LA ZONE -

Sang, amour et hurlements

Le 16/07/2009
par Le roi de la grimace
[illustration] Il fut un temps où je me promenais dans les immenses forêts d'Allemagne, je me faisais alors accompagner par deux ou trois de mes meilleurs camarades, ceux qui me remplissaient de joie grâce à leur tempérament festif et blagueur. Ce jour là, avec Heineke et Stephan, nous formions la compagnie la plus gaie qui soit. Nous gambadions sur le chemin, en harmonie avec la nature innocente : les rossignols chantaient des mélodies entraînantes, les sangliers et les biches nous ouvraient la marche.
C'est à peu près avec ces joyeuses prédispositions que nous arrivâmes dans une clairière ensoleillée qui, si on en jugeait à la taille des bicoques, semblait habitée par des petites personnes. Presque instantanément, une curieuse odeur indisposa le petit nez en forme de rubis de Heineke, mais nous n'y accordâmes d'abord aucune importance. En effet, tout dans ce singulier endroit suggérait la plénitude : petites maisons de toutes les couleurs, jardins à l'anglaise, arbres fruitiers et aménagements floraux baroques semblaient appartenir à quelque peuple gnome ou à une société de nains bienfaisants. Une troupe de créatures sautillantes nous entoura avec enthousiasme. Avec bonnet, sans bonnet, les cheveux désordonnés, avec ou sans barbe, d'un sexe mal défini, chacun de ces mystérieux êtres de la forêt nous regardait en riant et en poussant des hourras exclamatifs. Leurs mines réjouies semblaient nous promettre un bonheur éternel.
Toute cette petite communauté nous fit signe de la suivre. Alors, nous découvrîmes le village : sucres d'orge et bonbons à gogo remplaçaient briques et cailloux. Des rires et des chansons accompagnaient notre visite mais, malgré tous nos efforts pour l'oublier, l'odeur malsaine persistait et même s'amplifiait. Après des festivités somptueuses durant lesquelles nos hôtes, mi-lutins mi-farfadets, revêtaient divers déguisements et balançaient des confettis en fanfare, nous arrivâmes en face d'un bâtiment singulier : planté dans le sol comme une tour, temple de cette civilisation miraculeuse, il s'élevait dans le ciel jusqu'à une altitude inconnue. Danseurs et musiciens se dispersèrent et nous pénétrâmes dans ce mystérieux sanctuaire. Seuls quelques joyeux drilles nous escortèrent tandis que les autres s'en allaient masqués vers d'autres bals délirants. Nous traversâmes un corridor, puis les gnomes, toujours souriants, nous ouvrirent les portes de la salle principale.
D'un coup, comme les mains de l'étrangleur, l'odeur nous prit tout entier. Horreur et damnation : empalés sur d'énormes broches géantes, des dizaines de corps humains cuisaient littéralement. Certains observaient un silence macabre, tandis que d'autres, encore conscients, hurlaient et vomissaient toute leur souffrance. Une épaisse fumée noire s'échappait encore et encore : ce singulier bâtiment était un four, un four qui s'élevait jusqu'aux cieux.
Heineke s'évanouit, choquée par la vision de cet immense brasier humain et écœurée par l'odeur insupportable de la chair incandescente. Prestement, les petites créatures sympathiques emportèrent son corps inerte. Nous n'y fîmes pas attention, plongés dans une muette contemplation. D'autres de leurs camarades nous interpellèrent, comme nous conviant à un spectacle et, privés de l'usage de nos sens, nous nous laissâmes emmener. Je ne me souviens pas combien de couloirs nous traversâmes, ni combien d'escaliers nous montâmes, tellement cette déliquescence massive m'avait ému. Je repris mes esprits en arrivant dans une espèce d'amphithéâtre : on nous fit asseoir dans des chaises en métal rouillées, puis on attacha nos mains et nos pieds à l'aide de ceintures de cuir. Le mystérieux peuple se répartit dans tout l'amphithéâtre.

Lumière dorée, vaguement violette : le plafond semblait se fondre dans le ciel noir de la nuit, les lilliputiens ou je ne sais trop quoi piaffaient d'impatience, leurs pantalons courts ou longs, leurs salopettes rouges ou vertes, leur teint vermeille, tout se connectait avec la scène, comme « en tension vers ». Leurs yeux exorbités pleuraient presque de joie ; tantôt ils éclataient de rire, tantôt ils poussaient des piaillements nerveux. Or et violet fusionnaient, produisant comme un tourbillon fantastique dont l'épicentre serait la scène. Un tambour retentit ; la tragicomédie surréaliste à laquelle nous allions assister commença.
Une forme se détacha progressivement dans le flou du tourbillon lumineux : debout se tenait une petite créature trapue, habillée en bouffon, un sourire goguenard aux lèvres ; figurez-vous l'absurde personnifié. Subitement, il poussa un cri perçant, quelque chose de totalement incompréhensible composé de consonnes rares, quelque chose qui sonnait comme le prélude d'un cauchemar. Alors, comme par magie, le décor fut planté. D'un côté, une estrade de marbre sur laquelle reposait une femme nue, les jambes écartées, dans la position d'abandon la plus absolue ; de l'autre, un magnifique cheval noir, nerveux et sauvage. La femme, et je le découvris à ma plus grande terreur, il s'agissait d'Heineke, ma plus fidèle compagne, mon amie la plus proche. La lumière vira au rouge sang. Le cheval s'avança majestueusement vers la vénus offerte. Arrivé à sa hauteur, il poussa un hennissement qui fit frémir toute l'assistance et, tout en plaçant ses deux puissantes pattes de part et d'autre de la victime, il fit une chose qui la réveilla sur le champ. La violence de la scène secoua tout mon corps d'un coup, réveilla tous mes membres. Elle se débattit en glapissant, demanda grâce, mais les sabots implacables lui interdisaient toute échappatoire. Mon sang se glaça et mon cœur faillit s'arrêter de battre, lorsque, en tournant la tête, j'aperçus les gnomes se masturber joyeusement, d'une manière aussi indiscernable que l'était leur allure générale. Et là, emporté par la communion générale, focalisée elle-même sur l'épicentre de la scène, sur l'acte sacrilège entre la bête et l'homme, et fixant le visage soumis de ma vieille amie, j'ai cédé à une douloureuse passion, et je m'en confesse camarades, j'ai ressenti un plaisir vicieux qui envahissait tout mon être : mon moi intime, en ébullition, me procura un bonheur soudain en me délivrant de profonds refoulements, ceux qui, ancrés dans la moelle de l'humanité, corrompent et rongent pendant toute une vie.

C'était Le Cauchemar de Füssli, en acte.

Peu après, tout s'éteignit. Un instant passa, réveillant en moi les réflexes angoissés véhiculés par la conscience. Un instant, le remord me prit.
Brusquement, une explosion de couleur, bleutée cette fois-ci, remplit la salle. Les drôles de gremlins, comme si rien ne s'était passé, adoptaient la même posture que tout à l'heure, en attente, tendus vers la scène comme une masse compacte. Stephan semblait tout aussi fasciné que moi.
Le magicien réapparut comme dans un souffle, toujours grinçant, l'air cynique et moqueur. Dans un élan semblable à la première fois, il beugla une formule équivalente. Un nouveau paysage se dessina, plus doux et plus cotonneux : couchée dans un lit douillet aux draps bordés de dentelles languissait une petite fille. Comme dans un rêve, je reconnu Heineke à huit ou dix ans, elle avait l'air de dormir, elle était nue. Ses seins et ses fesses, non encore transformés par la puberté, auraient pu laisser planer le doute sur son sexe, si des longs cheveux d'or ne lui tombaient en désordre sur le visage. Seule, dans une telle posture, elle renvoyait une émouvante fragilité. Je ressentis un mouvement à côté de moi et mon regard se détourna : les attaches de Stephan se défaisaient comme par magie et sur son visage buriné se creusait un sourire béat, tandis qu'il fixait la jeune fille, comme halluciné. Une fois libre, il se leva et descendit les marches de l'amphithéâtre d'un pas gauche, dans un tressaillement avide. Ses avant bras se levèrent, ses gros doigts s'agitèrent vulgairement dans la hâte d'attraper, et de cette bouche lubrique, de ces lèvres provocantes, amas de chair licencieuse, coula une bave acide qui goutta sur le marbre pur. Alors, ce fut innommable. J'ai bien cru que ma raison allait m'échapper lorsque, tout autour, les lutins recommençaient le même manège, en rythme. La petite fille refusait, la petite fille criait, elle exprimait tous les stades de la douleur physique et morale et cette résistance vaine, je dois l'avouer, a réveillé en moi une perversité cachée et j'ai joui, pauvre de moi qui me suis damné pour l'éternité.

C'était le Lemon incest de Gainsbourg, en acte.

Tout fut terminé dans un soupir, la petite fille, Stephan et les lumières bleutées. Une terrible souffrance m'obscurcit alors les idées : ce qu'on m'avait inculqué toute ma vie avait été détruit en l'espace d'un instant, j'avais été détruit.
C'est alors qu'un son lugubre résonna dans la salle. Cette fois-ci, seule la lumière dorée revint. Au milieu de la salle se tenait le chamane narquois, dans une attitude sentencieuse, un sabre à la main. Devant lui se trouvait un autel et, sur l'autel, le corps à moitié vivant de Heineke, pieds et poings liés. Il leva la lame au-dessus de sa tête, en position de frappe. Les gnomes de l'assemblée étaient suspendus à chacun de ses gestes, ils semblaient contribuer à l'action ; je contribuais aussi à l'action et je guettais le fil de l'épée. D'un geste il trancha, la tête rebondit une fois puis roula. Alors, le délire s'empara de moi. Libéré de mes entraves, je me levai et je descendis les marches une à une, avec la résolution de l'aliéné. La tension était à son comble. Le regard avide des spectateurs était lié avec le sourire goguenard du sorcier, lui même lié avec mon pénis. La tension était à son comble et j'ai pénétré, j'ai pénétré et le sang dégoulinait.

C'était Sang, amour et hurlements, en acte.


= commentaires =

Le Duc

Pute : 1
    le 16/07/2009 à 19:54:01
Ouais, c'est pas mal, surement très masturbatoire à écrire, un peu moins à lire.. J'ai bien aimé le passage du cheval cependant, mais bon peut-être parce que c'est un fantasme inavoué chez moi.
Comme le dit le résumé je trouve que ça manque de descriptions, ou d'un je ne sais quoi..
Je veux dire la lecture est facile, on se fais pas chié mais, mais...
On reste sur not' faim..

En tout cas les hobbites c'est plus ce que c'était.. Sinon un seul truc qui ma vraiment dérangé dans la lecture c'est le passage des mecs empalés à la broche, l'image est géniale, terrible.. Par contre des mecs empalés qui cuisent à petit feu et qui sont encore vivants... Bah putain c'est vraiment, mais vraiment pas crédible.

Bon sinon dans l'ensemble c'était quand-même bien, j'ai plutôt apprécié.
nul
sang & co    le 18/07/2009 à 02:48:03
Et là, emporté par la communion générale, focalisée elle-même sur l'épicentre de la scène, sur l'acte sacrilège entre la bête et l'homme, et fixant le visage soumis de ma vieille amie, j'ai cédé à une douloureuse passion, et je m'en confesse camarades, j'ai ressenti un plaisir vicieux qui...

je crois que les plus petits films d'horreur américains ont plus de poésie.
Peut-être ont ils plus de temps (1/2h) pour camper les personnages.
Protozwere

Pute : 0
    le 23/07/2009 à 17:31:42
Sûr, y'a de la branlette là dedans (en même temps pas fait mieux sur mon dernier...) mais c'est compensatoire sur le fond qui lui est très bon, y'a de l'idée, et pour l'instant le roi de la grimace (putain...) reste sur la trajectoire de son premier texte.
Et le fait de suggérer au lieu de détailler n'est en rien un défaut, au contraire, c'est là que se trouve l'intérêt de pas mal de choses.
Après y'a quand même des défauts, par exemple j'ai pas tout callé au troisième paragraphe, faut dire, l'alcool, toussah, bref, salfé quand même pas mal.

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