Mise en demeure

Le 01/06/2025
-
par Christophe Connart
-
Dossiers / "Trop bizarre pour vivre, trop rare pour mourir"
Monsieur, votre missive, aussi truculente que véhémente, m’a interpellé par son style incandescent, mais permettez-moi de répondre avec mesure et clarté, en m’appuyant sur les cadres légaux qui régissent notre action. L’organisation de ce concours littéraire, loin d’être une atteinte à votre personne, relève de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tant qu’elle ne porte pas préjudice à votre honneur ou à votre vie privée, protégés par l’article 8 de la même convention. Votre droit à l’image et à la vie privée, consacré par l’article 9 du Code civil français, n’est pas violé ici, le concours se bornant à une célébration fictionnelle sans exploitation indue de votre identité. Toute menace de poursuites judiciaires devra être étayée par des preuves concrètes d’un préjudice, conformément aux exigences de l’article 1240 du Code civil, qui fonde la responsabilité civile sur le principe du dommage avéré. Enfin, vos allusions à des actes d’intimidation sont prises au sérieux, mais sachez que de tels propos pourraient engager votre responsabilité pénale en vertu de l’article 222-17 du Code pénal, réprimant les menaces de violence. Avec respect et considération pour votre verve légendaire, les admins de lazone.org
Tu annules tout de suite ce concours sous peine de poursuites judiciaires.
Alors comme ça, je découvre que tu organises un concours “littéraire” dont je suis le héros ? Je te le demande : avec quelle autorisation ? Qui t’a donné la putain d’autorisation de commémorer ma disparition ? Mon avocat ? Permets-moi d’en douter.

Tu remarqueras que je choisis mes mots : ‘disparition’.Parce que d’abord, qui te dit que je suis mort ? Tu as des preuves ? Tu l’as vu, mon cadavre encore tiède ? Qui te dit que je ne me la coule pas douce en repoussant l’échéance sur un îlot caribéen ou dans une villa des Rocheuses avec mon pote Andy ? Oui, Kaufman, tu connais un autre Andy ? Et il y aurait Marvin à nos côtés, en cavale depuis qu’il a flingué son cinglé de paternel. Marvin, un fugitif… Personne ne réalise donc que c’était de la légitime défense ! Bob nous aurait rejoint sans ce foutu crash de moto en 66. Il avait du talent ce petit, il aurait pu faire carrière. Par contre, John ne serait pas avec nous ; jamais pu piffer ce faux-cul, il a eu ce qu’il méritait et je serai le dernier à blâmer Chapman.

Chez nous, les filles ne seraient que de passage. Trop compliquées, on n’est pas faits pour passer trop de temps ensemble, elles et moi. Bon sang, elles ont changé les filles. Été 67, Grace Slick chantait « don't you need somebody to love ? » en me regardant droit dans les yeux, au Fillmore. Fameuse soirée, le punch était épicé juste comme il faut. Une décennie plus tard, Debbie - t’en connais une autre ? - feulait « one way or another » rien que pour moi. Chaudasse. (Mettons les choses au clair : je ne suis pas devenu misogyne, je suis resté misanthrope. Zéro traitement de faveur et je n’y peux rien si les filles sont en majorité, alors ne viens pas me faire la morale.) Et aujourd’hui, on a besoin de leur consentement explicite par acte notarié. Note qu’on ne leur a pas desserré la bride sans les convaincre auparavant que la sodomie, la chatte prépubère et la chirurgie plastique instagrammable étaient la norme, des pratiques banales. Les hommes sont de vils et vicieux manipulateurs, mesdames ; nous ne vous lâcherons rien sans l’avoir décidé. Eh oui, nous sommes tous autant que nous sommes de fieffés enculés.

En parlant de ça, il est bien le type choisi pour m’incarner à l’écran. Du grand art, je n’aurais pas mieux fait.

Et en parlant de sodomie, sais-tu ce qui a failli avoir ma peau ? Le porno sur internet. Tellement accro que j’en oubliais mes sessions au stand de tir. Je me suis soigné après avoir cliqué sur la catégorie homeless juste au-dessus de homemade. De toute façon, je ne branle plus que pour réguler ma tension, marre de risquer la crise cardiaque à chaque tentative pour un vulgaire crachat dans le néant.

Mec, je ne sais pas qui tu es, mais je te tire mon Stetson. Tu es parvenu à me faire descendre mon IBM Selectric du grenier. Je ne te le cache pas, j’ai râlé. J’ai maudit tous les puceaux stériles de ta descendance sur quatre générations (pas plus, j’ai du mal à projeter l’humain au-delà du siècle).
Ça me troue le Luc de te le dire, mais je vais devoir te remercier. Voilà, c’est fait. Je te remercie car - contre toute attente -, je prends plaisir à martyriser de nouveau les touches après une si longue absence. Mes doigts arthrosés se délient. Je me sens comme jeune Wolfgang qui compose son canon à six voix en si bémol majeur, Leck mich im Arsch, “lèche-moi bien le cul, et proprement”. Tu le savais ça ? Tu croyais le connaître, le génie intemporel ?

                                             ֍

Si ça tombe, tu n’es pas irrémédiablement détestable malgré ton concours à la mords-moi-le-nœud, tes commémorations à la lèche-moi-le-gland. Tu me donnes presque envie de me confier. Tu t’en doutes, je me contrefous royalement de la marche du monde. Trop la sensation d’être un papillon voletant de merde en merde. Je vivote peinard, qu’on me foute la paix.
Je me suis interessé un moment au MAGA en chef, j’avoue. Me garantir du pétrole pour ma Red Shark et des cartouches pour ma long riffle, m’en fallait pas plus pour me pousser à voter pour la première fois de ma vie. Nous faire marcher en armes sur le Capitole, c’était couillu, respect. J’ai lâché l’affaire depuis que je suis plus capable de conduire et que le président fricote avec l’autre technofacho, faut pas pousser. Tu remarqueras que je l’avais vu venir, le délire et la déréliction des new age post-hippies. S’il y a bien un truc qui me branche dans ce monde moderne, c’est la manière dont cette élite est parvenue à mater la jeunesse. Les abrutir devant l’écran tout en l’interdisant à leurs propres gosses, voilà qui frise le génie.

Passe me saluer à l’occasion, tu seras surpris de voir comment je vis. J’ai arrêté de boire. Ça t’en bouche un coin ? Bam, sevré du jour au lendemain sur un lit d’hôpital après une alerte à l’AVC. Dans la stroke unit, le mec d’à côté n’a pas passé la nuit, forcément ça fait réfléchir. J'aurais pu lacher la clope tant que j'y étais ; je n'ai pas su, cette merde est plus forte que moi. Par contre, j'y vais mollo sur les autres drogues. Je ne fume plus que le joint, éh ouais. Je cultive, ils me cassent les burnes avec leurs taux de THC stratosphériques. Une sativa pour la journée, Jack Herrer sinon rien ; et une petite hindu kush en soirée pour trouver le sommeil.
Là, je grignote un trois feuilles en t’écrivant ; le 45 tours de Don't bogart that joint passe en boucle. Sans ce satané fauteuil sur roulettes, je me croirais revenu au bon vieux temps. Avec Iggy et Keith, je suis la preuve mort-vivante qu’on ne paie pas l’addition pour une vie d'excès et de débauche. Non, il est enterré le bon vieux temps. Comme mes jambes, comme la trique, comme Bob. Je m’en tape. Quand la faucheuse passera, je serai heureux de redevenir goutte dans l’océan. Je suis une tombe à retardement ; je serai un mort reconnaissant.

                                         ֍

Sale traître !!! tu commençais à me plaire, je te fais des confidences, j’étais même prêt à te filer des conseils et que lis-je sur ton appel à texte : « Les propos à caractère fasciste ou raciste seront supprimés sans préavis. » Non mais quoi le phoque ? Tu te paies ma tronche ? Tu attends quoi de moi dans ce cas ? De la grossophobie ? Genre une blague bien grasse sur le sandwiche de Mama Cass ? De l’homophobie alors ? Eh bien tu vas être déçu. Sache que je n’ai rien contre deux mecs qui s’enfilent. Je n’appelle à les buter que quand ils défilent pour me dire ce que je dois penser. Dans sa chambre, chacun est libre de baiser qui il veut, ne compte pas sur moi pour condamner la perversité.

Écoute-moi bien petit prétentieux, ton concours est une bouse fraîche. Attends-toi à ce que je mette mon avocat sur le coup. De la branlette pour écrivains ratés. Pour gratte-papier frustrés qui s’imaginent faire du gonzo sans jamais avoir connu le trip ou s’être afonné un litre de Chivas Regal pur. Qui veulent du sensass' sans se mettre en danger. Alors ton hommage, tu te le carres où tu penses. Pour ma part, je suis plus qu’honoré de ne pas y contribuer. Et préviens le gagnant : je sais où crèchent ses enfants. Fais gaffe, j’ai remis la main sur mon 645.
Je ne te dis pas au revoir, aucune envie de te revoir.