LA ZONE -

Un Archange amoureux

Le 05/09/2025
par Emmanuel PUI
[illustration] Vie réelle, vie fantasmée d'un Archange incel
Comment présenter cette histoire ? Peut-être avec beaucoup d’emphase. Alors ce serait l’histoire d’un ange de la mort obéissant à un dieu tout puissant. Personne n’est à l’abri de ses foudres. Depuis le ciel il sème l’effroi partout où il le veut sur la Terre. Son efficacité est totale. Il fait œuvre utile en éliminant un à un les êtres malfaisants qui menacent l’humanité. Cependant, sur ordre, il lui arrive aussi de tuer des innocents, et parfois même, de tout petits enfants. Existe-il une logique à tout ceci ? Est-ce même simplement moral ? Ce sont des questions qu’il n’est pas programmé à se poser. Il s’en remet aveuglément à l’infaillibilité divine. L’algorithme est seul juge du cœur des hommes et ses voies sont impénétrables. Il identifie à coup sûr ses ennemis futurs, alors même qu’ils ne sont pas plus hauts que trois pommes et qu’ils ne pensent encore qu’à se réfugier dans les jupons de leur mère. En outre, il est écrit que notre ange doit porter seul son immense fardeau. Il ne peut compter sur l’aide de personne. Il n’est nul collègue sur lequel il peut s’appuyer et nulle compagne pour le réconforter. Poser un instant son regard perçant sur les courbes gracieuses d’une jeune fille endormie est la seule fantaisie qu’il s’autorise. Rien ne doit le détourner durablement de sa mission. Son obéissance absolue et sa capacité à refouler ses propres désirs ont fait de lui l’archange préféré de Dieu.
    Un esprit désenchanté pourrait ne voir dans tout ceci qu’une histoire triste à pleurer. Dans ce cas, elle relaterait la misérable vie d’un jeune homme solitaire, sans avenir, grassouillet, boutonneux, dont tout le monde se moque depuis l’école primaire et qui fut harcelé au collège. Il a passé laborieusement son bac mais il a très vite abandonné ses études. Son CV professionnel est absolument vide depuis 5 ans. Il est curieusement absent des réseaux sociaux, il est encore puceau et ne possède aucun ami.
    Restons factuels. C’est l’histoire d’un garçon de son temps, qui mène une vie discrète dans une grande ville occidentale. Il loue un studio au dernier étage, d’où il ne voit par la fenêtre que des toits de zinc qui reflètent le ciel gris. Qu’importe, ses volets restent fermés la plupart du temps. Son lit n’est jamais fait et la déco de l’appartement est celle de l’ancien locataire. En revanche, il possède un équipement informatique dernier cri qui occupe la plus grande partie de la pièce principale : deux immenses écrans incurvés, un siège digne de ceux des pilotes de chasse, des casques de réalité virtuelle et plusieurs manettes de commandes. Sur ce fauteuil ergonomique il passe l’essentiel de son temps libre, c’est à dire l’essentiel de son temps. C’est aussi, à l’occasion, son bureau. Il effectue quelques missions ponctuelles de télétravail pour une très grosse société internationale. En vérité on ne le sollicite pas très souvent, mais il doit être disponible en permanence. Une sorte de contrat zéro heure. Dans l’attente d’un appel il passe ses journées à visionner des séries Netflix en accéléré, beaucoup de pornos aussi. Il vit seul, se lave peu et porte toujours les mêmes sweats trop larges. Parfois il descend vite fait au kebab du coin. Le plus souvent il en rapporte une pizza qu’il mange à même le carton. Il ne peut guère s’éloigner de chez lui, ni durant la journée ni durant la nuit. En effet, si son employeur lui demande peu, chacune de ses interventions possède un caractère éminemment urgent. En contrepartie il est grassement payé en cryptomonnaie, suivant un taux horaire particulièrement avantageux. Il ne prend pas de vacances, et d’ailleurs il ne saurait ni où, ni avec qui les passer. Il a une voisine de palier qui étudie le droit. Il en est amoureux. C’est à dire qu’il éprouve du plaisir à imaginer avoir une relation sexuelle avec elle. Il n’a jamais osé lui adresser la parole. Il n’a d’ailleurs pratiquement jamais parlé à une fille qui lui plaisait.
    À ce tableau sans relief on peut bien sûr préférer le ton de la succes story, de celles dont les producteurs hollywoodiens sont friands. Alors ce serait l’histoire de la naissance d’un héros, d’un gars ordinaire au destin extraordinaire. Au début il ne s’agirait que d’un jeune geek, un peu mal dans sa peau, passionné de jeux vidéos, inapte aux rapports sociaux, mais un as dans son domaine, et doté sans le savoir encore d’un sens aigu de la justice. Par désœuvrement il avait un jour participé à un mystérieux challenge en ligne, réputé infaisable. Or, son adresse, sa précision et sa rapidité d’action avaient fait merveille. Il était arrivé à bout de toutes les épreuves en un temps record. Il fut alors discrètement contacté par le service de renseignement d’un grand pays, organisateur réel de ce jeu. Son profil convenait et il fut longuement formé sur une base secrète, enterrée au cœur d’un désert torride. Ayant franchi haut la main toutes les étapes d’une impitoyable sélection, il fut recruté définitivement. Il devint dès lors officiellement un super héros, mais personne ne le sait car c’est un super héros qui ne sort jamais de chez lui. On ne le voit pas arpenter nuitamment les rues de Gotham City dans un beau costume chatoyant. Pourtant, même si nous l’ignorons, c’est à lui que nous devons la sécurité du monde libre et que nous pouvons dormir sur nos deux oreilles. Mais attention ! Ses ennemis le menacent. Les nervis au service des forces obscures sont aux trousses de cet insaisissable combattant du bien. Pire encore, en cas de faux pas, son puissant supérieur se montrera inflexible. Il le lâchera sans état d’âme et n’hésitera pas à éliminer purement et simplement notre héros. Nul doute qu’un habile scénariste lui permettra de déjouer tous ces pièges, qu’il lui permettra de prendre son autonomie et de continuer à faire le bien pour le bien, et par amour de son prochain. Il disparaîtra en compagnie de sa belle et farouche fiancée, et ensemble ils rejoindront un groupe de redresseurs de torts rebelle, qui agit encore plus secrètement, au nez et à la barbe des agences gouvernementales.
    Restons tout de même lucides. Connaissant notre héros, il y a peu de chance que cela se termine ainsi. À l’instant précis où nous le rencontrons, il entre dans l’ascenseur pour remonter chez-lui. Il espère bien y croiser sa voisine. Il sait qu’elle, au contraire, essaie d’éviter autant que possible de rester enfermée avec lui dans la cabine, même pour quelques secondes. Il la met mal à l’aise, c’est une évidence. D’ailleurs elle n’a pas tort puisque les rares fois où cela s’est produit, il l’a filmée et il a enregistré sa voix à son insu. Pour l’heure il se dépêche, dans 15 minutes il doit être opérationnel.
    Depuis son ordinateur personnel il pilote des drones militaires de combat qui foudroient des ennemis qui vivent à des milliers de kilomètres de chez-lui. C’est un virtuose dans le maniement de ces armes. Chaque mission est un nouveau défi. Elles constituent pour lui de rares et précieux instants de plénitude. Certes les victimes sont bien réelles, mais pour ne pas sombrer totalement dans la folie, il faut qu’elles lui paraissent abstraites. Alors il diffuse les musiques de Call of Duty dans ses écouteurs.
    D’ailleurs, du fond de son isolement il n’a jamais vraiment ressenti d’empathie pour les gens qui l’entourent. Et puis, admettons le, personne ne s’est non plus jamais soucié de lui. Alors pourquoi s’en faire pour de simples silhouettes s’agitant vainement sur son écran ? Son travail terminé, encore tout vibrant d’excitation, il visionne un film créé à base des images volées de sa voisine. Grâce à l’IA la plus performante du marché, il les a intégrées à celles d’une vidéo porno. Il jouit alors une seconde fois.
    Voici donc sa vie. Il tue pour de vrai des gens qu’il ne connaît pas et il fait l’amour pour de faux avec sa jolie voisine qu’il croise tous les jours. Il imagine confusément que le contraire serait préférable. C’est pourquoi il cherche à tromper ses sens en permanence, à brouiller autant que possible sa perception du monde réel et des mondes fantasmés, à s’extraire du carcan de son corps et de son esprit. C’est à ce prix seulement qu’il supporte de vivre.

= commentaires =

Lapinchien

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Pute : 50
à mort
    le 04/09/2025 à 18:59:22
Dommage que les notes d'intention ne soient pas concretisees en un texte developpant tous les points enonces. L'histoire pourrait etre bonne si elle etait redigee dans un esprit litteraire disruptif voire meme un truc un peu tradi a la Tom Clancy. La c'est juste une succession de bonnes idees listees.
A.P

Pute : 10
intriguant mais bof    le 04/09/2025 à 19:18:55
J'aime bien le changement de point de vue à chaque paragraphe qui semble au départ apporter différente perspectives à ce personnage.
Malheureusement les dés sont pipés, ce personnage est un gros porc qu'il faut détester et quand bien même sa jeunesse fut douloureuse, impossible d'être empathique avec lui.
Je préfère quand c'est plus subtil, nuancé ou même quand on parvient à me faire apprécier un personnage détestable.
La forme ne me déplaît pas mais le fond est beaucoup trop simpliste à mon goût.
Lindsay S

Pute : 60
    le 04/09/2025 à 21:55:05
Le texte s’étale comme une planche d’ambiance sur papier glacé : tout brille, tout est bien cadré, mais ça ne raconte rien. Les poses s’enchaînent, l’ange, le loser, le héros de pacotille, chacun figé dans son petit décor. Ça se veut vertigineux, ça finit en catalogue Ikea des misères modernes. On attend la scène, on se retrouve avec des moodboards. Les mots empilent du concept, mais la chair reste au vestiaire. À force de tout expliquer, le texte réussit l’exploit de ne rien faire vivre.

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