec du fric », dit-elle simplement, ses doigts guidant les siens, un bip suivant chaque geste. Balthazar grogna, mais ne retira pas sa main, ses phalanges rouges pressant l’écran sous son regard.
La nuit s’étira, une obscurité froide trouée par le ronflement d’une plaque d’aération. Sous l’abri, la pluie crépitait sur les tôles, un rythme sourd ponctué de bips irréguliers. Balthazar appuyait, encore et encore, ses gestes maladroits devenant plus fermes, chaque bip résonnant comme un écho de sa chute. Magda toussait, ses doigts osseux tripotant les fils, et parfois ses yeux jaunes croisaient les siens, un éclat dur dans leur éclat terni. Riton surgit à un moment, son sac de canettes cliquetant, et s’arrêta sous l’abri, ses yeux fixant les terminaux. Il ramassa un tesson, le lança dans une flaque, et s’assit près de Magda, silencieux.
Le jour pointa, une lueur grise filtrant à travers les nuages lourds. Balthazar posa le terminal sur la caisse, ses bottes crissèrent, et il se leva, le manteau alourdi par l’eau. Magda s’adossa à une palette, ses mains serrant un fil, et toussa, un son qui fit trembler ses épaules. « T’as pigé », murmura-t-elle, un rictus étirant ses lèvres. Il grogna, un son rauque, et cracha, le glaviot s’écrasant sur le bitume.
Un klaxon déchira le silence, un camion de livraison reculant dans la cour. Les phares balayèrent leurs visages, et Riton plongea derrière une palette, son sac tintant. Balthazar resta immobile, ses yeux plissés fixant le terminal sur la caisse. Il le ramassa, appuya, et un bip aigu résonna, un son qui vibra dans sa poitrine. Magda toussa encore, ses doigts lâchant le fil, et s’allongea sur la palette, ses bras repliés sous sa tête. Balthazar fixa l’écran, les chiffres dansant dans la lumière blême, et maugréa.
…
Une sirène perça la brume matinale près de la gare, ses éclats rouges et bleus dansant sur les rails rouillés. Sous un escalier de béton tagué, deux ambulanciers en combinaisons blanches titubaient, leurs masques relevés, leurs visages crispés par une nausée visible. Une civière grinçait entre eux, portant un corps enveloppé dans un sac plastique noir, une jambe violette dépassant, suintant un pus jaunâtre qui gouttait sur le bitume en traînées épaisses. L’odeur douceâtre, écœurante, flottait dans l’air humide, et l’un des hommes se plia en deux, un jet de vomi éclaboussant ses bottes. L’autre grogna, un son étouffé, et poussa la civière dans l’ambulance, ses mains gantées tremblant alors que la porte claquait.
Des silhouettes en loques observaient depuis les ombres du sous-sol - clochards aux manteaux déchirés, leurs yeux caves luisant dans la lumière des phares et des sirènes. Balthazar se tenait devant, son manteau râpé battant dans le vent, ses bottes plantées dans une flaque de boue. Ses doigts serraient un boîtier volé, son écran fissuré clignotant faiblement. Magda était accroupie près d’un muret, ses yeux jaunes brillaient, sa pipe calée derrière son oreille décollée. Riton rôdait derrière, un sac de canettes cliquetant sur son épaule, son souffle rauque s’échappant en buée.
L’ambulance s’éloigna, son hurlement s’évanouissant dans la brume, et un murmure monta de la foule. Balthazar grogna, un son profond, et pivota, ses bottes crissèrent alors qu’il s’enfonçait dans le sous-sol, les autres suivant en désordre. Sous les néons vacillants, des caisses renversées et des palettes cassées formaient un cercle brut, une odeur de vin frelaté et de sueur rance saturant l’air tiède. Riton lâcha son sac, des canettes roulant sur le béton, et attrapa une bouteille brisée, vidant un fond trouble dans sa gorge. Magda toussa, un râle creux, puis tira sur sa pipe.
Balthazar grimpa sur une caisse, ses bottes claquant, et brandit une bouteille volée, le goulot fêlé gouttant sur ses phalanges. « À nous-autres les rebuts ! » rugit-il, sa voix grave roulant dans le sous-sol. Il but, un filet brun coulant sur son menton, et lança la bouteille dans la foule. Un homme trapu l’attrapa, vida le reste, et s’effondra, un haut-le-cœur le pliant, un jet de vomi éclaboussant ses bottes. Des rires éclatèrent, un chœur éraillé, et une femme aux cheveux filasse tituba, une flaque sombre s’étendant sous elle alors qu’elle pissait sur le sol, son pantalon trempé collant à ses jambes. Riton grogna, but encore, et trébucha sur une palette, son sac s’ouvrant dans un fracas de métal.
Un passant égaré s’approcha, attiré par le vacarme, ses pas hésitants sous les néons. Balthazar descendit de la caisse, tendit le boîtier, et appuya, un bip aigu tranchant l’air. Le type fouilla sa poche, passa une carte, et un bip clair suivit, ses yeux fuyant alors qu’il s’éloignait vite. Balthazar grogna, un son rauque, et glissa le boîtier dans sa poche, ses doigts rouges frôlant l’écran. Magda se leva, ses pas claquant dans une flaque, et s’approcha, un fil tordu dans ses mains. « T’as vu », murmura-t-elle, sa voix râpeuse coupant le brouhaha. « Il puait déjà la mort quand il était vivant, alors imagine maintenant. » Elle tendit le fil, un bip faible s’échappant d’un boîtier dans son sac, et ses yeux jaunes croisèrent les siens. « Ceux qui restent à l’ancienne, ils crèvent. Sinon, on n’aurait pas inventé la roue. Tu sais ce qui te reste à faire, maintenant, vieux débris. »
La fête s’effilocha, une cacophonie de grognements et de verre brisé. Une femme en manteau chic, ralentit près de l’entrée. Elle venait de garer son S.U.V au deuxième sous-sol. Balthazar s’avança, terminal en main, et appuya, un bip clair résonnant. Elle passa une carte, un bip suivit, et elle fila, son sac serré contre elle. Il fixa l’écran, des chiffres clignotant dans la lumière blême, et grogna encore, plus bas, une buée s’échappant de sa bouche. La foule s’éparpilla, certains tombant dans des flaques, d’autres serrant des bouteilles vides, leurs corps tremblants sous les néons. Riton s’effondra près d’une palette, une canette roulant de sa main, un filet de pisse coulant sur le béton, les paumes ensanglantées. Magda s’assit à côté de Balthazar, ses jambes repliées, et alluma un nouveau mégot, la flamme dansant dans ses yeux.
Le jour pointa, une lueur grise filtrant par une grille bouchée. Balthazar s’approcha d’un homme en veste usée qui rôdait près de l’escalier, tendit le boîtier, et appuya, un bip aigu s’élevant dans l’air humide. « C’est bien, c’est le futur, ça, » dit l’homme satisfait avant de plaquer sa carte contre la surface du terminal. L’homme passa une carte, un bip clair répondit, et il s’éloigna, tête basse. Balthazar glissa l’appareil dans sa poche, ses bottes crissèrent, et il s’avança vers la sortie du sous-sol, la foule silencieuse derrière lui. Magda suivit, ses pas traînant, et toussa, un son qui fit trembler ses épaules.
Riton revint en fin de matinée, il avait vendu une dizaine de cendriers. « J’ai récolté trente-deux euros ! » s’exclama-t-il en brandissant son terminal.
Un train passa au loin, un grondement sourd vibrant sous leurs pieds. Balthazar s’arrêta sous l’escalier, ses yeux plissés fixant la gare à travers la brume. Il barra le passage d’une jeune femme et dégaina son terminal. Il y eut un bip et la femme fila. Balthazar fixa l’écran, les chiffres dansant dans la lumière blême.
À quelques mètres, Magda était accroupie près d’un muret, ses cheveux raides collés par la crasse, une pipe en plastique cramé accrochée au ceinturon. Sa veste trop grande, tachée de boue, traînait sur le sol, et ses yeux jaunes, ternis par une lueur fiévreuse, suivaient les mouvements de Balthazar. Elle toussa, un râle profond qui fit trembler ses épaules osseuses, et ramassa un mégot à moitié consumé, le portant à ses lèvres avec un rictus édenté. Une bourrasque fit voler un ticket de métro usé, qui se colla à sa botte, et elle le repoussa d’un coup sec, ses ongles jaunis grattant le cuir usé.
Riton surgit d’une ruelle adjacente, un sac poubelle déchiré sur l’épaule, des canettes vides cliquetant à chaque pas. Son visage ridé, barré d’une cicatrice, luisait de sueur, son pantalon déchiré dévoilant une cheville enflée. Il s’arrêta près de Balthazar, lâcha le sac dans un fracas métallique, et tendit une main tremblante. Balthazar grogna, un son rauque, et lui passa la bouteille. Riton but, s’essuya la bouche d’un revers de manche, et désigna la gare d’un signe brusque : « Y’a du monde aujourd’hui. » Balthazar hocha la tête, ses bottes crissèrent, et il s’avança vers la sortie principale, Magda et Riton suivant à distance.
Sous l’auvent fissuré de la gare, la foule s’écoulait, un flot de manteaux et de sacs à dos. Les gens rentraient du boulot. Des laborieux, des esclaves. Balthazar s’appuya contre un poteau, tendit une main calleuse, et sa voix roula, grave : « Une pièce, m’sieur. » Un type en costard ralentit, fouilla sa poche, et laissa tomber une pièce qui tinta sur le bitume. Magda s’approcha d’une femme à talons, son mégot éteint pendant à ses lèvres. Elle tendit une main, toussa bruyamment, et la femme recula avec dégoût. Magda cracha en sa direction et l’insulta de tous les noms. Les gens s’écartaient sur son passage. Riton, lui, rôdait près d’un kiosque, ses yeux suivant un ado qui jetait une canette à moitié pleine. Il plongea, la saisit, et vida le fond dans sa gorge avant de la fourrer dans son sac. Il en faisait des cendriers et ensuite il les revendait ; c’était pour ça qu’il avait tout le temps les paumes entaillées.
Le soir tomba, une lumière orange filtrant à travers les vitres crasseuses de la gare.
Ils se retrouvèrent derrière un supermarché proche, une cour jonchée de palettes cassées et de cartons trempés. L’odeur de viande avariée flottait, montant d’une benne ouverte où Riton fouillait, ses mains plongeant dans des sacs gluants. Il en tira un bout de pain moisi, le lança à Balthazar, qui l’attrapa d’une main et mordit dedans, ses dents grinçant sur la croûte. Magda s’assit sur une palette, ses doigts tripotant la seringue vide, et alluma son mégot avec un briquet volé, une flamme vacillante dansant dans l’air humide. Elle aspira, la fumée s’échappant en volutes épaisses, et ses yeux jaunes croisèrent ceux de Balthazar. Il grogna, cracha un morceau de pain, et s’appuya contre la benne, ses bottes écrasant une boîte de conserve vide.
Un klaxon déchira le silence, un camion de livraison reculant dans la cour. Les phares balayèrent leurs visages, et Riton plongea derrière la benne, un sac sur l’épaule. Balthazar resta immobile, ses yeux plissés fixant les pneus qui écrasaient la boue. Magda toussa encore, un son creux, et se leva, ses pas légers claquant sur le bitume. Elle s’approcha de Balthazar, tendit une main tremblante, et laissa tomber le billet froissé à ses pieds. Il le ramassa, le déplia, et grogna, un son bas qui fit vibrer sa gorge. Elle s’assit à nouveau, ses doigts serrant sa pipe, et un rictus étira ses lèvres.
La nuit s’installa, une obscurité froide trouée par le ronflement d’un générateur au loin. Balthazar s’adossa à la benne, la bouteille vide roulant à ses pieds. Riton tria ses canettes, un tintement régulier montant dans l’air. Magda aspira une dernière bouffée et s’allongea, ses bras repliés sous sa tête. Un tram passa, un grondement sourd qui fit trembler le sol, et Balthazar ferma les yeux, sa main crispée sur le billet, une ombre massive dans la lumière vacillante d’un réverbère crevé.
…
Une pluie fine crépitait sur le bitume près de la gare, un voile gris trempant les auvents fissurés et les rails rouillés. Balthazar se tenait sous un abribus, son manteau gorgé d’eau pendant lourdement, ses bottes écrasant des mégots noyés dans une flaque. Ses doigts serraient une bouteille vide, qu’il lança contre un poteau dans un éclat de verre. À ses côtés, Riton fouillait un sac poubelle ramassé près d’un kiosque, ses mains calleuses sortant une canette écrasée qu’il fourra dans sa poche. Magda rôdait à quelques mètres, accroupie près d’un muret, ses yeux jaunes détaillant chaque passant ; elle essayait de deviner celui ou celle qui avait le plus d’argent.
Un bourdonnement monta soudain, un vrombissement léger qui trancha l’air humide. Une ombre passa au-dessus, un drone aux hélices clignotantes planant vers une benne derrière le supermarché. Balthazar plissa les yeux, ses narines dilatées, et suivit le drone, ses bottes claquant sur le sol mouillé. Riton lâcha son sac, un tintement métallique résonnant, et Magda se redressa, ses pas légers derrière eux. Ils débouchèrent dans une ruelle étroite, bordée de murs tagués et de poubelles renversées, où une poignée de silhouettes s’agitait sous un réverbère vacillant.
Un type boitait au centre, une béquille calée sous son bras, sa jambe gauche suintant un liquide jaunâtre qui gouttait sur le bitume. Une odeur douceâtre flottait, écœurante, mêlée de plastique brûlé. Celui qu’on nommait Pied Pourri tendit un terminal noir, ses lumières rouges et vertes clignotant, vers un passant qui s’arrêta, fouilla sa poche, et passa une carte. Un bip aigu s’éleva, le passant s’éloigna vite sous le ricanement victorieux de Pied Pourri. Derrière lui, deux gamins manipulaient des drones, leurs hélices vrombissant alors qu’ils plongeaient dans une benne, en tirant un sac de pain rassis qu’ils jetèrent à leurs pieds.
Balthazar grogna, un râle profond, et avança, ses bottes éclaboussant une flaque. Le type à la béquille tourna la tête, ses lèvres s’étirant en un rictus tordu. Il tapa sa béquille, un coup sec, et un drone pivota, ses lumières rouges frôlant le visage de Balthazar. « Tiens, le roi des poubelles », lâcha-t-il, sa voix aiguë claquant dans l’air. « T’as vu ça ? » Il leva son boîtier, appuya, et un bip résonna encore, suivi d’un rire rauque de ses hommes. « Plus besoin de remuer la merde, vieux. Bienvenue dans le futur. » Balthazar serra les poings, ses phalanges craquant, et Riton recula, ses yeux fixant le drone qui planait au-dessus.
Magda s’approcha, ses pas traînant dans la boue, et s’arrêta près de Balthazar. Ses doigts osseux saisirent sa pipe ; elle la bourra de crystal et la porta à ses lèvres, allumant une flamme vacillante avec son briquet. Elle aspira, la fumée s’échappant en volutes épaisses, et ses yeux jaunes croisèrent ceux de Balthazar. « Regarde-les », murmura-t-elle, sa voix râpeuse tranchant le bourdonnement des drones. « Ils ramassent plus en une heure que nous en un mois. Ces machins, ça prend les cartes, les bitcoins - tout ce qu’on touche pas. » Elle toussa, un son creux, et tapota le boîtier d’un des gamins, tombé dans une flaque, qui bipa faiblement. « Pendant que nous, on ramasse que des pièces rouges dégueulasses. »
Balthazar grogna encore, plus fort, et arracha le boîtier de la flaque. Il le tourna entre ses doigts, un bip aigu s’échappant, puis le lança contre le mur, où il se brisa dans un craquement d’étincelles. Le type à la béquille ricana, tapa sa béquille deux fois, et ses hommes s’avancèrent, leurs boîtiers clignotant dans l’ombre. « T’es fini, vieux », lâcha-t-il, boitant vers la benne, un drone sur ses talons comme un garde du corps personnel. Balthazar fixa les éclats du terminal de paiement, ses bottes immobiles dans la boue, et cracha, un jet épais qui s’écrasa près de Magda. Elle recula, ses yeux jaunes plissés, et toussa encore, un rictus étirant ses lèvres.
Riton ramassa son sac, ses mains tremblantes serrant une canette, et murmura : « Ils sont partout, maintenant. » Balthazar ne répondit pas. Il pivota, ses bottes claquant, et s’éloigna dans la ruelle, le manteau battant contre ses jambes.
Magda suivit, ses pas légers, et ramassa un fil du boîtier brisé, le glissant dans sa poche. Le bourdonnement des drones s’évanouit derrière eux, remplacé par le crissement des pneus sur le bitume mouillé. Sous le réverbère, une lumière vacillante tomba sur le visage de Balthazar, ses traits crispés, ses poings serrés dans ses poches.
La nuit s’installa, une obscurité froide trouée par le ronflement des plaques d’aération. Ils s’arrêtèrent sous l’escalier de la gare, la pluie gouttant sur le béton. Balthazar s’adossa au mur, ses bottes écrasant un ticket trempé. Riton tria ses canettes, un tintement sourd montant dans l’air. Magda s’accroupit, ses doigts tripotant le fil volé, et alluma sa pipe, la flamme dansant dans ses yeux jaunes. Elle aspira, la fumée flottant vers Balthazar, et murmura : « Le monde change et on ne peut rien n’y faire. On vit hors du monde, mais pas hors du temps. »
Il grogna, un son bas, et cracha encore, le glaviot s’écrasant sur le rail. Ses yeux fixèrent la ruelle, là où les drones avaient disparu, une ombre massive dans la lumière vacillante.
…
Une brume épaisse roulait dans le parking souterrain, un voile grisâtre mêlé d’odeurs de gasoil et de fer humide. Des néons volés, suspendus à des câbles tordus, crépitaient au-dessus, jetant une lumière blafarde sur des piliers de béton tachés. Balthazar se tenait près d’une flaque huileuse, son manteau déchiré battant contre ses jambes, ses bottes écrasant des éclats de verre. Ses poings serraient des tessons, leurs arêtes scintillant dans la lumière vacillante. À ses côtés, Riton boitillait, une barre de fer rouillée pendant dans sa main, ses yeux caves balayant l’obscurité.
La guerre avait éclaté sous la gare, une ombre brutale rampant dans les ruelles. La veille, Riton avait surgi d’un tunnel, traînant un gamin maigre par le col, lui arrachant son terminal des mains. Balthazar avait fracassé l’appareil contre un mur, ses bottes piétinant les éclats dans un craquement d’étincelles.
Plus tard, près d’une benne, ils avaient coincé un autre type de la bande de Pied Pourri, celui qui jouait du drone. Riton l’avait cloué au sol, la barre s’abattant sur ses côtes, tandis que Balthazar vidait ses poches - des pièces, un briquet, un bout de fil tordu. Le type avait gémi, du sang gouttant sur le bitume, avant de s’enfuir, boitant dans la nuit.
Ce soir, le parking était une arène, une foule de loques serrées en cercle, leurs visages luisants de sueur et de crasse. Pied Pourri émergea de l’ombre, sa béquille claquant sur le sol, sa jambe violette suintant un pus épais qui laissait des traînées luisantes. Une puanteur douceâtre monta, se mêlant au ronflement d’un générateur bricolé. Il leva un terminal, ses lumières rouges et vertes clignotant, et tapa sa béquille, un bip aigu tranchant l’air. « Je me suis déjà fait trois cents balles aujourd’hui ! » s’exclama-t-il. « Et toi, vieux débris, combien t’as ramassé ? »
Balthazar grogna, un râle profond, et chargea, ses bottes éclaboussant l’eau sale. Pied Pourri esquiva, vif malgré sa jambe, et abattit sa béquille sur l’épaule de Balthazar. Un craquement résonna, suivi d’un grognement sourd. La foule rugit, un chœur rauque qui vibra dans l’air tiède. Balthazar tituba, un tesson tombant de sa main, et frappa, son poing s’écrasant sur la mâchoire de Pied Pourri. Du sang gicla, mais ses jambes fléchirent, un tremblement remontant jusqu’à sa poitrine. Il tomba à genoux, le souffle rauque, la sueur gouttant sur le béton. Pied Pourri ricana, tapa sa béquille, et un drone plongea, ses lumières rouges frôlant le visage de Balthazar. Il leva un bras, tenta de l’attraper, mais ses doigts glissèrent, et il s’effondra, la joue contre une flaque huileuse.
Les rires éclatèrent, un vacarme qui rebondit sur les murs. Une bouteille de villageoise passait de main en main dans des gradins improvisés fait de vieux caddys défoncés. Pied Pourri s’approcha, sa béquille levée, un rictus tordant ses lèvres. Une ombre surgit alors, ses pas légers claquant dans l’eau. Magda. Sa veste traînait derrière elle, ses cheveux raides collés par la sueur. Elle brandit un boîtier volé, son écran fissuré clignotant, et appuya, un bip rauque s’élevant dans l’air. La foule se tut, les yeux fixés sur elle. Elle s’accroupit près de Balthazar, ses doigts osseux fouillant un sac de toile à ses pieds. Elle en tira un autre boîtier, le posa devant lui, et tapota l’écran - un bip faible, puis un autre, résonnant dans le silence.
« T’as perdu avec ta manche à l’ancienne », lâcha-t-elle, sa voix râpeuse éraflée par une toux sèche. « Les gens n’ont plus de monnaie sur eux… » Balthazar releva la tête, le visage maculé d’huile, et fixa le petit terminal. Ses doigts se crispèrent sur un tesson, le verre crissant contre le sol. Il grogna, un son bas, et le boîtier bipa encore, un écho qui fit trembler ses mains.
Pied Pourri ricana, sa béquille claquant à nouveau. « Garde ton débris, sorcière. Il est mort. » Il leva son terminal et un drone revint planer au-dessus, ses lumières clignotant en rythme. Il en sortir deux de son sac et les jeta à Magda. Elle les ramassa, vacillante, et se dirigea vers les siens. Les damnés de la rue. Quelques mains se levèrent, saisissant les appareils, des doigts sales tripotant les écrans.
Balthazar grogna et tendit une main vers Magda, ses phalanges rouges frôlant la toile de son sac. Elle s’accroupit, saisit son bras, et tira, ses os craquant sous l’effort. Il se releva, titubant, le manteau alourdi par l’eau et la crasse. Le silence tomba, lourd, seulement brisé par le crépitement des néons. Pied Pourri plissa les yeux, sa béquille immobile, puis tourna les talons, boitant vers le fond du parking, ses quatre drones flottant derrière lui comme des cavaliers de l’Apocalypse. Une partie de la foule le suivit, leurs pas traînant, mais d’autres restèrent, leurs doigts serrant les boîtiers, les yeux fixés sur Balthazar.
Il vacilla, s’appuya contre un pilier, le terminal dans sa main bipant une dernière fois. Magda s’assit sur le sol, ses jambes repliées, et ramassa un fil du sac, le tordant entre ses doigts. Balthazar fixa le néon au-dessus, clignotant en rythme, et lâcha le tesson, qui s’écrasa dans une flaque avec un tintement aigu. Ses bottes crissèrent, un pas lourd vers elle, et il s’arrêta, le souffle court, une ombre tremblante sous la lumière blafarde.
...
Une pluie froide tambourinait sur les tôles rouillées d’un abri de fortune, un coin de cour derrière le supermarché jonché de palettes cassées et de pneus crevés. Balthazar était assis sur une caisse, son manteau trempé pendant lourdement, ses bottes plantées dans une flaque de boue huileuse. Ses mains tremblantes serraient un boîtier volé, son écran fissuré clignotant faiblement sous la lumière d’un réverbère vacillant. La défaite de la veille pesait encore sur ses épaules, un écho de rires et de bips résonnant dans sa tête. À ses pieds, des tessons de verre scintillaient, vestiges d’une bouteille éclatée contre un mur dans un accès de rage.
Magda s’approcha, ses pas légers claquant dans l’eau sale, sa veste trop grande traînant derrière elle comme une ombre difforme. Ses cheveux raides collaient à son visage, ses yeux jaunes brillant dans la pénombre. Elle s’accroupit près de lui, ses doigts osseux fouillant un sac de toile taché de graisse. Elle en tira un autre boîtier, un fil pendant de son boîtier, et le posa sur la caisse à côté de Balthazar. Elle appuya, un bip rauque s’éleva, et ses lèvres s’étirèrent en un rictus édenté. « Tiens », lâcha-t-elle, sa voix râpeuse éraflée par une toux sèche. « Faut que t’apprennes. »
Balthazar grogna, un son bas qui vibra dans sa gorge, et fixa le boîtier. Ses phalanges rouges frôlèrent l’écran, un bip faible jaillissant sous son toucher maladroit. Il retira sa main, comme brûlé, et cracha, un jet épais qui s’écrasa sur une palette. Magda toussa encore, un râle profond, et tapota l’écran du sien, un bip plus net résonnant dans l’air humide. « Regarde », dit-elle, ses yeux jaunes le transperçant. « J’ai appris ça de lui. Pied Pourri. J’ai dû… » Elle s’arrêta, ses doigts serrant le fil, et un éclat sordide passa dans son regard. « J’ai dû faire ce qu’il fallait, pour qu’il me montre. Les cartes, les bitcoins, tout ça. » Elle appuya encore, un bip aigu, et donna le terminal à Balthazar.
Il se figea, ses narines dilatées, et ses poings se crispèrent, faisant craquer ses jointures. Il grogna plus fort, arracha le boîtier de ses mains, et le lança contre le mur. L’appareil rebondit, un bip mourant s’échappant dans un crépitement d’étincelles. Magda ne broncha pas. Elle ramassa un autre du sac, appuya, et un bip clair trancha l’air. « T’as plus le choix », murmura-t-elle, sa voix basse mais ferme. « On doit prendre le train en marche. » Elle posa le boîtier sur la caisse, ses doigts tremblants frôlant ceux de Balthazar.
« Et s’ils sortent de la rue, ils vont faire quoi après ? »
Il respira fort, une buée s’échappant de sa bouche, et fixa l’appareil. La pluie gouttait sur son visage, traçant des rigoles dans la crasse. Il ramassa le terminal, le tourna entre ses mains, et appuya, un bip hésitant s’élevant dans l’air. Magda hocha la tête, toussa encore, et s’assit sur une palette, ses jambes repliées sous elle. Elle sortit un fil du sac, le brancha au boîtier, et un écran clignota, affichant des chiffres flous. « Ils peuvent rester dans la rue, mais avec du fric », dit-elle simplement, ses doigts guidant les siens, un bip suivant chaque geste. Balthazar grogna, mais ne retira pas sa main, ses phalanges rouges pressant l’écran sous son regard.
La nuit s’étira, une obscurité froide trouée par le ronflement d’une plaque d’aération. Sous l’abri, la pluie crépitait sur les tôles, un rythme sourd ponctué de bips irréguliers. Balthazar appuyait, encore et encore, ses gestes maladroits devenant plus fermes, chaque bip résonnant comme un écho de sa chute. Magda toussait, ses doigts osseux tripotant les fils, et parfois ses yeux jaunes croisaient les siens, un éclat dur dans leur éclat terni. Riton surgit à un moment, son sac de canettes cliquetant, et s’arrêta sous l’abri, ses yeux fixant les terminaux. Il ramassa un tesson, le lança dans une flaque, et s’assit près de Magda, silencieux.
Le jour pointa, une lueur grise filtrant à travers les nuages lourds. Balthazar posa le terminal sur la caisse, ses bottes crissèrent, et il se leva, le manteau alourdi par l’eau. Magda s’adossa à une palette, ses mains serrant un fil, et toussa, un son qui fit trembler ses épaules. « T’as pigé », murmura-t-elle, un rictus étirant ses lèvres. Il grogna, un son rauque, et cracha, le glaviot s’écrasant sur le bitume.
Un klaxon déchira le silence, un camion de livraison reculant dans la cour. Les phares balayèrent leurs visages, et Riton plongea derrière une palette, son sac tintant. Balthazar resta immobile, ses yeux plissés fixant le terminal sur la caisse. Il le ramassa, appuya, et un bip aigu résonna, un son qui vibra dans sa poitrine. Magda toussa encore, ses doigts lâchant le fil, et s’allongea sur la palette, ses bras repliés sous sa tête. Balthazar fixa l’écran, les chiffres dansant dans la lumière blême, et maugréa.
…
Une sirène perça la brume matinale près de la gare, ses éclats rouges et bleus dansant sur les rails rouillés. Sous un escalier de béton tagué, deux ambulanciers en combinaisons blanches titubaient, leurs masques relevés, leurs visages crispés par une nausée visible. Une civière grinçait entre eux, portant un corps enveloppé dans un sac plastique noir, une jambe violette dépassant, suintant un pus jaunâtre qui gouttait sur le bitume en traînées épaisses. L’odeur douceâtre, écœurante, flottait dans l’air humide, et l’un des hommes se plia en deux, un jet de vomi éclaboussant ses bottes. L’autre grogna, un son étouffé, et poussa la civière dans l’ambulance, ses mains gantées tremblant alors que la porte claquait.
Des silhouettes en loques observaient depuis les ombres du sous-sol - clochards aux manteaux déchirés, leurs yeux caves luisant dans la lumière des phares et des sirènes. Balthazar se tenait devant, son manteau râpé battant dans le vent, ses bottes plantées dans une flaque de boue. Ses doigts serraient un boîtier volé, son écran fissuré clignotant faiblement. Magda était accroupie près d’un muret, ses yeux jaunes brillaient, sa pipe calée derrière son oreille décollée. Riton rôdait derrière, un sac de canettes cliquetant sur son épaule, son souffle rauque s’échappant en buée.
L’ambulance s’éloigna, son hurlement s’évanouissant dans la brume, et un murmure monta de la foule. Balthazar grogna, un son profond, et pivota, ses bottes crissèrent alors qu’il s’enfonçait dans le sous-sol, les autres suivant en désordre. Sous les néons vacillants, des caisses renversées et des palettes cassées formaient un cercle brut, une odeur de vin frelaté et de sueur rance saturant l’air tiède. Riton lâcha son sac, des canettes roulant sur le béton, et attrapa une bouteille brisée, vidant un fond trouble dans sa gorge. Magda toussa, un râle creux, puis tira sur sa pipe.
Balthazar grimpa sur une caisse, ses bottes claquant, et brandit une bouteille volée, le goulot fêlé gouttant sur ses phalanges. « À nous-autres les rebuts ! » rugit-il, sa voix grave roulant dans le sous-sol. Il but, un filet brun coulant sur son menton, et lança la bouteille dans la foule. Un homme trapu l’attrapa, vida le reste, et s’effondra, un haut-le-cœur le pliant, un jet de vomi éclaboussant ses bottes. Des rires éclatèrent, un chœur éraillé, et une femme aux cheveux filasse tituba, une flaque sombre s’étendant sous elle alors qu’elle pissait sur le sol, son pantalon trempé collant à ses jambes. Riton grogna, but encore, et trébucha sur une palette, son sac s’ouvrant dans un fracas de métal.
Un passant égaré s’approcha, attiré par le vacarme, ses pas hésitants sous les néons. Balthazar descendit de la caisse, tendit le boîtier, et appuya, un bip aigu tranchant l’air. Le type fouilla sa poche, passa une carte, et un bip clair suivit, ses yeux fuyant alors qu’il s’éloignait vite. Balthazar grogna, un son rauque, et glissa le boîtier dans sa poche, ses doigts rouges frôlant l’écran. Magda se leva, ses pas claquant dans une flaque, et s’approcha, un fil tordu dans ses mains. « T’as vu », murmura-t-elle, sa voix râpeuse coupant le brouhaha. « Il puait déjà la mort quand il était vivant, alors imagine maintenant. » Elle tendit le fil, un bip faible s’échappant d’un boîtier dans son sac, et ses yeux jaunes croisèrent les siens. « Ceux qui restent à l’ancienne, ils crèvent. Sinon, on n’aurait pas inventé la roue. Tu sais ce qui te reste à faire, maintenant, vieux débris. »
La fête s’effilocha, une cacophonie de grognements et de verre brisé. Une femme en manteau chic, ralentit près de l’entrée. Elle venait de garer son S.U.V au deuxième sous-sol. Balthazar s’avança, terminal en main, et appuya, un bip clair résonnant. Elle passa une carte, un bip suivit, et elle fila, son sac serré contre elle. Il fixa l’écran, des chiffres clignotant dans la lumière blême, et grogna encore, plus bas, une buée s’échappant de sa bouche. La foule s’éparpilla, certains tombant dans des flaques, d’autres serrant des bouteilles vides, leurs corps tremblants sous les néons. Riton s’effondra près d’une palette, une canette roulant de sa main, un filet de pisse coulant sur le béton, les paumes ensanglantées. Magda s’assit à côté de Balthazar, ses jambes repliées, et alluma un nouveau mégot, la flamme dansant dans ses yeux.
Le jour pointa, une lueur grise filtrant par une grille bouchée. Balthazar s’approcha d’un homme en veste usée qui rôdait près de l’escalier, tendit le boîtier, et appuya, un bip aigu s’élevant dans l’air humide. « C’est bien, c’est le futur, ça, » dit l’homme satisfait avant de plaquer sa carte contre la surface du terminal. L’homme passa une carte, un bip clair répondit, et il s’éloigna, tête basse. Balthazar glissa l’appareil dans sa poche, ses bottes crissèrent, et il s’avança vers la sortie du sous-sol, la foule silencieuse derrière lui. Magda suivit, ses pas traînant, et toussa, un son qui fit trembler ses épaules.
Riton revint en fin de matinée, il avait vendu une dizaine de cendriers. « J’ai récolté trente-deux euros ! » s’exclama-t-il en brandissant son terminal.
Un train passa au loin, un grondement sourd vibrant sous leurs pieds. Balthazar s’arrêta sous l’escalier, ses yeux plissés fixant la gare à travers la brume. Il barra le passage d’une jeune femme et dégaina son terminal. Il y eut un bip et la femme fila. Balthazar fixa l’écran, les chiffres dansant dans la lumière blême.