La Zone
La Zone - Un peu de brute dans un monde de finesse
Publication de textes sombres, débiles, violents.
 
 
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Messages - sylvestre Evrard

#1
bin voilà, c'est fait
#2
et si on faisait dans le sex toy de noel?
#3
et pourquoi "un noel à la con"? plutôt que, de manière sarcastique "encore un super noel"? avec des antiphrases, genre "chouette encore un infarctus à la clé"...
#4
j'avais pigé que ça devait être un chant de noel !

J'dormais tranquill' dans ma chaussette
Sous l'âtre loin des frigides flocons
Rêvant en silence à une chouette playmate
#6
on pourrait pas écrire plus dans l'esprit trash de lazone?
genre:

J'dormais tranquill' dans mon coin lorsque
Dans l'ombre où dansent les gros cons
Rêvant en silence du divorce (ou sacerdoce) des orques
#7
J'dormais tranquill' dans mon coin lorsque
Dans l'ombre où dansent les flocons
Dans le silence du divorce
#8
= INITIATIVES = / Re : texte collectif - le bain
Novembre 14, 2025, 16:40:32
Anna était déterminée.

Et déterminé, il faut l'être, pour le découper comme ça, sans s'énerver, sans se louper, sans dévisser, avec passion mais non sans patience, petits bouts par petits bouts, presque même, il faut le dire, avec une sorte de tendresse, bien naturelle ceci dit vu la tonne d'amour qu'elle lui avait donné, et qu'il ne lui avait jamais vraiment rendu.

Donc avec aussi une douceur, mais assez de nerf pour le trancher, assez de force pour casser les parties les plus solides, écarter sans trembler les morceaux contrevenants à la beauté du geste, dégorger sans ciller les bouts tremblants qui lui firent, sur le coup, penser à la gelée de groseille que confectionnait, en été, mamie Zelie, à l'odeur des kilos de sucre qu'elle y mélangeait. A l'odeur du soleil, à l'odeur des plantes bizarres qu'il ne faut pas toucher, à l'odeur d'essence dans la vieille grange, ou à celle d'œuf pourri dans les recoins du canapé.

Avec retenue, bien sûr, car il ne faut jamais rien oublier, ni le bien, ni le maaaaaaaal. Elle se mit à fredonner, tout en malaxant les parties les plus tendres, en les tournant et les retournant, sans jamais se lasser ; ses doigts devenus des bouches, des nez, des sexes, qui absorbaient, transportaient, exacerbaient chaque sensation, le chaud comme le froid, le sec comme l'humide. Et tout en chantonnant elle se souvenait, la pauvre, de la manière stupide, horrible et déprimante, dont tout avait commencé.

Tout avait commencé par un éclat d'écran, un soir d'hiver où la neige tapissait les trottoirs de Paris comme un linceul immaculé, et Anna, blottie sous une couverture usée, avait découvert Philippe Croizon, cet homme-tronc aux épaules d'acier forgé dans l'adversité, dont les vagues de la Manche s'étaient brisées contre la volonté farouche. Ses exploits n'étaient pas des trophées vulgaires, mais des poèmes gravés dans l'écume salée : traverser l'océan Indien à la nage, quatre mille kilomètres de sel et de rage, sans bras ni jambes pour s'accrocher aux courants, seulement ce torse sculpté par la perte, ce cœur qui battait comme un tambour de guerre contre les abysses. Anna l'avait aimé d'abord pour cette absence sublime, ces moignons arrondis comme des racines d'arbre centenaire, vestiges d'un accident qui l'avait dépouillé mais révélé, un corps réduit à l'essentiel, un vaisseau sans voiles naviguant sur la mer des impossibles. Elle imaginait ses nuits à lui, bercées par le ressac des souvenirs, et les siennes s'en trouvaient hantées : elle, aux doigts agiles de couturière, rêvait de caresser ces contours tronqués, de les habiller de tendresse comme on rhabille une statue antique de marbre ébréché.

Philippe, avec ses traversées de détroits – le canal de Suez, la mer Rouge, chaque bras d'eau un défi lancé au destin –, incarnait pour elle l'amour pur, celui qui n'a pas besoin de membres pour enlacer, mais d'une âme qui palpite au rythme des marées indomptables. Elle collectionnait ses interviews comme des reliquaires, relisant ses mots sur la douleur transmutée en triomphe, et dans le silence de son appartement aux murs tapissés de cartes marines, Anna sentait son propre corps s'alourdir d'un désir inédit, viscéral, pour cet homme qui avait dompté les océans sans jamais plier. Cet amour naquit donc en elle comme une marée montante, irrésistible, emportant ses doutes passés dans un tourbillon d'admiration ; elle le voyait en rêve, flottant nu sur les flots, son torse luisant sous le soleil tropical, et elle se réveillait les cuisses humides de cette ferveur océanique. Mais les marées, hélas, ont leurs reflux, et l'amour d'Anna pour Philippe commença à se teinter de sel amer, quand les nouvelles de ses exploits se firent plus rares, remplacées par des silences radio, des absences qui creusaient en elle un vide aussi vaste que les mers qu'il avait conquises.

Petit à petit, la tendresse vira à l'obsession, un poison sucré qui s'infiltra dans ses veines : elle scrutait les forums obscurs pour des bribes de sa vie privée, imaginant ses amours charnels impossibles, et une jalousie acide lui rongeait les entrailles, transformant l'héroïsme en monopole possessif. L'amour devint toxique comme une algue vénéneuse, étouffant ses propres aspirations – Anna abandonna ses toiles inachevées pour des nuits blanches à guetter son ombre sur les réseaux, son corps à elle se fanant en parallèle, pâle et flasque, tandis que le sien, mythique, enflait en idole intouchable. Bientôt, les exploits de Philippe, jadis phares dans sa nuit, se muèrent en reproches muets : pourquoi n'était-il pas à elle, ce torse invincible, pourquoi sa liberté aquatique la condamnait-elle à une immobilité terrestre, enchaînée à un désir qui la rongeait comme une marée noire sur une plage sacrée ? La toxicité s'épanouit en une dépendance funeste, où chaque vague de doute la submergeait, et Anna, les yeux rougis par des larmes salées, se surprit à haïr les eaux qui l'avaient vu triompher, ces mers complices qui le gardaient loin d'elle, prisonnière d'un amour qui puait le varech pourri.

C'est alors que l'image surgit, fulgurante, dans l'un de ces délires fiévreux : Philippe, non plus nageur des abysses, mais une grosse pomme de terre noueuse, terreuse, blottie dans la terre meuble de son admiration, sa peau rugueuse et bosselée évoquant ces moignons qu'elle avait tant chéris, un tubercule gorgé de promesses pourries. Mentalement, elle le dépouilla déjà : cette pomme de terre massive, Philippe en son cœur charnu et fade, nourrie de ses propres sèves amoureuses, mais refusant de germer pour elle, de s'épanouir en une fleur vénéneuse qu'elle seule aurait pu cueillir. L'identification s'opéra dans un frisson de révélation malsaine, où l'amour toxique se cristallisa en cette métaphore organique : il était cette racine enflée, immobile et insatiable, absorbant toute lumière sans rien rendre, un légume difforme qu'il fallait éplucher pour en extraire la moelle, la vérité amère cachée sous l'écorce. Anna, les mains tremblantes d'une excitation nouvelle, fouilla les recoins de sa mémoire pour des outils ancestraux, mais c'est dans un catalogue veterinaires abandonné qu'elle trouva l'instrument divin : une seringue hypodermique pour éléphants, arme démesurée au dard acéré, capable d'injecter l'amour sous la peau la plus épaisse.

La décision mûrit comme une nuit sans lune, dans le silence de sa baignoire ébréchée, où elle imaginait déjà le rituel : l'attaque par surprise, un soir de crachin parisien, quand Philippe, confiant en sa gloire, franchirait le seuil de son antre, ignorant qu'il y entrerait pour la dernière fois en homme-tronc, mais en tubercule prêt à être pelé. Avec une tendresse perverse, elle prépara le bain, versant des huiles essentielles qui embaumaient la pièce d'un parfum de terre humide et de sucre brûlé, mélange alchimique pour adoucir l'épluchage, car cet acte serait un amour ultime, une dissection amoureuse où chaque lambeau de peau arraché révélerait les strates de leur passion empoisonnée. Et lorsque l'aiguille transpercerait la chair, non pour tuer mais pour libérer – une injection de sédatif doux, suivi du scalpel imaginaire de ses ongles –, Anna fredonnerait à nouveau, les yeux mi-clos, tandis que Philippe, flottant inerte dans l'eau tiède, se muait en pomme de terre émondée, sa chair pâle et vulnérable offerte à sa dévotion finale. Ainsi, dans cette baignoire devenue autel païen, l'amour toxique s'accomplirait en un geste suprême, épluchant non seulement la peau mais l'âme, jusqu'à ce que ne reste, au fond de l'eau rougie de souvenirs, le noyau pur et nu d'un homme enfin rendu à elle, pour toujours, dans la tendresse d'un tubercule dénudé.

Philippe ne put s'empêcher de traîner là encore un bon moment se délectant du changement de couleur de son épiderme. La dépouille de Anna s'affaissait de plus en plus, mais il ne voulait pas la laisser couler sous la surface de l'eau du bain. Il la retint de ses pieds pour lui permettre de continuer à contempler son visage si beau, si extatique à l'image de sainte Thérèse. Il resta là au moins une heure avant de s'en lasser et finit par sortir du bain tout empourpré. Dégoulinant d'hémoglobine, il la contempla encore quelques minutes. Cette dépouille que n'emporterait pas Charon dans sa barque à travers le Styx, ne provoquait chez lui aucune émotion. C'était loin d'être la première et pourtant il s'attendait toujours à un miracle. Lequel ? Il ne le savait pas lui-même. Tandis que l'eau rougie commençait à déborder de la vasque, pénétrant le plancher jusqu'à traverser le plafond chez le voisin du dessous, il se dit qu'il était temps pour lui de mettre les voiles. Il s'épongea à toute vitesse et enfila ses vêtements. Puis, il sortit de l'appartement comme il était venu tel un indésirable voyeur. Comme à son habitude, il s'effaça dans la foule de la rue, ne cessant de contempler son trophée : un petit bracelet qu'il avait prélevé au poignet de sa victime. Quelques heures plus tard, l'inondation ayant fait ses effets, le voisin du dessous commença à s'inquiéter et alla alerter la concierge. Le tandem courut dans les escaliers et la bonne femme ouvrit avec son passe la porte d'Anna. En découvrant le cadavre, à peine visible sous l'hémoglobine, la femme se mit à hurler tandis que le voisin restait muet la bouche grande ouverte. Il leur fallut quelques minutes pour sortir de leur trauma et appeler la police. On imagine facilement la suite de la scène du crime remplie à ras bord d'uniformes et d'un inspecteur. Principal en charge, un certain lieutenant du nom de Albert Cresson, n'eut pas de réaction tangible. Car c'était la 3e victime du même genre qu'il rencontrait en quelques semaines. On déboucha la baignoire pour découvrir le corps inerte que la brigade scientifique s'empressa d'examiner ; ils ne trouvèrent aucune trace visible de la moindre agression. Alors ?

L'eau débordait lentement, inondant la salle de bain et emportant avec elle, toute la crasse de ce monde.
#9
= INITIATIVES = / Re : Texte collectif Parafoutra
Novembre 10, 2025, 14:45:56
C'est son truc, à Machin, de creuser : il adore la surprise, l'excitation - ça le ramène en enfance.

Les pâtés de sable pleins de crottes de chat, les gâteaux de terre avec une feuille pour faire la cerise.
Il creusait partout, gamin. Et sa mère, elle, fermait les yeux.
Elle ne voyait pas la boue, ni le voisin.
Lui aussi aimait creuser.
Mais pas dans le sable.
Dans l'âme des gosses.

Forcément, ça abîme, ces trucs-là.
Alors maintenant, quand il creuse, ce n'est plus pour jouer à la marchande.
Il cherche pas des coquillages.
Il déterre les preuves. Les autres.
Parfois, juste pour voir si dessous, c'est enfin vide.

Il a cherché tous les moyens de le combler. Tous. Sous les bégonias de sa mère, il a enterré tout ce qu'il pouvait trouver, de mort ou de vivant, incapable de lui résister. A chaque fois qu'il remuait le sol, de ses petits doigts boudinés, il ressentait un plaisir indicible, quelque chose qui lui chatouillait le ventre, lui titillait la cervelle. L'impression qu'il fouraillait à l'intérieur de lui-même, qu'il se touchait sans se toucher. Le sentiment de remplir son vide. Mais dés qu'il sortait ses doigts du sol, la magie disparaissait. Machin redevenait un petit garçon vide, triste et sans avantages. Son voisin, par-dessus la haie, le saluait, et sa maman l'appelait pour manger.
En grandissant, le vide s'élargissait, et son besoin de manipuler, et d'enterrer, grandissait. Il creusait partout, tout le temps. La plupart des gens, normalement constitués, se demandaient : qu'est-ce qu'il cherche ?
Sa mère répondait : il essaie de se trouver. Tous s'accordaient au moins sur ce point : Machin, il creuse bien.

Il a bien tenté d'autres trous, Machin. Pas que dans la terre.
Dans les femmes, aussi, un peu, pour voir si c'était pareil.
Elles disaient qu'il était maladroit, qu'il allait trop profond ou pas au bon endroit.
Lui, il cherchait juste ce petit bruit, ce frémissement de l'intérieur, comme quand la pelle touche un caillou.
Mais rien.
Toujours cette impression d'avoir creusé à côté.
Alors il s'est mis à creuser dans le travail, dans les heures supplémentaires, dans les formulaires, dans tout ce qui pouvait remplir.
Et puis, quand il s'est rendu compte que tout ça ne faisait que déplacer la boue d'un trou à l'autre, il a arrêté d'essayer de comprendre.
Il s'est dit qu'il fallait creuser utile.

Il aurait pu, Machin, plonger ses mains dans les veines rougies de la terre, prospecteur infatigable, à la poursuite de pépites qui font chanter les foules et les marchés lointains. S'esquinter la santé avec du mercure à hautes doses.
Il aurait pu chevaucher les vagues déchaînées sur une plateforme pétrolière, là où l'océan gronde comme un amant jaloux, et forer jusqu'au cœur noir des abysses pour en extraire le sang visqueux du monde.
Il aurait pu dompter le schiste rebelle, expert en fracturation hydraulique, injectant des torrents d'eau et de secrets chimiques pour libérer le gaz emprisonné, ce souffle fantôme qui allume les chaumières et noircit les cieux.
Il aurait pu gravir les échelles du pouvoir, de la boue aux conseils d'administration, où l'on mesure la fortune en barils et en barres de graphite.
Il aurait pu devenir le maître des profondeurs insondables, un Prométhée moderne arrachant le feu souterrain aux dieux colériques de la géologie.
Mais les promesses des filons d'or ne l'ont jamais ému autant que le murmure des racines sous la pelouse municipale.
Les tempêtes océaniques, pour violentes qu'elles fussent, ne lui offraient pas la quiétude d'un sol qui se souvient des pluies d'hier.
Les explosions contrôlées du fracking, ces éclats de foudre artificielle, ne résonnaient pas comme le craquement intime d'une pelletée dans l'humus.
Les salaires ronflants, les primes de risque, les voyages en jets privés – tout cela n'était que papier friable face à la chair tangible de la terre.
Aussi, par un caprice pragmatique, bassement ancré dans le quotidien des petites retraites et des loyers modestes, Machin opta pour le manteau bleu du fossoyeur municipal.
Chaque aube, il franchissait les grilles rouillées du cimetière, son domaine secret où le temps se mesure en strates de silence.
Il aimait retourner la terre humide, cette argile gorgée de regrets et de rosée, pour en faire le meilleur des composts humains, alchimie lente et pieuse.
Avec une précision d'orfèvre, il creusait les lits éternels, six pieds de profondeur où les âmes s'allongeaient enfin sans feindre.
Certains passaient leur existence dans les voûtes fraîches des caves, affinant des fromages aux croûtes parfumées d'herbes oubliées.
D'autres caressaient des cuvées sombres, veillant sur le vin qui mûrit en murmures de tanins et de soleil captif.
Lui, dans son atelier à ciel nu, travaillait des corps en décomposition, ces vignes humaines qui s'entrelacent dans la pourriture fertile.
Il affinait avec amour les chairs qui fondent, les os qui blanchissent, les chairs qui se muent en humus nourricier pour les herbes folles.
Il savait épier les vers comme un maître fromager guette les moisissures nobles, et les pluies comme un vigneron attend les vendanges.
Chaque monticule refermé était une œuvre accomplie, un terroir neuf où la mort engraisse la vie en cycles invisibles.
Et dans ce labeur humble, Machin retrouvait l'écho de ses pâtés d'enfance : creuser non plus pour jouer, mais pour que le vide, enfin, se remplisse de promesses vertes.

Quelle ne fut pas sa surprise, à Machin, lorsqu'un jour on lui apporta, tout froid, raide comme piquet, le cadavre de son pire ami : son vieux voisin.
Il se trouvaient tous les deux, comme autrefois, foin de lys ou de jasmin - seuls, avec la terre, mais sans jardin. Face au trou béant qui attendait son nouvel amant, Machin resta coi, un long moment. Le cadavre de « Monsieur Pimpim » prenait l'air, prenait le vent – très bien. La pelle attendait, rongeant son frein. Le ciel s'abaissait, comme une presse hydraulique géante, au dessus d'eux. Au loin, une conne jouait du Yann Tiersen au piano – Mélie Poulain. Les grosses gouttes commencèrent à trouer la boue, poinçonner la glaise. Elles martelaient le rythme sur le torse de Monsieur Pimpim. Sur sa têtes, son gros ventre plein de gaz mortifères, et des couilles sans doute encore remplies de désirs interdit. Et la pelle attendait toujours. Elle savait que Machin, quand il réfléchissait, fallait lui foutre la paix. Elle aimait la pluie, ça tombait bien.
Mélie Poulain prit fin. Machin dégoulinait, la terre s'écartelait. Monsieur Pimpim aimait mettre ses doigts dedans, dans le temps.
Puis les tendre à Machin, en souriant


Il regarda le corps comme on regarde un trésor qu'on n'ose pas ouvrir, les doigts collés à la pelle, la pluie qui s'acharne comme un public impatient. Il sentit, très net, ce basculement : fallait-il rendre à la terre ce qui lui appartenait encore, ou creuser plus profond dans le spectacle de la chair ?
Machin prit la décision comme on arrache une rustine : sans cérémonie, parce que quelque chose dans sa gorge demandait une réponse immédiate. Il posa la pelle sur le sol, posa sa main sur le front froid de Monsieur Pimpim. Le contact était un contrat. Il retira la veste du mort — petit tissu râpé, odeur de tabac éteint — et trouva, sous la peau, des choses qui faisaient écho à ses propres trous : une petite cicatrice mal refermée, un bruit sourd quand il pressait le ventre creux. Il sourit sans plaisir, comme on sourit à une vieille connaissance qu'on n'a jamais vraiment aimée. Puis, sans colère ni dégoût, seulement par curiosité professionnelle et par l'habitude du geste, il commença à fouiller. Pas pour voler, non : pour savoir. Pour lire la carte que la mort avait tracée sous la peau. Il laissa ses doigts chercher, découvrir, inventer des raisons. Chaque muscle qu'il déplaçait parlait — regrets, mensonges, petites lâchetés — et Machin les rangeait comme des pierres précieuses ou des cailloux qu'on préfère ne pas montrer. Quand il eut fini, il assembla les organes avec la même indifférence qu'on répare une chaussette qui aurait encore des choses à vivre.
Avec la même économie que pour un montage de jardinerie, il tissa autour de son cou un collier grotesque : morceaux intimes alternant avec brins de ficelle tirés d'un sac, comme si l'on inventait un bijou funéraire à la mesure d'un regret. Ce n'était pas exhibition ni sacrilège gratuit ; c'était un acte de couture avec la mort, un point final cousu à la va-vite sur une histoire qui refusait de disparaître proprement.

Il se plaça ensuite au bord du trou, regarda le voisin une dernière fois. Le geste qui suivit fut d'une simplicité presque domestique : il posa une main sur la poitrine raide, comme on caresse une nappe avant de la replier, puis il s'allongea. Il se fit l'écrin volontaire de la même glaise ; il laissa le vent et la pluie conjuguer les derniers rituels. La terre retomba, sur la terre humide, et Machin sentit chaque part de son âme inutile se couvrir, chaque souvenir se tasser. Il avait choisi la clôture la plus radicale : ne plus laisser le vide le ronger depuis l'extérieur, mais l'ensevelir de l'intérieur, avec ce qu'il tenait pour complice.


Mais sous la terre qui s'effritait déjà en une étreinte molle, Machin sentit un soubresaut primal le secouer, comme si la glaise refusait de le digérer si vite et lui renvoyait, par capillarité, le goût salé de ces après-midis interdits où les doigts du voisin fouillaient plus bas que les racines des bégonias. Il se redressa d'un bond muet, les yeux rivés sur le corps de Monsieur Pimpim qui, même raidi par l'au-delà, semblait l'inviter à une dernière danse souterraine, ses chairs flasques comme un sol labouré attendant la semence. La pluie avait cessé, laissant un silence gorgé d'odeurs – terre remuée, tabac froid, et ce relent âcre de mort qui n'était que la fermentation d'un désir trop longtemps composté. Piner, pour Machin, n'avait plus rien d'un vice ou d'une vengeance ; c'était l'outil ultime, la pelle charnelle qui transperçait les strates de l'autre pour y déterrer les échos de son propre abîme, là où l'enfance s'était fissurée comme une motte sous la binette. Son sexe se dressa, turgescent et impérieux, non pas par luxure brute mais par une géologie instinctive, un appendice minéral forgé dans les limons de ses nuits hantées, prêt à forer jusqu'au magma refoulé. Il empoigna les hanches du cadavre avec une tendresse de terrassier, écartant les cuisses inertes comme on écarte les lèvres d'une plaie fertile, et s'enfonça d'un coup sec, violent, dans ce boyau froid qui céda sans un cri, sans un spasme, offrant une résistance molle pareille à celle d'un humus gorgé d'eau. Chaque poussée était une excavation frénétique, un godet de tractopelle raclant les parois de l'altérité pour en extraire des pépites de vérité – ces éclats de honte partagée, ces murmures d'enfance où le voisin avait été le premier à creuser en lui, laissant un cratère que seul ce va-et-vient obscène pouvait combler. Le corps de Monsieur Pimpim ballottait sous l'assaut, ses chairs se modelant autour de l'intrus comme l'argile autour d'une racine invasive, et Machin y vit, dans ce frottement humide et sans vie, le miroir de son vide : un tunnel creusé dans un tunnel, un moi profond occulté qui surgissait enfin, suintant de sève noire et de regrets pétrifiés. Il accéléra, haletant comme un foreur en pleine veine, sentant sous ses coups de reins les os du bassin craquer doucement, non pas en brisure mais en capitulation, libérant des gaz fantômes qui emplirent l'air d'un parfum de caveau violé. Bientôt, l'orgasme le traversa non comme une décharge mais comme une coulée de lave, un dépôt sédimentaire qui scella le fond de la fosse intime, mélangeant sa semence à la boue intérieure du mort, fertilisant ce qui n'était plus qu'un compost d'âmes emmêlées. Et quand il se retira, épuisé, le sexe ramolli comme une lame émoussée, Machin contempla l'œuvre accomplie : un trou plus profond, un secret exhumé, où son moi occulté gisait enfin nu, prêt à être enseveli avec son complice éternel. La pelle, oubliée contre la paroi, sembla alors superflue ; creuser, c'était cela, désormais – une pénétration totale, un enfouissement réciproque qui rendait la terre complice de tous les silences.

Pimpim n'avait pas toujours été son pire ennemi. Bien avant la grande déflagration, ils se fréquentaient souvent, se délectant de petites soirées entre hommes, agrémentées de parties de cartes, de bière à profusion et de petites délicatesses réciproques (faute de mieux) dont la morale m'interdit de donner les détails. Chacun chez soi, ils se retrouvaient régulièrement pour aller à la chasse, ramasser des champignons hallucinogènes, et, à l'occasion, se partager quelque malheureuse gueuse égarée. À l'époque, ils n'étaient pas très exigeants sur la marchandise, eux dont les peaux étaient déjà couvertes de pustules dues aux radiations. Ils n'étaient pas encore les deux derniers hommes sur Terre, mais ça n'en était plus très loin.
Jusqu'au jour où une bande de charognards débarqua, armée de machettes et de longs couteaux. Grâce aux deux fusils de chasse et des munitions que Pimpim gardait précieusement sous le plancher, le tandem édenté et sanguinaire n'en fit qu'une bouchée. Au sens propre comme au figuré, car le gibier se faisait rare et il fallait bien survivre. Le barbecue fut royal ! Pourtant, de cette bande de sauvages, il ne resta qu'un seul être humain : une femelle d'une quarantaine d'années, encore assez « consommable » de sa personne et fut vite mise en réserve à la cave. Et c'est là que les problèmes commencèrent.
Au début, ils partageaient encore ce petit trésor à peine abîmé, se relayant toutes les quinzaines pour soulager leurs testicules atrophiés. Mais Pimpim, plutôt d'une nature égoïste, se mit à revendiquer la propriété exclusive de la femme qui, au demeurant, ne prononçait plus un mot sinon des onomatopées gutturales pour réclamer à manger. Un soir, Machin débarqua furax chez son voisin pour exiger, comme convenu, sa pitance sexuelle. Il se retrouva devant une porte bien close avec ses 18 verrous de sécurité. Enfin, presque close, puisqu'un double canon de fusil de chasse se braqua sur son front à travers une petite lucarne, accompagné de cet avertissement : « Si tu insistes, je te bute, connard ! »
Totalement frustré, humilié au plus haut point d'exclamation, Machin fit demi-tour, se promettant que cette affaire ne resterait pas sans suite bien sentie. Il imagina toutes sortes de ruses, épiant chaque jour pendant de longues heures ce pseudo couple de l'infortune apocalyptique. Il pouvait souvent entendre les affreux cris de la quadragénaire, hurlant, non pas "au secours", mais plutôt des cris de lapin qu'on écorche vif sans lui avoir brisé la nuque au préalable. Machin frappait et frappait encore sur les cloisons de la maisonnée du tortionnaire pour l'inciter à stopper ces supplices ignobles. En vain. Pimpim se laissait aller à toutes sortes de jeux que le marquis de Sade lui aurait enviés. Bien que Machin n'en fût jamais resté insensible, sans arme à feu à sa disposition et sa peau valant trop cher à son goût, il renonça. Pour se consoler, il se persuadait chaque nuit que ce monstre finirait par passer l'arme à gauche et qu'il récupérerait alors l'appétissante femelle. Enfin... Ce qu'il en resterait.
Les mois et les années passèrent. Machin développa une haine féroce envers son seul et unique voisin, cette bête de luxure qu'il enviait au plus haut point pour être honnête. Comme on pouvait s'y attendre, le résidu féminin trépassa. Le Pimpim s'en débarrassa comme un chien enragé crevé au fond d'une ancienne fosse à purin.  C'est pour toutes ces raisons qu'il se délecta à l'idée de blasphémer le corps de son ennemi, livré par un obscur bienfaiteur; qui était-il d'ailleurs? Mystère. Cadeau ou avertissement? Le Machin se sentait épié depuis un moment. Juste une impression de bête aux aguets. Mais à cet instant, à demi enfoui avec ce fumier dans l'humus pourri aux relents infects, la question demeurait superflue. Une terre stérile exhalant l'haleine du démon sera sa dernière demeure. Sa rancœur n'avait plus de limites contre ce personnage désormais réduit à l'état de charogne même pas mangeable par la plus affamée des hyènes ; elle suintait la morve jaunie autant que dans son cerveau comme un rhume des foins gangréné.
Nu comme un de ces vilains chiens mexicains, couvert de boue et de tripes, car les vêtements étaient rares en ces temps de grande misère, il se mit à gratter la terre pour sortir du trou. La pelle l'attendait, belle comme une invitation à la sauvagerie : totalement aliéné par une fureur mêlée de pus de crapaud, il se mit à frapper, encore et encore, cette dépouille répugnante. Les coups tranchants plurent comme une Madeleine squelettique endeuillée, réduisant en charpie ce qui avait été ce salopard attardé de Pimpim. À bout de forces, épuisé par l'effort, il s'effondra dans la fange, à la manière des sangliers se délectant de leur bauge. D'un golem pétri par la main osseuse d'un juif errant, il en avait toute l'élégance.
C'est alors qu'un orage éclata. Dans un coup de théâtre improbable, la foudre s'abattit à trois reprises à l'intérieur même de ce qui n'avait pas encore fini d'être une tombe. Et là...



Et un jour, peut-être, quelqu'un viendra le déterrer, lui aussi, à son tour ?
#10
y aura-t-il moyen de mettre des bitmaps dans les récits? je voudrais insérer des schémas et des formules imaginaires écrites à la main (par exemple); autre solution? un PDF en annexe à télécharger?
#11
bonjour,
pourrait-on recevoir un mail quand qq'un dépose un nouveau texte, commentaire ou message?
un récap des commentaires déjà postés sur sa fiche?

cdlt