Je m'imagine que l'on me pose cette question (on me l'a déjà posée mais à nouveau je l'imagine) : « Quel est ton pays ? » Et je m'imagine que je répondrais (je l'ai déjà répondu mais on repasse inlassablement par les mêmes chemins peu importe la destination) que je n'ai pas de pays, et je rajouterais même que personne n'a de pays ; ou bien si, je répondrais que notre pays est notre sang, les souvenirs qu’il transmet via l’enfantement, la descendance, voyageant de veines en veines. Je dirais ainsi que ma nation est le tsiganisme, que je ne suis pas français, que je suis là comme je pourrais ne pas être là et que dans tous les cas je demeurerais le même, que mon sang ne bougerait pas. Puis je repenserais à des gens, des visions, des objets qui sont eux de ma famille, qui la forment et je rajouterais que je pourrais tout à fait être le frère d'un chimpanzé s'il me ressemblait, si on passait tous deux par les mêmes émotions, les mêmes angles de vues. J'ai le sang cosmopolite, c'est comme ça, je ne pourrais m'enfermer entre les frontières du chauvinisme sexuel. Ainsi la politique ne m'intéresse pas, je n'ai aucune raison de militer pour ce qui m'appartient déjà, ce qui nous appartient à tous, ce qui coule tout seul, est en nous. Aujourd'hui je suis ici mais je ne suis pas ici, je veux dire littéralement, je ne suis ni un lieu ni une origine géographique, je suis un mouvement, une philosophie tremblante, changeante, et je pense qu'il en est de même pour toute âme ou il s’agit en tout cas d’une de mes nombreuses mais néanmoins intimes espérances. À ces questionneurs je leur dirais avant de leur cracher à la gueule que ce serait bien triste d'être à ce point obnubilé par la préservation comme si l'histoire se construisait dans l’immobilisme et que ce serait encore plus triste d'être à ce point victime des fantasmes morts de nos ancêtres que l'on souhaiterait être à leur place, aller en retournant en arrière, souhait qui me semble tout bonnement ridicule, ce qui est passé étant passé et ne reviendra pas, jamais, quoique parfois le futur peut y ressembler beaucoup mais comme je l'ai dit « on repasse inlassablement par les mêmes chemins peu importe la direction » et pourtant un voyage n’est jamais pareil à un autre parce que l'arrivée ou les circonstances ou le temps voire les trois à la fois diffèrent, ils évoluent avec nous et rien d'autre n'a d'importance que de savoir accepter le souffle du vent. Alors avant de prendre congé de ces parasites remplis d’une fausse fierté sentant le durian je leur dirais que je suis un être du présent, le vestige d'un vieux conte indien et que j'accepterais — comme la bonne petite personne que j’ai toujours essayé d’être — que l’histoire prenne aussi brutalement et tragiquement fin qu’elle a commencée, même sous mes yeux, que ce serait une chose très émouvante et que sans doute j’en pleurerais mais que ce seraient des larmes de joie de voir le pouvoir du temps ou de Dieu s’il existe se manifester de cette manière, en tuant mes ancêtres une seconde fois, dans ma soumission au monde. Puis je les insulterais de droitardés pour ne pas avoir su comprendre mon point de vue (je m’imagine via mon amour pour l’animosité qui donne de la substance aux hommes qu’ils seraient en désaccord avec moi) avant de me sauver. Enfin quand même, avant d’avoir bifurqué à gauche ou à droite ou continué tout droit, répondant à l’absurde par l’absurde, je leur jetterais peut-être derrière mon dos ce prénom italien qui est à la fois le mien, celui d’une Ferrari et celui de milliers de mangeurs de pizzas porteurs de mocassins, histoire de faire preuve de politesse.