LA ZONE -

Serial edit 9 : moi et les cons

Le 23/12/2005
par Aka
[illustration] Textes précédents :

- Extrait de l'Apocalypse

- Apocatrip par Nounourz
- Sainte-morphine par nihil
- Le fils spirituel par Glaüx
- Sous terre par Aka
- Lambda par Lapinchien

- Timebomb par Nounourz
- La grande peste par nihil
- Le grand soir par Glaüx
C’est long, une vie. Surtout quand on arrive à cinquante balais. J’ai beau attendre la retraite et l’espérer au fond du bide, je sais bien qu’elle n’arrivera que trop tard pour moi. Je serai déjà un vieux con, plus moyen d’en profiter.

Alors j’en profite. Depuis toujours, j’en profite. Y a pas deux connards qu’on eu la vie que j’ai menée. Mon expérience des choses. Maintenant, tout est trop facile. Ils rêvent au lieu d’agir. Tous ces crétins, ils ne comprennent rien.

Dans mon sac de sport, j’ai mis mes affaires pour aller trimer. J’ai emballé mon reste de sandwich recomposé avec les restes de mes repas d’hier et avant-hier. Je quitte avec regret ma baraque. MA baraque que je me suis payée avec la sueur de mon front, et pas avec les allocs comme tous ces parasites. Je serais bien resté dormir un peu mais y a pas le choix. Faut bien bosser, et j’ai des responsabilités moi bordel. J’assume. Pas d’arrêt maladie de tafiole avec moi. La lumière du jour a déjà disparu. Tant mieux. J’aime bosser de nuit, ça permet de moins croiser de connards. Tout le monde ne peut pas le faire ça bosser de nuit. Tout le monde n’a pas le sens du sacrifice et des responsabilités, ça c’est clair. J’avance en silence, les yeux rivés vers le sol, les poings serrés. C’est pas que j’ai peur ou quoi, mais moi faut pas me chercher. Suffit qu’il y ait un mec qui me regarde de traviole et je démarre au quart de tour. Alors je regarde par terre. Pour pas arriver en retard au boulot.

Et ce soir, c’est le grand soir. Ca va donner, bordel. C’est fini, tout ça. Ce soir c’est la dernière nuit avant les vacances.

Demain matin, je quitte pour deux semaines mes connards de collègues ; et je m’en réjouis foutrement. Je passe là-bas des jours dégueulasses, enfin des nuits dégueulasses je veux dire. Mais bientôt, ça sera le passé. J’ai décidé de chasser tout ça de ma mémoire un certain temps. Le boulot, c’est le boulot. Les vacances, c’est les vacances. Ils auront du mal à se passer de moi, ça c’est certain. Bref pour l’instant moi je dois y aller pendant que les autres pioncent. Les portes des magasins sont barricadées, les voitures garées et givrées, même les PMU sont pas encore ouverts. Je grille clopes sur clopes pour bien me réveiller. Ouais. Tu parles. C’est comme ça, c’est tout. Putain d’habitude.
J’avance en direction du bâtiment dans lequel je travaille. Un truc super important, mais j’ai pas le droit d’en parler. Je lance un coup de pied dans la porte du bureau du connard de jour qui s’est endormi. Bong. Je gueule « debout là dedans ! » d’une voix autoritaire. Ce trouduc s’excuse en me donnant du « désolé chef » en veux tu en voila. Il se casse et je deviens maître des lieux.

Première heure des vacances, je suis accoudé au bar depuis plusieurs minutes déjà à observer du coin de l’œil ces piches se mettre la tête avec leur vin à deux balles. Moi je suis venu là pour me détendre tranquille devant un demi avant pour bien entamer mes congés et je suis obligé de supporter leurs discussions de comptoir. Et vas y que ça parle des nanas que ça s’est soit disant tiré. Et machin qu’il a déjà pété la gueule a trop de mecs. Et bordel la politique actuelle. Et ma femme se tape ce connard. Branleurs. Ca m’énerve.
Je commande un autre demi et j’essaye de me concentrer au moins sur la musique qui passe. De la musique de pucelle ça. Ces mecs sont tellement abrutis par l’alcool que ça leur ronge le cerveau, ils ne savent plus ce qui est bon. Ca passe ses journées dans les bistrots à se bourrer la gueule. Me dit pas que ça bosse ça. Tu parles, c’est les connards comme moi qui bossent pour payer leurs cuites. Putain de parasites.
Je me fixe sur la femme du patron qui me reluque depuis tout à l’heure. En même temps avec les déchets qu’elle se coltine à longueur de journées, sans parler de son Jule, je la comprends. Elle a une sale gueule mais elle a un beau cul, la tête sous l’oreiller ça roule ma poule. Merde voila que je me marre tout seul avec mes conneries.
Bon putain j’y tiens plus, je vais aller en mettre moi de la vraie musique histoire de boire mon dernier pour la route. Voila, du Johnny, ça c’est bon. Ca les jeunes ils peuvent pas comprendre, ils ont pas connu la vraie vie, ils peuvent pas saisir toute la porté des paroles, l’époque que ça évoque. Les Hommes. Avec un grand H ouais. Les vrais. Tiens mon voisin de comptoir est d’accord avec moi. Mets lui en une patron. Et monte un peu le son pour les vrais, tes seuls clients potables. Voila, un peu plus fort. Parfait. T’entends ça mec, ce qu’il chante LA. Y a rien à ajouter hein.
Merde la musique s’est arrêtée mon pote. Je vais en remettre pendant que tu payes ta tournée. Quoi, t’as quoi le connard là bas ? Quoi ma musique de merde ? Tu veux nous refaire chier avec ta musique de bougnoule c’est ça ? Tu sais pas qui je suis moi, me chauffe pas sale enculé. Je suis un tueur moi. Quoi ! QUOI ! Y A QUOI LA ! VIENS ! VIENS ! JE VOUS PRENDS TOUS MOI.

Putain rien fait de la journée tellement ça m’a énervé. Me suis promené. Rien à foutre. Ils gâcheront pas mes vacances. Suffit de regarder la gonzesse toute seule là bas. Elle a la classe quand même. En même temps elle doit aimer la pine elle, ça se voit. On s’affiche pas toute seule comme ça dans un bar à cette heure-ci quand on a pas le feu au cul. Je vais me la faire elle.
Je suis sur que vous aimez la vodka. Non… C’est que vous ne le savez pas encore. Ah ah ah. Vous faites quoi là toute seule ? Vous m’attendiez ? Vous voulez rester seule ? Ah on me la fait pas à moi, vous voudriez rester seule, vous seriez seule chez vous. Quoi ça ne me regarde pas ? Hey j’ai pas été insultant moi, je vous propose juste un peu de compagnie. Pas de type comme moi ? T’es encore une de ces putes qui préfère ce taper du négro hein ! Suceuse de bite. Gros con ! GROS CON MOI ! Mais tu sais pas à qui tu parles salope. Tiens prends ça dans ta gueule. ET ME TOUCHE PAS AVEC TES MAINS PLEINES DE FESSES. Quoi ? Vous voulez quoi vous ! On discute ça se voit pas ! Lachez moi bande de connards ! Ah ça c’est facile à cinq contre un putain de tantouzes…

Ouais Monsieur l’agent, on est un peu de la même Maison vous et moi. Ce qui s’est passé ? Oh vous savez… Chuis un peu bourré, je fête mes vacances. Ha ha oui vous savez ce que c’est. J’essaye de me détendre quoi, mais dans le monde où on vit, y a toujours des connards pour chercher la merde. Bah ouais, vous voyez ça tous les jours aussi. Respectent plus rien les jeunes. La nana ? J’avoue je l’ai prise pour une pute. En même temps y avait de quoi hein hahaha. Ca lui a pas plus, ça a dégénéré un peu. Puis ces ptits cons s’en sont mêlés. Ouais j’avoue, je vois des putes. Y a rien qui déshonore là dedans. Elles font leur métier, moi je paye. C’est quand même autre chose que ces connards qui lèvent des mineures bourrées en boite. Ouais voila exactement : entre adultes consentants. Ouais non mais c’est bon, je comptais pas reboire ce soir. Je suis pas un putain de poche moi, je faisais juste un peu la fête. Là ? Je vais rentrer chez moi. J’ai de la route demain je vais en Bretagne pour mes vacances. Ah ouais ? Vous connaissez bien ? Ok, merci Monsieur l’agent et bon courage à vous hein…

Allo… c’est papa. Ouais je sais qu’il est 3h du mat’, mais t’es jeune non, tu dors pas à cette heure. Quoi, tu te lèves demain ! Je suis ton père bordel. C’est toujours pareil avec les gamins, tu les aides et eux ils t’envoient te faire enculer. Chuis malheureux tu sais… C’est à cause de tous ces enculés. Mais ils m’auront pas moi. Il est fort ton papa. Je crois que je vais faire une connerie tu sais. Alors je voulais te prévenir hein. Parce que je t’aime. Quoi rentrer me coucher ? Putain t’es qui pour me parler comme à un pauvre con sérieux ! Quoi j’ai bu ! Bon faut que j’y aille, parce que là tu vois je vais faire une connerie… Allo ? ALLO !
Putain de métro. Premier que dans une heure. Salopes de fonctionnaires qui veulent pas travailler la nuit. Pas bien, envie de vomir. Me rappelle pas de ma nuit. Je me suis tapé ça c’est clair. J’ai du sang sur les mains. Mal aux cotes. Une bar de fer à mes pieds. Me dit quelque chose. Vaguement. Y a que des connards dans la station avec moi. Tiens y en a qui viennent vers moi. Chuis vraiment un aimant à cons.
Quoi une clope ? Tu peux pas bosser pour t’en acheter. Quoi ? Tu veux faire quoi ? Me dépouiller comme tout bon petit crouille que t’es ? Vas y lâche moi avant que je t’éclate la gueule. Te reconnaître ? Nan, je fréquente pas les connards dans ton genre. La ruelle ? De quoi tu parles ? Ah ? J’ai éclaté la gueule à ton frère ? J’aurais du t’écraser ta gueule de bâtard en même temps…

A la première heure du jour, je me sens tomber. Les gens commencent à investir le quai mais je ne les vois pas. Je m’affaisse lentement, avec la plus grande stupeur dans mes yeux. J’ai juste senti un coup sourd sur mon front, puis plus rien. Je peux pas respirer ni bouger. Tous mon corps me fait mal. J’ai un putain de goût de sang dans la bouche. Ce connard a du se servir de la barre de fer à mes pieds. Putain pas comme ça. Mes vacances. Mon boulot. Mon gosse. Pas moi.
J’essaye de me persuader que ce n’est que quelques égratignures, pas une boite crânienne explosée.

Un agent de sécurité accourt et donne des ordres que chacun écoute avec ferveur. J’ai envie qu’il ferme sa gueule et qu’il écoute ce que j’ai à dire, mais je n’arrive qu’à marmonner : « C’est ces enculés… ».

Les gens sur le quai, qui jusqu’ici ne semblaient pas me voir, se dirigent en masse vers mon corps et leurs yeux s’agrandissent de terreur. Mon sang, ils le voient se répandre sous moi, ils le voient ramper laborieusement, de plus en plus loin dans leur direction. Alors que ma cervelle s’affaisse hors de mon crâne fendu, je les vois s’évanouir, ou s’égailler, et leurs hurlements emplissent le quai. Enculés.

« Laisse tomber, il respire plus. Emballe moi ça ».

Dans quelques heures, les portes de la station se rouvriront en grand pour laisser place aux travailleurs. Et le spectacle qu’ils rencontreront sera celui de chaque jour.

= commentaires =

Abbé Pierre

Pute : 1
    le 23/12/2005 à 22:34:44
Tiens. J'ai reconnu un paragraphe.
Maintenant, je vais me taper tous les nouveaux serial edit pour arriver jusqu'à celui-là.
veritad
    le 23/12/2005 à 23:28:10
Il est facile en effet de se moquer de 'Elijah quand on sait qui il est. Et vu que personne ne le sait, c'est doublement drole. Vive la zone dans sa splendeur de bassesse !
Aka

Pute : 2
    le 24/12/2005 à 00:34:54
Bonjour ?
veritad
    le 24/12/2005 à 02:20:33
il est quel heure?
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 24/12/2005 à 12:06:46
Tu suces, t'avales? Tu connais le féminin "quelle"? Tu fermes ta gueule?
nihil

Pute : 1
void
    le 24/12/2005 à 12:50:06
Bizarre, j'avais un peu oublié ce texte-là... J'en avais gardé un bon souvenir mais assez confus. Mais à la relecture : excellent !
En tant que gros fan de "une ordure" (un bouquin de Irvine Welsh, l'histoire d'un flic con, raciste, misogyne et fan de foot racontée à la première personne) je pouvais qu'aimer ce texte. Je trouve qu'il évite bien les ecueils de la caricature, ce serait trop facile de lâcher quelques piques bien moralistes, et ça boufferait bien le réalisme. J'aime bien les passages sous forme de euh dialogue sans les répliques de l'interlocuteur. Je sais pas pourquoi (j'ai décidé de faire dans le commentaire abruti ce matin). Au point de presque regretter que tout le texte soit pas sous cette forme-là, mais ça aurait été compliqué.

Bon et maintenant à quand la biographie / coloscopie de Georges Bush ?
Nounourz

Pute : 1
    le 24/12/2005 à 16:30:47
Très bon texte celui-ci aussi.

Une plongée dans la beauferie profonde, celle qu'on croise trop souvent, celle qui nous rend limite misanthropes...
Le pire, c'est qu'on a tous connu un branque pareil : oncle, collègue de bureau, rencontre au hasard ; ca sent le vécu, ca fait remonter les envie de baffes qui nous ont envahis en écoutant parler un blaireau du même acabit.
Narak

Pute : 2
    le 26/12/2005 à 13:57:24
Sympa. Les morceaux de dialogues et le coup de la musique de Johnny m'ont fait marrer, c'était bien trouvé. Dans l'ensemble c'est un texte plutôt réussi pour ce qui est du portrait psychologique du beauf, mais la fin est franchement naze, complètement baclé. Ca gache un peu du coup, enfin moi je trouve.
nihil

Pute : 1
void
    le 26/12/2005 à 13:59:52
Heureusement, Narak qui vient d'être embauché dans le cReW Serial Edit, fera cent fois mieux dans son edit, mille fois mieux, et le rpouvera d'éclatante manière.
*se prosterne devant Narak*
Narak

Pute : 2
    le 26/12/2005 à 14:04:41
*Note pour plus tard*

Ne jamais critiquer un texte quand on en chie sur un autre
Aka

Pute : 2
    le 26/12/2005 à 16:21:08
Tu verras aussi à quel point c'est évident de ne pas "bacler" quand tu es dans le carcan du texte précédent... Mais je te laisse faire la démonstration !
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 29/12/2005 à 17:48:52
Très bien-bis.

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