Dodo l'enfant do

Le 28/07/2003
-
par Arkanya
-
Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Comme toujours ça commence tout mignon, adorable à la limite du soporifique quoi. Comme souvent on a du mal à faire la part des choses entre le premier et le second degré et c'est une super qualité pour un texte je trouve. Comme souvent ça vaut le déplacement. Même pas mal !
Voilà, tu es tout propre, ta couche est changée. Tu gazouilles ? Au moins tu ne pleures plus, c’est déjà ça. C’est que tout va bien. Allez, il faut dormir maintenant, j’éteins la lumière. Je reste un peu, mais pas trop, ne prends pas de mauvaises habitudes.
J’ai adoré te porter. Evidemment il y a eu les nausées, les varices, les jambes gonflées et douloureuses, les vertiges, mais quels mois j’ai passé avec lui ! Notre passe-temps préféré a été de se vautrer dans le parc, pieds nus dans l’herbe, je posais ma tête sur ses genoux, et il me lisait Baudelaire pendant des heures en faisant des tortillons dans mes cheveux. Il a arrêté de passer son temps au bureau comme avant, le soir il s’empressait de me rejoindre, avide de ma présence, encore et encore. On a commencé à prendre notre bain ensemble, il ne voulait jamais avant. Je me calais entre ses jambes, et il posait sa main sur mon ventre gonflé à l’affût d’un de tes coups de pied. Ce que nous avons pu rire quand tu déformais ma peau, cherchant son contact. C’est que cette petite main potelée qui serre mon doigt n’avait pas du tout la même allure. Tu es un peu chatouilleux dis donc ! Comme lui…
Je ne soupçonnais même pas qu’il put être si tendre et attentif entre les draps, il aura fallu ça. Avant, il était trop fatigué, trop préoccupé, trop ceci ou trop cela, toujours une excuse pour remettre au lendemain les voluptés de la chair. Dès qu’il a su que tu allais envahir nos vies, il a enfin vu l’amante en moi, au lieu de ce boulet accroché à son quotidien. Il a adoré chaque parcelle de ma peau, exploré des sens que je ne me connaissais même pas. Il m’a montré des univers dont je n’avais jamais soupçonné l’existence. Nous avons de nombreuses fois communié en pleine extase, jusqu’à toucher l’infini ensemble, fondus l’un dans l’autre.
Et puis tu es né, tout petit être rose et gigotant. Tu as la même peau que lui, douce et troublante. Ça a été douloureux, mais je veux bien souffrir mille fois encore de donner la vie pour ressentir encore sa présence inquiète et passionnée, le voir de nouveau dans cette impatience attentive et anxieuse. Il m’a couvé de sa peau, de ses yeux, de son âme et de son être, comme jamais personne avant ne l’avait fait. Ce regard qu’il a posé sur nous, sur moi…
Ton petit frère est en route, il ne le sait pas encore. Je vais pouvoir vivre à nouveau ce que ton arrivée m’a volé depuis deux mois. Bien sûr, il sera triste de ta mort, mais pas trop longtemps je pense, tu seras vite remplacé. Et puis personne ne sera vraiment choqué, aujourd’hui le taux de mortalité infantile est de 5‰. C’est facile, il suffit de poser le doigt sous ton nez juste assez longtemps. Allez, dors…