Dernière descente pour Gonzo Acte 2

Le 28/06/2025
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par Lionel Favennec
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Dossiers / "Trop bizarre pour vivre, trop rare pour mourir"
Tornade littéraire, cri gonzo qui déchire les voiles d’un monde asphyxié par les stories sponsorisées et le vide médiatique. Avec une prose acérée, l’auteur dynamite les conventions, transformant son journal en virus contagieux qui échappe à tout contrôle, à la fois satire féroce et confession brûlante. Si la fuite finale vers le silence semble un aveu d’impuissance, elle résonne comme un ultime acte de résistance contre la récupération. Un uppercut stylé, qui cogne fort mais laisse un goût de cendres : le réel, lui, reste insaisissable.
Ceci n’est pas une suite. Ceci n’est pas un manifeste. Ceci n’est même plus un texte.
C’est une contagion. Une traînée de poudre allumée par un auteur qui refuse la statue, fuit le récit, et explose le cadre à chaque ligne.
Ce journal est une fuite organisée, une dernière gifle avant l’effacement.
Le style ? Une arme.
Le silence ? Une réponse.
Bienvenue dans la suite de l’infection.
Gonzo n’est pas mort. Il a muté.
Dernière descente pour Gonzo Acte 2

Chapitre 7 : La Dissémination
Journal de bord - Jour 7
J’ai balancé le papier comme une bouteille de napalm dans une pièce bondée.
Je m’attendais à un silence gêné.
J’ai eu une explosion.
Tout a commencé deux jours après l’envoi.
J’étais dans un cybercafé à Palma, en train de boire un café qui avait le goût d’un cendrier détrempé, quand un gamin en sarouel s’est retourné vers moi :
— C’est toi le mec du texte Gonzo ?
J’ai levé les yeux. Il avait des dreadlocks bleues et un sweat avec écrit « PostVéritéCrew ».
J’ai haussé les épaules.
Il m’a tendu son smartphone.
Mon texte, intégralement republié sur un site pirate, avec une bannière clignotante :
« Dernière descente pour Gonzo - le manifeste qui fait saigner les filtres »
Déjà 80 000 vues.
Des centaines de commentaires.
Certains me traitaient de génie.
D’autres de parasite nostalgique.
Et quelques-uns, les pires, me comprenaient.

Revue de presse - Jour 9
✔ Le Monde Diplomatique : « Une satire délirante du vide médiatique, ou une confession d’addict qui touche juste. »
✔ Madmoizelle : « Une prose toxique qui sent la sueur, mais ça change de la bienveillance. »
✔ Brut : un mini-doc moche, flouté, où on voit mon dos pendant 3 secondes et la phrase en voix-off :
« Il ne veut plus informer. Il veut contaminer. »

Et puis sont venus les remix.
Un groupe de rap slovène a fait un morceau qui s’appelait « Plume dans l’œil ».
Un collectif queer a projeté mon texte sur la façade du Centre Pompidou avec une IA vocale qui lisait en boucle :
« Le journalisme est mort. On a tué le fond avec des stories sponsorisées. »
Je recevais des mails.
Beaucoup. Trop.
•    Un prof de fac à Bordeaux m’invitait à parler de « l’écriture comme sabotage narratif ».
•    Un influenceur vegan voulait m’interviewer pendant qu’on fabriquait des bougies à l’huile essentielle d’indignation.
•    Un ancien reporter de guerre m’a écrit simplement :
« Merci. J’ai arrêté de simuler. Je suis devenu chauffeur VTC. C’est mieux. »
J’ai répondu à personne.
Je me suis enfermé dans un bar miteux avec une pile de copies papier du texte.
Je les ai relues à voix haute.
Chaque phrase me brûlait un peu plus.
Je n’étais plus l’auteur.
J’étais le détonateur.

Message de Klaudia - 22h43
« On vient d’exploser tous nos stats. T’es une icône ou un virus. J’arrive pas à trancher. En tout cas, t’es invité à l’INSTITUT POUR LES ÉCRITURES RADICALES à Paris. Conférence + table ronde. On te paye le train. Please viens. Même sans flasque. »

J’ai vomi.
Pas à cause du message. À cause de moi.
J’avais réveillé un monstre.
Pas le Gonzo.
L'époque.
Je n’avais plus de papier. Plus de plan.
Seulement un bruit qui montait.
Quelque chose comme une rumeur.
Ou une fièvre.

Journal de bord - Jour 10
Le texte est sorti de mes mains.
Il bouffe les murs, les gens, les réseaux.
C’est plus une œuvre.
C’est un symptôme.
Et j’ai peur que ça me suive jusqu’à la tombe.

Chapitre 8 : L’Épidémie Gonzo
Journal de bord — Jour 12
Ce que j’ai écrit n’a pas provoqué une réaction.
Ça a déclenché une infection.
Tout a commencé avec un mail anonyme.
Objet : « Tu nous as réveillés. »
Pièce jointe : une vidéo floue, tournée en caméra thermique, où l’on voit un groupe de types masqués coller des feuilles A4 sur les vitres d’une école de journalisme.
Sur chaque feuille, une citation de mon texte.
Au ralenti, sous un remix ambient de “White Rabbit”.

Événements recensés (partiels) — Jour 13 à 15 :
•    À Lyon, une bibliothèque municipale a été redécorée avec du faux sang et des pages arrachées de Las Vegas Parano. Une banderole pendait du toit :
« L’objectivité est un leurre au service de la passivité. »
•    À Montréal, un podcast indépendant a diffusé une lecture intégrale de mon texte, accompagnée d’une nappe de synthé et d’un gars qui pleurait en fond.
•    À Bruxelles, une conférence universitaire a été interrompue par un type nu, tatoué “Vérité = Vomir”, qui a crié :
« J’accuse la réalité d’avoir perdu le goût ! »

Un mème incarné.
Le visage fatigué d’une époque qui ne veut plus faire semblant.
Klaudia m’a rappelé :
— Tu devrais venir à Paris. L’institut t’attend.
— Tu veux que je fasse quoi, exactement ?
— Parler. T’as foutu le feu, maintenant explique.
— Je suis pas un penseur, Klaudia. Je suis un pyromane fonctionnel.
— C’est pour ça qu’on te veut.
— Je vais y réfléchir.
— T’as déjà dit oui.

Je suis allé à la Poste.
J’ai acheté un billet de train.
Première classe, pour la blague.
J’ai griffonné un truc sur l’enveloppe du billet :
« Si je crève dans le TGV, ce sera une métaphore parfaite. »

Journal de bord — Jour 16
Les gens ne lisent plus pour comprendre.
Ils lisent pour se rallumer.
J’ai inventé une allumette.
Et maintenant, les forêts brûlent.

Dans le train, j’ai été reconnu par une ado qui m’a tendu un exemplaire de mon texte imprimé sur du papier kraft.
Elle m’a dit :
— C’est vous qui avez écrit ça ?
— Peut-être. Pourquoi ?
— J’ai quitté mon école après avoir lu. J’ai plus envie de devenir journaliste.
Je n’ai rien dit.
Elle a souri.
— C’est pas grave. J’ai envie de dire la vérité, quand même.
Puis elle est repartie vers sa mère, deux sièges plus loin, comme si de rien n’était.

À Paris, je n’ai pas été accueilli.
J’ai été attendu.
Des affiches sur les murs :
« GONZO IS A VIRUS »
« LE RÉEL COMME ACTE DE GUERRE »
« VIENS TE FAIRE DÉSINTOXIQUER PAR LE VRAI »
Un type m’a tendu une écharpe avec écrit « L’auteur est un débris sacré ».
J’ai répondu :
— Je ne suis pas votre modèle.
Il a souri :
— C’est pour ça que ça marche.

Le soir, une projection clandestine de mes carnets scannés a eu lieu sur la façade de Sciences Po.
Un drone a lâché des tracts en forme de flasque.
Dedans :
« Ceci est un cri. Ceci est le vôtre. Ne redevenez pas sages. »

Journal de bord — Jour 17
Le texte n’était pas un hommage.
C’était un virus.
Et maintenant, le monde tousse.

Chapitre 9 : L’Offensive
Journal de bord — Jour 19
Le plus dangereux, ce n’est pas d’être censuré.
C’est d’être récupéré.

Le lendemain de mon arrivée à Paris, j’ai été convié à une « réunion stratégique » dans un loft du 11e, au-dessus d’un coffee shop où l’on vend des flat white au CBD et des tote bags « Kill Your Algorithm ».
Le lieu sentait la cire d’abeille et le marketing de gauche.
Autour de la table : une militante TikTok, un type en blazer vintage qui disait « performativité » toutes les trois phrases, et une éditrice crypto-libertaire qui fumait des clopes en papier Bible.
Le type en blazer a ouvert le bal :
— T’es devenu un symbole. On pense que ça peut être un mouvement.
J’ai levé un sourcil.
— Un mouvement de quoi ?
— De réalignement radical. Une guérilla narrative.
— Vous parlez comme un brief de start-up qui vend du sabotage en gélules.
L’éditrice a souri.
— On veut lancer une revue. T’en serais le totem. Pas une ligne éditoriale : une ligne d’instabilité.
— Vous voulez faire un média ?
— Non. Un virus imprimé. Format samizdat. Tirage limité. Papier qui sent la sueur et la panique.
— Et vous voulez que je dirige ça ?
— Non. Que tu l’incarnes. Juste ton nom. Un hologramme littéraire. Une empreinte.
— Et si je dis non ?
— Quelqu’un d’autre le fera. On vit dans un monde où tout est franchisable. Même l’anarchie.
Je me suis levé.
Je suis parti sans claquer la porte.
Pas par politesse.
Par fatigue.

Journal de bord — Jour 20
Ils veulent l’incendie. Mais avec un extincteur design.
Le Gonzo n’est pas une marque.
C’est une fuite.
Et je vais la suivre.

La nuit suivante, j’ai marché jusqu’au périphérique.
Sous un pont, j’ai croisé un type qui peignait au pochoir sur un mur :
« VÉRITÉ OU SILENCE — TU NE PEUX PAS AVOIR LES DEUX »
Je lui ai demandé ce qu’il faisait.
Il m’a répondu :
— Je copie. Mais avec foi.
Puis il m’a tendu une cannette de bière tiède.
On a bu sans parler.
J’ai compris.
J’étais devenu un catalyseur.
Et je détestais ça.

Le lendemain, j’ai pris un billet pour nulle part.
Direction : hors de la ville.
Sans carte.
Sans GPS.
Seulement un carnet et un doute.

Journal de bord — Jour 21
Je ne suis pas une référence.
Je suis un témoin contaminé.
Et maintenant, je pars.
Pas pour m’effacer.
Pour éviter de devenir une statue.
Les statues, ça finit toujours décapité.


Chapitre 10 : Le Départ

Journal de bord - Jour 23
Je ne voulais plus écrire.
Je voulais disparaître sans devenir mystique.
J’ai pris un Blablacar pour Avignon.
Le conducteur s’appelait Maxence.
Il écoutait un podcast sur le développement personnel et conduisait comme s’il fuyait une scène de crime.
— Et toi, tu fais quoi dans la vie ?
— Rien.
— Genre en reconversion ?
— Non. Je fais rien.
— Ah.
Il n’a plus parlé pendant trois heures.
C’était parfait.
Je suis descendu à une station essence en bord d’autoroute.
J’ai marché jusqu’à un hôtel Formule 1.
Chambre 8. Murs sales. Odeur de javel et de sommeil industriel.
J’ai dormi seize heures d’affilée.

Le lendemain, j’ai acheté un vélo.
Pas un VTT stylé.
Un vieux Peugeot jaune avec une sonnette rouillée et une selle en mousse molle.
Je suis parti vers l’Est.
Pas de plan.
Juste une direction.
La sortie.

Pendant trois jours, j’ai pédalé.
À travers des villages qui sentaient le crépuscule, des forêts où le réseau se taisait.
J’ai mangé des chips, bu de l’eau tiède, dormi dans des granges abandonnées.
Plus de likes.
Plus de textos.
Plus de réflexions méta sur le langage ou l’engagement.
Seulement la route.
Et moi.
Et ce foutu vélo qui grinçait à chaque descente.

Journal de bord — Jour 26
Je ne suis pas en exil.
Je suis en décapage.
Chaque kilomètre enlève une couche.
L’auteur.
Le mythe.
Le parasite.
Peut-être qu’à la fin, il restera quelque chose de vivant.

Le quatrième jour, j’ai trouvé une maison vide.
Pas un squat. Pas une ruine.
Juste une bâtisse en pierre, posée là comme un secret.
À l’intérieur :
— une table,
— une lampe à pétrole,
— une vieille machine à écrire Remington.
Pas de Wi-Fi. Pas d’électricité.
Juste du silence.
Et un mot griffonné sur un post-it collé au mur :
« LE VRAI S’ÉCRIT SANS PUBLIC. »
J’ai compris que j’étais arrivé.
Pas quelque part.
Mais en-dehors.

J’ai allumé la lampe.
J’ai sorti le carnet.
Et pour la première fois depuis longtemps…
je n’ai rien écrit.
J’ai laissé le vide parler.

Journal de bord — Jour 27
J’ai fui l’écho.
J’ai fui la pose.
Je suis en train de redevenir.
Peut-être que c’est ça, la dernière descente :
Pas une chute.
Mais un atterrissage.






Chapitre 11 : L’Abri
Journal de bord - Jour 31
Le silence ne t’offre pas la paix.
Il te livre à toi-même. Nu. Sans maquillage verbal.
Et parfois, tu détestes ce que tu vois.

Je suis resté dans la maison.
Un jour. Puis deux. Puis une semaine.
À ne rien produire. À ne pas "documenter".
À juste être là.
J’ai appris à allumer un feu.
À cuisiner du riz avec une casserole cabossée.
À écouter le vent comme un vieux podcast organique.
J’ai lu. Des livres oubliés. Des vieux manuels d’astronomie. Des notices de médicaments.
Tout devenait sacré dès que c’était inutile.

Jour 35
Un chien est venu.
Un bâtard maigre, les côtes en xylophone, le regard comme une chanson de fin du monde.
Je l’ai appelé Buzz.
Pas en hommage à l’astronaute.
En hommage à cette vibration sourde dans le crâne quand tu sais que tout a basculé.
Il ne m’a pas quitté depuis.
Il dort contre la porte.
Il grogne dans ses rêves.
Je crois qu’il m’évalue.

Jour 37
J’ai essayé de réécrire.
Pas pour publier.
Pour me parler.
Mais la machine à écrire s’est bloquée.
Lettre coincée : le G.
Comme Gonzo.
Comme Gifle.
J’ai ri.
Puis j’ai pleuré.
Puis j’ai dormi 14 heures.

Un matin, j’ai entendu un moteur.
Une voiture.
Première depuis dix jours.
J’ai regardé par la fenêtre.
Un van noir. Sans plaque.
Deux personnes en sont sorties.
Pas la police.
Pire : des journalistes.
Ils m’ont trouvé.
Ils ont frappé.
J’ai hésité.
Puis j’ai ouvert.

Une femme m’a tendu une enveloppe.
À l’intérieur : une invitation.
Symposium International sur le Réel Radical - Berlin - Intervention principale : "Le silence comme sabotage".
Et en bas, écrit à la main :
“Tu peux encore dire non. Mais le monde t’écoute, que tu le veuilles ou pas.” - K.
Klaudia. Toujours elle.

Journal de bord — Jour 39
Je suis parti pour fuir l’onde.
Mais j’étais l’épicentre.
Et maintenant le monde revient avec ses micros, ses projecteurs, ses promesses vides.
Je suis seul dans une maison sans réseau.
Et pourtant, je suis toujours en ligne.
Dans leurs têtes.
Dans leurs fantasmes.

Et maintenant ?
Je peux tout refuser.
Rester ici.
Éteindre la lampe.
Devenir un fantôme fonctionnel.
Ou je peux y aller.
Non pas pour être écouté.
Mais pour corrompre la salle de l’intérieur.
Pour dire la seule chose qu’aucune keynote ne peut digérer :
Le réel n’est pas un produit.
Le réel vous hait.

Chapitre 12 : Berlin
Journal de bord - Jour 45
Je ne vais pas à Berlin pour être entendu.
J’y vais pour foutre un micro dans la gorge de la bête et lui faire vomir ses slogans.

J’ai pris un train de nuit. Pas par nostalgie. Par nécessité.
Buzz dormait à mes pieds. Il a pissé sur une valise Vuitton d’un influenceur en burn-out.
Personne n’a réagi. Tout le monde était trop occupé à méditer sous casque Bose.
J’ai dormi trois heures, l’estomac vide, le cœur sec.
À l’arrivée : froid coupant, ciel de béton. Berlin en mars, c’est comme une friche mentale avec du Wi-Fi.

Le Symposium du Réel Radical se tenait dans une ancienne usine transformée en lieu « post-disciplinaire ».
À l’entrée, une pancarte :
“Ce qui ne peut être disrupté sera effacé.”
Je suis passé entre des gens qui portaient des vêtements fabriqués à partir d’anciens manifestes recyclés.
Certains se filmaient en train de ne pas filmer.
D’autres lisaient en silence sur des écrans éteints.
Un comité m’a accueilli.
Je n’ai retenu qu’un nom : Marla, spécialiste en « méthodologie disjonctive ».
— Tu vas parler en clôture, m’a-t-elle dit.
— Vous êtes sûrs ?
— Tu es le climax narratif. Le dernier acte.
— Je suis une fracture ouverte.
— Parfait.

Salle comble. 500 personnes.
Lumière tamisée.
Hashtag projeté en boucle : #RageSansRetour
On m’a tendu un micro.
J’ai refusé.
J’ai sorti un vieux dictaphone.
Je l’ai posé sur la table.
Et j’ai dit :

**« Voilà. Je suis pas ici pour vous donner un espoir, un plan ou un storytelling.
Je suis ici pour déclarer la fin.
La fin de l’illusion que l’écriture sauve.
La fin du fantasme que la vérité peut encore se transmettre par un TEDx ou une story bien montée.
Vous êtes là pour ressentir.
Mais pas pour changer.
Et c’est ça le problème.
Vous transformez chaque cri en contenu. Chaque souffrance en panel.
Vous ne voulez pas la réalité.
Vous voulez une performance crédible de la réalité.
Un trauma sous-titré.
Mais le réel…
Le réel, il n’a pas de format.
Il débarque en silence, sans tag, sans trigger warning.
Et il vous bouffe.
Comme Hunter.
Comme moi.
Comme vous, dans deux ans, quand votre burn-out sera monétisé en NFT. »**

Silence.
Pas un applaudissement.
Une femme a pleuré.
Un homme s’est levé et est sorti.
Buzz a grogné.
Et moi, j’ai soufflé.
Fin du numéro. Fin du cirque. Fin du style.

Journal de bord - Jour 46
Je ne suis pas guéri.
Mais je suis propre.
Propre de tout désir d’être interprété.
Je ne suis pas un écrivain.
Je suis un déraillement avec des bras.

Chapitre 13 : Le Règlement
Journal de bord — Jour 48
J’ai jeté une grenade dans la salle.
Mais le monde est trop blindé pour exploser.
Alors maintenant, il m’applaudit.
Et je vomis.

Le lendemain du Symposium, mon nom était partout.
“Un manifeste brut pour l’ère post-vérité”
“Le dernier cri de l’authenticité”
“Le nouveau prophète du chaos conscient”
Ils ont repris mes phrases, sans comprendre.
Ils les ont transformées en citations Instagram, avec des typos script et des fonds de coucher de soleil.
Une boîte de prod m’a proposé une mini-série documentaire.
Un think tank berlinois voulait organiser une table ronde :
“Entre nihilisme créatif et urgence de sens : peut-on guérir du Gonzo ?”
Et Buzz, mon chien, avait désormais un compte TikTok géré par un collectif féministe anarcho-végan.

Klaudia m’a appelé.
— Tu veux qu’on fasse une version imprimée ? Petite édition indé. Couverture kraft.
— T’as pas compris.
— Justement si. Mais si tu veux vraiment qu’on ne fasse rien… dis-le. Je suivrai.
Je n’ai rien dit.
Elle a raccroché.
Et elle a tenu parole.

Journal de bord — Jour 51
Le problème, c’est pas le bruit.
C’est l’écho.
Le monde ne t’écoute pas.
Il te réplique.

J’ai passé deux jours enfermé dans une chambre d’hôtel sans miroir.
Pas pour me cacher.
Pour ne plus me voir en produit dérivé.
J’ai failli accepter une interview.
Puis j’ai regardé mes mains.
Elles tremblaient.
Pas de manque. Pas de peur.
Juste une lucidité extrême :
Si je parle encore, je mens.

Alors j’ai décidé.
Fermeture définitive.
Plus de posts.
Plus de textes.
Plus de moi.
J’ai laissé un message vocal à Klaudia :
“Dis que je suis mort, ou que je suis parti. Ce sera pareil.”
Elle a répondu par un emoji flamme.
Pas ironique. Juste… approprié.

J’ai vendu le téléphone.
J’ai donné Buzz à une vieille dame croisée dans un parc.
Il m’a regardé comme s’il comprenait.
Il est parti sans se retourner.

Journal de bord — Jour 52
Je ne sais pas où je vais.
Mais j’y vais sans lecteur.

Chapitre 14 : Disparitions
[Fragments retrouvés dans un carnet sans nom, laissé sur une table d’auberge près de Thessalonique.]

01
Le réel n’a pas de forme.
Il se faufile entre les mots qu’on choisit mal.
Et parfois, il s’échappe par la bouche des fous.

02
Je vis maintenant dans des marges.
Pas géographiques.
Syntaxiques.
Je suis une note de bas de page sans corps de texte.

03
Une femme m’a demandé hier :
— Vous écrivez ?
J’ai répondu :
— Non. Je disparais.
Elle a ri.
Puis elle a pleuré.
Puis elle est partie.

04
J’ai vu une église en ruine.
J’ai écrit sur le mur :
"Dieu est une faute de frappe."

05
Parfois je rêve d’Hunter.
Il me parle depuis un bar vide.
Il dit :
— T’as pas compris. Le style, c’est pas pour décorer. C’est pour saigner proprement.
Puis il me sert un shot.
Je bois.
Je me réveille.

06
J’ai brûlé mes notes.
Pas par haine.
Par amour du non-archivable.

07
Il y a un café à Istanbul où quelqu’un lit encore mon texte.
Il ne sait pas que je suis là.
Il ne saura jamais.
C’est parfait.

08
Le Gonzo n’est pas un genre.
C’est un suicide en différé.
Une manière d’écrire en se sachant traqué.

09
Je ne suis plus un nom.
Je suis un virus qui infecte les récits.
Et j’ai muté.
Maintenant, je m’écris dans les silences.

10
Dernière ligne avant l’effacement total :
“Tu ne me trouveras pas.
Mais si tu perds pied, je serai la voix dans ta chute.”

[Fin du carnet.]

Épilogue : Klaudia
[Brouillon non envoyé — daté du 15 mai, 03:22]
Objet : Où que tu sois.

Je ne sais pas pourquoi j’écris ça.
Tu ne le liras pas.
Ou peut-être que si.
Peut-être que tu as tout prévu.
Peut-être que tu lis encore, en silence, derrière un pseudonyme, sur un vieil écran, dans un village où le Wi-Fi met 30 secondes à charger un mot.
Tu nous as laissés.
Mais pas comme les autres.
Pas avec un burn-out. Pas avec un post LinkedIn.
Avec une bombe.
On l’a publiée comme tu l’as voulu : brutale, sans filtre, presque illisible.
Et pourtant, elle est devenue culte.
Des lecteurs m’envoient des mails en pleurant.
Des profs veulent l’enseigner.
Un festival veut te décerner un prix posthume.
Mais moi je vois autre chose.
Je vois le vide après le cri.
Je vois un homme qui a tout donné pour dire une vérité que personne ne peut digérer sans s’effondrer un peu.
J’ai reçu des messages de ton chien. Enfin, de la vieille qui l’a recueilli. Elle dit qu’il aboie chaque fois qu’un livre tombe.
Je crois que c’est un signe.
Parfois je me demande si tu vas réapparaître.
Pas dans la presse.
Pas dans le réseau.
Juste là, un soir, à la terrasse d’un bar, avec ton vieux carnet et une voix qui dit :
“C’était pas la fin. C’était le début du silence.”
Mais si tu ne reviens jamais…
Sache un truc.
On t’a pas oublié.
On a pas tenté de te récupérer.
On t’a juste… laissé infecter.
Ton texte tourne.
Comme une onde.
Comme une vieille fièvre.
Et quelque part, ça me suffit.
Parce que c’est ça que tu voulais, non ?
Pas la gloire.
Pas la clarté.
Juste la contagion.
Alors merci, connard.
Merci pour le feu.
— K.

Post-scriptum
Note manuscrite, pliée en quatre, encre noire sur papier jauni.

Klaudia,
Si tu lis ça, c’est que le feu a pris.
Je ne reviendrai pas. Ce n’est pas un effet de style. C’est une nécessité.
J’ai fui l’image, le récit, la boucle. Pas par peur. Par respect.
On ne peut pas gueuler "le système est un piège" et ensuite poser pour la promo.
Je t’ai tout donné : la chute, la merde, l’éclair. Tu en as fait ce qu’il fallait.
Maintenant c’est à toi — à eux — de contaminer à leur tour.
Ce que j’ai écrit n’est pas une œuvre.
C’est une capsule de rage, lancée dans un monde qui ne sait plus pleurer sans le filmer.
Et si un jour tu ressens à nouveau ce besoin de hurler, de trahir les formats, de dire la vérité même si elle grince...
Tu sauras où me trouver.
Pas sur les réseaux.
Pas dans les bars.
Mais dans les interstices.
Là où plus personne ne regarde.
Là où le réel n’est plus monétisable.
— G.

Fin.