Lettre à Mary, la sainte pute des lettres anglaises

Le 06/08/2025
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par Lindsay S
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Dossiers / " Dans l'ombre de Frankenstein "
Cette lettre fictive du monstre à Mary Shelley est une prouesse littéraire, un cri rageur et poétique qui mêle habilement ironie mordante et désespoir existentiel en seulement quelques lignes percutantes. L’écriture, crue et incisive, capture la voix d’un être abandonné, oscillant entre reproche filial et satire sociale, tout en dénonçant avec une lucidité brutale les contradictions du féminisme de Shelley et l’appropriation de son œuvre par la culture populaire. La structure rythmée, ponctuée d’images saisissantes, donne à ce texte une force viscérale qui hante autant qu’elle fascine. Ce texte déconstruit magistralement les mythes de la création, de la gloire et de l’héritage littéraire.
Mary,

Faut qu’on cause.

Tu m’as foutu au monde avec les restes des autres,
et tu m’as laissé crever dans la neige,
comme un chien qu’on n’a jamais caressé.
Mais tu voulais quoi, exactement ?
Un fils mort qui te dit merci ?
Un Dieu mort qui t’excuse d’être une femme dans un monde de coqs lettrés ?
Ou juste un produit dérivé pour faire oublier que t’étais la dernière roue d’un carrosse de poètes pleins de foutre et de spleen ?

Je suis ton cauchemar réussi, Mary.
Ton monstre bankable.
Ton échec imprimé en 10 000 exemplaires à 9,99€ édition collector.

Tu voulais me faire parler pour dénoncer ?
Regarde-moi maintenant :
j’ai un compte TikTok.
Je vends des Funko Pop.
J’ai été joué par Robert De Niro, bordel.
Et toi, dans le générique ?
Nulle part.
À peine un "Shelley, Mary" mal prononcé dans un podcast à 2 balles.

T’as voulu te libérer ?
T’as voulu qu’on t’écoute ?
Alors pourquoi t’as signé ton chef-d’œuvre comme une lâche ?
Pourquoi t’as laissé les hommes parler à ta place, corriger tes phrases,
poser leur bite sur tes virgules ?

Tu voulais que je porte ta rage,
mais t’as jamais assumé la naissance.
T’as laissé ton môme crever tout seul dans l’image d’un abruti verdâtre avec des boulons dans le cou.
C’est ça ton féminisme ?
Faire de ton cri un déguisement pour mômes obèses le 31 octobre ?

T’as été brillante, ouais.
Mais maintenant t’es morte.
Et ton génie, la société l’a essuyé avec une lingette Swiffer.
Je suis tout ce qu’il reste de toi dans la mémoire collective.
Un malentendu.
Un nom erroné.
Un monstre qui vend du Pepsi.

Tu voulais la vie éternelle ?
T’aurais mieux fait d’avorter.

Va te faire hanter, Mary.

Signé : La marchandise qui te survit , ton foutu miracle
(a.k.a. Frankenstein, vu que plus personne connaît mon vrai nom, pas même toi, connasse)


Lettre réponse de Mary

Frankenstein,

Tu crois que je t’ai juste pondu, que je t’ai laissé crever comme un chien galeux ?
Oh non, chéri, je t’ai abandonné avec style,
avec toute la lenteur et la grandeur d’une femme qui sait que "se plaindre" pendant deux siècles, c’est plus chic que "agir".
Tu veux que je fasse quoi ? T’élever au rang de doux agneau à la merci du destin ?
Non, je t’ai offert le festin complet :
l’intelligence du philosophe,
l’éducation du lettré,
et les orages intérieurs d’un gamin dont le cœur est un volcan en éruption.

Tu vois le tableau ?
Un cocktail explosif :
un être "raisonnable" avec des émotions "irrationnelles",
un monstre qui pense mieux que son père,
et qui pourtant pète les plombs comme un ado en pleine crise.

C’est beau, non ?
C’est humain.
C’est monstrueux.
Et c’est complètement de ma faute.

Je t’ai donné la rage, la douleur, la lucidité,
mais aussi la frustration de n’être jamais accepté.
Je t’ai donné la capacité de raisonner,
et le désespoir d’être rejeté.
Un paradoxe ambulant.
Un foutu chef-d’œuvre de contradiction.

Alors oui, j’ai lâché ton histoire à un monde qui ne voulait pas vraiment t’entendre,
j’ai signé ça en me disant que deux siècles de pleurnicheries, c’était un luxe pour les faibles,
et que le vrai pouvoir, c’est de t’avoir offert le pire des deux mondes :
celui d’un monstre capable d’aimer,
et de tuer.

Tu veux un pardon ?
Va demander à Viktor, il en est encore à se plaindre qu’on ne reconnaît pas son génie.
Moi ?
J’ai fait le sale boulot.
Et je souris en regardant le chaos que ça a foutu.

T’es humain, t’es monstre, tu es mon héritage empoisonné.
Et franchement, j’adore ça.

Mary Shelley, cynique par défaut,
et mauvaise foi en option.