Lui

Le 27/11/2003
-
par Strange
-
Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Au début, je me suis cru dans un article de Clax, c'est un peu confus, mais rapidemment ça devient nettement plus clair, au point que la majeure partie du texte est constitué d'une énumération froide et clinique d'actes sans presque s'aventurer dans le domaine de la pensée. Strange traite un sujet sensible intelligemment sous forme de tranche de vie. Assez glaçant.
J’ai 11ans.
C’est très long cette fois-ci. Les cris n’en finissent plus. Je suis seule dans ma chambre, assise contre la porte, je fixe les murs blancs. J’ai toujours refusé d’exprimer quoique ce soit sur les murs de Sa maison. Je veux entendre ce qu’Il lui dit. Je geint, je ne perçois que ses cris à elle. Je ne sais que faire. A chaque nouveau hurlement je me lève, comme pour aller la secourir ; mais je me rassois aussi tôt, je suis impuissante.
Si j’interviens Il me fera la même chose.

Je sors. Ils sont dans Leur chambre. Je ne veux pas rester seule. Je cours dans la chambre de mon frère.
La musique est à fond. Il préfère ne pas savoir, ne rien entendre. Il l’éteint pr venir s’asseoir avec moi.
« C’est toujours comme ça, tu le sais. Après elle va fermer sa gueule et dire qu’il ne s’est rien passé. »
J’en veux à mon frère pour toute cette rancœur, cette amertume qu’il exprime envers elle. Je sanglotte de plus belle, il ne peut pas comprendre ; je me sens seule.
D’ici j’entends clairement mieux.
Lui : « SALOPE !».
Elle le gifle. Je ne respire plus pour mieux entendre.
Elle crie. Lui : « Je te briserai tout les os de la machoires, 1 par 1, tu m’entends ? »
Il ricane avec dédain.
Il n’est pas saoûl, il ne boit pas. Il s’enerve un peu vite, c’est tout.
Lui : « Oui c’est ça, crie, personne viendra te chercher. »
Elle émet deux cris stridents. Comme ceux que l’on entend dans la cours de récréation au primaire.
Puis plus rien.
J’attends. La porte d’entrée claque. La maison est silencieuse.
Mon frère « Tu crois qu’Il s’est cassé ? »
Je m’approche prudemment de Leur chambre.
Elle gît sur le carrelage. Il est parti en voiture ; Il fait toujours ça pour Se calmer. Mais Il revient vite et c’est encore pire après.
Je me presse. Elle est inconsciente.
Je cherche une bassine d’eau, compresses et bétadine.
Sa main est ensanglantée. Ce n’est pas une coupure. Son majeur forme un angle anormal. Une plaie ouverte joint les deux parties du doigt.
Mes larmes brouillent ma vue. Je ne sais pas comment il faut faire pour soigner ça.
Je nettoie son doigt fébrilement et le panse. Elle commence à reprendre conscience. Une porte s’ouvre brutalement.
Je me sens prise au piège.
Lui : « Qu’est-ce tu fous là ? »
Je balbutie « Maman va pas bien »
Lui : « Te mêle pas de ça. Dégage. »
Maman : « Ca va », son sourir se veut rassurant mais ses larmes le rendent suppliant.
Je retourne chez mon frère, laissant maman désarmée avec Lui.
Les cris se renouvellent, moins intenses cette fois-ci.
Elle veut prendre de l’eau.
Lui : « Non n’y touche pas. C’est mon eau. »
Elle sort. Il la suit.
Plus rien. La maison semblait avoir subi sa fin du monde.
Plusieurs heures s’écoulent. Nous sommes seuls.
Mon frère : « Bon on peut matter la TV. Y’a rien à bouffer ? ».

Le matin.
Maman se trouve dans la cuisine. Sa main est bandée. Elle porte une sorte d’attelle au doigt.
Plusieurs ématomes convrent son visage, si paisible, si gai à la normale.
Justement, elle est gaie.
Maman : « Ton père et moi avons discuté. Tout va bien. On s’est un peu énervé hier soir. Tu veux du café ?»
Sujet clôt.
Je ne comprends pas. Je me sens trahie. Pourquoi est-elle de son côté ? Ce n’était rien ? Il faut que j’oublie. Il ne s’est rien passé. Qu’est-ce que j’ai fait ?
Il entre : « Alors inès ? Comment vas-tu ? »
Je reste silencieuse.
La scène avait quelque chose de surréaliste :
Ma mère assise à table, tout sourire, défigurée, fracturée mais heureuse de l’être.
Lui à ses côtés, taquin, jouant avec son attelle.
Mon frère, platonique, me fixant en mimant « be cool ».



«Souffrir passe, avoir souffert ne passe jamais. »
Léon Bloy