LA ZONE -

La Dernière Page

Le 29/06/2025
par Pute à frange
[illustration] Dans le petit appartement d’Adrien, l’écran de l’ordinateur diffusait une lueur blafarde, éclairant son visage crispé. Sur le site littéraire *PlumeLibre*, son manuscrit, *L’Ombre du Carrousel*, trônait parmi les récits les plus lus de la catégorie « horreur absurde ». Les commentaires élogieux s’accumulaient, mais certains, comme cette critique lue cent fois, le hantaient : *« Cette œuvre, oscillant entre les tonalités horrifiques de Scream, les enchaînements tragiques de Destination Finale et l’absurde décalé d’un Scooby-Doo contre Oui-Oui, offre une intrigue captivante mais inégale. »*
Adrien, la trentaine, barbu, lunettes embuées par le stress, relisait ces mots en boucle. « Inégale ». Le mot le piquait comme une aiguille. Pourtant, ce texte, il l’avait écrit dans une fièvre de nuits blanches, mêlant l’horreur d’un tueur masqué sévissant dans un parc d’attractions abandonné, des morts absurdes enchaînées par une malédiction et une bande de héros improbables - un projectionniste alcoolique, une ado fan de tarots et un employé de manège déguisé en lapin rose. L’absurde, c’était son pari. Mais « inégale » ? Ça le rongeait.

Ce soir-là, tout allait changer. Un e-mail était arrivé à 23h47, signé par *Éditions du Crépuscule*, une maison prestigieuse. « Cher Adrien, nous sommes ravis de vous annoncer que votre manuscrit *L’Ombre du Carrousel* a retenu toute notre attention. Nous souhaitons le publier dans notre collection Automne 2026. » Adrien avait relu le message jusqu’à ce que les mots se brouillent. Publié. Papier glacé, librairies, peut-être même une dédicace à la Fnac. Mais une condition s’imposait : retirer son texte de *PlumeLibre* immédiatement pour des raisons d’exclusivité.

Il ouvrit le site, la souris hésitant sur le bouton « Supprimer l’œuvre ». C’était là, sur cette plateforme, qu’il avait trouvé son public, des lecteurs anonymes qui avaient ri, frémi, critiqué. Il se souvenait du premier commentaire, celui d’un certain *ScoobyFan69* : « C’est comme si Scream rencontrait un épisode de Scooby-Doo sous acide ! J’adore ! » Et puis, il y avait eu cette critique, celle qui l’avait fait douter. *Inégale*. Était-ce vrai ? Son intrigue, un patchwork d’horreur et d’humour, tenait-elle vraiment la route ? Le tueur au masque de clown, qui poursuivait ses victimes dans un manège hanté, était-il trop caricatural ? Les morts - un accident de barbe à papa géante, un court-circuit mortel dans un train fantôme - étaient-elles trop absurdes ? Et cette fin, où le lapin rose révélait être le gardien d’une malédiction millénaire, était-elle géniale ou ridicule ?

Adrien inspira profondément. Il repensa à l’intrigue. Tout commençait dans un parc d’attractions désaffecté, le *Jardin des Merveilles*, où cinq amis, coincés par une tempête, découvraient une vieille cassette VHS dans une salle de contrôle. En la lançant, ils déclenchaient une malédiction : un clown masqué apparaissait, tuant quiconque croisait son regard. Chaque mort semblait accidentelle - une chute d’un carrousel en ruine, un étranglement par une guirlande lumineuse - mais suivait une logique implacable, comme si le destin s’amusait à les piéger. L’absurde s’immisçait dans les dialogues, où les héros, paniqués, débattaient de théories farfelues : « Et si le clown était un employé viré qui a vendu son âme à un démon de foire ? » lançait l’ado tarotiste, tandis que le lapin rose, mutique, hochait la tête.

Adrien avait voulu mélanger les genres, jouer avec les codes. L’horreur pure de *Scream* pour l’angoisse, les morts en chaîne de *Destination Finale* pour le suspense, et une touche d’absurde à la *Scooby-Doo* pour désamorcer la tension. Mais peut-être avait-il trop forcé ? La critique avait raison sur un point : le rythme était bancal. Les scènes comiques - comme celle où le projectionniste ivre tente de combattre le clown avec une peluche géante - cassaient parfois l’élan horrifique.

Pourtant, *Éditions du Crépuscule* y croyait. Eux voyaient du potentiel dans ce chaos. Adrien imagina son livre en librairie, une couverture sombre avec un carrousel en flammes. Il imagina les critiques, peut-être moins tièdes, peut-être élogieuses. Mais supprimer son texte de *PlumeLibre*, c’était couper le cordon avec ses premiers lecteurs, ceux qui l’avaient soutenu quand il n’était qu’un pseudo parmi d’autres.

Il cliqua sur « Supprimer ». Une fenêtre s’ouvrit : « Êtes-vous sûr ? Cette action est irréversible. » Son doigt trembla. Et si le texte n’était pas prêt ? Et si *Éditions du Crépuscule* se trompait ? Et si, au fond, son histoire était vraiment inégale ? Une pensée absurde traversa son esprit, digne de son propre récit : et si le site était maudit, et que supprimer son texte déclenchait une série d’événements tragiques, comme dans son histoire ?

Il rit nerveusement, chassant l’idée. Puis il cliqua sur « Confirmer ». La page se rafraîchit. *L’Ombre du Carrousel* avait disparu. Un vide étrange l’envahit, comme s’il venait de tuer une partie de lui-même. Mais au même moment, son téléphone vibra. Un nouveau mail : « Félicitations, Adrien. Bienvenue parmi nos auteurs. »

Il éteignit l’ordinateur, un sourire incertain aux lèvres. Dehors, la pluie tambourinait, et dans l’ombre, il crut entendre, l’espace d’une seconde, le grincement d’un carrousel.

= commentaires =

Lapinchien

lien tw yt
Pute : 115
à mort
    le 29/06/2025 à 01:08:54
"Capilotracté", ce commentaire est sponsorisé par Jean Louis David.
Lindsay S

Pute : 121
    le 29/06/2025 à 09:13:37
Je me suis laissée entraîner, et je dois dire que cette chute manque cruellement de panache. j'aurais préféré un bon vieux vaudou bien piquant à cette histoire d'effet papillon un peu mièvre. Ça se lit sans effort, ça donne l'impression de capter un truc, et ça finit par rendre l'âme, alors forcément, j'adore !"
Cuddle

lien
Pute : 33
    le 30/06/2025 à 10:28:30
Moi déjà, quand je lis le titre, j'ai ça en musique de fond : https://www.youtube.com/watch?v=jRyaRXesJa4&list=RDjRyaRXesJa4&start_radio=1

XD
Cuddle

lien
Pute : 33
    le 30/06/2025 à 10:33:10
"Une grimace de dégout plisse son visage aussi lisse que le postérieur d’un nourrisson"

WOW. Amis de la poésie, bonjour.
Cuddle

lien
Pute : 33
    le 30/06/2025 à 11:28:30
Alors, ce qui est curieux dans ce texte, c'est qu'on oscille entre écriture stylisée et métaphores foirées. C'est vraiment, vraiment très étrange.

Sur le fond, on est clairement sur du "scary movie" ou du "souviens toi l'été dernier", je sais pas si c'était l'intention de l'auteur.

Les dialogues et les personnages sont peu crédibles. Ils disparaissent petit à petit, et tout le monde s'en fout. Gratien découvre la mort de Cricri, et pour lui ça ne peut être qu'un "accident de voiture dû au stress". Réaction, bizarre. L'autre s'est foutue en l'air, mais c'est pas grave.

Après si c'était une volonté de faire un "scary movie", j'aurais préféré des scènes décalées, vraiment drôle, avec des personnages caricaturaux.

Là, c'était longuet, et la digestion est difficile.
Édition par le commentateur : 2025-06-30 11:30:25

= ajouter un commentaire =

Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.