La Lettre

Le 07/08/2025
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par Cindy Le Boucher
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Dossiers / " Dans l'ombre de Frankenstein "
Cet hommage à Mary Shelley adopte un style classique et linéaire, ancré dans une ambiance victorienne, mais contrebalancé par une noirceur intense qui évoque l’audace macabre de Shelley. La quête désespérée d’Anna pour ressusciter sa fille porte une tension dramatique puissante, même si les personnages manquent un peu de profondeur. Ce contraste entre retenue formelle et horreur thématique crée une œuvre saisissante, quoique légèrement inachevée par ses personnages évanescents.
Hommage à Mary Shelley
Londres, 1912

En ouvrant la boîte, une feuille s’envola et retomba face contre terre. Maddy s’en saisit et la replaça au fond du coffret. Elle était davantage attirée par l’ouvrage à la couverture en cuir marron portant les initiales M.S. Elle délia le lacet et ouvrit le recueil. L’écriture à la plume n’était pas très lisible pour une enfant de douze ans, néanmoins elle pouvait déchiffrer quelques phrases : « son regard dans le mien, j’ai su que son âme l’avait rejoint », « nous sommes, tous, les créatures d’un créateur ».
- Que fais-tu mon amour ?
Penny se pencha au-dessus de sa fille et prit le livre entre ses mains.
- Sais-tu qui a écrit ce roman ? C’est mon arrière-grand-mère, Mary Shelley. Ton père dit qu’avec cette histoire, elle aurait pu subvenir aisément à ses besoins, mais elle n’a jamais voulu l’éditer.
- Était-elle pauvre ? demanda Maddy.
- Elle vivait de ses livres et des poèmes de son mari. Les temps étaient difficiles à l’époque. Connais-tu Frankenstein ? C’est la nouvelle qui l’a rendue célèbre. On en a un exemplaire dans la bibliothèque.
- As-tu lu celui-là, maman ? interrogea la fillette en désignant le recueil dans les mains de sa mère.
- Il t’intéresse ?
- Oui, mais je n’arrive pas à tout déchiffrer. Peux-tu me le raconter ?
Penny prit sa fille par la main, l’invita à se lever et lui fit signe de la suivre. Le grenier n’était pas assez confortable. Elles seraient bien mieux au salon. Maddy s’allongea sur la liseuse et Penny se balança sur le rocking-chair pendant qu’elle remontait le temps pour lui raconter l’histoire de Florence.
*

Quelle est la pire souffrance pour une mère ? Celle de perdre le fruit de son amour. D’observer les yeux clos de son enfant sans avoir l’espoir qu’ils ne s’ouvrent à nouveau.
Anna Heysel portait le deuil de deux enfants. La tuberculose emportait les nouveau-nés comme des grains de sable dans le vent. Et si chaque grossesse portait en elle le défi d’être menée à son terme, la petite enfance était tout aussi risquée. Il fallait passer entre les mailles de la famine, des maladies, des intempéries…
Florence avait survécu. Elle avait neuf ans et son sourire illuminait son visage et celui de sa mère. Mais comment trouver sa place quand on est la troisième d’une fratrie disparue ? L’amour qu’elle donnait à sa mère ne suffisait pas à combler la perte des absents. Elle ne devait, ni ne pouvait trop s’éloigner. Ses loisirs étaient partagés avec sa mère. Et même si toutes les pièces de la maison communiquaient entre elles, la jeune fille était suivie de près par une mère inquiète et angoissée de perdre à nouveau un morceau de sa chair.
- Et si nous allions faire du cheval ce week-end chez lord Olson ? demanda Florence à sa mère.
- Tu sais que le cheval n’est pas recommandé pour ton dos. Je ne prendrai pas ce risque. Rejoins-moi au jardin, profitons de ces éclaircies matinales.
Florence lui barra le passage.
- Mère, comprenez-moi ! J’ai lu tous les livres de ma bibliothèque, cousu des dizaines de mouchoirs, cultivé le potager, je ne peux pas passer mon temps entre le salon et le jardin ! supplia-t-elle.
Mais est-il possible de combler les désirs de ses enfants si ceux-ci sont source d’angoisses ?
- C’est ici que la conversation prend fin, lança sèchement Anna.
La jeune fille courut dans sa chambre, le cœur était lourd et le désespoir était grand. Le soir venu, Florence refusa de descendre dîner malgré l’insistance de sa mère. Elle préférait rester couchée sur son lit, et ce, durant des heures. Elle avait découvert un autre monde. À peine ses yeux étaient-ils fermés qu’une fenêtre s’ouvrait, elle entrait alors dans un univers où tout devenait possible. Un monde dans lequel on peut monter un cheval sans craindre la chute, on peut sentir sa crinière onduler sous nos doigts, respirer l’air de la forêt, s’asseoir au pied d’un arbre et écouter le bruissement des feuilles. C’était apaisant et reposant. Florence avait découvert les chevaux dans les dessins de Léonard de Vinci. C’était une véritable passion. Sa mère possédait un recueil issu d’une édition spéciale qui avait publié les croquis du génie. La musculature de la bête et son regard fixe et envoûtant en faisait un animal intriguant que la jeune fille avait envie de connaître, de dompter. La journée, elle tentait de les dessiner. Elle leur inventait des paysages, des écuries, des écuyers, elle écrivait des histoires dans lesquelles le cheval était toujours le héros. Le soir, elle mettait la selle, le harnais et elle montait Oscar. Quelques semaines s’étaient écoulées depuis leur dernière conversation à ce sujet et Florence maigrissait à vue d’œil. Elle nourrissait son esprit et laissait son corps dépérir. Ses problèmes de santé commençaient à s’accroître. Elle souffrait d’une maladie rare, la spondylarthrite. Le bas de son dos la faisait de plus en plus souffrir.
- Mon amour, va mettre tes chaussures, nous partons dans une demi-heure, dit Anna, en caressant tendrement sa fille.
Elle avait l’habitude de faire de petits cercles avec son pouce sur son épaule. C’était une partie du corps de son enfant qu’elle prenait plaisir à chérir, par des baisers ou des caresses. Sentir la peau douce et veloutée de sa chair sous ses doigts lui rappelait qu’elle était en vie. Elle. Soudain, le hennissement d’une monture suffit à précipiter Florence à la fenêtre. Une diligence était garée devant leur maison.
- Maman ! Venez voir ! C’est incroyable ! hurla-t-elle en dévalant les escaliers jusqu’à la porte d’entrée.
- Je suis si heureuse de te voir enfin sourire ! Montons à bord ! dit Anna.
Les locations de calèche étaient chères, mais cela n’avait pas de prix pour apaiser le cœur de sa fille. Anna avait prévu cette balade pensant répondre aux désirs de Florence. Mais comment admirer la bête quand on ne la voit pas ? Cette promenade dans les bois lui permettait d’entendre le bruit des sabots, de caresser les chevaux lors de la pause, mais sa mère ne comprenait décidément rien. Ce que l’adolescente voulait par-dessus tout, c’était monter sur le dos de l’animal, tenir les rênes, lui parler à l’oreille, galoper en forêt. Ainsi, la joie fut de courte durée. Cette sortie n’avait fait que renforcer son goût pour l’équitation et la frustration de ne pouvoir la pratiquer. Le retour fut moins joyeux que l’aller quand Florence insista pour monter un des chevaux de la voiture et que sa mère refusa pour la énième fois. L’idée d’Anna se solda par un échec. Les semaines suivantes, Florence se retira à nouveau dans sa chambre. Le manque d’activité aggravait ses lombalgies, mais elle refusait de sortir.
Quelques semaines s’écoulèrent et l’été arriva avec ses invitations. Les Heysel ne tardèrent pas à être conviées chez monsieur Olson. Anna l’avait connu grâce à son défunt mari. Charles Olson était le mécène de Peter. Il était fasciné par son don pour la peinture. Peter Heysel puisait son inspiration chez Raphaël. Sa manière de saisir le drapé sur la toile le rendait presque palpable. On pouvait sentir la soie glisser sous nos doigts, les plis se défroisser sous notre paume et entendre le bruit du tissu quand il est caressé par la main. Malheureusement, il était mort lors d’un voyage en Italie où il se rendait pour une exposition. Il avait laissé à Anna de quoi subvenir à leurs besoins elle et leur fille. Charles, s’étant pris d’affection pour la famille, avait proposé de poursuivre son mécénat. Il leur offrait, ainsi, une rente mensuelle et quelques journées de distraction accompagnées de repas copieux.
Arrivée sur place, Florence sauta hors de la calèche et courut dans les bras de Charles.
- Monsieur Oslon ! Je suis si heureuse de vous voir ! Allons aux écuries !
- Attendez ma tendre enfant, je n’ai pas encore eu le plaisir de saluer votre mère, répondit-il en riant.
Alors qu’Anna s’apprêtait à réprimander sa fille pour son empressement, Charles lui fit signe d’arrêter. Sa femme et sa fille avaient été emportées par la tuberculose. La seule voix de Florence suffisait à lui rappeler le bonheur d’avoir un enfant chez lui.
- Permettez-moi, Madame, de conduire votre fille aux écuries, je vous rejoins au salon.
Anna acquiesça et les regarda s’éloigner avec un sourire.
- Vos chevaux sont si beaux ! clama la jeune fille en courant vers le box de Cajou, l’unique pur-sang de l’étable.
Elle s’empressa de coller sa joue contre le museau de l’étalon et commença à lui conter un tas d’histoires. Comme à son habitude, elle prit la brosse et commença à peigner le cheval alors qu’elle continuait de lui narrer des aventures. Charles savait que la jeune fille ne pouvait pas monter à cause de ses problèmes de santé. Il essayait de combler sa frustration en lui laissant le champ libre dans l’écurie. C’était son moment à elle. Plus personne n’existait. Il sourit avec bienveillance et laissa Florence savourer cet instant.
- Helen, vous voudrez bien apporter le thé pour nos invités, ordonna Charles en s’adressant à sa gouvernante.
- Je vous remercie de nous accueillir, lança Anna.
- Vous savez à quel point le bonheur de Florence importe à mes yeux.
- Bien sûr, répondit la veuve en baissant la tête.
- Cette enfant est la preuve que la vie est un cadeau.
Soudain, un cri se fit entendre dans la cour.
- Monsieur, vous devez venir ! hurla Helen.
- Mais enfin que se passe-t-il ?
- La jeune fille, Monsieur ! La jeune fille !
- Florence ? cria Anna à son tour.
Tous les deux suivirent la gouvernante jusqu’à l’écurie. Florence était allongée sur le sol et le cheval sorti de son box, courait dans l’enclos.
- Mon enfant ! Florence ! M’entends-tu ?
Anna secouait sa fille inerte. Charles s’interposa.
- Attendez ! Ne la secouez pas ainsi, vous risquez d’aggraver ses blessures, dit-il.
- Oh mon Dieu, je vous en supplie, ne m’enlevez pas ma chair ! se lamentait Anna.
- Herbert, que s’est-il passé ? interrogea Charles au palefrenier.
- Je suis désolé, Monsieur, je n’ai rien pu faire. L’enfant est montée sur le pur-sang et quand elle est sortie du box… il s’interrompit.
- Poursuivez !
- Mardi… Cajou s’est blessé sur le flanc avec la clôture… en montant la jeune fille a certainement dû donner un coup de talon sur la plaie et le cheval s’est cabré… monsieur… je…
- Taisez-vous ! Allez me chercher le médecin !
- Charles, aidez-moi, elle ne respire plus ! cria la mère.
L’enfant avait le bras et la cuisse ensanglantés. En se cabrant, le cheval avait dû heurter son corps à terre et la jeune fille avait sûrement reçu des coups de sabot accidentellement. Anna arracha un morceau de sa robe et s’en servit pour lui faire un garrot à la cuisse. Passionnée par la médecine et la littérature scientifique, elle se rappelait certains gestes à faire en cas de nécessité. Mais Florence ne respirait plus. Ses lèvres commençaient à pâlir et malgré les techniques maladroites de réanimation qu’Anna tentait de pratiquer, le cœur ne semblait pas vouloir repartir. Lorsque le médecin arriva, il était trop tard. Le choc à la tête avait été brutal. Comment était-ce possible ? Pouvait-on perdre son enfant en quelques heures seulement ? Charles avait proposé à Anna de passer la nuit au château. Mais elle n’avait pas voulu. Elle préférait rentrer avec sa fille. Le médecin avait pu préparer le corps pour la mise en bière respectant les dernières volontés de sa mère qui souhaitait se recueillir une dernière nuit auprès de sa fille.
Mais en réalité, Anna avait d’autres projets. Emportée par le chagrin, son esprit commençait à divaguer. Elle ne pouvait pas la perdre. Pas elle. C’était comme s’il lui manquait un membre, elle respirait difficilement. Son cœur se serrait dans sa poitrine Elle devait trouver une solution. Elle regardait le corps de Florence étendu sur le lit, les yeux clos, un linge blanc aux manches brodées choisi pour son dernier voyage, une natte soigneusement coiffée sur le côté. Anna se déplaçait dans la chambre en essayant de trouver une raison à cette tragédie. Elle ouvrait les placards, les tiroirs, cherchant une réponse à ce malheur insoluble. Elle trouva les croquis de Florence, ses dessins de chevaux, ses reproductions, ses histoires. Elle connaissait la passion de sa fille et restait toujours admirative de son talent. Pourquoi lui avait-elle désobéi ? Pourquoi était-elle montée sur ce cheval ? Pourquoi celui-ci ? Pourquoi le ciel lui enlevait-il son dernier enfant ? La chair de sa chair. Florence et elle étaient inséparables. Même si l’adolescente avait soif d’évasion, sa mère représentait tout pour elle. C’était à la fois un repère et un modèle. Elle avait su attirer vers elle les regards d’un peintre de renom, elle avait séduit par sa verve et sa connaissance. Passionnée par la littérature, Anna avalait des quantités de livres de tout horizon. Même si son métier de brodeuse accaparait toutes ses soirées, elle ne pouvait s’endormir sans une lecture. C’était une passion, mais aussi une échappatoire en réponse à la mort de son mari. Florence avait hérité de cette passion. Florence qui, aujourd’hui, n’était qu’un corps sans vie. En soulevant les ouvrages posés sur le bureau, Anna découvrit celui sur les croquis de Léonard de Vinci. Elle ne put s’empêcher de s’effondrer sur la chaise. L’émotion était trop vive. Chaque lever de soleil serait une nouvelle journée vers l’enfer. Et puis… l’idée… vint.
C’était sûrement saugrenu, illusoire, mais pourquoi ne pas tenter ? Anna se précipita à la bibliothèque cherchant, parmi la multitude de livres, celui qui lui redonnerait de l’espoir.
- Allez… je sais que tu n’es pas très loin ! Non… non... ah ! Te voilà ! cria-t-elle avec victoire.
Sur la couverture on pouvait lire Sciences et Temps. C’était un ouvrage écrit par Lawrence Gordon, un scientifique de renom qui publiait ses expériences et réflexions sur le temps. Anna feuilleta et ouvrit le recueil à la page qui l’intéressait : Propriétés du formol. Elle avait la solution, il ne lui restait plus qu’à la mettre en pratique.
Le lendemain matin à la première heure, elle se rendit à la mercerie. Elle en sortit les mains vides. L’écuyer se chargeait de mettre les bidons à l’arrière de la calèche. Elle avait fortement puisé dans ses économies, mais peu importe. De retour à l’appartement, elle vida les bidons dans la baignoire. L’odeur emplit toute la pièce. C’était fort, cela prenait à la gorge. Dans la chambre, Florence l’attendait. Elle souleva le corps lourd de toutes ses forces. S’en suivirent des cris, des râles, des pleurs, Anna peinait à transporter ce corps inerte. Il fallait soulever le poids du corps, mais aussi celui de la peine. Elle regarda le liquide verdâtre dans la baignoire et y plongea Florence. La robe brodée se mit à gonfler, et le corps sombra. Le linge se tinta et le visage de Florence se métamorphosa, légèrement plus rond, plus lisse. Les yeux pleins de larmes, Anna attendit quelques minutes, puis le corps se figea. Florence dormait avec quiétude, sa beauté et sa jeunesse étaient en proie à la solution. Anna était parvenue à arrêter le temps, il ne lui restait qu’à redonner la vie.
Grâce à son époux, elle avait fréquenté des milieux variés, tant artistiques que scientifiques. Des personnalités de tous horizons qui avaient un point commun : le goût pour l’affranchissement et l’expérimentation. Il fallait oser. Il fallait tester. Il fallait être avant-gardiste, précurseur, inventeur. Au cours de leurs multiples soirées, Anna avait fait la connaissance du sulfureux Dr Hollister. Fasciné par les étrangetés de la nature, Larry Hollister était le chirurgien des créatures difformes. Au risque d’aller à l’encontre de l’éthique, il pouvait décoller des enfants siamois par le tronc en affirmant équilibrer les organes de part et d’autre. Malheureusement, ses expériences n’ont jamais été soutenues, ni financées. Elles n’ont même jamais vu le jour. Personne n’a pu attester de leurs succès. Néanmoins, tout le monde connaissait l’adresse de son cabinet et les plus désespérés en franchissaient souvent le seuil.
Anna n’était-elle pas désespérée ?
Soudain, un bruit sourd la sortit de ses pensées. On tambourinait à la porte.
- Bonjour, Madame, veuillez excuser ma visite imprévue. Je viens sur ordre de Lord Olson. Monsieur souhaite être informé de la date et de l’heure de l’enterrement de la petite Florence.
- Euh… oui bien sûr. Les obsèques se dérouleront vendredi matin. À neuf heures.
- Merci madame, répondit Herbert les yeux baissés en reposant son chapeau de paille sur sa tête.
Anna ferma la porte. Il lui restait deux jours pour trouver une solution. Elle enfila son manteau, ses chaussures et prit son parapluie. Il commençait à pleuvoir sur la ville.
- Excusez-moi, il y a quelqu’un ? dit-elle en frappant de nouveau à porte.
Personne ne répondit. Anna tourna la poignée et entra. Une odeur de camphre régnait à l’intérieur.
- Docteur Hollister ? C’est Anna Heysel. Vous êtes là ?
Les meubles n’avaient pas été époussetés depuis des mois. Des tâches pourpres jonchaient le sol.
- Je vous en prie, Anna, venez me rejoindre ! cria Larry à l’autre bout du couloir.
En traversant la pièce, la jeune veuve observait les bocaux sur les étagères. Il était difficile de savoir ce qu’ils contenaient. Certains renfermaient peut-être des membres ? des organes ? ou était-ce des animaux ? Un frisson lui parcourut le corps.
- Depuis le temps que je vous invite dans mon manoir secret, je suis heureux de vous y voir ! dit-il en éclatant de rire.
- Larry, il faut que je vous parle. C’est très important.
- Regardez ça ! dit-il en reliant deux fils.
Une étincelle scintilla. Anna la parcourut des yeux jusque dans la patte d’une grenouille inerte posée sur l’établi. Celle-ci tressauta et se mit à bouger d’avant en arrière.
- N’est-ce pas incroyable ? La même chose dans le cœur et cette grenouille ne se rappellera même plus qu’elle a côtoyé le Seigneur, ajouta-t-il dans un rire gras et rauque.
- Larry, s’il vous plaît écoutez-moi, j’ai besoin de votre aide.
- Attention ! Ne bougez pas, ça va vibrer ! clama-t-il en ajustant ses lunettes de protection.
- LARRY ! cria Anna.
Le médecin fit un bond en arrière et retira ses lunettes.
- Larry ! Florence est morte.
- Pardon ? Florence ?
- Oui, Florence, ma fille. Elle a fait une chute de cheval lundi. L’enterrement est prévu pour vendredi. J’ai besoin que vous m’aidiez. Je sais que nous pouvons la sauver.
- Oh, Anna, je ne savais pas. Je…
- Nous n’avons plus le temps Larry. Vous devez venir à la maison.
- Mais…
- Il n’y a pas de « mais ». Allez chercher votre manteau je vous attends.
De retour chez Anna, cette dernière secoua son parapluie avant d’entrer et fit signe à Larry de la suivre. Le docteur leva la tête pour observer les escaliers qui le mèneraient jusqu’à la salle de bain.
- Elle est ici, dit Anna en montrant Florence dans la baignoire.
Même si Larry était habitué à manipuler les cadavres et autres difformités, il fut choqué par l’incongruité de la situation. Comment une mère avait-elle pu laisser ainsi sa fille ? Immergée dans ce liquide trouble ? Il se pencha au-dessus du corps et observa un filet jaunâtre qui semblait provenir de la cuisse de Florence.
- Avez-vous des gants ? demanda-t-il à Anna.
- Tenez, dit-elle en prenant une paire restée sous le lavabo.
Il enfila les gants et les plongea dans la baignoire. Il souleva la robe de la jeune fille et retourna le corps lourd.
- C’est bien ce que je pensais, affirma-t-il.
- Que se passe-t-il ?
- Qu’avez-vous mis dans cette baignoire ?
- Je l’ai rempli de formol.
- De formol uniquement ?
- Oui.
- Pourquoi ne m’en avez-vous pas parlé tout de suite ? Il faut ajouter du camphre au formol pour une meilleure conservation des corps. Sa cuisse est en train de pourrir.
- Regardez, dit-il en montrant le membre gangrené.
Le cœur d’Anna se serra à la vue du pus qui s’échappait de la plaie. Mais elle n’avait qu’un seul objectif et reprit rapidement ses esprits.
- Dr Hollister, vous devez m’aider. Nous pouvons la ramener à la vie j’en suis sûre.
- Comment est-elle décédée ? demanda Larry en fronçant les sourcils.
- Je vous l’ai déjà dit, elle est tombée à cheval, s’impatienta Anna.
- Non, je veux dire, quelle est la cause du décès ?
- Le rapport indiquait un choc à la tête.
- Comment voulez-vous ramener à la vie quelqu’un qui sera probablement un légume ? La science peut faire bien des choses, Mme Heysel. Elle peut faire repartir un cœur, mais peut-elle ramener un esprit ? Une conscience ?
- N’entendez-vous donc rien ? s’insurgea la jeune femme. Je ne vous demande pas de vous intéresser à ce qu’elle pourra penser ou dire. Je vous demande de lui redonner la vie. Votre prix sera le mien.
Malgré ses extravagances et son goût pour l’expérimentation, Larry savait qu’il était face au cœur d’une mère désespérée pour qui l’éthique et la logique n’avaient pas de place. Il ne servirait à rien de faire entendre raison ou de refuser. Ce qui devait advenir, adviendrait.
Larry et Anna avaient dû échafauder un plan. Ils avaient rempli le cercueil de sacs de sable pour donner l’illusion du poids, puis sceller l’ouverture. Anna prétexterait une trop grande souffrance à la vue du corps de sa fille. À la nuit tombée, ils étaient retournés au laboratoire de Hollister. Il était plus pratique pour lui de travailler dans son atelier. Ils avaient dû transporter le corps dans un tonneau disant au charretier qu’il s’agissait d’une solution quelconque dont le médecin avait besoin. Tout semblait se déroulait sans encombre.
Florence était allongée sur l’établi au milieu des fioles et autres bocaux. Larry rassemblait tous les instruments dont il avait besoin pour tenter de faire repartir le cœur. Cela faisait déjà deux jours qu’il s’était arrêté, mais pour le scientifique rien n’était trop tard. Il suffirait d’ajuster le dosage de décharge électrique. Anna, les mains jointes, restait assise devant le visage de sa fille.
- Maman est là, tu vas bientôt pouvoir rentrer à la maison mon amour.
- Mme Heysel, je pense qu’il vaut mieux que vous quittiez la salle le temps que je procède à l’opération.
- Hors de question, je veux être là quand elle ouvrira les yeux, dit-elle en caressant l’épaule de Florence avec son pouce.
- Anna, je vais devoir ouvrir sa poitrine pour insérer les fils. Je crains…
- Je reste ici, coupa-t-elle.
- Très bien. Prenez ces lunettes pour les projections et enfilez cette blouse pour ne pas tâcher vos vêtements.
L’opération pouvait commencer. Florence était nue. Un étrange liquide jaune, contenu dans une poche, s’écoulait dans la veine de son bras droit grâce à une aiguille. C’était pour redonner de la fluidité au sang avait annoncé le médecin. Une tâche verte au niveau de l’abdomen révélait les premiers signes de putréfaction. Larry traça un trait sur sa poitrine et s’empara d’une scie à os pour découper la cage thoracique. Une odeur pestilentielle se dégagea. Anna fit un pas de recul. Larry ouvrit les côtes à l’aide d’un écarteur. On pouvait voir de petites auréoles blanches sur les poumons. Le médecin souleva délicatement le poumon gauche.
- Allons-y, dit-il en se saisissant de deux pinces électriques.
La première décharge fut donnée. Rien. Une deuxième. Rien. Larry s’y reprit à plusieurs fois, mais l’organe restait inerte et Anna, spectatrice, les yeux creux.
- Donnez-moi ces pinces, cria-t-elle soudainement en les lui arrachant des mains.
Elle les serra pour déclencher l’impulsion et laissa le courant se diffuser dans l’organe pendant des secondes interminables.
- Arrêtez ! hurla Larry ! Son cœur va brûler !
Mais Anna n’entendait plus rien, elle pressa un peu plus la gâchette et se mit à pousser un râle. C’en était trop. Larry la bouscula et les pinces retombèrent sur le cadavre.
- Oh mon Dieu ! Larry regardez ! J’ai réussi !
Le cœur de Florence tressautait sous le poumon. Son rythme était inconstant, mais c’était un miracle. Il s’était remis à battre. L’évidence était là.
- Florence ! Florence ! Maman est là mon amour !
- Elle ne vous entend pas. Il n’y a que son cœur qui semble repartir, mais son esprit n’est pas là. Vous devez m’écouter Anna, supplia le docteur en tentant de prendre les mains de la jeune femme dans les siennes.
- C’est vous qui allez m’écouter Larry ! Refermez sa cage thoracique et occupons-nous du cerveau !
Si le scientifique était réputé pour ses excentricités, il ne s’était jamais retrouvé devant plus fou que lui. Et rien ne sert de disserter avec la folie, elle a toujours raison. Ainsi, il s’exécuta.
- Madame Heysel, si vous permettez, avant de commencer toutes expériences cérébrales, nous devons… lui couper la jambe. Elle se gangrène et cela risque de se propager.
- Lui couper la jambe ? C’est impossible ! Trouvez une autre solution !
- Il n’y en a pas.
- Vous voulez donc que Florence se réveille avec une seule jambe ?
- Nous n’avons pas le choix.
Anna tournait dans le laboratoire. Il lui fallait une solution.
- Très bien. Dans ce cas, il faudra la remplacer par une autre.
- Pardon ?
- Vous avez très bien compris et ne me dites pas que vous n’êtes habitué à ce genre de manipulation.
- Anna, vous êtes impossible ! souffla-t-il.
- Ne traînons pas, la morgue va bientôt ouvrir, dit-elle en retirant sa blouse et ses lunettes. Si nous voulons avoir les meilleurs morceaux, mieux vaut arriver les premiers. Je reviens mon cœur, ajouta-t-elle en adoucissant la voix.
Le passage à la morgue dura peu de temps. Une jeune fille était décédée la veille de la tuberculose. Néanmoins elle était plus petite. La jambe risquait d’être trop courte, mais peu importe. Pour Anna, l’essentiel était de pouvoir remplacer le membre pourri. De retour au laboratoire, chacun remit sa blouse et ses lunettes. Larry commença à couper froidement la jambe droite de Florence, puis celle de l’inconnue. Certainement une enfant rapportée par les agents de la ville et dont on ne réclamerait jamais le corps. Derrière ses cheveux bruns sales, on distinguait un joli minois. Elle devait avoir huit ou neuf ans. Ses petits doigts étaient encore tout roses. Il n’y avait malheureusement personne pour la pleurer. Son corps serait enterré plus tard, dans la fosse commune, avec une seule jambe.
- Voilà, il me reste à recoudre celle-ci et nous y serons, fit le docteur Hollister.
- Pensez-vous qu’elle pourra remarcher ?
- Madame Heysel, nous sommes loin de ces suppositions. Seul le cœur semble reparti, dit-il en observant l’organe. Bien que son rythme ne soit pas vraiment constant. C’est étrange. Quant à la jambe, je vous assure un rendu plus esthétique que fonctionnel. Il m’est impossible de relier toutes les terminaisons nerveuses et autres vaisseaux sanguins.
- Oui je comprends, dit-elle en caressant à nouveau l’épaule de Florence.
Quelques heures s’écoulèrent, Anna restait assise devant sa fille regardant la cicatrice sur sa poitrine et lui murmurant des paroles à l’oreille pendant que Larry procédait à la greffe. L’enterrement avait lieu le lendemain. Il fallait que toutes les opérations soient terminées. Anna s’imaginait déjà de retour chez elle avec Florence, lui préparant son petit déjeuner, l’aidant à s’habiller, lui racontant des histoires. Elle n’avait pas dormi de la nuit, la fatigue commençait à se faire sentir.
- Larry, je vais m’allonger une minute, je ne tiens plus. À toute à l’heure mon ange, ajouta-t-elle en jetant un dernier regard sur sa fille.
Le docteur regarda la jeune femme s’éloigner. Ses cheveux étaient décoiffés et sa démarche fébrile. Il valait mieux qu’elle prenne quelques heures pour se reposer. Et puis, cela arrangeait le scientifique qui n’avait pas envie d’avoir les interventions d’Anna pendant son travail. Il venait de terminer la greffe. Le cœur avait l’air de mener à bien sa mission. Le sang, grâce à la perfusion, s’était fluidifié et il parcourait le corps de Florence jusque dans sa nouvelle jambe. Le plus dur restait à venir. Larry allait devoir ouvrir la boîte crânienne. Il positionna l’adolescente sur le ventre et traça une raie entre ses boucles blondes à l’arrière de la tête. Après avoir désinfectée le trépan, il commença la découpe de façon circulaire. La trépanation était utilisée pour procéder à l'ablation des hématomes. Le sang coagulé pouvait, ainsi, être évacué. Larry était concentré. Il retira deux gros caillots qu’il jeta négligemment à terre. Puis, il referma la « boîte », rendant visible une couture au dos du crâne. Il souleva avec peine le corps lourd pour l’assoir sur une chaise et attacha les membres à l’aide de sangles pour l’aider à tenir droit. Enfin, il s’empara d’un casque qu’il positionna sur la tête de Florence. Il ne restait qu’à effectuer les branchements et il actionnerait le flux électrique. Le casque comprenait plusieurs fils. Chaque fil étant relié à une batterie d’un côté et en contact avec le crâne de l’autre. Un morceau de compresse humide assurait la conduction du courant. La nuit avait été longue, mais le scientifique ne ressentait pas la fatigue. Il était porté par l’opportunité. Anna avait rendu possible ce sur quoi il avait toujours travaillé : la résurrection. Comment redonner vie à un corps cliniquement mort ? Comment réactiver un esprit ?
Après avoir soigneusement procédé à ses branchements, il s’exécuta. Prudemment. L’onde électrique parcourut le corps de Florence. Il fallait réactiver les terminaisons neuronales. À nouveau assise sur la chaise, la greffe recouverte par sa robe tâchée de sang, Florence avait la tête penchée vers l’avant et les yeux clos. Ses cheveux blonds étaient noués par le liquide rouge visqueux. Et le casque lui donnait l’allure d’une hérétique à qui l’on voulait rendre la raison. Dès la première décharge, Larry eut l’impression que les doigts de Florence avaient bougé. Il renouvela l’opération. Il ne se trompait pas, ses doigts tressautaient. À la troisième décharge, Florence releva la tête. Elle gardait les yeux clos, mais les membres du corps semblaient reprendre vie.
- Comment avez-vous osé ? Vous n’êtes même pas venu me chercher ! hurla Anna.
- Je m’apprêtais à le faire, mais je voulais faire un essai avant.
Anna se jeta aux pieds de sa fille n’écoutant que son cœur et se désintéressant des justifications du Dr Hollister.
- Ma puce, je suis là, chuchota-t-elle en caressant la tête de sa fille.
Soudain, ses doigts effleurèrent la cicatrice grossièrement recousue. Elle se releva et s’insurgea contre le médecin :
- Qui vous a autorisé à ouvrir la tête de ma fille ? cria-t-elle en se jetant sur le médecin.
- Cela suffit Anna ! clama-t-il en lui serrant les poignets. Que croyez-vous ? Comment voulez-vous redonner la vie à un corps qui a un caillot dans la tête ? J’en ai suffisamment entendu ! Prenez votre cadavre et sortez de chez moi !
- N’espérez pas avoir le moindre sou !
- Je n’espère rien, ria-t-il. Je ne veux plus vous voir, vous et ce qu’il reste de votre fille.
Il en fallait plus pour déstabiliser Anna. Au final, cette querelle l’arrangeait bien. Elle avait besoin de se retrouver seule avec Florence. Elle l’enveloppa dans une couverture. Puis, Larry l’aida à la transporter jusqu’à la calèche qui la conduisit à son domicile. Il avait intérêt à ce que cette histoire ne se sache pas.
C’était le jour de l’enterrement. Florence était allongée dans son lit. Anna avait changé sa robe. Elle n’avait pas ouvert les yeux depuis la veille, mais ses membres gardaient des réflexes. On frappa à la porte. Mr Olson était là. On vint récupérer le cercueil et l’inhumation eut lieu dans une sérénité déconcertante. Le peu de personnes présentes observait l’attitude de cette mère, parfois absente, parfois souriante, parfois impatiente. Elle ne portait le deuil que sur sa robe et son chapeau.
- Ma proposition tient toujours Anna. Vous savez que vous pouvez venir au Domaine quand vous le voulez.
- Je vous remercie Mr Olson, mais j’ai besoin d’être seule, répondit-elle en lui tournant le dos.
De retour à sa maison, elle s’empressa d’ouvrir la porte.
- Florence ? Je suis là !
Elle déposa son manteau et ses chaussures dans l’entrée, puis grimpa les marches de l’escalier deux par deux. En ouvrant la porte de la chambre, Florence n’était pas là.
- Florence ? Florence ? dit-elle en cherchant dans la chambre.
Anna souleva les draps, regarda sous le lit, derrière la porte. Florence n’était plus là. Elle avait disparu. Anna s’effondra et poussa un cri d’effroi quand elle se rendit dans la salle de bain. Florence était là. Debout face au miroir. Anna se précipita vers elle. Les yeux de la jeune fille étaient rivés sur son reflet. Quand elle essaya de tourner les épaules de sa fille vers elle, le corps de Florence était rigide.
- Ma chérie, regarde-moi, dit Anna
Le regard de Florence était vide. Elle regardait Anna comme si elle lisait à l’intérieur de son âme. La mère fit un pas de recul, un frisson lui parcourut le corps. L’adolescente se tourna et marcha jusqu’à la porte. Anna restait spectatrice. Elle était partagée entre la joie de voir sa fille marcher et l’horreur de ne plus reconnaître l’enfant qu’elle avait mis au monde.
Elle la rejoint et descendit avec elle les marches jusqu’au salon. Florence se déplaçait telle une ombre. Ses bras dansaient le long de ses hanches et son vêtement flottait derrière elle. Elle s’assit sur la chaise qu’elle avait l’habitude d’utiliser pour les repas.
- Tu as faim ? demanda Anna. Ne bouge pas, je vais te cuisiner quelque chose.
Quelques minutes plus tard, la mère attentionnée revient avec une assiette de lentilles.
- Voilà, comme tu les aimes, ajouta-t-elle en déposant l’assiette devant Florence avec un sourire de béatitude.
La jeune fille prit la cuillère tendue, la plongea dans l’assiette et porta la soupe à sa bouche. Anna restait médusée. Elle avait rendu la vie aux fruits de ses entrailles. Elle avait donné naissance à nouveau. Elle ne se lassait pas de regarder sa fille.







*
- C’est déjà fini ? demanda Maddy
- Et oui ! Il est l’heure d’aller rejoindre ton père au salon. Nous allons manger.
- Mais maman ?
- Oui ?
- On ne connait pas la suite. Penses-tu que Florence a vécu longtemps ?
- C’est une histoire ma chérie, c’est à toi d’inventer la suite. Celle qui te plaît.
Maddy regarda les arbres par la fenêtre.
- Peux-tu me donner le livre maman, je vais le ranger et je redescends pour manger.
Penny lui tendit l’ouvrage en souriant.
Arrivée au grenier, la jeune fille ouvrit le coffret, prit le papier qu’elle avait déposé et rangea le recueil. Elle retourna alors la feuille et découvrit une lettre manuscrite :

Les mots viennent dans mon esprit, mais ne sortent pas. Je sens cette affreuse boursouflure sous mes doigts quand je peigne mes cheveux. Ou ce qu’il en reste, ils tombent par poignées. Je boîte. Ma jambe droite est plus courte que la jambe gauche. Une douleur traverse ma hanche jusqu’à la nuque. Il y a sous mes yeux des tâches noires. Ce ne sont plus des cernes, on dirait des trous. Ma vie d’avant est une chimère. Un immense labyrinthe vers l’inconnu. Mes journées sont des cauchemars, mes nuits sont des tourments. Il n’y a donc aucun espoir. La route vers l’abîme s’ouvre devant moi. Tu jouis de ma présence à ta guise pendant que mon corps pourrit. Rien n’a de goût. L’odeur de lait caillé qui sort de ma cuisse masque tout. À quoi bon nourrir ce qui se meurt ? Je respire la douleur. Quand on revient de la mort, on se demande si elle pourrait nous sauver encore. En traversant le lac j’y ai laissé mon âme. J’espère que tu me pardonneras, mais aujourd’hui je choisis un chemin que même la science ne pourra remonter. Adieu. Florence, 31 octobre 1842