La Zone
La Zone - Un peu de brute dans un monde de finesse
Publication de textes sombres, débiles, violents.
 
 
Menu

Voir les contributions

Cette section vous permet de consulter les contributions (messages, sujets et fichiers joints) d'un utilisateur. Vous ne pourrez voir que les contributions des zones auxquelles vous avez accès.

Voir les contributions Menu

Messages - sniz

#31
la BO de ce texte vient de sortir dans mon cul.
voilà la playlist

passagedelanouvelle : titre (artiste, album)

1. Ouverture : Nacarat (Hadouk Trio, Now)
2. Amertume : Pushit (Tool, Aenima)
3. Signes et énigmes : Indians desaparecido (Henri Texier azur quartet, An indian's week)
4. Le jour de Lohi : Joy (Shakti, The best of Shakti)
5. Rencontre avec Vesya : Making love on your side (Howie B, Folk)
6.  Les ruines du monastère : Oops!... I did it again (Britney Spears, Oops!... I did it again)
7. Hostile jungle : Forêt vierge (Gwem, Possession)
8. Les lumières de Pranaya : Nocturn (Mukta, Indian sitar & world jazz)
9. Sthula et Dvitsevin : El bozo, part 2 (Chick Corea, My spanish heart)
10. Songes : Hey blondie (Amon Tobin, out from out where)
11. La roue tourne / Fermeture : Bairagi (Anoushka Shankar, Anoushka)
#32
bin faut demander à nihil

ça m'amuse de jouer le mouton noir des zonards
#33
Et soudain, il n'y eut plus rien que cette éphémère sensation. Ce fut pour Vindu comme s'il était venu au monde à cette seconde précise. Le frisson pénétra par la pulpe des doigts, se propagea dans les phalanges, se scinda dans les poignets en trois ramifications qui remontèrent  dans les bras en s'enroulant autour des os, se combinèrent à nouveau aux épaules pour finir par serpenter autour de la colonne vertébrale. Instantanément, le dos se raidit et une bouffée de chaleur crépitante fut libérée dans l'encéphale. C'est alors que, les sens galvanisés par cette tornade psychique, il put apercevoir le spectre qui se déplaçait en suspension au-dessus du sol, dans un mouvement à la fois complexe et gracieux. Il lui apparaissait comme une combinaison de fils brillants repliés sur eux-mêmes qui s'étiraient et se tordaient dans les airs. Ils se nouaient tous en plusieurs points névralgiques d'où émanaient des lueurs mélodieuses et envoûtantes. De loin, ces courbes rougeoyantes ressemblaient à de fines volutes de fumée, mais en les observant de plus près on pouvait y distinguer les courants de Satya qui les parcouraient. Certaines d'entre elles s'ouvraient, s'allongeaient et, telles de minces tentacules rayonnantes, se joignaient quelques instants aux flux des plantes environnantes. L'entité s'immobilisa en face de Vindu. Ses nœuds produisaient des harmonies aux consonances incroyablement denses qui s'amplifièrent et absorbèrent la volonté vacillante du jeune homme dans l'irrésistible parfum des corolles lumineuses que ces chœurs développaient autour d'eux.

Instantanément, tout devint sombre. Il éprouva alors le besoin de vomir et par réflexe la bouche s'ouvrit en même temps que l'estomac se contractait. Il en sortit un long naja aux écailles noires qui, au fur et à mesure qu'il s'épanouissait dans les airs, devenait gigantesque. D'un coup de queue, il projeta Vindu sur son dos. Progressivement, le reptile lui semblait devenir de plus en plus monstrueux. Il s'aperçut bientôt que cette transformation s'appliquait à toute l'étendue qui l'entourait, ouvrant en chaque point des abîmes qui se creusaient dans toutes sortes de directions : son champ de vision intégrait la quatrième, la cinquième puis la sixième dimension... Leur nombre se multipliait à une vitesse sans cesse croissante. Il ne tarda pas à se sentir submergé par l'effroyable sensation de déséquilibre qu'il éprouvait à se déplacer dans cet espace vertigineux. Mais il se rendit rapidement compte que cela le rendait capable d'adopter tous les angles de vue possibles sur les choses qui l'entouraient. Il eut le sentiment d'en avoir une compréhension absolue, ce qui lui permit de retrouver rapidement son assurance et de suivre les mouvements du serpent, qui s'enroulait autour d'une structure démesurée. Lorsqu'il fut assez proche pour pouvoir comprendre ce qu'il en voyait, Vindu s'aperçut qu'il s'agissait d'un arbre*. Jamais il n'en avait vu d'aussi gigantesque. Il était composé de millions de réseaux de lois* enchevêtrés, que grâce à son extraordinaire faculté de perception il était en mesure de déchiffrer sans le moindre effort. Il pouvait clairement apercevoir les innombrables petits segments bleus luisants qui reliaient les paramètres*. Ebahi, Vindu comprit qu'il s'agissait de ce que les Théoriciens concevaient comme le mythique arbre* de la Connaissance, la superstructure qui contenait toutes les autres, la table qui permettrait à celui qui serait en mesure d'en supporter l'inconcevable complexité de connaître parfaitement tous les éléments de l'univers et les relations qu'ils entretiennent entre eux. A cet instant, le naja, qui avait tourné la tête dans la direction de Vindu, attira son attention sur un complexe de paramètres particulier, dont la forme rappelait celle d'une pomme. Il n'eut besoin d'aucune explication pour en comprendre instantanément la nature : c'était la loi* de la Certitude, le fruit ultime de la Synthèse. C'était une source intarissable de puissance, la clé qui permettait d'intérioriser l'arbre* de la Connaissance et de s'octroyer le contrôle parfait de tous les phénomènes naturels. La possession de cette loi* ferait de Vindu un dieu omnipotent.

Alors que, les yeux brillants de convoitise, il choyait déjà du regard cet incommensurable trésor qu'on lui offrait, une fissure se propagea dans son esprit pour, en une fraction de seconde, devenir un abîme béant. Non ! Tout cela était impossible. Ce ne pouvait être qu'une illusion. Les mots exacts que Kurtogdel avait employés le frappèrent comme un projectile : «Comme tout savoir humain, la Synthèse recèle une contradiction majeure : le méta-arbre* qui contient tous les arbres* stables possibles est lui-même instable.» La force avec laquelle il avait adhéré à cette affirmation, qui avait été d'autant plus grande que sa propre intuition lui avait depuis longtemps révélé cet état de fait, fut canalisée par sa volonté pour extraire son esprit de ce spectacle mensonger. L'ouragan de Satya qu'elle engendra désarticula les anneaux lumineux du spectre qui, dangereusement déstabilisé, entama aussitôt une manœuvre de repli.

Mais juste avant de disparaître, il réussit une dernière manipulation sur la conscience de Vindu qui, en l'empêchant de revenir à son fonctionnement habituel, la maintint dans un agréable état d'introjection où son esprit béat, libre des nécessités de l'analyse perceptive, pouvait voyager à sa guise dans les souvenirs. Il découvrit ainsi près de lui un bosquet composé d'arbres* que Pranaya lui avait projetés et qui exprimaient chacun une idée relativement complexe. Il entreprit de les parcourir lentement par la pensée :

«Grâce à la Synthèse, les Prajnas ont appris à extraire des profondeurs de leur être la mémoire que leurs ancêtres y ont accumulée. Certains d'entre eux se sont entièrement consacrés à cette tâche introspective. En interprétant et en recoupant les sensations qu'en voyageant ainsi dans le passé ils sont parvenus à extirper de leur corps, ils ont réussi à retracer leur histoire :

Il y a très longtemps, Prajnas et humains étaient semblables aux autres animaux : ils utilisaient leur cerveau presque uniquement pour analyser leurs sensations, et leur mémoire était peu développée. Ainsi, ils étaient capables de percevoir des choses qui plus tard, parce qu'ils en vinrent pratiquement à ne plus utiliser leur entendement que pour manipuler leurs souvenirs, leur deviendraient inaccessibles. Ils pouvaient ainsi voir les mouvements des Satya, et c'est pourquoi ils furent instinctivement attirés vers les zones où ces particules, qu'ils savaient participer de leur essence profonde, étaient en plus grande quantité. Les ancêtres des Prajnas avaient de cette manière découvert une région où ils s'étaient installés. Eydhen -c'est ainsi qu'ils l'avaient appelée- était suffisamment vaste et leurs aïeux assez peu nombreux pour que les humains, qui y avaient eux aussi été attirés, puissent en jouir également. D'inévitables guerres éclatèrent cependant et, après plusieurs générations au cours desquelles aucune des deux espèce ne parvint à s'imposer, un accord tacite fut entendu puis deux territoires furent constitués. Tous purent ainsi bénéficier de l'exposition aux champs de circulation des Satya, qui petit à petit développa leur corps, ainsi que leur conscience d'eux-mêmes et du monde. Ils découvrirent progressivement l'utilité et la puissance de l'esprit. C'est alors qu'humains et Prajnas empruntèrent des chemins bien différents. Les hommes avaient fini par considérer que la pensée était supérieure à toute autre chose. Ils avaient appris à interagir avec les flux de Satya qui circulent dans les profondeurs de la Terre, ce qui leur permettaient d'influer sur tous les êtres vivants de toutes les contrées. Ils appréciaient le pouvoir que cet art leur offrait. Ils voulurent devenir les maîtres de l'univers et imposer leur volonté à tout ce qui vit, sans pour autant s'y identifier en aucune manière. Ils étaient dans leur folie persuadés de tout connaître. Les Prajnas de leur côté,  qui avaient fait des découvertes similaires, loin de vouloir le dominer, avaient entrepris de fusionner avec le monde, en lui ouvrant leur corps : ils n'y retenaient plus les Satya et se laissaient complètement pénétrer par les flux venus des profondeurs terrestres. Ne pouvant rompre la paix établie, les hommes entreprirent de manipuler la circulation des Satya afin que le territoire des Prajnas ne soit plus irrigué de leur flot. Les négligences des humains, aggravées par la lutte qui s'ensuivit, rompirent l'équilibre qui s'était établi depuis la nuit des temps en Eydhen. Des volcans  surgirent de toutes parts, le feu du ciel s'abattit sur la terre et un déluge sans précédent noya tout ce qui vivait, jusque très loin au-delà des horizons. La Terre était meurtrie et elle était devenue malade. Tous furent contraints de quitter l'Eydhen, qui se nécrosa rapidement et devint une région désertique. Les hommes ne perdirent que leur pouvoir. Forts de ce qu'ils avaient gagné en Eydhen -et en premier lieu la conscience- ils s'adaptèrent très rapidement à la vie dans des sphères d'existence beaucoup plus basses et oublièrent leur passé glorieux.

Des échanges avec Kurtogdel ont permis des recoupements supplémentaires : certains hommes eurent tout de même la force de perpétuer certaines pratiques, sans vraiment les comprendre. Si bien qu'elles finirent par perdre leur sens originel pour devenir un pur instrument de pouvoir. Les Sibylles étaient par exemples capables de prévoir les pluies, et elles se servirent de cette capacité pour étendre leur influence sur les agriculteurs. Elles fondèrent l'empire de Kahun en utilisant de cette manière ce qui deviendrait la Synthèse.

Mais les Prajnas, eux qui étaient devenus la Terre, eurent beaucoup plus à pâtir de cette crise, puisque c'était aussi dans leur corps que se produisaient les cataclysmes. Les quelques survivants étaient très affaiblis. Pour une raison encore inconnue, contrairement aux hommes, ils ne pouvaient conserver un état de conscience élevé hors du champ d'influence des Satya. Ils errèrent donc comme des bêtes, dans une sorte de torpeur asthénique, pendant des dizaines de générations. C'est dans cet état que Kurtogdel les avait retrouvés. Il leur donna les moyens de revenir à une vie consciente et de chercher efficacement un lieu qui pourrait remplacer l'Eydhen. Après de longues recherches, ils trouvèrent finalement la région d'Habbel. Elle était déjà habitée par les grands singes que Vindu avait pu voir, et qui étaient eux aussi sur la voie de la conscience. Aussi pactisèrent-ils avec eux.

Bénéficiant de conditions favorables à leur résurgence, les Prajnas retrouvèrent, en une seule génération, ce qu'ils avaient perdu pendant si longtemps. Ils exploitèrent les découvertes de Kurtogdel dans le but de poursuivre les desseins que naguère leurs ancêtres avaient caressés. Grâce à leur travail, Habbel devint un site de plus en plus puissant. Et surtout, la Synthèse leur fournissait l'outil idéal pour se fondre à l'intérieur du monde. Ils purent, en utilisant le rêve* pour véhiculer le support de leur conscience, c'est à dire les Satya, à l'intérieur des autres formes de vie, créer une communication profonde avec un nombre croissant d'espèces végétales et animales, puis établir des accords avec chacune de leurs individualités. Ainsi par exemple, grâce à la puissance et la variété des moyens d'action qu'en tant que Prajnas ils avaient à leur disposition, ils pouvaient entretenir, selon les propres prescriptions de ces plantes –et donc de manière idéale- les arbres dans lesquels ils vivaient, et ceux-ci en retour créaient des niches, ayant une forme voulue, qui à eux-mêmes auraient été inutiles, mais dont les Prajnas avaient besoin pour s'abriter. Il en allait de même pour la nourriture, dont le prélèvement s'effectuait toujours en accord avec la plante concernée : maintenue par leurs soins en bonne santé, elle était toujours généreuse en fruits et les ils n'avaient qu'à exploiter le surplus de sa production. De cette manière, les Prajnas pouvaient se passer d'exploiter ou de détruire d'autres formes de vie, de transformer et aliéner leur entourage pour construire outils, meubles ou bâtiments. Une véritable symbiose avec les êtres de la forêt était alors possible. Cette capacité à communiquer les transcendait et les élevait au rang de médiateurs entre les espèces. Ils consacraient alors leur force vitale à l'établissement progressif d'une harmonie aussi complète que possible au sein de la nature toute entière, pour enfin s'effacer en tant qu'individus -qu'espèce, même- et se fondre dans l'univers. Ils étaient cependant conscients de la complète absurdité de leur quête, puisqu'ils savaient que jamais la violence, à laquelle ils participaient à chaque instant rien qu'en se défendant contre les germes de maladies que contenait l'air qu'ils respiraient, ne pourrait être exclue de l'incommensurable chaos qu'est l'univers. Mais cela ne les arrêtait en rien car, loin de se forger d'orgueilleux idéaux, ils ne se donnaient un tel objectif que parce qu'ils appréciaient simplement l'art de vivre qui en découlait.

Mais ce choix interdisait aux Prajnas de quitter Habbel, si ce n'était au prix d'une très rapide régression à un stade de survie inconscient : leur corps ne pouvait se passer des flux de Satya. Certains d'entre eux cherchaient à pallier ce manque en tentant de pactiser avec certaines espèces d'oiseaux et de développer un type de rêve* qui leur permettrait d'extraire des images de la mémoire des volatiles. Mais cela restait insuffisant. Les humains possédaient eux aussi un pouvoir puissant et pouvaient jouer un rôle décisif dans cette quête d'harmonie, pour autant qu'ils fussent capables de comprendre quel y serait leur intérêt. C'était là l'objet de la mission de Vindu : donner aux hommes les moyens de retrouver la puissance qu'ils avaient eu jadis en Eydhen et, pour leur éviter de gaspiller leur énergie à assujettir autoritairement leur environnement, de leur offrir la noblesse de se débarrasser de leur orgueil et de ne pas arbitrairement se considérer comme les propriétaires de la nature. Il s'agirait d'un long travail souterrain nécessitant la création d'une organisation secrète, qui transformerait progressivement et de manière imperceptible l'idée générale que se faisaient les humains de l'univers. Certains d'entre eux, dûment choisis pour la finesse de leur esprit, leur penchant à la création et surtout le pouvoir qu'ils auraient d'influer sur les mécanismes de pensée de l'ensemble de leurs congénères, recevraient régulièrement des flux de Satya dirigés par les Prajnas afin que, sans même qu'ils sachent comment, le champ de leur conscience s'élargisse. Et puisque les Prajnas ne pourraient quitter Habbel, il appartiendrait à Vindu, au moyen de constructions en pierre similaires à celles qu'il avait vues dans la crypte du monastère, de jalonner le parcours des Satya pour leur permettre d'accéder à des zones qu'à cause de la géographie ils ne pourraient peut-être pas atteindre sans une telle intervention. Habbel pourrait ainsi avantageusement remplacer l'Eydhen.»

L'esprit de Vindu était parvenu à la cime du dernier arbre*. Saisi par le sentiment de puissance qu'il éprouvait à dominer ainsi le paysage, il se laissa indolemment bercer par la brise qui faisait onduler la ramée dans laquelle il se trouvait. Mais au-dessus de lui, le ciel s'assombrissait rapidement. Les mouvements prirent rapidement de l'ampleur et une soudaine averse s'abattit sur lui. Puis le ciel s'embrasa et à cet instant précis tout commença à se figer autour de lui. Les gouttes de pluie et les feuilles mortes ralentirent leur course pour se suspendre, presque immobiles,  dans l'espace. Il put alors voir la foudre s'effondrer progressivement sur lui, à une allure de plus en plus lente. Lorsque le plasma lumineux atteignit la branche, Vindu s'y sentit inéluctablement aspiré. Aveuglé par les radiations internes du canal, égaré par cette étrange sensation de désincarnation, renversé en tous sens, il sombra dans une chute vertigineuse en direction du ciel. Au bout de quelques instants, il eut l'impression que sa descente était peu à peu freinée. Lorsque sa vitesse s'annula, il surgit de l'éclair tout comme il y avait pénétré. Il se trouvait au sommet d'une puissante montagne. Les nuées sombres se dissipèrent en quelques instants, découvrant à ses yeux un territoire immense, parsemé de grandes cités de pierre. En face de lui, sur le versant, se tenaient des milliers d'hommes prosternés qui lui offraient leurs richesses et leurs femmes. Ils avaient dus être très impressionnés par son arrivée spectaculaire. Il leva les bras à l'horizontale, comme il imaginait qu'un empereur ferait en telle occasion.

Mais au fond de ses oreilles résonna soudain une vibration aiguë, sous l'effet de laquelle Vindu eut l'étrange sensation de se dédoubler. Il restait là, face à ses adorateurs, tandis qu'une partie de lui s'extirpait de cette scène qui semblait en réalité se dérouler dans les pupilles fendues d'un serpent hypnotiseur. Son inspiration fut bloquée à la gorge et instinctivement il porta ses mains à son cou, pour découvrir que les anneaux du reptile se resserraient sur lui. Un arbre* que Pranaya lui avait projeté apparut alors dans son champ de vision : «Certains courants de Satya tendent à s'individualiser et peuvent se constituer en entités douées de volonté, capables d'interagir avec les Satya de ton corps. Une partie d'entre elles utilisent ce pouvoir pour amadouer les autres formes de vie conscientes que nous sommes, en faisant ressurgir les désirs les plus profonds qui les habitent. C'est pourquoi nous les appelons «tentateurs». Mais au moment où ton esprit cède à une telle entité, dans le but d'obtenir ce qu'elle semble t'offrir, elle s'empare de ta volonté pour t'utiliser comme un esclave. Tu réaliseras alors pour elle des actions impliquant une relation avec la matière, que sa nature volatile lui interdit d'accomplir par elle-même. Lorsqu'elle t'aura complètement épuisé, elle te rejettera et il te restera tout juste assez de forces pour mourir.» Après un bref instant de panique, ses abdominaux se contractèrent et pendant que celui qui était face à la foule rabaissait ses bras, la bouche de son double s'ouvrit silencieusement pour lancer un rugissement de fureur qui demeura muet. Alors la vibration se fit de nouveau entendre, les anneaux du reptile se desserrèrent, les deux univers se ressoudèrent, le temps ralentit, la foudre apparut au sommet de la montagne et l'absorba.

A son arrivée, Vindu sentit immédiatement qu'il n'avait pas réintégré son corps. Il se mouvait de la même manière que lorsqu'il était dans l'éclair, sans support matériel identifiable. Ses sensations étaient elles aussi inhabituelles : il pouvait «sentir» et se représenter ce qui se passait autour de lui, mais il ne le visualisait pas au sens classique du terme. Il se déplaçait sous l'impulsion de forces qui lui échappaient, et il se laissait mener par elles tantôt rampant dans l'humus, tantôt remontant les troncs et les branches des arbres pour virevolter dans les airs. La conviction qu'il était au cœur d'une forêt et qu'il faisait nuit s'imposa graduellement à lui. Il reconnut alors sans tarder la région d'Habbel. Les mouvements élégants mais néanmoins incontrôlés qu'il effectuait le menèrent dans des secteurs où à cause des réticences de son corps il n'avait jamais pu se rendre. Sa curiosité et son excitation grandissaient. Au fur et à mesure qu'il avançait vers ce qui lui semblait être le centre de la cité, il croisait de plus en plus de Prajnas. Il pouvait percevoir leurs flux de Satya psychiques se diriger tous de concert vers une même zone. Il tenta d'infléchir son mouvement dans cette direction. Mais il se produisit soudain une sorte de décharge dans son esprit : une tornade de scènes issues de sa mémoire, qui émergeaient et disparaissaient à la vitesse de plusieurs milliers par seconde, secoua violemment sa conscience tandis qu'une terreur insoutenable le pétrifiait. Cependant, lorsqu'il revint à lui, la seule chose qui restait dans sa conscience était un désir incoercible de renouveler cette expérience. Les centaines de Prajnas perchés alentours entamèrent alors en chœur une très douce mélopée, à peine audible, qui catalysa son excitation. Il continua de se rapprocher de ce qui semblait les absorber totalement. La Présence se fit alors sentir pour la première fois. C'était quelque chose de sombre et d'extraordinairement dense et massif. Vindu réussit à surmonter les vagues de panique qui déferlaient en lui, mais perdit le contrôle lorsqu'une série de décharges embrasa de nouveau ses pensées. Une lueur bleutée qui semblait tout absorber apparut soudain au loin et s'avança vers lui à une allure fulgurante. Mais juste au moment où cet ouragan d'émotions allait atteindre son paroxysme, tout disparut soudainement.  

Deux grands primates secouaient violemment Vindu en émettant des grognements où l'on pouvait percevoir un mélange d'agacement et d'inquiétude. Celui-ci ouvrit grand les yeux et les persuada de se calmer en leur manifestant qu'il était revenu à la réalité. Mais il sentit cependant que les conditions de ce retour n'étaient pas ordinaires : les souvenirs de son rêve, qui d'habitude s'étiolaient rapidement lors de son réveil, restaient fermement ancrés dans sa mémoire, comme s'ils provenaient d'une scène réelle. Ils étaient imprégnés d'un désir profond qui accapara immédiatement son esprit. Il lui fallait coûte que coûte retrouver le bracelet de Vesya, pour pouvoir pénétrer dans Habbel et rencontrer cette force qui venait de l'appeler. Où pouvait-il bien l'avoir perdu ? Une idée germa. Et si...

L'un des deux grands singes interrompit le jeu qu'il avait entamé avec son congénère pour tourner brusquement la tête. Ses narines se dilataient pendant qu'il inspirait. Il fronça les sourcils et leva la tête. Il eut à peine le temps de voir tomber sur lui le soldat qui lui assena un violent coup sur la tête. Vindu, qui furetait non loin de là, au pied de l'érable du haut duquel il avait vu pour la première fois les habitants d'Habbel, fut simplement plaqué au sol, le crâne maintenu contre l'humus par le pied d'un soldat. De là, il put apercevoir, à quelques centimètres de son visage, le bracelet qui gisait sous une feuille épaisse. Il s'en empara d'un geste discret. Une voix de femme articula : «retournez-le». Vindu la reconnut immédiatement. La Grande Rectrice avait gardé son encombrante toge blanche. Cette vision le ramena à un pénible état d'esprit, qu'il ne connaissait que trop bien, et dans lequel il n'avait plus été plongé depuis son départ de Kahun. Brusquement, il voyait ressurgir tout ce à quoi il avait cru avoir réussi à échapper. Il venait d'être immergé dans un mode de pensée qui, au regard des perspectives qu'il s'était ouvertes depuis son arrivée à Habbel, lui semblait complètement étriqué. La Grande Rectrice se tourna vers Dvitsevin : «C'est lui, vous en êtes certain ?». Celui-ci répondit d'un hochement de tête. Puis elle s'adressa à Vindu :

_J'étais curieuse de te rencontrer. Quelle ironie, ne trouve-tu pas ? Nous croiser ici, au moment précis où ton rôle prend toute sa signification... Mais je vois dans ton air ahuri que tu n'as aucune idée du jeu auquel tu as participé en venant ici. Figure-toi que je te connais très bien. On m'a parlé de toi tellement de fois ! Cela fait des cycles de lune que nous te surveillons de près. Tout ce qui t'est arrivé n'est que le fruit d'une regrettable erreur effectuée par nos services il y a bien longtemps. Je tiens à te l'expliquer : ce serait trop bête que tu meure sans savoir pourquoi. Il faut pour cela remonter à l'époque de Kurtogdel. Ceux qui exerçaient notre actuelle fonction savaient parfaitement qu'il était en train de monter un coup d'état. Ils connaissaient l'existence des Prajnas, mais ils n'ont jamais su où se trouvait Habbel, le camp de retranchement d'où ceux-ci mettaient en place leur révolution. La nuit où il sut que ses confrères allaient être tués, Kurtogdel monta un plan dont la réalisation dépendait d'un messager. Sachant que ce dernier devait joindre ses hommes de confiance et, tôt ou tard, les Prajnas, nos prédécesseurs devaient le suivre dans le but de découvrir l'emplacement de leur campement. Mais, à cause de la maladresse d'un de nos agents, Kurtogdel s'aperçut juste après son départ que son messager était suivi. Cette première erreur fut aggravée par une sous-estimation de la réactivité du vieux Théoricien. Il réussit a tuer à mains nues plusieurs gardes et à stopper le suiveur du messager. Cette intervention lui a coûté la vie, mais elle nous a empêchés de jamais découvrir Habbel. Nous avons bien organisé de grandes battues, dans tout l'empire et même au-delà, mais elles sont restées infructueuses, et pour cause : qui aurait pu soupçonner qu'il était possible de vivre et même de bâtir une cité dans une région aussi hostile ? C'est en surveillant les activités que Kurtogdel avait eues peu avant cette nuit fatidique que nos prédécesseurs ont su qu'il était en train de monter un machination. Ils pensaient à ce moment-là être en mesure de la déjouer, et c'est pourquoi ils l'avaient laissé agir. Mais après sa mort, ils ont compris que son plan était fonctionnel, qu'il était certainement assez subtil pour que ses rouages restent impénétrables et que, tôt ou tard, ses effets s'en feraient amèrement ressentir : les Prajnas représentaient une inquiétante menace de révolution. Constatant qu'ils ne se manifestaient pas, nos prédécesseurs essayèrent sans grand succès de décoder les messages que Kurtogdel avait disséminés dans l'Université. C'est moi qui ai eu l'idée que la mécanique de son plan devait utiliser l'idiosyncrasie du destinataire de ses messages, lequel semblait être un élève Théoricien. J'en ai donc fait placer beaucoup dans la cellule que tu as fini par occuper. Nous ne devions absolument pas intervenir, pour ne pas gêner le déroulement du plan. Quelques rares d'entre eux ont commencé à déchiffrer le code, mais tous tes prédécesseurs, apparemment déroutés par la bizarrerie du mode de communication, avaient abandonné le décodage. Toi, tu as tout réussi et nous avons pu te suivre jusqu'ici.

L'esprit de Vindu se refusait à comprendre les motifs pour lesquels la Grande Rectrice était ici.
_Que voulez-vous faire subir à Habbel ?
_Je te croyais plus intelligent que cela. Nous allons la détruire, bien évidemment. Vois-tu cette boîte ? Elle contient des taons qui transportent dans leur corps une forme de vie minuscule et invisible mais néanmoins implacablement féroce, que nos Théoriciens ont mise au point. Après un certain temps de latence, elle se répand à une vitesse fulgurante dans tout ce qui vit, hommes, Prajnas, animaux ou plantes, et y transforme l'eau liquide en vapeur. Pas assez vite pourtant pour pouvoir échapper à l'incendie que nous allons provoquer et qui, grâce au vent du soir et à cette sécheresse, se propagera plus rapidement encore. C'est un travail très délicat, mais dont nous maîtrisons parfaitement chacune des étapes. Et lorsque les Prajnas s'apercevront qu'ils seront contaminés, il sera déjà trop tard pour eux.
Vindu était abasourdi. Ce fut presque sur un ton plaintif qu'il murmura :
_Mais pourquoi désirez-vous tant détruire la civilisation des Prajna ?
_Vraiment, tu me déçois. Je t'ai expliqué qu'ils sont nos ennemis politiques. Ils représentent d'autant plus une menace permanente pour l'empire que nous savons que Kurtogdel, dans ces études sur la Synthèse, était parvenu à des résultats qui auraient pu lui donner une puissance technique décisive. Depuis tout ce temps ils ne nous ont pas encore attaqués, le Radharma seul sait pourquoi. Nous devons en profiter pour les arrêter avant qu'il ne soit trop tard.
_Mais... ne pensez-vous pas que leurs savoirs pourraient être utiles pour l'empire ?
_Nous avons déjà la Synthèse et une communauté de Théoriciens assez difficile à gérer, cela nous suffit largement. Nous n'avons que faire des découvertes des Prajnas. Nous avons les nôtres et nous n'éprouvons pas le besoin qu'elles changent.

A cet instant, Dvitsevin interrompit la conversation pour attirer l'attention de la Grande Rectrice vers les deux singes. Des soldats étaient sur le point de libérer le taon. L'opération était délicate : il fallait faire en sorte qu'il pique le singe, puis le tuer immédiatement, pour s'assurer de ne pas être contaminé. Vindu sut qu'il n'aurait sans doute plus aucune occasion d'agir. Il plongea sa main dans le sac qu'il portait constamment sur lui et en sortit la petite outre que Vesya lui avait remise. Il prit une bonne rasade du mélange puis chercha rapidement un projectile solide. Comme il n'avait que très peu de temps, il se résigna à utiliser le bracelet. Il l'envoya sur l'énorme nid d'insectes, qui se détacha de la branche du tapang où il était fixé et s'écrasa aux pieds de Vindu en laissant s'échapper un nuage d'insectes paniqués. Il fut abondamment piqué. Son psychisme bascula en un rien de temps et il éructa un hurlement qui paralysa les soldats. Il profita de cet effet de surprise et de la confusion provoquée par l'attaque des insectes pour fuir. Peu de soldats furent en mesure de le suivre, et il n'eut aucun mal à les semer. Mais, sous l'effet de la drogue, il perdait très rapidement le contrôle de ses processus mentaux. Toutes ses réactions redevenaient purement instinctives. Il finit par grimper dans un arbre pour s'y assoupir.

Depuis la lisère de la jungle, la Grande Rectrice regardait Sthula, médusée. Où avait-il pu trouver des chevaux encore vivants et des Umalates assez courageux pour ne pas fuir devant la moindre perspective de combat, comme il l'avaient tous fait face aux troupes impériales quelques cycles solaires plus tôt ? Ils avaient massacré tous les hommes qu'elle avait posté en arrière garde à la frontière de cette infernale région qui enclavait Habbel. Elle jaugea la situation en une fraction de seconde : les Umalates étaient en nombre total presque cinq fois moindre et, compte tenu de leur habileté au combat, ils ne représentaient pas une bien grande menace ; cependant, la plupart de ses soldats étaient en arrière, dans le couvert des bois ; leur position ainsi que leur nombre étaient néanmoins inconnus aux Umalates ; sa meilleure chance de rester en vie était de se fondre parmi ses hommes ; il lui fallait donc gagner du temps pour leur permettre de se regrouper autour d'elle. Aussi lança-t-elle à Sthula, d'une voix volontairement chevrotante  :
_Que faites-vous ici ? En quoi les Prajnas vous intéressent-ils ?
Sthula éclata dans un ricanement carnassier. Cela faisait des années qu'il rêvait de voir la Grande Rectrice trembler de peur devant lui. Il eut un frisson et une larme perla au coin de son oeil.
_Vous avez cru que vous pourriez m'écarter du jeu d'un revers de la main ? Les Prajnas sont les auxiliaires de la révolution des Vasitas. Nous sommes là pour défendre leurs intérêts contre vos manigances. Et permettez-moi de vous dire que vous ne sortirez pas vivante de ce mauvais pas. Je crois d'ailleurs que nous avons tous sous-estimé la capacité des Umalates à...

La tête de Sthula ne fut pas en mesure de terminer cette phrase. Elle décrivit une courte trajectoire aérienne avant de rouler au sol. En s'effondrant, son corps laissa apparaître Agresara, tenant son épée à deux mains. Sans un mot, ses guerriers dégainèrent et se ruèrent sur les soldats. Malgré leur écrasante infériorité numérique, ils n'eurent aucun mal à vaincre. Ils étaient d'un agilité et d'une souplesse telles que pas un seul d'entre eux ne fut touché par aucun des soldats impériaux. Ils sautaient en tous sens, effectuaient des vols planés, s'agrippaient aux branches, esquivaient tous les coups et tuaient à chaque geste. Leurs glaives en bronze, qui avaient été forgés dans les fonderies d'une lointaine contrée jadis pillée, brisaient net les archaïques épées en cuivre de leurs adversaires. Leur travail fut d'une telle précision qu'ils purent récupérer pour chacun d'entre eux un uniforme de soldat impérial intact, pas même taché d'une seule goutte de sang. Ils capturèrent la Grande Rectrice. Elle représentait le laisser-passer qui leur permettrait enfin de s'infiltrer dans la forteresse impériale.

Une violente douleur dans la cheville arracha Vindu à sa léthargie. Son sursaut épouvanta les vautours, qui s'envolèrent en poussant des cris sinistres. Les yeux clos, il se tourna sur le dos en se demandant ce qu'il faisait là. Un miracle qu'il n'ait pas été repéré par un félin. Soudain, il revit le rictus de la Grande Rectrice. Il sauta sur ses pieds et se mit à courir en direction d'Habbel. Il escalada la petite cordillère qui l'entourait et lorsqu'il en parvint au faîte, il resta estomaqué. Ses jambes flageolèrent et il s'affaissa au sol.

La journée était très avancée et du soleil émanait déjà une lumière orange. En dépit de sa tragique signification, la scène qui s'offrait ainsi à Vindu était d'une beauté saisissante. Un nuage de fumée se dégageait du bassin qui avait abrité Habbel et se dispersait en direction des montagnes. Ses volutes prenaient des myriades de teintes crépusculaires. La plus grande partie de la végétation était calcinée, et celle qui n'avait pas encore brûlée s'était complètement assombrie et racornie. Cette alliance inattendue de l'intolérable avec le splendide disloquait ses pensées. Il resta longtemps à regarder ce spectacle, immobile. Mais avec le temps, une pensée nette se cristallisa en lui : les intrigues dérisoires des politiciens de Kahun avaient mis fin à Habbel et aux prodigieux horizons qui grâce à eux s'ouvraient au monde. Sans même le savoir, le peuple de Kahun et ses héritiers paieraient désormais ce forfait de ses simples conséquences : ils demeureraient ignorants de ce que leurs ancêtres avaient été, les empires se succédant ils continueraient d'asservir avec ignorance et mépris les êtres qui les entoureraient, ils aliéneraient leur environnement direct en construisant des ustensiles, des machines et des bâtiments qui finiraient par les séparer complètement du monde -où les autres êtres subiraient la tyrannie qu'ils n'auraient plus qu'à peine la conscience d'exercer sur eux- et sombrant ainsi toujours plus profondément dans leur égocentrisme, jamais ils ne redécouvriraient les formidables possibilités que leur offre leur nature. Mais il resterait dans leurs légendes un mythe qui témoignerait du fratricide commis par leurs ancêtres. Ainsi, quelles que soient les formes qu'ils prendraient, tous se souviendraient des noms de Kahun et Habbel. Et quelques uns -très peu- sauraient.

Il faisait déjà nuit lorsque Vindu se sentit soudainement attiré vers le fond du bassin. Il se leva sans même contrôler ses gestes. Il dû lutter avec lui-même pour résister à cet appel. Autour de lui, les herbes et les arbustes se courbaient et s'étiraient dans cette direction. Les ruines d'Habbel attiraient vers elles tous les flux de Satya. Vindu décampa sans plus attendre et alla se cacher, sous terre. Depuis le fond de la grotte, il put voir la nuit être éclairée par une immense boule de feu qui, provenant sans doute du cosmos, traversa le ciel et s'écrasa sur Habbel, ébranlant violemment le sol et soulevant de gigantesques nuées de poussières.

Les Umalates, même s'ils étaient des guerriers sans égaux, ne pouvaient attaquer de l'extérieur une forteresse aussi bien gardée que le palais impérial de Kahun. Se faisant passer pour l'unité accompagnant la Grande Rectrice, ils purent y pénétrer sans encombres. Leur action fut si fulgurante que lorsque ils pénétrèrent dans les appartements de l'impératrice, l'alerte n'avait même pas été donnée. Ils la mirent publiquement à mort le lendemain, accompagnée de la Sibylle et son cortège de vestales et de Théoriciens, sur la grande place. Le Temple qui la dominait fut détruit, ainsi que l'Université. Dès lors, la ville leur appartenait. En très peu de temps, ils soumirent les villages de la région et y recrutèrent les adolescents et les jeunes hommes dont ils commencèrent immédiatement l'entraînement intensif. Agresara entreprit la reconquête de l'empire. Il espérait bien pouvoir conquérir le monde entier. C'est pourquoi il ordonna que sur les ruines du temple on érige une tour suffisamment grande pour que du haut il puisse embrasser d'un seul regard toute l'étendue de ses conquêtes. Il abandonna le nom de Kahun pour celui de Baâb-El. Et lorsque ses yeux se fermèrent pour la dernière fois, l'un des chefs de son armée l'ayant publiquement transpercé de son glaive, il se rappela le jour lointain où, au fond d'une grotte sacrée, il avait saisit le secret des Umalates, celui que chaque guerrier doit prouver avoir compris, mais que nul n'a le droit de prononcer : «Rien n'est vrai et tout est permis.»
#34
= MINISTERE DE LA MAINTENANCE = / Re:Zone en vrac
Octobre 26, 2005, 14:32:00
Surrénalectomie
#35
= DISCUSSION GENERALE = / Re:c'est la pleine saison
Octobre 14, 2005, 17:27:20
hier soir, j'étais dans la maison du grand schtroumpf en train de consulter quelques vieux grimmoires. Mais on s'est fait déloger par une colonie de moines bouddhistes complètement défoncés au crack. C'était pas très cool.
#36
= DISCUSSION GENERALE = / c'est la pleine saison
Octobre 12, 2005, 16:14:32
il est grand temps d'aller faire ses emplettes dans les bouses



ils sont pas jolis les psilocybes ?
#37
= DISCUSSION GENERALE = / Re:En manque de culture
Septembre 26, 2005, 11:33:03
28 jours plus tard de Danny Boyle c'est vraiment pas mal

sinon, zonards ou non, je conseille la lecture de Carlos Castaneda... on peut même trouver toute sa littérature ici : http://sannyasa.free.fr/castaneda.htm
#38
= DISCUSSION GENERALE = / Re:40 idées
Août 30, 2005, 11:38:04
bienvenue au village d'enfants de riaumont, frère scout

viens jouer à cache-cache avec les moines pédophiles, tu verras c'est tellement rigolo
#39
= DISCUSSION GENERALE = / 40 idées
Août 30, 2005, 10:49:08
...de petits sacrifices


1.   Ne pas croiser les jambes quand on est assis.
2.   Attendre pour boire à table qu'un autre ait commencé son verre.
3.   Dormir la fenêtre ouverte (radiateur fermé) quel que soit le temps.
4.   Après un repas, débarrasser et aller aider à ranger la cuisine .
5.   Garder les pieds joints en restant debout, sans s'appuyer sur une jambe ou sur l'autre.
6.   Reprendre d'un plat qu'on n'aime pas.
7.   Attendre 5 minutes de plus avant de commencer à faire quelque chose qu'on aime bien.
8.   Ranger son armoire, et trier ses affaires (dans les tiroirs).
9.   Ne pas se balancer sur sa chaise.
10.   Saler un peu trop, ou épicer, un plat qu'on apprécie particulièrement.
11.   Consacrer la soirée à lire au lieu de regarder la télévision.
12.   Donner son sang (si on a plus de 18 ans), ou de son temps aux autres.
13.   Si on sert la messe, garder les mains jointes (doigts serrés et tendus).
14.   Si on doit chanter (à l'église), s'obliger à mieux articuler.
15.   Se priver de grignoter entre les repas.
16.   Téléphoner ou écrire à une personne âgée qui ne reçoit guère de nouvelles.
17.   Ne pas s'appuyer sur le dossier de sa chaise, mais tenir le dos droit.
18.   Prendre un sucre de moins dans son petit déjeuner.
19.   Se lever plus tôt le vendredi matin pour s'obliger à faire un cross.
20.   Se priver de friandises (de vin, le cas échéant, ou de cigarette).
21.   Partager ce qu'on préfère dans son casse-croûte.
22.   Si on souffre d'une maladie ou d'un handicap, aborder avec le sourire un obstacle gênant.
23.   Choisir à la télévision de voir un documentaire instructif plutôt qu'un film.
24.   Si on doit faire plusieurs choses, commencer par celle qu'on aime le moins.
25.   Mettre son réveil 5 minutes avant et s'obliger à faire quelques mouvements de gym (pompes, abdo).
26.   Ne prendre que du pain pour le goûter.
27.   Avoir suffisamment de volonté pour se laver à l'eau froide.
28.   Aller parler avec une personne isolée qu'on n'aime pas beaucoup.
29.   Résister à une envie de se gratter qui nous démange.
30.   Faire un petit trajet à pied, au lieu de prendre le vélo (le bus ou la voiture).
31.    "Brûler" dans la prière de la journée, 5 minutes de plus que d'habitude.
32.    Se retenir de mettre les mains dans les poches.
33.   S'obliger à apprendre par cœur quelques versets (des épîtres de St Jean, par exemple).
34.   Écrire à son parrain ou sa marraine en dehors de la période des étrennes.
35.   Prendre un peu de son argent de poche pour fleurir un oratoire.
36.   Jouer quand on n'en a pas envie avec celui qui le propose.
37.   Laisser un faux plis gênant dans ses chaussettes.
38.   Retenir sur ses lèvres une réponse, face à des critiques ou remarques blessantes.
39.   Monter par l'escalier au lieu de prendre l'ascenseur.
40.   Et surtout accomplir chaque jour à fond ce qu'on n'aime pas dans son devoir d'état...

http://rmont.omikron.zettai.net/riaumont/religieux/spi/textes/sacrifices_html/fr

http://www.riaumont.net/

#40
je veux bien faire l'humour absurde
#41
= CODE DE CONFORMITE = / 3 mois de vacances
Août 21, 2005, 20:53:04
c'est ce que peuvent se payer le étudiants qui se poilent en regardant travailler tous les autres.

à part ça, lapinchien je suis presque de retour, j'ai toujours pas de nouveau pour IP-war mais tu as un IM qui laisse espérer la naissance de sperman, le nouveau super-héros qui arrose ses ennemis
#42
Le chien marqua un arrêt, le museau légèrement relevé et la truffe au vent. Il devait encore flairer la présence de quelque redoutable prédateur. Tout cela commençait à impatienter Dvitsevin. Il portait un œil méfiant sur les deux Umalates qui l'accompagnaient. Ces derniers ne connaissaient que très peu la langue de Kahun, ce qui limitait considérablement les possibilités de communication avec eux et réduisait les échanges aux strictes nécessités de la mission. Les deux métèques conversaient -toujours très brièvement- dans leur jargon inintelligible, se retournant vers lui en riant lorsque, dans un passage difficile ou en fin de journée, il commençait à donner des signes de faiblesses alors que ses guides ne peinaient pas le moins du monde, ce qui lui donnait à penser qu'ils se payaient joyeusement sa tête. Cette goguenardise s'était déclarée lors de leur premier bivouac, lorsqu'il avait véhémentement refusé de participer à leurs jeux homosexuels. Comme il ne leur accordait aucune confiance, il était constamment sur ses gardes et depuis qu'ils étaient partis il n'avait jamais dormi que d'un œil. Il commençait d'ailleurs à fatiguer sérieusement. Sans compter que la progression était devenue particulièrement difficile. L'air était lourd, les moustiques ne leurs laissaient pas une seconde de répit et il fallait être extrêmement vigilant. De plus, la région qu'ils parcouraient depuis la veille était un véritable labyrinthe. Jamais il n'avait vu un amalgame aussi dense d'obstacles naturels. Ils devaient franchir des bras de rivières infestés de serpents ou des marécages abritant des crocodiles, escalader des parois abruptes et y hisser le chien sans se faire mordre, traverser de longues grottes obscures où se tapissaient des chauves-souris prêtes à venir leur sucer le sang, ou encore grimper aux arbres et se déplacer de branches en branches pour franchir des ravins ou des zones peuplées d'une faune dangereuse. Heureusement, le flair du chien était infaillible. Dvitsevin se demanda comment ce simple étudiant, citadin de surcroît, pouvait bien réussir à se repérer avec une telle précision dans une région aussi dangereuse.

Vindu s'était assis sur une basse branche d'un épicéa, assez haut pour ne pas être importuné par les menus insectes qui proliféraient au niveau du sol. Il n'avait plus de vivres et sa réserve d'eau était vide. La déshydratation commençait à lui donner de légers mais tangibles maux de têtes. Il aurait pu y remédier en mangeant des fruits, mais il ne connaissait pas les plantes qui poussaient ici et, ne sachant lesquelles étaient toxiques, il préférait se retenir le plus longtemps possible, en espérant arriver avant d'être forcé à ces dangereuses expérimentations. D'après ce qu'il savait, il ne devait plus être loin de sa destination. Il regarda d'un oeil vide cette espèce de boule sombre autour de laquelle virevoltaient des centaines d'insectes. Elle était accrochée sur cette même branche, un peu plus loin du tronc. L'un des arbres* de Kurtogdel lui expliquait comment utiliser le liquide contenu dans la petite outre en peau de chèvre que Vesya lui avait remis. Il s'agissait d'un mélange qui modifiait le fonctionnement habituel de ses processus perceptifs et lui permettait d'amplifier ses sensations, surtout olfactives. Il pouvait alors éviter les territoires de chasse des fauves, que ceux-ci marquaient de leur urine, suivre les pistes plus sûres des herbivores et le cas échéant capter de suffisamment loin la présence des dangers, pour autant qu'il ne se trouvassent pas dans l'ombre olfactive générée par le vent. L'envers de la médaille était que cette drogue réduisait ses capacités d'analyse et qu'il lui fallait parfois beaucoup de volonté pour ne pas perdre de vue ce qu'il était venu faire dans cet endroit. Une fois ingérée, elle ne devenait active que sous l'action du venin frais de ces insectes, dont il avait appris à repérer les nids. Avant de s'en reprendre une dose et de provoquer une piqûre, il escalada quelques branchages pour obtenir une vue dégagée du terrain. La vision qui s'offrit à lui le réconforta : ce rocher arrondi, en forme de tortue, était le signe que son périple touchait à sa fin.

Il redescendit en glissant le long du tronc. Lorsqu'il aperçut le sol, il eut un sursaut de frayeur, lâcha prise et s'écrasa au pied de l'arbre. Un objet roula sous les herbes. Bien que durement endolori, il se releva d'un bond pour faire face à ces êtres étranges qui l'entouraient. C'étaient de grands singes à la stature droite. Leur corps tout entier, jusqu'à leur visage, était enfoui sous des touffes de poils bruns. Ils portaient à la taille et en haut des cuisses des ceintures de bijoux qui mettaient leur sexe en valeur. Ils le regardaient en grognant et en montrant des crocs acérés. Vindu fit un grand effort pour se calmer. L'arbre* de Kurtogdel prévoyait cela, tout devait donc bien se passer. Mais il ne fallait pas leur envoyer la moindre phéromone de peur, auquel cas ils s'attaqueraient à lui sans pitié. Il leur lança un long «Ayooooyaaahiiinabooooota», comme il lui avait été prescrit. L'hostilité disparut immédiatement de leur faciès pour faire place à une intense curiosité. Ils s'approchèrent de lui lentement, puis se mirent à lui palper les bras, les mollets, le sexe, à renifler ses aisselles et son anus, certains à lui lécher la peau. Au bout de quelques instants, l'un d'entre eux, qui s'était tenu à l'écart et portait des bijoux sur le front et au sommet du crâne, lança une courte intonation. Les singes s'écartèrent d'un seul mouvement.

Celui qui semblait être le chef lui fit signe de les suivre et cette étrange escorte se mit en route. Ils marchèrent pendant quelques fractions de cycle solaire. Suivant des pistes qu'ils devaient bien connaître, ils progressèrent dans la jungle et parvinrent bientôt au sommet d'une saillie rocheuse qui dominait la région avoisinante. Derrière eux se situait la zone inhospitalière que Vindu venait de traverser, et plus loin vers l'horizon s'étendaient à perte de vue les plaines de l'empire. La crête qu'ils avaient empruntée était presque circulaire et ceinturait une région abondamment boisée. De l'autre côté s'élevaient les premiers contreforts des hautes montagnes, dont on pouvait apercevoir au loin les massifs rocailleux d'où s'extirpaient quelques pics solitaires. Vindu cherchait dans ce paysage la silhouette des bâtiments d'Habbel, mais le pays semblait être resté sauvage. Et pourtant, d'après les arbres* de Kurtogdel, qui jusque là n'avaient jamais été mis en défaut, la cité aurait dû se trouver dans les environs. Ils finirent par descendre à l'intérieur de la vaste zone délimitée par la crête, pour s'enfoncer à nouveau dans les sous-bois. Vindu eut une étrange sensation de vertige et un léger haut-le-cœur. Mais son attention fut captée par ce qui était en train de se passer. Leur troupe semblait être parvenue à une sorte de poste de garde, et trois êtres encore plus étranges que les grands singes descendirent des hauteurs sylvestres pour s'avancer vers eux, toujours agrippés aux branches.

C'était une espèce de quadrumanes assez étranges, qui ressemblaient à la fois aux chimpanzés et aux humains. Leurs orteils n'étaient pas différents des doigts de leurs mains : leur pouce y était également opposable. Cela leur permettait d'évoluer avec une grande aisance dans les branchages. Ils possédaient un abondant pelage de couleur brune. Des touffes tirant sur l'ocre recouvraient leur tête et descendaient dans leur nuque jusqu'au milieu du dos, le long de leur colonne vertébrale, tandis que les poils de leur cou arboraient une couleur plus foncée. Leur visage, si ce n'était un nez écrasé et un menton fortement abaissé, était presque humain. Leur regard était profond et les mouvements de leurs yeux, comme ceux de leur tête et de tout leurs membres, étaient lents mais précis, et d'une grande fluidité. L'ensemble de leurs gestes était admirablement coordonné et leur allure révélait une profonde harmonie physiologique. Vindu n'eut pas une seconde de doute. C'étaient des Prajnas. Le plus âgé de ses escorteurs s'approcha de l'un d'entre eux qui, les pieds accrochés à une branche, était suspendu par les jambes. Lorsqu'ils furent face à face, ils se saisirent mutuellement les coudes puis mirent en contact le sommet de leur crâne. Puis, au bout de quelques instants, ils se séparèrent. Les grands singes retournèrent dans la direction par laquelle ils étaient arrivés et Vindu fut confié à ces Prajnas.

L'eau de la chute l'assommait presque, mais Dvitsevin était trop content de pouvoir enfin nettoyer la boue dont il s'était enduit le corps pour que les énormes primates ne puissent pas le repérer au flair. Non loin de là, à côté de leur chien, gisaient les cadavres des deux Umalates, mordant encore ce qui restait de leur pénis tranché. La partie pénible de sa mission touchait maintenant à sa fin. Il ne lui restait plus qu'à récupérer le cheval qu'ils avaient laissé en arrière quelques cycles solaires plus tôt -s'il n'avait pas été tué entre temps par un prédateur- et rejoindre Kahun au plus vite.

Le malaise de Vindu se fit de nouveau sentir, avec plus de force cette fois. Son estomac se contractait et il réprima une envie de vomir. Il lui semblait que son esprit se délitait, et il dut faire un effort de volonté pour rester présent. Les Prajnas s'étaient retirèrent, sauf celui qui s'était avancé au plus près et qui était toujours suspendu la tête en bas. Il l'avait surveillé d'un œil curieux pendant quelques temps. Un autre Prajna apparut soudain dans les feuillages. Il fit signe à Vindu d'approcher. Après l'avoir longuement regardé dans les yeux, il empoigna doucement ses coudes et lui fit signe de baisser la tête. Lorsque les sommets de leur crâne furent joints, Vindu constata que son mental entrait en état de rêve*, et qu'un arbre* s'y érigeait comme de lui-même. Il comprit immédiatement qu'il expérimentait pour la première fois l'état de rêve* partagé et, bien que luttant toujours contre son inexplicable étourdissement, il réussit à focaliser son attention sur l'interprétation du message qu'il recevait. Mais malgré sa grande simplicité, l'arborescence n'avait pas une structure orthodoxe et il ne put en comprendre le sens qu'avec une certaine difficulté. Le Prajna s'appelait Pranaya. Il lui souhaitait la bienvenue, lui exprimait qu'il était très honoré et ému de l'accueillir, parce qu'il se préparait à sa venue éventuelle depuis des cycles de moissons. Il lui signala qu'il pouvait recevoir les émissions cérébrales mais pas en envoyer. Il expliqua ensuite que parmi les Prajnas personne d'autre que lui-même et le disciple qui était jusque-là destiné à le remplacer ne savait plus manipuler les énoncés* de Synthèse. Les formulations qu'elle utilisait n'étaient qu'une forme archaïque de leur langage actuel, lequel, au cours du temps, était devenu à la fois plus simple, plus précis et plus complet. Il projeta ensuite dans sur son mental une série d'arbres* qui représentaient un code de langage tactile grâce auquel Vindu pourrait donner des réponses simples à certaines questions, en pressant avec les doigts divers points du corps de son interlocuteur. Mais le jeune Théoricien sentit soudain que ses forces l'abandonnaient. Ses yeux se voilèrent et, dans une vision enfiévrée, il se désagrégea en menus morceaux qui, en s'affaissant, roulèrent les uns sur les autres et s'entassèrent au sol en un monticule informe.

Vindu ouvrit les yeux. Il était allongé sur un parterre de mousse. Sa tête était enveloppée par une grande feuille d'herbacée, laquelle lui recouvrait toute la tête sauf la partie centrale du visage. Son esprit embrumé mélangeait ses perceptions aux parcelles de rêves qui virevoltaient encore autour de lui. Il sentait s'éloigner avec mélancolie ce mystérieux compagnon de voyage qui l'avait guidé à travers ses songes. Il prit le parti de regarder autour de lui. Il se trouvait dans une sorte de buisson creux. Sa forme était insolite. Il semblait avoir été aménagé. Un mélange de plantes diverses s'exhumait autour de lui en arc de cercle, s'enchevêtraient au fur et à mesure qu'elles s'élevaient, et finissaient par former une voûte qui se dressait à hauteur d'homme. L'une d'elles produisait de larges feuilles tombantes qui donnaient à l'entrelacement l'allure d'une paroi vivante. En se hissant sur les coudes, il s'aperçut que la charpente délimitait un espace clos dans lequel était percée une sorte de porte, une zone où les végétaux s'étaient abstenus de croître. Il eut alors le sentiment de se trouver dans une demeure vivante. Soudain une tête d'enfant simiesque apparut à l'envers en haut de l'ouverture qui donnait sur la pièce voisine. Elle le dévora des yeux avec une intrépide curiosité puis se mit à rire et enfin disparut. Vindu se leva lentement et avec difficulté. Il se sentait lourd, comme s'il avait une chape de métal dans le crâne. Il ferma les yeux pour se ressaisir, mais il se produisit un phénomène étrange. Il eut le sentiment qu'il venait en fait d'ouvrir les paupières et qu'il se trouvait dans un univers totalement différent et tout aussi réaliste. Les environs y étaient obscurs, humides et rocailleux. Il devinait dans les ténèbres la présence menaçante d'immenses bulbes noirs. Ceux-ci perçurent sa présence et se mirent à produire un mugissement souterrain qui fit trembler le sol et crouler les roches autour de lui. Il sentit alors résonner un appel au plus profond de sa conscience, et ferma les yeux...

Qu'il ouvrit sur la précédente réalité sylvestre. C'était Pranaya qui, ayant saisi sa tête entre ses mains, la balançait doucement pour le délivrer de son hallucination. Il lui offrit une coupelle en écorce d'arbre qui contenait une potion jaunâtre. Il engagea Vindu à la boire lentement, par gorgées. Les substances qu'elle contenait agirent très rapidement. Au fur et à mesure que le liquide pénétrait son estomac, il sentait les bulbes se faner, pourrir, et retourner au lointain et inaccessible néant d'où ils avaient surgi. Les vertiges disparurent, eux aussi. Pranaya lui fit ensuite signe de le suivre hors du buisson. Lorsqu'ils en émergèrent, une brise tiède et fruitée leur caressa doucement le front. Apparemment, ils se trouvaient toujours en plein cœur de la forêt. Toujours pas le moindre signe de la proximité d'une cité. Pranaya le tira près de lui et baissa la tête pour juxtaposer le sommet de leur crâne, puis engagea un rêve* partagé. La conversation qui s'ensuivit s'effectua dans le champ de la Synthèse. En voici une projection sommaire sur notre langage :
_Il est naturel que tu aie des malaises. Nous autres Prajnas savons en tirer parti, mais ceux qui ne sont pas accoutumés à la puissante influence qu'exercent sur eux les forces qui agissent dans cette région sont profondément déstabilisés, voire détruits par leur fulgurante intensité. On raconte qu'un homme comme toi est un jour venu à Habbel, qu'il a ressenti une grande fatigue et qu'il a fini par s'assoupir. Son sommeil lui a été fatal. Il est mort d'extrême vieillesse moins de deux cycles solaires plus tard. Tu dois te protéger, car cela pourrait t'arriver, à toi aussi. On t'a remis un bracelet avant ton arrivée ici, n'est-ce pas ?
Vindu se rappela celui que Vesya lui avait remis :
_oui
_Il faut que tu le mettes à ton poignet et qu'il y reste dorénavant.
Il fouilla dans le petit sac qu'il portait constamment sur lui et où il conservait les objets importants, mais il n'y était pas. Il fit un signe d'impuissance à Pranaya. Il n'y avait pas prêté attention depuis qu'il l'y avait mis. Il tenta de deviner où il se trouvait, mais il pouvait l'avoir perdu n'importe où, tout au long du chemin qu'il avait effectué depuis la demeure de Vesya.
_Ce bracelet devait te protéger et t'aider à t'adapter. Il est composé de minéraux très rares qu'on ne trouve que dans certaines grottes. Il n'en existe pas de telle dans les environs d'Habbel. Et comme nous autres Prajnas ne pouvons quitter cette région sans prendre d'immenses risques, il faudra que tu en trouve un toi-même ou que par d'autres moyens tu réussisse à t'acclimater petit à petit à ce lieu. De plus, si tu ne veux pas consumer toutes tes forces comme ton lointain prédécesseur, il te faudra prendre de nombreuses précautions. Evite de rester seul et de te plonger dans tes pensées. Elles pourraient te mener sur des territoires dangereux. Mais surtout, prends garde de ne jamais t'endormir inopportunément. Tes rêves doivent être protégés par la plante dans une feuille de laquelle reposait ta tête lorsque tu t'es réveillé tout à l'heure.

Pranaya resta avec Vindu pendant une longue portion de cycle solaire, à projeter en lui des arbres* explicatifs, afin qu'il puisse comprendre ce qu'il pourrait voir d'Habbel et saisir pleinement le sens de sa mission.

La connaissance de la Synthèse avait été transmise aux Prajnas par Kurtogdel, à l'époque de la création d'Habbel. Il l'utilisait comme un moyen d'explorer l'être humain et avait appris à s'en servir comme d'un langage, grâce au rêve* partagé. Elle permettait déjà aux Théoriciens de visualiser à chaque instant la plupart des étages de leur conscience. Il s'étaient en effet aperçus que les arbres*, dans leur organisation, étaient intimement liés à la structure de l'esprit, reproduisant la composition organique du cerveau. Les Prajnas avaient déjà naturellement la faculté de se mettre en état de rêve* pour communiquer, mais cette capacité n'était présente chez eux qu'à l'état de potentialité. Ils avaient réussi à la réveiller. Ils s'étaient ensuite transmis les uns aux autres les notions de la Synthèse, puis se les étaient appropriées collectivement en les intégrant à leurs processus psychiques et physiologiques. Cette assimilation progressive avait été très lente chez les adultes, mais l'apprentissage de ces mécanismes n'avait présenté aucune difficulté à leur progéniture. Les générations de Prajnas qui avaient suivi s'étaient occupées d'en approfondir la portée et les possibilités. Elles avaient découvert comment entrer en rêve* partagé avec d'autres formes de vie, et ce faisant que tous les êtres vivants possédaient une conscience, végétative chez les plantes et plus mouvante chez les faunes, organisée selon les schémas de la Synthèse. Les Prajnas avaient donc réussi à interagir avec les arbres* qui structuraient la psyché des végétaux, à pénétrer leur système perceptif. Après de longues périodes d'essais, ils étaient devenus capables de savoir avec précision quelle était l'état d'une plante donnée : quelle était son architecture spatiale, son histoire, ses besoins en éléments nutritifs ou en lumière...

Le rêve partagé avait donc permis aux Prajnas d'explorer les différentes organisations qu'adoptaient des êtres vivants plus élémentaires et donc plus facilement analysables. Ils étaient ainsi remontés jusqu'au principe fondamental de la vie : la conscience. En effet, même les organismes les plus rudimentaires avaient une certaine notion d'elles-mêmes, qui se manifestait, outre par la présence d'un état de rêve* latent, par la manifestation de signaux internes véhiculant information et énergie. Le support de cette conscience s'était avéré être une population d'entités immatérielles que les Prajnas appelaient Satya. Il était possible de repérer leur flux incandescent non seulement dans tous les êtres vivants mais aussi dans l'air, l'eau et les roches. L'intensité de leur concentration dans une zone donnée était un indicateur d'un certain niveau de conscience. Les Prajnas avaient constaté qu'ils étaient en grande quantité dans le corps et surtout le cerveau des humains, ainsi que ceux des autres êtres vivants, mais qu'ils naviguaient également en de nombreux autres endroits, notamment dans les innervations de l'écorce terrestre. Après cette découverte, certains Prajnas s'étaient investis dans l'étude de la nature humaine. Ils avaient ainsi découvert que les hommes n'existaient pas autrement que par l'effet des Satya qui évoluaient en eux. Ils avaient compris comment le rêve* partagé se mettait en place par la mise en commun de Satya propres à chacun des interlocuteurs. Leurs découvertes leur permirent de briser une erreur remontant à la nuit des temps : la solitude de l'individu n'était qu'une méprise. Les limites de ce qui lui était propre, qu'il avait depuis toujours fixées au niveau de son épiderme, n'étaient qu'illusion. De la même manière que l'air dans lequel baignait habituellement le corps devenait instantanément, par l'intermédiaire de la respiration, partie intégrante de l'organisme, tout ce qui était considéré comme extérieur prenait part à l'essence de l'individu. Ceux qui réussissaient à assimiler ce fait devenaient dès lors capables de détacher de leur corps une partie de leur conscience, ce qui leur permettait, en suivant les flux de Satya, d'acquérir toutes sortes de nouvelles perceptions.

Sthula écumait. Ces incapables d'Umalates avaient laissé les soldats tuer tous leurs chevaux. Outre les dommages que représentait la perte, cette intervention des forces impériales avait de quoi l'inquiéter. Cela signifiait-il que l'impératrice avait eu vent de l'activité des Vasitas ? Il ne pouvait s'empêcher de songer à la disparition du talisman. Il pénétra dans son bureau et resta frappé de stupeur. Dvitsevin était nonchalamment assis à sa place et utilisait sans vergogne sa masseuse de cuir chevelu personnelle. Une petite merveille que seul un haut fonctionnaire comme lui pouvait se permettre de posséder dans son bureau. Il vit dans le regard du fonctionnaire ce qu'il avait toujours eu peur de finir par l'y découvrir un jour : de la supériorité. Pire, de la condescendance. Il comprit immédiatement à quel genre de jeu il venait de perdre.
«_Je parie que vous ne l'utilisez même pas.
_ Vous nous avez vendus à l'impératrice, c'est ça ?
_Oh, non ! La situation serait beaucoup moins déshonorante pour vous. Je n'en ai pas eu besoin, parce qu'en réalité vous n'avez jamais été qu'un pion sur l'échiquier de la couronne. Les Vasitas, en qui vous aviez totale confiance parce que vous leur apparteniez depuis votre jeunesse et que c'est vous qui les dirigiez, n'ont jamais été qu'un moyen mis en place par les Sibylles, peu après l'éradication de la grande hérésie, pour contrôler les Théoriciens qui avaient une propension à se rebeller, et favoriser la réalisation partielle du plan de Kurtogdel. La bibliothèque interdite a été créée dans le seul but de vous laisser croire que vous saviez des choses que l'empire voulait vous cacher, et par là que vous aviez un certain avantage sur lui. En réalité, les Vasitas ont toujours été étroitement surveillés par le département dans lequel je travaille, le plus souvent grâce à l'infiltration d'un agent impérial dans votre faction. Mais le plus drôle dans toute cette affaire, c'est que vous ne vous êtes aperçu de rien, alors que le jeune Vindu était justement votre propre disciple. C'est lui que nous surveillons le plus depuis quelques cycles de lune, et lui seul nous intéresse désormais. Il va nous permettre de mettre enfin la main sur ces Prajnas, que nous avons cherché en vain pendant des dizaines de cycles de moissons. Vous autres Vasitas n'avez plus aucune utilité. Et au fond, vous n'avez jamais servi à grand chose. Nous avons pensé que Kurtogdel donnerait à Vindu la consigne de prendre contact avec vous, mais il n'en a rien été, et nous avons fait là une grave erreur : il s'est échappé de Kahun sans que nous en ayons eu connaissance. C'est alors que j'ai pensé à utiliser les chiens des Umalates, qui seuls pouvaient nous permettre de le retrouver. Il fallait pour cela leur accord, et donc le vôtre. J'ai alors fait disparaître votre fameux talisman. Vous avez réagi exactement comme je l'avais prévu : persuadé que c'était Vindu qui avait fait le coup, vous étiez prêt à tout mettre en œuvre pour le retrouver, et vous m'avez vous-même envoyé sur sa piste.
_Espèce de...
_Qu'est-ce que vous avez cru ? Qu'un personnage aussi ridicule que vous pouvait monter un coup d'état ?
Soudain, Sthula ne se contint plus. Il chargea en direction de Dvitsevin, les traits du visage tirés par un rictus de haine. Mais celui-ci se leva d'un bond, se pencha légèrement en avant, les muscles bandés, et face à la stature imposante de son adversaire, Sthula stoppa net son mouvement. Ils se reg   ardèrent droit dans les yeux pendant quelques secondes. Puis, constatant l'impossibilité d'une attaque de front, Sthula fit demi-tour et se précipita vers la sortie. Dvitsevin ricana, du fond du bureau : «vous êtes un homme fini». Tout en traversant les couloirs, le fuyard comprit que c'était vrai. Il devait désormais s'attendre à ce que l'impératrice se débarrasse d'un conspirateur qui avait jusque là été toléré pour sa supposée utilité, mais qui n'avait dorénavant plus aucun intérêt. Les Prajnas... Il pourrait peut-être trouver en eux de solides alliés. C'était en tout cas sa dernière chance de se sauver, lui et la révolution. Il suffirait sans doute de leur promettre une partie du pouvoir. Mais il fallait agir vite. Ses seules ressources résidaient désormais dans celles des Umalates.
#43
ce topic est mémorable.

je crois qu'il faudrait pas seulement poster le message de ventoline mais aussi ceux de nihil qui s'intercalent et fourguer ça dans une rubrique "petit guide de la prostitution à l'usage des webmasters"
#44
celà signifierait-il qu'il esxiste une personne au monde (dourak on s'en tak' (putain lc j'ai encore trouvé un slogan qui déchire)) qui ait jeté ses yeux sur plus de deux mots de mon texte?

quelqu'un a une corde?
#45
= INITIATIVES = / Re:Quand avez-vous des envies
Juillet 14, 2005, 14:01:54
le besoin de meurtre se fait sentir dès qu'il y a plus de 4 humains dans une sphère de 2  mètres de rayon dont je suis le centre