L'âge heureux

Le 23/11/2002
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par Daria
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Le genre sombre / calme / triste inauguré pour la Zone par Aka trouve de nouveaux adeptes. Daria s'y colle avec cet article déprimant sur l'enfance, thème que je prise particulièrement. A lire.
Je m'appelle Marie et j'ai 12 ans
Je suis une petite fille seule maigre triste avec des grands cheveux fillasse.

Mes parents sont vieux. Quand je suis née ils avaient 47 ans ils disaient que je serais leur bâton de vieillesse (tu parles). A mon avis, on peut plus faire d'enfant à cet âge. En fait, mes vrais parents sont plus jeunes plus beaux et plus riches. Ils m'ont laissée en pension à des métayers. D'abord la preuve c'est que je leur ressemble pas du tout !
J'ai décidé de ne plus manger pour faire chier mes parents (non je ne suis pas la gentille petite fille modèle qu’ils souhaitaient) Et ça marche super bien, en particulier avec ma mère.
Elle est tombée malade. Elle était tout le temps fatiguée, le blanc des yeux tout jaune. Elle est rentrée à la clinique pour y être opérée. On lui a enlevé des tas de petits cailloux du ventre. Mais après ça n'allait toujours pas mieux.
Un jour que j’avais encore mis ma mère dans tous ses états avec mes caprices, mon père m'a attrapée pour me dire de faire des efforts, que j'allais le regretter plus tard. Pourquoi il m'a dit ça sur ce ton dramatique ? Maintenant elle est couchée de plus en plus souvent, le docteur passe de temps en temps, tout le monde parle à voix basse et j’en ai marre d’être obligée de faire ma prière tous les soirs.

Je suis toute seule. Quand exceptionnellement une copine de classe vient me voir, je ne veux plus la laisser repartir. Je ferme la porte à clé, je la retiens de toutes mes forces. Ma solitude est immense quand elle s'en va. Du coup, de moins en moins de personnes franchissent ma porte.
J'ai le souvenir d'après midis entiers ou mes parents me laissaient désoeuvrée devant la télé. Alors l'angoisse m'envahissait. J'imaginais qu'ils ne reviendraient jamais, que je serais abandonnée de tous, qu'on me retrouverait morte des semaines plus tard, dévorée par les bergers allemands.

En sixième, j'étais la tête de turc des redoublants, d'un maître nageur et d'une prof d'anglais sadique, j’en avais mal au ventre tous les dimanches soirs. On aurait dit que j’excitais les tordus et qu’ils s’acharnaient sur moi. J'étais complètement perdue. En fait je ne comprenais rien à ce qu'on me voulait : je n’avais jamais fait mes devoirs quand il fallait, il me manquait toujours du matériel…. C'est à partir de ce moment que j'ai commencé à douter de mon intelligence. Quand quelqu'un racontait une blague j'étais la seule à ne pas rire. La gentille voisine a même dit que j’étais « innocente » !!! J'en ai conclu que j'étais bête, stupide, nulle et que je ne ferais jamais rien de bien.

Comme l'avenir était nul, j'ai décidé de mourir, comme ça, pendant mon sommeil. Le soir je m'endors et puis c'est terminé. Il suffit que je le décide et ça arrivera.
Une fois la décision prise, autant choisir une date mémorable :
Allez le soir de Noël ce sera très bien.
Mais le soir fatidique, je me suis mise à penser au cadeau qui m'attendait, et du coup j'étais moins décidée. C'est pour ça que je ne suis pas morte.
Non seulement je suis laide maigre capricieuse égoïste et bête mais je suis aussi lâche.
Et voila, je suis toujours là, à me traîner.

Qui a dit que l'enfance est un âge heureux ?
Un imbécile qui a la mémoire courte.
L'enfance c'est l'horreur : on a peur, on a honte, on se sent coupable de tout, on doit obéir, on se rebelle, on est pas libre dans un monde injuste.