Addictions

Le 07/06/2004
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par Aka
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Un bon gros journal intime sur une longue période de temps, qui raconte une vie trop vide, remplie articficiellement grâce à toutes sortes de stimulants plus ou moins satisfaisants : chimie, adrénaline, relations sociales... L'itinéraire d'une fille paumée, sans objectif ni motivation, qui ne sait plus à quel saint se vouer. La routine devient synonyme de pourrissement. On retrouve le style sobre et désabusé d'Aka qui convient nickel pour ce thème à la Bret Easton Ellis. A lire.
28/09/2002

Du nouveau depuis la dernière fois que j’ai écrit sur ce cahier : je suis officiellement célibataire. Je l’ai bien cherché. C’est ce que je voulais.
Tous les soirs avant de m’endormir, je m’imaginais ce que serait la vie sans lui. Je m’autorisais alors des choses que jamais je n’oserais faire dans la réalité. Je m’entourais d’autres personnes, d’autres lieux. Je changeais mon aspect physique aussi. Je prenais possession d’une autre vie, celle que je pensais faite pour moi. Et il n’y avait pas sa place. Dans ces fantasmes, je justifiais toujours cette situation par quelque chose de bien pour nous deux : il avait rencontré quelqu’un d’autre, ou bien on se rendait compte au même moment qu’on ne s’aimait plus. On restait bien évidemment ami, ne mentionnant que dans de grands éclats de rire ce passé en commun. En aucun cas, il ne pouvait être malheureux à cause de cette rupture.
C’est un peu ce qu’il s’est passé quand j’y pense. Une belle séparation dont tout le monde rêverait. Simple comme un coup de fil, placée au milieu d’une conversation anodine. Je crois même que c’est lui qui a amené le sujet. Je ne pensais pas que ça se passerait comme ça. Je croyais que ça serait violent, plein de larmes, que tout le monde me traiterait de salope derrière mon dos, que nos amis communs arrêteraient de me voir. Je pensais qu’il me supplierait de rester, qu’il m’aimait trop pour supporter une séparation. Mais je le sais maintenant : on est définitivement jamais irremplaçable. Tout le monde pense que c’est moi qui l’ai quitté, mais c’est faux. C’est nous deux. En fait, je crois même que c’est lui. Je devrais être soulagée. N’empêche que ça fait tout drôle. Deux ans. Changer toutes les habitudes, repenser en solo. Je l’étais plus ou moins dernièrement dans ma tête mais quand même. J’ai pleuré de tout mon saoul au téléphone, c’est lui qui m’a consolé. Le monde à l’envers. Pourtant, je le voulais tellement, redevenir seule. Et puis je ne l’aimais plus. Je ne l’aimais pas.
J’ai envie de pleurer, mais je ne sais pas si c’est de joie ou de tristesse. Le mot « liberté » résonne à mes oreilles, mais je vais la combler comment justement cette liberté ?
Me lâcher un peu, c’est ça que j’ai envie de faire. Enfin pouvoir devenir moi-même. Ca m’étouffait de regarder sans pouvoir toucher, d’être considérée par tout le monde comme la Sainte-Nitouche de service. Va falloir que je me donne quelques coups de pied au cul, j’ai perdu l’habitude de déconner.
On va remettre ça comme au bon vieux temps. J’ai vieilli trop vite et bien avant l’âge.

02/12/2002

Longtemps que je n’ai pas écris et pour cause : je crois que je ne me rappelais plus la forme d’un stylo. Tout passe par un clavier maintenant. Je me suis remise à tchatter et ça fait vraiment du bien. J’ai trouvé des gens qui me comprennent vraiment. Ils n’ont pas besoin de connaître ma vie ni mon visage. Ils ne me jugent pas : ils prennent ce que je leur donne. J’ai l’impression d’avoir toujours vécu à leurs cotés. Tout est démultiplié j’en ai conscience, mais c’est comme une petite famille, à la seule différence (non négligeable) c’est que eux, je peux les voir quand je veux.
Les gens en dehors de ma porte de chambre sont devenus de parfaits inconnus. D’ailleurs je ne sors plus. C’est vraiment que des cons à la fac. L’ambiance élitiste, l’hypocrisie permanente, je ne le supporte plus. J’aurai tout le temps qu’il faut pour rattraper avant les exams. J’ai jamais foiré, je peux bien m’accorder quelques vacances.
Quant à mes soit disant potes, ils m’ennuient plutôt qu’autre chose. Il y a eu une sorte de coupure du jour au lendemain, comme si nous nous étions tout dit, que nous avions tout fait, et qu’il ne restait plus rien. De plus, ils n’apprécient pas mes nouveaux amis. Ils ne comprennent pas que je puisse nouer de nouvelles amitiés si facilement avec des gens « que je ne connais pas » comme ils disent. Je crois qu’en fait ils sont jaloux. Ils ne me sont plus indispensables et ça les fait bien chier.
Franchement, il y a vraiment que Sandra que j’arrive encore à supporter. Elle ne me prend pas la tête parce que je l’appelle plus. Elle s’en fout de ces futilités. Les affinités, ça va, ça vient, tout le monde devrait pouvoir le comprendre.

11/12/2002

J’ai enfin trouvé mon rythme, enfin si je puis dire. Je passe 80% de mon temps sur l’ordinateur, j’en suis même à manger devant. Ca fait vraiment du bien de s’enlever toute forme de contrainte. Manger, dormir, voir du monde, choisir qui voir… uniquement quand je le veux.
Le week-end, je passe mes journées avec Sandra. Elle me propose de la suivre dans ses sorties nocturnes, mais ça me saoule. C’est le moment où il y a les gens les plus intéressants sur le net. Puis les boites, ça n’a jamais été mon truc. Les seules dans lesquelles j’ai mis les pieds, c’était à la campagne quand j’avais 15 ans. On y allait à une vingtaine de personnes, c’était pas du tout la même chose. On buvait, on discutait, pas obligé de danser. J’arrive pas à la retrouver cette ambiance là. Il n’y avait pas de frime, tous ces principes, ces codes. J’ai l’impression que je suis obligée de répéter des heures devant mon miroir avant de sortir maintenant.
Il n’y a que devant mon écran que toutes ces merdes ça n’existe plus. Et dire qu’après on ose venir me demander pourquoi je ne sors plus ! Vraiment tous des cons…

03/01/2003

J’ai perdu 5kg, je commence à apprécier mon reflet dans le miroir.
Sandra m’a présenté pas mal de ses potes. Ca s’est bien passé, eux aussi ne se prennent pas la tête. Comme quoi finalement ça existe en vrai.
D’ailleurs le net commence à me saouler. Ca devient limite une drogue. J’ai même l’impression que je suis en train de tomber amoureuse d’un mec que j’ai jamais vu. J’ai même pas envie d’en parler ici, je me trouve ridicule. J’ai essayé d’en toucher un mot à quelques amis, même à ma mère, mais ils n’ont pas eu l’air de comprendre. Dans un sens c’est normal. Ils pensent que je ne mets pas les bons mots sur les bons sentiments, mais moi je sens bien à quel point il me prend aux tripes. Je ressens le manque quand il n’est pas là. Je sais que je ne peux pas me passer de lui au point de ne plus dormir, de ne plus aller en cours. Je sais que plus rien d’autre n’existe…
C’est pas bon tout ça, c’est pas moi.. Va peut-être falloir que je pense à sortir. Je commence à avoir un bon entraînement à l’alcool, je tiens à l’aise ma demi-bouteille de vodka tous les soirs. Une vraie junkie, on commence à me surnommer le vampire : je vis la nuit, garde les volets fermés le jour et me nourris que de liquide. Plutôt marrant, j’aime bien passer pour l’originale de service. Ca serait plus sympa de partager ça avec du monde. Et puis il faut que j’arrive à me passer de lui, putain je ne connais même pas son visage !

14/01/2003

Sandra m’a proposée de venir à ses 18 ans. Ca se passe samedi soir dans une boite à Paris. J’ai accepté, on refuse pas de fêter les 18 ans de sa meilleure amie. Puis ça me sortira la tête du cul un peu.
Je passe mes journées à attendre l’autre sur le net, mes nuits à discuter avec lui. Moi qui m’étais jurée de ne pas retomber amoureuse, voilà que je m’éprends d’un pseudo. N’importe quoi. Sandra doit avoir raison : faut que je baise, ça me remettra les idées en place.

26/01/2003

C’était vraiment terrible samedi. Rien à dire. Je me sens revivre. Je me sens totalement en accord avec moi-même. J’ai enfin compris qui j’étais.
On s’est retrouvé dans un boite assez huppée de Paris. Sandra a ses entrées partout. On est choyés n’importe où on va.
J’ai eu un peu de mal au début. Ca n’était pas mon monde. Voir danser les copines de Sandra sur le podium à se rouler des grosses pelles, ça m’a limite surprise quand même. Mais bon, le champagne coulait à flots gratos. J’ai toujours su que Sandra et ses potes trempaient dans la dope. Elle m’avait déjà refilé de la coke un soir qu’on était bourré mais je n’y avais pas touché. J’étais encore avec mon ex à l’époque et il n’avait pas apprécié. Bref je les regardais faire, m’enivrant de la musique et de l’alcool. Suffisamment pour les rejoindre sur la piste.
Puis Sandra est venue me rejoindre un large sourire aux lèvres, m’expliquant qu’elle avait eu quelques grammes pour son anniversaire. Elle voulait les partager avec moi. J’ai pas hésité une seconde et j’ai bien fait.
On s’est retrouvé dans les toilettes. Je la questionnais sur les effets, un peu inquiète. Elle m’a conseillé de la prendre sur les gencives pour une première. Le goût est vraiment bizarre. Amer et acide à la fois. Paradoxalement aussi désagréable que divin.
J’avais l’impression de ne ressentir aucun effet. On retournait aux toilettes tous les quarts d’heure. J’étais assez initiée en une seule soirée pour la prendre par le nez. C’est étrange ce liquide qui coule dans la gorge. Les remontées quand vingt minutes après, il recoule à nouveau. J’étais bien, je buvais des litres de champagne. Je dansais, je discutais avec tout le monde. Sandra a même voulu me brancher avec le serveur, mais ça me saoulait de baiser dans un coin de la boite.
La fin de soirée est arrivée. Ils étaient tous complètement raides mais moi non. Je devais avoir bu trois bouteilles, tapé une petite dizaine de traits, mais j’étais lucide. Aussi lucide que si je venais de me lever. Je les ai tous ramenés.
Je les ai tous revus au café aujourd’hui. Ils m’ont félicitée, ce sont tous marrés en répétant que j’étais increvable. J’ai quand même dis à Sandra que je n’avais aucun mérite, parce que son truc ne m’avait rien fait. Elle s’est marré et m’a demandé si à mon avis c’était normal que je tienne trois litres de champagne, danse sur un podium jusqu’au bout de la nuit et assume le chemin de retour.
J’ai encore un doute, mais il faut avouer que c’est quand même assez épatant.

03/02/2003

Rien ne change vraiment. La vie suit son cours. Je me partage entre le pc et les week-end avec Sandra et ses potes.
J’ai même donné une soirée chez moi il n’y a pas longtemps. On a tapé avec Sandra dans mon hall d’immeuble avant de rejoindre le groupe. Les autres ne ce sont aperçus de rien. Elle est vraiment épatante cette drogue. J’adore ça : perdre le contrôle et le garder en même temps. Pouvoir mentir à la face du monde tout en ne cachant rien. C’était fait pour moi.

12/03/2004

Je suis crevée. Ca fait quelques temps que je ne suis plus Sandra. Je commençais à devenir accroc à toutes ces conneries et je ne veux dépendre du moins de choses possible. Déjà la clope, c’est suffisant.
Je ne dors plus la nuit, je reste sur le pc avec l’autre. J’arrive pas à décrocher. Je le sais quand je relis nos conversations. J’ai l’air d’une conne, en plus il ne voudra jamais de moi. Et dire que je passe mon temps à me foutre de la gueule de ces nanas qui passe leur temps à lécher le cul de leur mecs. Elles riraient bien elles, à voir combien de fois par conversation je m’excuse pour des fautes qui ne sont pas les miennes, à quel point j’organise ma vie en fonction de ses connections, à quel point je ne suis plus que son ombre et même plus la mienne.
J’ai du mal à dormir le jour aussi. J’essaye d’aller en cours. Mais mon peu de temps de repos, je fais des cauchemars atroces. Je commence à avoir peur de louper mon année, mais il ne faut pas que j’y pense.
J’ai été voir un médecin qui m’a filé des somnifères. Ils sont assez épatants. Une fois les avoir pris, si on s’empêche de dormir ça fait un effet contre lequel n’importe quel trait ne pourra jamais rivaliser. J’évite de le faire trop souvent, ça doit déconnecter le cerveau à force. J’ai arrêté la coke aussi. Je fume un peu d’herbe le soir avant de dormir, des trucs très légers. Il paraît que ça apaise.

28/04/2003

J’ai eu besoin de prendre l’air, tout me prenait la tête. Je suis partie deux semaines dans la maison de campagne familiale. La première je l’ai passée avec mes soit-disant amis : un enfer. On a passé tout notre temps à s’engueuler pour des conneries. Sérieux je les supporte plus. On a du vraiment tous trop changé. Au moins maintenant c’est sur.
J’ai passé la deuxième semaine seule. Je me suis baladée, j’ai dormi. J’ai beaucoup fumé aussi. J’ai fait le bad trip de ma vie d’ailleurs. Ca m’a jamais vraiment bien réussi ce truc, mais là j’ai vraiment cru mourir. J’ai regardé mon visage dans le miroir le lendemain, je me suis jurée d’arrêter.
Il ne me reste que deux jours à la campagne et c’est pas très réjouissant. J’ai effectivement réussi à passer deux semaines loin de mon pc, mais en m’enivrant de la musique qui me rappelait sa présence. J’ai pas pu m’empêcher de lui envoyer des messages aussi. Putain de larve que je suis. Je me suis brouillée avec mes amis et quand je vois ma gueule, je me dis que je ne suis qu’une saloperie de droguée. Bref, c’est la merde.
Demain deux potes du net me rejoignent pour le week-end. Il y en a un des deux que je ne connais pas. Il vient d’assez loin. Ca va me changer les idées, je les aime bien tous les deux.

02/06/2003

Ca fait un bout de temps que je n’ai pas écrit, mais il s’est passé beaucoup trop de choses. De retour à Paris après mes vacances j’ai annoncé à ma mère que j’arrêtais mes études et que je partais de chez moi. Je vais rejoindre mon pote du net que j’ai rencontré en province. Il fallait que je parte d’ici, et au moins je ne serai pas seule loin de tout.
Faut que je recommence tout à zéro. Mon année scolaire est foutue, je suis obnubilée par un fantôme, mes amis et ma famille ne me comprennent plus. Je n’aime pas ce que je suis devenue.
Je vais travailler deux mois histoire de mettre un peu de sous de coté puis je pars à la fin de l’été… Histoire de voir si je m’aime un peu mieux à 600km d’ici.

28/07/2003

Rien ne va plus.
Je suis une pauvre merde qui ne contrôle même plus son propre esprit. Je sors de chez le médecin, il dit que j’ai une dépression. Je lui ai demandé si ça voulait dire que j’étais folle, il m’a expliqué que non. C’est, paraît-il, une véritable maladie qui peut vous tomber dessus n’importe quand. On prend des cachets et hop c’est fini. Mais bien sur. Comme si ses putains de cachets allaient m’enlever tout ce que j’ai dans la tête. A part me mettre encore plus à l’état de larve, ils ne me font rien ses trucs. Je peux juste m’amuser à faire de nouvelles combinaisons : un peu de Zoloft par ici, un peu de Lexomil par là, un coup de Stilnox par dessus… Je m’occupe comme je peux, je surveille les effets. C’est incroyable ça, j’ai mis des mois à m’obliger à ne plus prendre de drogue et on m’en fournit officiellement. Je suis épuisée par une année de débauche et on m’en offre. Pour quoi ? Pour m’achever encore ?
Putain tout le monde est au courant en plus, je ne sais même pas comment. J’ai le droit aux regards compatissants, aux petites phrases assassines du genre « oui je connais très bien, mon grand oncle en a fait une il y a dix ans. Ca peut arriver à n’importe qui ne t’inquiète pas. Je comprend ce que tu ressens, n’hésite pas à me parler ». Et bien non vous ne comprenez pas, c’est pas vous qui avalez des substances pour remettre votre cerveau dans le droit chemin. C’est pas vous qui vous mettez à fondre en larmes à la moindre occasion telle une gamine de 6 ans. C’est pas vous qui n’avez plus que de la bouillie dans la tête. C’est pas vous qui vous maudissez de ne pas avoir prit un truc qui vous aurait foutu en l’air une bonne fois pour toutes.
Je ne suis qu’une chouineuse, je ne suis pas malade, je suis conne c’est pas pareil. Leur pseudo-dépression, ils peuvent se la foutre au cul.

06/06/2004

Un an d’absence, je suis de retour. J’avais laissé ce cahier à Paris. Ca me fait mal de le relire. La boucle est bouclée. Je pensais que j’avais réussi à me construire une petite vie loin de tout, mais c’était me mentir.
Il m’a fallut une seule journée. Une seule journée ici pour que tout recommence. Une seule journée ici pour que je retrouve mes précieux somnifères et la coke. Une seule journée ici pour me rendre compte de ce que je suis réellement.
J’ai voulu mettre des kilomètres mais entre quoi et quoi ? C’est moi le problème c’est tout.
Un an après je suis toujours qu’une putain de droguée, addict à tout ce qui passe. Ce qui me plait c’est avoir l’esprit embrumé et la vie qui va avec. Un an après je lèche toujours les pompes de ce mec que je ne connais même pas. Un an après je suis toujours aussi superficielle que je pouvais l’être. Il n’y a rien derrière, il n’y a rien en moi.

Sans date

Combler le vide qui m’occupe. Le temps qui passe. Je l’attends. J’ai le corps en coton, la tête dans un autre monde. Les cachets sont toujours là eux. J’écris en l’attendant. Juste avant je fixais le curseur qui clignotait, les phrases qui défilaient mais ça me fait peur. Ca me fait peur tous ses gens qui parlent en même temps.
J’écoute la musique, ils me parlent, je n’avais jamais remarqué avant qu’ils me parlaient dans leurs chansons.
Le téléphone sonne mais je ne réponds pas. J’aime bien qu’on me parle, mais moi je ne sais pas parler.