Tu m'as quittée

Le 04/12/2003
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par Kirunaa
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Encore un aspect relativement commun de la vie d'une femme éclairé sous l'angle de la douleur, de la culpabilité et de la folie naissante. Bientôt on verra des articles sur la Zone avec des gens qui pètent les plombs en se brossant les dents. Très bien foutu, prenant, bien écrit, j'aime beaucoup.
Tu n’étais pas avec moi depuis bien longtemps, à peine quelques mois. Je ne t’avais jamais attendu, ni même souhaité. Pourtant tu es entré dans ma vie, comme ça, par surprise.
La probabilité de t’avoir était si faible ! Je souhaitais avant tout t’éviter, garder ma vie simple et bien réglée. Quand j’ai appris ta présence, j’ai d’abord eu très peur. Tu allais sûrement tout me voler. Mon travail, mes loisirs, ma santé… Et pourtant je me suis prise à t’aimer. Je me suis mise à t’attendre, te guetter, te désirer. Mon bébé. Tu étais là, bien au chaud dans mon ventre. Je prenais soin de toi, je faisais attention, pour que tu te sentes bien et que tu deviennes grand et fort.
Et malgré tout tu as décidé de me quitter. Tu as estimé que la vie n’en valait pas la peine. Et ce matin j’ai eu mal, si mal ! Et j’ai saigné. Tu ne bougeais plus, tu refusais de répondre à mes cris. J’ai su que tu avais abandonné. Maintenant tu m’as quittée et je suis seule. Les médecins t’ont emporté, petite chose gluante et sanglante, à peine grosse comme la main, pour savoir ce qui t’étais arrivé, et pourquoi ton cœur s’était arrêté de battre.
« Ce n’est rien, m’ont ils dit, vous pourrez avoir d’autres enfants ! »
Belle consolation. Maintenant je suis seule dans mon corps, incapable de savoir ce que j’ai fait de mal et pourquoi tu es parti. J’ai mal au plus profond de mon âme.
Je n’ai plus assez de force pour crier, j’ai crié tous mes cris. Je n’ai plus de force pour pleurer, j’ai pleuré tous mes pleurs. J’ai tellement mal de ton absence ! Mon ventre était-il devenu si inconfortable que tu ne souhaitais plus y rester ? Est ce que je faisais trop d’efforts et que je te fatiguais ? Mais j’étais si heureuse ! J’était tellement bien et pleine d’énergie !
Et maintenant je suis si mal et accablée. Comment peut-on passer de la joie à une telle peine ? Comment cela peut-il être permis ? Je hais les hommes qui ont fait le monde tel qu’il est ! Les enfants ne veulent pas y naître. Je hais ton père de m’avoir abandonnée ! Sa lâcheté lui aura même coûté le prix de ne jamais connaître ton existence. Je me hais de t’avoir perdu… quelle femme suis-je donc qui ne puisse avoir un enfant ?
Incapable, maladroite, indigne, incompétent, impuissante à changer ce qui est arrivé. J’ai honte. J’ai peur aussi.
« Regardez cette femme ! Quelle infamie ! Elle a fait mourir son enfant à naître ! »
« Une femme ? Quelle femme ? Elle n’est même pas capable de garder son bébé ! »
Leurs visages dansent et grimacent devant moi. Je lis les reproches dans les regards des autres. Ils s’approchent avec leurs paroles de miel pour mieux me tromper. Mais je vois clair dans leur jeu. Je sais bien ce qu’ils pensent.
Je ne t’ai pas abandonné, mon bébé. Je ne te laisserai pas seul. Je sais que tu as peur et froid tout seul dans le noir. Ne crains rien, je te rejoindrai. J’entends tes cris et tes pleurs…

Chhhhhht ! N’aie plus peur, ta maman est là maintenant.