La découverte
Le vent froid cinglait les plaines désertiques de l’Antarctique. Les montagnes enneigées hérissaient l’horizon de corridors acérés. Un manteau de neige recouvrait la berge, laissant poindre par endroits des mottes de terre grasse.
Devant moi, la mer d’un bleu cru s’étendait, lisse, saupoudrée de plateformes de glace.
Emmitouflé dans un épais manteau, je plissai les yeux pour me protéger du soleil.
Cela faisait des mois que notre équipe arpentait les confins du monde à la recherche d’archives climatiques. La paléoclimatologie. Mon travail consistait à excaver les vestiges du climat pour mieux en déchiffrer l’avenir. Chaque jour, je forais le sol et les calottes de glace, récoltant des colonnes de glace striées comme des parchemins. Des pages ancestrales, comprimées en couches successives, constituant un livre fabuleux.
Ce matin-là, j’arrachais du sol une carotte avec toutes les précautions du monde. Très lentement, la glace cria dans le tube, un crissement sec. Je sentais la résistance sous mes gants et finit par l’extraire d’un seul coup. La colonne de glace apparut, translucide, figée depuis des siècles. Parfaite.
Vraiment ?
Je m’approchai davantage.
Une fracture, au cœur de la glace.
Au centre de l’éclat, une tache noire étendait ses bras sinueux. Je clignai des yeux, approchant l’échantillon de mon visage. Sous la surface gelée, des vibrilles se tortillaient, comme des artères pétrifiées. Cela n’avait rien à voir avec du carbone fossile.
Mon cœur s’accéléra.
La chose vibrait au cœur de ma main.
Tremblotant, je saisis mon téléphone.
Au bout du fil, Walton, mon comparse, s’étonna.
- Ramène la carotte pour analyse, répliqua-t-il, sceptique.
L’anomalie
Walton travaillait pour l’ANITA (Antarctic Impulsive Transient Antenna). Depuis des semaines, il étudiait l’échantillon et enregistrait de curieux sons. Ces anomalies inexplicables avaient tout d’abord stimulé ses recherches, mais la lassitude avait vite remplacé l’excitation.
« La science, parfois, n’éclaire pas — elle creuse. » répétait-il, s’envoyant une gorgée de liqueur dans le gosier pour passer sa frustration.
Un soir, il frappa à ma porte. Dans la pénombre, il s’installa dans un fauteuil, alluma une cigarette. Une lueur rougeâtre passa sur son visage marqué, éclairant des rides profondes, une peau flasque. Walton tira une bouffée sur sa cigarette et rejeta la fumée vers le plafond. Il sortit des notes de son sac et les posa sur la table.
- Quelque chose grouille sous la glace, finit-il par lâcher.
- Comment ça ?
- La tache noire réagit aux vibrations. Une série d’impulsions est apparue dans le canal audio du spectromètre. Répétitives. Rythmées. Trois pulsations lentes. Une pause. Puis, trois autres.
- Du morse ?
- Un cœur.
Il marqua un silence.
- Je crois que… c’est vivant.
Il m’expliqua alors que la glace fondait de manière anormale, révélant des filaments noirs qui se « déplaçaient » sous la glace.
Nous parlâmes jusqu’à tard dans la nuit. Ses théories se mêlaient à la fumée de sa cigarette. Elles tourbillonnaient, lourdes et inquiétantes.
La disparition
Les jours passèrent. Walton ne quittait plus son laboratoire, obsédé par la tache noire. Ses propos devenaient incohérents. « La tache me parle », murmurait-il, les yeux fous. « Les signes dans la glace, l’immortalité est là, sous nos yeux. »
Je lui conseillais repos, mais ce dernier n’en avait eu cure, persévérant dans ses recherches comme un forcené. « La tache a besoin d’un hôte. La tache veut grandir. Elle cherche la liberté ».
Avec le médecin de la base, nous décidâmes de le sédater. Walton s’endormit d’un sommeil profond, mais resta agité toute la nuit.
Au matin, on tambourina à ma porte, affolé. Walton avait disparu. Et l’échantillon aussi.
Je me précipitai dans son laboratoire et fouillai les lieux. Je ne tardai pas à trouver un carnet appartenant à Walton. Il y avait consigné toutes ses découvertes, ses expériences. Je feuilletai rapidement l’ouvrage. Une phrase, griffonnée à la hâte, me glaça :
« Une nouvelle espèce me bénira comme son créateur et sa source ; bien des hommes me devront l'existence. »
Plus loin, des coordonnées, tracées au stylo, cerclées rageusement sur une carte. Des ratures, des symboles étranges, illisibles. Ses notes défiaient toute logique.
Une lampe éclairait faiblement le bureau. Mes doigts s’agrippèrent à une cigarette. Un briquet. Une flamme. Je fixai les feuillets étalés devant moi. L’idée s’insinua doucement.
Avait-il découvert un passage vers… l’immortalité ?
Lentement, l’obsession s’installa comme une maladie.
Les nuits suivantes, je ne dormis presque plus. Les murs de ma cabine semblaient rétrécir, et dans chaque ombre, j’imaginais, halluciné, la tache grossir.
La lettre
Installé dans son bureau plongé dans une semi-obscurité, je fumais cigarette sur cigarette, la cendre tombant mollement sur ses notes absurdes. Mes yeux, fatigués et injectés de sang, cherchaient un sens à ces symboles grotesques.
Ce soir-là, je farfouillai dans ses classeurs, et tombai sur un pli. Une lettre signée d’un certain Viktor F.
« Cher Walton,
Ces fibres nécrotiques ressemblent à des vestiges organiques d’une nature que notre science peine à décrire. Les tissus prolifèrent au contact de l’air. Tes expériences sur les cobayes n°33 et n°45 sont troublantes : les tendrilles cherchent un hôte à coloniser avec un appétit vorace. La chair, semble-t-il, est un excellent incubateur. Cette nouvelle « espèce » ne doit en aucun cas quitter le laboratoire.
Sois prudent. Ce que nous observons dépasse l’entendement. »
Je tombai lourdement sur le fauteuil, sidéré. Un filet de sueur glissa le long de mon échine. La gorge sèche, je tâtonnai à la recherche de la bouteille de liqueur de Walton. Elle était là, cachée sous le bureau, et fut comme une bouée de sauvetage. Je m’empressai d’y boire au goulot. Les nerfs à vif, je vidai la bouteille, cherchant à m’endormir au plus vite pour oublier ces mots annonciateurs de malheur.
La nuit fut horrible. Des cauchemars d’outre-tombe vinrent me hanter. Des rêves de taches noires se muant en vagues macabres, emportant mon corps dans un océan de cadavres.
L’exploration
Depuis la disparition de Walton, je vivais dans un calme nerveux. Alors, quand un appel de détresse arriva, nous fûmes tous sur le qui-vive. Une petite équipe se mit en route et je fus de la partie. Malgré la fatigue et l’inquiétude, j’avais toujours espoir de retrouver Walton.
Nous marchâmes durant des heures, au cœur des étendues glaciales, lorsque les éléments se déchaînèrent, nous forçant à rebrousser chemin. Nous fûmes pris dans la fureur du blizzard, et je fus séparé de mon groupe. Dans la tourmente verglaçante, j’appelai à l’aide à m’en arracher la gorge. Le vent sifflait sur le verglas, hurlait sa peine pour recouvrir le son de ma voix. Il me frappait comme une masse invisible. Le froid s’insinuait dans mes os, paralysait mes membres, et la glace, coupante, m’écorchait le visage.
Quand soudain, je l’entendis. Un murmure. Lointain. Mon cœur bondit. Walton.
J’avançai dans la brume. Mes jambes s’enfoncèrent dans la neige. Le sol se déroba sous mes pieds et mon corps fut avalé dans le ventre de la terre.
Dans le ventre de la terre
Je me réveillai, le dos endolori, et massai ma nuque meurtrie. Je m’étais réceptionné maladroitement et mon pied me faisait souffrir le martyr. Je levai doucement les yeux.
Un puits de lumière froide tombait du plafond, éclairant un immense lac souterrain. Le souffle court, j’eus un hoquet de surprise. Les parois. Elles n’étaient pas constituées de glace, mais de mycélium. Je déglutis péniblement, les yeux fixés sur les choses qui rampaient autour de moi.
Trois pulsations. Une pause. Trois autres. Mon estomac se serra. C’était le même rythme que Walton avait entendu dans ses enregistrements.
Un monolithe se contorsionnait au centre, recouvert d’un voile venu d’ailleurs. Le mycélium s’étendait sur les murs dans un chuintement inquiétant. Mon regard glissa sur d’étranges protubérances. Des bulbes de chairs, à la membrane translucide, déversaient leur pâleur sur le sol humide.
La libération
Effrayé, j’aperçus Walton, près du monolithe, entravé par d’épais tentacules noirs. Je me trainai vers lui, suivant le chemin visqueux. Sous mes pieds, la texture répugnante m’arracha une grimace.
Une fois à ses côtés, je saisis mon poignard. Walton ouvrit les yeux. Mon cœur frappa fort dans ma poitrine. Ses yeux étaient disproportionnés. Globuleux et vitreux. Le poisson pris dans la glace m’implora du regard.
Fallait-il le libérer ?
Tremblant, j’approchai ma lame de l’artère noire. Ses yeux s’écarquillèrent de frayeur. J’eus la désagréable impression que les globes immondes allaient éclater sous la panique. L’acier trancha la chair noire. Un jus pâteux s’écrasa au sol. Les vibrilles se contractèrent, resserrèrent leur emprise autour de Walton. La tache noire ne voulait pas le quitter.
Je pris mon courage à deux mains et tranchai, tranchai, tranchai. Les « ploc-ploc » infâmes s’accélérèrent, formant une mare boueuse à terre. Une odeur métallique. Un relent de mort. Les vibrilles se tordirent, étranglant Walton. Chaque coup ouvrait une plaie. Chaque plaie vomissait de nouvelles vrilles. L’hydre maléfique refusait de mourir.
Les pulsations s’accentuèrent. Les choses gluantes s’enroulèrent sur la tête de Walton.
Sa peau couleur cendres vira au charbon, embuant l’atmosphère d’une odeur écœurante de viande avariée. Sa mâchoire se déforma. Sa bouche s’ouvrit dans un cri de protestation et resta figée. Ses dents blanches se déchaussèrent. Ses lèvres retroussées, flétries par l’oxygène, se parcheminèrent.
Une lueur naquit sous sa peau, d’abord faible, comme un trait pâle sous l’eau. Puis, ses veines se mirent à briller, flamboyer d’un rouge incandescent. Son visage se déchira en deux dans une explosion luminescente. Je poussai un hurlement de terreur, les yeux rivés sur cette illumination forcée. Là, un visage… : lisse, sans relief, modelé dans une lumière pure…
Le visage de Dieu.
L’immortalité
Mais ce n’était pas Dieu qu’il contemplait d’un sourire béat. La tache se mua en créature, ouvrit sa gueule pour mieux l’avaler. Les tentacules s’arrachèrent du trou béant et jaillirent sur son visage, s’infiltrant par tous les orifices.
La tache voulait vivre.
Les portes de l’immortalité s’ouvraient à elle, pour l’éternité.
Le vent froid cinglait les plaines désertiques de l’Antarctique. Les montagnes enneigées hérissaient l’horizon de corridors acérés. Un manteau de neige recouvrait la berge, laissant poindre par endroits des mottes de terre grasse.
Devant moi, la mer d’un bleu cru s’étendait, lisse, saupoudrée de plateformes de glace.
Emmitouflé dans un épais manteau, je plissai les yeux pour me protéger du soleil.
Cela faisait des mois que notre équipe arpentait les confins du monde à la recherche d’archives climatiques. La paléoclimatologie. Mon travail consistait à excaver les vestiges du climat pour mieux en déchiffrer l’avenir. Chaque jour, je forais le sol et les calottes de glace, récoltant des colonnes de glace striées comme des parchemins. Des pages ancestrales, comprimées en couches successives, constituant un livre fabuleux.
Ce matin-là, j’arrachais du sol une carotte avec toutes les précautions du monde. Très lentement, la glace cria dans le tube, un crissement sec. Je sentais la résistance sous mes gants et finit par l’extraire d’un seul coup. La colonne de glace apparut, translucide, figée depuis des siècles. Parfaite.
Vraiment ?
Je m’approchai davantage.
Une fracture, au cœur de la glace.
Au centre de l’éclat, une tache noire étendait ses bras sinueux. Je clignai des yeux, approchant l’échantillon de mon visage. Sous la surface gelée, des vibrilles se tortillaient, comme des artères pétrifiées. Cela n’avait rien à voir avec du carbone fossile.
Mon cœur s’accéléra.
La chose vibrait au cœur de ma main.
Tremblotant, je saisis mon téléphone.
Au bout du fil, Walton, mon comparse, s’étonna.
- Ramène la carotte pour analyse, répliqua-t-il, sceptique.
L’anomalie
Walton travaillait pour l’ANITA (Antarctic Impulsive Transient Antenna). Depuis des semaines, il étudiait l’échantillon et enregistrait de curieux sons. Ces anomalies inexplicables avaient tout d’abord stimulé ses recherches, mais la lassitude avait vite remplacé l’excitation.
« La science, parfois, n’éclaire pas — elle creuse. » répétait-il, s’envoyant une gorgée de liqueur dans le gosier pour passer sa frustration.
Un soir, il frappa à ma porte. Dans la pénombre, il s’installa dans un fauteuil, alluma une cigarette. Une lueur rougeâtre passa sur son visage marqué, éclairant des rides profondes, une peau flasque. Walton tira une bouffée sur sa cigarette et rejeta la fumée vers le plafond. Il sortit des notes de son sac et les posa sur la table.
- Quelque chose grouille sous la glace, finit-il par lâcher.
- Comment ça ?
- La tache noire réagit aux vibrations. Une série d’impulsions est apparue dans le canal audio du spectromètre. Répétitives. Rythmées. Trois pulsations lentes. Une pause. Puis, trois autres.
- Du morse ?
- Un cœur.
Il marqua un silence.
- Je crois que… c’est vivant.
Il m’expliqua alors que la glace fondait de manière anormale, révélant des filaments noirs qui se « déplaçaient » sous la glace.
Nous parlâmes jusqu’à tard dans la nuit. Ses théories se mêlaient à la fumée de sa cigarette. Elles tourbillonnaient, lourdes et inquiétantes.
La disparition
Les jours passèrent. Walton ne quittait plus son laboratoire, obsédé par la tache noire. Ses propos devenaient incohérents. « La tache me parle », murmurait-il, les yeux fous. « Les signes dans la glace, l’immortalité est là, sous nos yeux. »
Je lui conseillais repos, mais ce dernier n’en avait eu cure, persévérant dans ses recherches comme un forcené. « La tache a besoin d’un hôte. La tache veut grandir. Elle cherche la liberté ».
Avec le médecin de la base, nous décidâmes de le sédater. Walton s’endormit d’un sommeil profond, mais resta agité toute la nuit.
Au matin, on tambourina à ma porte, affolé. Walton avait disparu. Et l’échantillon aussi.
Je me précipitai dans son laboratoire et fouillai les lieux. Je ne tardai pas à trouver un carnet appartenant à Walton. Il y avait consigné toutes ses découvertes, ses expériences. Je feuilletai rapidement l’ouvrage. Une phrase, griffonnée à la hâte, me glaça :
« Une nouvelle espèce me bénira comme son créateur et sa source ; bien des hommes me devront l'existence. »
Plus loin, des coordonnées, tracées au stylo, cerclées rageusement sur une carte. Des ratures, des symboles étranges, illisibles. Ses notes défiaient toute logique.
Une lampe éclairait faiblement le bureau. Mes doigts s’agrippèrent à une cigarette. Un briquet. Une flamme. Je fixai les feuillets étalés devant moi. L’idée s’insinua doucement.
Avait-il découvert un passage vers… l’immortalité ?
Lentement, l’obsession s’installa comme une maladie.
Les nuits suivantes, je ne dormis presque plus. Les murs de ma cabine semblaient rétrécir, et dans chaque ombre, j’imaginais, halluciné, la tache grossir.
La lettre
Installé dans son bureau plongé dans une semi-obscurité, je fumais cigarette sur cigarette, la cendre tombant mollement sur ses notes absurdes. Mes yeux, fatigués et injectés de sang, cherchaient un sens à ces symboles grotesques.
Ce soir-là, je farfouillai dans ses classeurs, et tombai sur un pli. Une lettre signée d’un certain Viktor F.
« Cher Walton,
Ces fibres nécrotiques ressemblent à des vestiges organiques d’une nature que notre science peine à décrire. Les tissus prolifèrent au contact de l’air. Tes expériences sur les cobayes n°33 et n°45 sont troublantes : les tendrilles cherchent un hôte à coloniser avec un appétit vorace. La chair, semble-t-il, est un excellent incubateur. Cette nouvelle « espèce » ne doit en aucun cas quitter le laboratoire.
Sois prudent. Ce que nous observons dépasse l’entendement. »
Je tombai lourdement sur le fauteuil, sidéré. Un filet de sueur glissa le long de mon échine. La gorge sèche, je tâtonnai à la recherche de la bouteille de liqueur de Walton. Elle était là, cachée sous le bureau, et fut comme une bouée de sauvetage. Je m’empressai d’y boire au goulot. Les nerfs à vif, je vidai la bouteille, cherchant à m’endormir au plus vite pour oublier ces mots annonciateurs de malheur.
La nuit fut horrible. Des cauchemars d’outre-tombe vinrent me hanter. Des rêves de taches noires se muant en vagues macabres, emportant mon corps dans un océan de cadavres.
L’exploration
Depuis la disparition de Walton, je vivais dans un calme nerveux. Alors, quand un appel de détresse arriva, nous fûmes tous sur le qui-vive. Une petite équipe se mit en route et je fus de la partie. Malgré la fatigue et l’inquiétude, j’avais toujours espoir de retrouver Walton.
Nous marchâmes durant des heures, au cœur des étendues glaciales, lorsque les éléments se déchaînèrent, nous forçant à rebrousser chemin. Nous fûmes pris dans la fureur du blizzard, et je fus séparé de mon groupe. Dans la tourmente verglaçante, j’appelai à l’aide à m’en arracher la gorge. Le vent sifflait sur le verglas, hurlait sa peine pour recouvrir le son de ma voix. Il me frappait comme une masse invisible. Le froid s’insinuait dans mes os, paralysait mes membres, et la glace, coupante, m’écorchait le visage.
Quand soudain, je l’entendis. Un murmure. Lointain. Mon cœur bondit. Walton.
J’avançai dans la brume. Mes jambes s’enfoncèrent dans la neige. Le sol se déroba sous mes pieds et mon corps fut avalé dans le ventre de la terre.
Dans le ventre de la terre
Je me réveillai, le dos endolori, et massai ma nuque meurtrie. Je m’étais réceptionné maladroitement et mon pied me faisait souffrir le martyr. Je levai doucement les yeux.
Un puits de lumière froide tombait du plafond, éclairant un immense lac souterrain. Le souffle court, j’eus un hoquet de surprise. Les parois. Elles n’étaient pas constituées de glace, mais de mycélium. Je déglutis péniblement, les yeux fixés sur les choses qui rampaient autour de moi.
Trois pulsations. Une pause. Trois autres. Mon estomac se serra. C’était le même rythme que Walton avait entendu dans ses enregistrements.
Un monolithe se contorsionnait au centre, recouvert d’un voile venu d’ailleurs. Le mycélium s’étendait sur les murs dans un chuintement inquiétant. Mon regard glissa sur d’étranges protubérances. Des bulbes de chairs, à la membrane translucide, déversaient leur pâleur sur le sol humide.
La libération
Effrayé, j’aperçus Walton, près du monolithe, entravé par d’épais tentacules noirs. Je me trainai vers lui, suivant le chemin visqueux. Sous mes pieds, la texture répugnante m’arracha une grimace.
Une fois à ses côtés, je saisis mon poignard. Walton ouvrit les yeux. Mon cœur frappa fort dans ma poitrine. Ses yeux étaient disproportionnés. Globuleux et vitreux. Le poisson pris dans la glace m’implora du regard.
Fallait-il le libérer ?
Tremblant, j’approchai ma lame de l’artère noire. Ses yeux s’écarquillèrent de frayeur. J’eus la désagréable impression que les globes immondes allaient éclater sous la panique. L’acier trancha la chair noire. Un jus pâteux s’écrasa au sol. Les vibrilles se contractèrent, resserrèrent leur emprise autour de Walton. La tache noire ne voulait pas le quitter.
Je pris mon courage à deux mains et tranchai, tranchai, tranchai. Les « ploc-ploc » infâmes s’accélérèrent, formant une mare boueuse à terre. Une odeur métallique. Un relent de mort. Les vibrilles se tordirent, étranglant Walton. Chaque coup ouvrait une plaie. Chaque plaie vomissait de nouvelles vrilles. L’hydre maléfique refusait de mourir.
Les pulsations s’accentuèrent. Les choses gluantes s’enroulèrent sur la tête de Walton.
Sa peau couleur cendres vira au charbon, embuant l’atmosphère d’une odeur écœurante de viande avariée. Sa mâchoire se déforma. Sa bouche s’ouvrit dans un cri de protestation et resta figée. Ses dents blanches se déchaussèrent. Ses lèvres retroussées, flétries par l’oxygène, se parcheminèrent.
Une lueur naquit sous sa peau, d’abord faible, comme un trait pâle sous l’eau. Puis, ses veines se mirent à briller, flamboyer d’un rouge incandescent. Son visage se déchira en deux dans une explosion luminescente. Je poussai un hurlement de terreur, les yeux rivés sur cette illumination forcée. Là, un visage… : lisse, sans relief, modelé dans une lumière pure…
Le visage de Dieu.
L’immortalité
Mais ce n’était pas Dieu qu’il contemplait d’un sourire béat. La tache se mua en créature, ouvrit sa gueule pour mieux l’avaler. Les tentacules s’arrachèrent du trou béant et jaillirent sur son visage, s’infiltrant par tous les orifices.
La tache voulait vivre.
Les portes de l’immortalité s’ouvraient à elle, pour l’éternité.