LA ZONE -

Les fesses de la faim

Le 30/06/2016
par MASAVI
[illustration] Il y a des mariages encore... C'est le lieu du gerbe ensemble
Les fesses de la faim

Les gambas frétillent dans l’huile bouillante et le punch frais glisse dans ma gorge. Entre une bouchée bien grasse de Nem ou de toasts fins et délicieux, s’insinuent dix cacahuètes et trois chips croustillantes. Je mâche doucement en essayant d’en placer une dans la conversation de mon voisin. Arrosé par autant de connerie que de postillons salés et huileux, il m’explique doctement les bienfaits de la mondialisation sur la faim dans le monde.

Beau mariage, rien que des toilettes recherchées et des costumes rutilants. Me dis-je ?

Je ne suis pas mal non plus, mais je me sens mal à l’aise, avec mes doigts gras de frites et autres fritures. Ma serviette en papier est saturée et je n’en trouve pas d’autres. Il fait chaud et l’orage fait rage au-dehors, pas question de sortir s’aérer.

La conversation ampoulée de mon compagnon de beuverie huppée me gonfle, mais les seins de sa compagne me ravissent, la fine fente sombre et moite qui du milieu du thorax plonge entre deux collines blanches et frémissantes, m’hypnotise. Si elle se penche un peu pour ajuster ses escarpins à talons hauts, alors la fente devient vallée mouvante, vallée en U donc glaciaire, et pourtant non, mon regard qui plonge dedans me fait perler le front de sueur.

Mon ventre se tend sous le volume d’un apéritif qui nourrirait un enfant éthiopien pour un mois.

La verve de mon voisin d’apéro ne se tarit pas.

— Non ! Le problème des émeutes de la faim, voyez-vous, provient du fait que la récolte de céréales en Australie a été mauvaise. De plus, les Chinois qui accèdent à la richesse se mettent à bouffer de la viande. Comme il faut nourrir les élevages, il y a moins de céréales disponibles pour les pays de la ceinture équatoriale.

Sa femme s’est rapprochée de moi, son parfum me chatouille les narines, son épaule nue me tutoie avec insistance. Son décolleté flamboyant m’offre une autre perspective, un vertigineux désir de plonger dedans. Sa bouche, au rouge à lèvres pétard, suce une queue de gambas bien grasse. Ses doigts, sertis d’ongles longs aussi fauves que ses lèvres, brillent sous le vernis étincelant de l’huile de friture. Combien de mets lipidiques sa bouche avide, a-t-elle engloutis ? Que peut-elle engloutir encore ? J’observe ses doigts lubrifiés qui vont et viennent doucement sur le pied de la flûte dorée de champagne, scintillant de mille bulles. Elle boit sans soif, elle mange sans faim, elle m’excite sans fin. Dans le désert, l’eau est rare, le champagne encore plus, et quelques grains de mil remplacent quelques dizaines de gambas, une centaine de cacahuètes, un millier de calories.

Son mari interrompt ma rêverie.

— Vous me suivez ? Dans ces pays, la guerre endémique ne permet pas une organisation rationnelle de l’agriculture et l’aide internationale y est systématiquement détournée.

Un grand effet de manche fait tomber le verre de punch de monsieur sur les seins de madame.

Un regard noir qui en dit plus long qu’une gifle, et voilà ma voisine qui s’éclipse ! Dommage, j’ai bien aimé sa robe collée sur un sein hérissé de surprise et de rage. L’ondulation de ses hanches au loin me révèle une anatomie que notre grande promiscuité avait occultée.

Madame s’éclipse en coulisse et moi je profite de l’interruption du discours de l’OMC et du FMI réuni pour soulager un besoin pressant. Deux bières et trois punchs, j’ai la vessie plombée et le cerveau évaporé. L’orage a cessé, j’en profite pour me prendre un bol d’air frais et me glisser entre les voitures pour arroser un pneu de Bentley, excusez du peu. Mes yeux s’accoutument à l’obscurité et croisent bientôt ceux de ma voisine d’apéro qui se bat avec un soutien-gorge sec de rechange, qu’elle essaie en vain de remettre dans sa voiture.

— Puis-je vous aider ? Dis-je en m’asseyant à côté d’elle sur le siège arrière.

Nullement effarouchée, elle se colle à moi, me saisit les mains et les pose sur ses seins dénudés. Voilà mes mains grasses sur sa poitrine potelée qui malaxent avec ardeur la chair tendre et désirée, voilà son haleine alcoolisée sur mes narines, et sa langue avide qui explore la commissure de mes lèvres. Comment peut-on encore avoir envie de sucer, mâchonner, pétrir un corps, l’estomac plein et la vessie qu’à moitié vide ? Mais les ressources de l’humain sont insondables, regardez donc un Éthiopien affamé. Combien de kilomètres à pied est-il capable de parcourir pour trouver de l’eau croupie ?

L’étreinte est courte, mais pleine de promesses pour l’avenir.

Cinq minutes volées à la vie d’une bourgeoise sur le siège arrière de sa Bentley, cela ne vaut-il pas tous les voyages exotiques et les raids africains dans le désert ?

Je lui remets son soutien-gorge, elle me remercie avec un petit baiser sur les lèvres. Je finis d’achever ma miction, elle retourne à sa table où par un heureux hasard, je me retrouve à ses côtés.

La soirée s’écoule une fourchette ou un verre à une main et l’autre main posée sur une cuisse remontant parfois très haut, le plus haut possible sous une nappe et en douce.

Monsieur me détaille les réajustements du FMI sur les pays africains, c’est en mâchant mon gigot que j’ai l’audace de lui dire qu’un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes. Cela ne lui coupe pas l’appétit et bien soixante minutes plus tard, soit sept cent vingt enfants de moins sur la terre, il m’assène en mâchant son fromage que le FMI, grâce au plan d’ajustement structurel, permet aux pays pauvres de rembourser leurs dettes. Je faillis cracher ma bouchée de pain.

Je lui rétorque, en glissant un doigt dans le string de sa femme, que c’est précisément ces plans qui affament les pays pauvres en orientant l’agriculture presque exclusivement vers l’exportation, afin de satisfaire les créanciers, laissant à l’abandon l’agriculture vivrière.

Sous la fontaine à chocolat, titubants, nous arrosons nos bananes et fruits exotiques, une dernière coupe de champagne tinte, j’embrasse la joue de madame, je serre la pogne de monsieur.

Nous rejoignons nos chambres respectives.

Oh ! Encore un heureux hasard de la vie, elles sont mitoyennes. Un clin d’œil et un signe de la main juste avant d’ouvrir nos portes voisines et je me prends à rêver, et je me prends à attendre.

Deux petits coups brefs sur la porte et la voilà dans mon lit, prestement nue, collant ses beaux seins sur ma poitrine et glissant sa langue dans ma bouche. Juste le temps de lui demander :

— Et ton mari ?

— Il est saoul, il ronfle comme un bienheureux.

— Que fais-tu dans la vie ?

Faut bien parler un peu, on n’est pas des bêtes tout de même.

— Directrice des ressources humaines.

Merde une femme “négrière”

— Et toi ?

Je réfléchis un instant pour ne pas lui avouer mon statut de chômeur,

— Diététicien !

Voilà, c’est un beau métier, tu apprends à moins bouffer ! Bon réflexe. Ça me donne une idée pour mon prochain stage !

Elle se retourne et m’offre ses fesses, des fesses rondes, bombées, pleines. Deux hémisphères frémissants qui me rappellent notre planète. À droite, l’hémisphère nord, à gauche le sud. Je m’enfonce avec bonheur et délectation dans la fente équatoriale, mes mains posées à l’ouest. Les zones tropicales frissonnent bientôt sous mes va-et-vient exaltés.

J’aime la terre ! j’aime la planète ! Dieu que c’est bon !

Une petite claque sur le nord-ouest et j’entends un gémissement de plaisir, une autre plus appuyée sur l’Amérique du Nord, et elle se cambre d’aise, alors, sans hésiter, la troisième sur la bourse de Chicago, celle qui affame la terre, laissera une marque rouge et un cri de plaisir.

Alors, j’enchaîne :

Une claque pour le FMI,

— Oui ! C’est bon !

Une claque pour l’OMC ?

— Oui encore !

Une claque pour le G8, et c’est l’extase partagée.

La planète s’affaisse, mon corps aussi, nos lèvres s’effleurent et le sommeil nous prend.

Je rêve du mariage, je vois le riz voler à la sortie de l’église, jeté par des enfants blancs et joufflus, je vois des enfants noirs au visage décharné et le ventre gros qui se précipitent pour ramasser cette précieuse céréale dont la valeur vient d’augmenter de 40 % en quelques mois à cause de la spéculation des bourses du nord.

Je m’éveille en sursaut, et en sueur, le jour se lève, le parfum de ma princesse négrière embaume la chambre.

Sur une carte de visite posée sur l’oreiller, je lis :

« Merci mon beau diététicien, j’ai aimé ton menu ! À plus ! »

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 02/07/2016 à 08:42:42
Un texte que le zonard de passage aurait vraiment tort de ne pas lire.
LePouiIleux
    le 06/07/2016 à 23:08:34
Une bonne petite histoire de cul teintée de revanche sociale.

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