Elisabeth : La fiancée de Frankenstein

Le 19/08/2025
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par Lindsay S
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Dossiers / " Dans l'ombre de Frankenstein "
Cette fin alternative de Frankenstein est une réinvention fascinante qui approfondit avec audace les thèmes de l’œuvre originale, tout en insufflant une intensité émotionnelle déchirante. L’écriture, d’une prose élégante et hantée, capture la descente de Victor dans une obsession égoïste, révélant une facette plus sombre et introspective de son caractère. La résurrection d'un des personnages, loin d’être un triomphe, devient un miroir terrifiant des erreurs de Victor, amplifiant le tragique de son hubris. La confrontation avec la créature, empreinte d’une compassion inattendue, offre une réflexion bouleversante sur l’identité et l’acceptation de soi. Ce texte, riche en nuances psychologiques et en images saisissantes, transcende le récit gothique pour interroger la quête désespérée de contrôle face à l’inéluctable.
Préambule

Je t’ai déjà parlé, Walton, des crimes de ma créature et de la longue traque qui me conduisit jusqu’aux glaces. Mais il est un épisode que je t’ai tu, non par oubli, mais par honte. Ce que je vais te confier maintenant ne changera rien à l’issue de cette histoire, mais il en éclaire la part la plus égoïste et la plus lâche.
Car avant de me jeter corps et âme dans la poursuite du démon, j’ai tenté de reprendre au tombeau ce qu’il m’avait arraché. Et dans ce geste, je n’ai pas seulement défié la mort : j’ai achevé de me perdre.
I. La veille

Depuis que j’ai trouvé Élisabeth étendue sur notre lit nuptial, la peau froide, la bouche entrouverte comme pour un souffle qu’elle n’aurait pas eu le temps de prendre, je n’ai plus pensé qu’à une chose : la revoir respirer. Mais je mentirais si je disais que c’était par amour pur. Je voulais la reprendre au néant pour moi, pour combler le vide qui m’écrasait, et peut-être aussi pour priver la créature de sa victoire.

Je l’ai portée dans une chambre close, froide comme un caveau. J’y ai installé mes instruments, mes fioles, tout ce que je n’avais jamais voulu revoir après ma première création. Mes mains tremblaient, mais je savais ce que je faisais. Les jours et les nuits se sont mélangés, avalés par un travail obstiné. Je n’ai plus mangé. Je n’ai plus dormi. Seule comptait l’idée de la voir ouvrir les yeux.

II. La résurrection

C’est arrivé une nuit, alors que dehors, l’orage giflait les vitres. J’ai posé ma main sur son front : il n’était plus glacé. Un frisson a parcouru son corps, un souffle est sorti de ses lèvres. Mon nom s’est échappé de sa bouche comme une prière.

Elle ne bougeait pas. Alors j’ai parlé. J’ai raconté tout : son cri, ma panique, ma décision insensée de la ramener, les heures à travailler dans le froid, à défier ce que je savais être interdit. Je n’osais pas la regarder.

Puis ses yeux se sont ouverts. J’ai reculé. Ce n’étaient pas ceux que je connaissais : il y avait dedans quelque chose de fixe et de lointain. Elle a porté les mains à son visage. Ses doigts ont palpé une joue, une tempe, comme pour vérifier qu’elles étaient toujours à elle. Puis elle a aperçu le miroir.

Le hurlement qui a suivi m’a fendu en deux. Pas un cri de surprise. Un cri de reconnaissance. Comme si elle voyait enfin ce qu’elle était devenue.

III. La créature et le départ

— Tu comprends maintenant…

La voix venait de l’ombre. Il était là. Immobile. Et son regard n’était pas celui de la haine, mais celui d’une étrange compassion.

— Il t’a ramenée, mais pas pour toi. Il t’a refaite à mon image, pas à la sienne. Tu peux rester avec lui… ou venir avec moi. Je ne te demanderai rien d’autre que d’être ce que tu es.

Je voulais parler, l’empêcher, mais je n’ai rien pu dire. Élisabeth est venue vers moi, m’a effleuré la joue. Sa main était glaciale.

— Tu m’as rendue à la vie, Viktor, mais pas à moi-même. Pardonne-moi.

Et elle est partie. Je suis resté seul dans la pièce où je l’avais ressuscitée, avec l’odeur d’ozone et de cire froide.

Les jours suivants, j’ai déliré dans la fièvre. Je voyais son visage déformé, j’entendais sa voix. Puis j’ai décidé de les suivre. J’ai traversé les forêts, les rivières gelées, jusqu’aux plaines de glace. J’ai marché jusqu’à ce que mes jambes cèdent. Au loin, deux silhouettes se perdaient dans le blanc. J’ai tendu la main vers elles. Puis tout est devenu noir.

Épilogue

Tu sais ce qui suivit : les jours de fièvre, la marche obstinée vers le Nord, les semaines passées à poursuivre deux ombres. Mais ce que tu ignores, c’est que je n’ai jamais cessé de me demander si Élisabeth, en disparaissant avec lui, n’avait pas trouvé ce que moi, je n’avais jamais su lui offrir : une forme de vérité, même monstrueuse, mais entière.
Je me suis écroulé sur la glace, croyant les voir une dernière fois, leurs silhouettes confondues dans le blanc infini. Alors, pour la première fois depuis longtemps, je n’ai plus rien voulu reprendre à la vie.