Il dévisageait, avec un regard lubrique, sa patiente qui entrait.
« Bonjour mademoiselle Floriane. Vous allez bien ? Voilà, vous pouvez vous déshabiller. Pardon ? Vous ne comprenez toujours pas pourquoi je vous fais systématiquement déshabiller. Mais je vous ai déjà expliqué que pour qu’une psychothérapie soit réussie, il faut se mettre à nu. Oui, posez vos vêtements là et allongez-vous. Alors, avez-vous avancé depuis la semaine dernière dans vos relations avec les hommes ? Vous êtes toujours sur cette idée ? Mais à trente-cinq ans mademoiselle Floriane, il est temps d’entreprendre des relations plus intimes avec le sexe fort. Oui, je sais que votre croyance et votre pratique religieuses vous interdisent tout rapport charnel avec un homme avant le mariage. C’est la raison pour laquelle nous avançons tout doucement dans cette thérapie mademoiselle Floriane. A ce sujet, est-ce que vous avez participé à la petite soirée que je vous avais conseillée ? Oui, celle avec des confrères, les chirurgiens. Ils sont sympas hein ? Ils étaient six ? Oui je sais, le docteur Franz m’y avait convié, mais je n’ai pas pu, hélas, y assister. »
Il avait l'air sérieux et prenait des notes d’un air détaché.
« Alors dites-moi comment ça s’est passé ? moui. Entièrement nue moui ; jetée dans un aquarium géant moui ; toute mouillée moui ; sortie de l’aquarium et complètement attachée à une chaise, hmm hmmm ; les six à la queuleuleu moui ; chacun son tour, d’accord ; également Rufus le doberman noir du docteur Franz, hmm hmm ; l’entrecuisse tartiné de Nutella ok ; léchée par Rufus ; une jouissance apocalyptique, intéressant ; reçu sur le visage moui ; et pour finir Rufus, derrière, Grglgrglraaa ! »
Il venait de pousser un râle de soulagement, et regarda de nouveau la patiente avec un air bienveillant :
« Bon ben voilà, on avance un tout petit peu vers la guérison. On ira un tout petit peu plus loin la prochaine fois. Mais non mademoiselle Floriane vous n’allez pas sucer des bites en enfer, quelle idée. »
Il se leva brusquement.
« Voilà mademoiselle Floriane, la séance est terminée. Ça fera cent-cinquante euros comme d’habitude. »
Après avoir raccompagné la patiente, il ramassa un objet.
« Tiens ? »
Il revint vers la porte, et cria :
« Mademoiselle Floriane, votre petite cul…Tant pis. »
Il renifla la culotte fougueusement.
Les yeux dans le vague, le docteur Michel arborait ce petit sourire de satisfaction d'un homme qui avait pu assurer l’apaisement de sa tension sexuelle en un temps très court et sans effort. Grâce à ce subterfuge qui consistait à obliger ses patientes à jouer dans la réalité les scenarii qu'il écrivait pour elles, le psychiatre spécialisé en thérapies cognitivo-comportementales considérait qu'il avait une vie sexuelle accomplie. Il ne s'était que peu préoccupé des conséquences des actions qu'il poussait ses patientes à réaliser.
Dans le meilleur des cas, celles-ci dubitatives, mettaient fin à leurs jours avant de passer à un acte qu'elles considéraient inutile, comme l’était leur propre vie. Pour d'autres, la frontière entre la luxure et la violence était tellement ténue qu'elles finissaient derrière les barreaux pour avoir fait couler le sang d'un homme dont le docteur Michel avait convaincu les pauvrettes qu'il était un manipulateur fou. Il leur avait, durant de longues séances, malicieusement décrit le comportement toxique de ce supposé monstre en prenant soin d'énumérer une par une les caractéristiques qu'il avait retenues par cœur, tirées de l'ouvrage fondateur Les manipulateurs sont parmi nous. Les lectrices-patientes étaient tellement impressionnées par ce professionnel de l'âme qui avait validé leurs propres impressions, qu'elles se montraient zélées au point de transformer le projet proposé par le docteur Michel consistant à appliquer quelques coups de fouet à leur tortionnaire mental, en une séance de torture à l'issue duquel le malheureux se voyait dans l'obligation d'appeler les urgences afin de dégager son mug préféré de l'endroit où il n'avait jamais imaginé que sa douce compagne pourrait avoir eu l'idée de le placer.
Ce deux décembre deux-mille vingt-cinq, le psychiatre était satisfait. Une appréhension l'avait étreint juste avant de recevoir Floriane. Il se disait qu'il était allé, non pas trop loin, mais dans une direction dangereuse. Le niveau de dépression de la patiente lui semblait élevé. À un âge avancé, celle-ci venait de se rendre compte que son environnement familial et social l'avait coupée des relations normales qu'elle pouvait espérer entretenir avec les autres membres du genre humain. Jamais elle n'avait connu un homme dans l'intimité. Ses amis étaient rares ; ils se comptaient sur les perles de la moitié du chapelet qui lui servait de guide pour communier avec le seul homme qu'elle pouvait aspirer à rencontrer lors de son unique sortie de sa semaine : Jésus, le dimanche, à la messe de la paroisse Saint-Antoine du douzième arrondissement de Paris. Floriane, vierge, frustrée, isolée. Le docteur Michel la pensait malléable à souhait. Il avait donc vu se profiler l'occasion de rembourser sa dette auprès de son confrère chirurgien-proctologue, le docteur Franz, lequel lui arrangeait régulièrement des rencontres avec ses patientes atteintes d’hémorroïdes dont le psychiatre raffolait.
Il lui avait donc proposé d'organiser cette soirée avec Floriane au cours de laquelle celle-ci aurait constitué une monnaie d'échange docile. L'inquiétude du docteur Michel ne venait pas tant de la crainte que celle-ci soit traumatisée par les petits jeux auxquels son confrère et ses amis communs allaient lui proposer de participer, que du risque que celle-ci refuse sous prétexte que le dogme religieux qui guidait sa vie allait à l'encontre de ce que le docteur Franz considérait comme des petits plaisirs de la vie, mais qui parfois donnaient la nausée même au psychiatre (particulièrement les soirs où il repensait à la manière dont sa femme, Laura, était morte à cause d'une de ces petites joyeusetés auxquelles il avait souhaité lui-même l'initier et qui avait mal tourné… c'était de sa faute pensait-il tous les matins en se réveillant). Ce que le docteur Michel craignait donc vraiment, c'était que Floriane ne donne pas entière satisfaction, et s'enfuie en courant. Le risque était faible. Après cinq séances à l'issue desquelles il l'avait convaincue qu'elle était la femme la plus médiocre du monde, il l'avait sous son emprise. Néanmoins, un moment soudain de lucidité était toujours possible.
Et finalement la soirée s'était bien passée. Floriane avait confirmé les dires de Franz qu'il avait eu le matin même au téléphone :
« Un super plan ! Même Rufus a tiré son coup, JF ! J'ai jamais vu ça ! Une vraie tarée ta patiente ! Ah ah ah ! »
Jean-François Michel, JF comme l’appellent ses amis, était soulagé. Il repensa à ce coup de téléphone en s’observant dans le miroir en pied en bois d'ébéniste juxtaposé au canapé. S’admirer dans ce miroir qui lui avait coûté pas loin de trente mille euros était un de ses plaisirs qu'il s'octroyait au cours des séances. Lorsqu’il décrochait de l'histoire d'une patiente allongée devant lui, il lui suffisait de lever les yeux et de se regarder. En souriant. Il se trouvait beau, attirant, et jeune malgré ses cinquante et un ans. Il se confirma à lui-même, à cet instant, cette impression constante de jeunesse éternelle, en retirant, d'un coup sec, un poil disgracieux qui dépassait de son orifice nasal. Soudain, il entendit la porte de son cabinet s'ouvrir.
Il aperçut dans la glace le reflet de Floriane.
« Oh, mademoiselle Floriane, ma secrétaire ne m'a pas prévenu que vous étiez revenue. Vous êtes là pour ça je suppose ? demanda-t-il en lui montrant la culotte qu'il avait négligemment jetée sur le canapé.
- Non docteur, je souhaite juste vous montrer un SMS que je viens de recevoir.
- Ah, mais on pourra voir ça au prochain rendez-vous ; si ça ne vous dérange pas bien-sûr mademoiselle Floriane.
- Désolée, vraiment désolée docteur, je m'excuse mais… je n'en ai vraiment que pour une minute.
- Bon très bien montrez-moi. »
Le docteur Michel prit le smartphone de la patiente. Elle avait reçu un SMS : N'oublie pas, je suis morte de ta faute.
Le psychiatre fronça les sourcils.
« Qui est-ce qui... »
Il pâlit lorsqu’il vit qui en était l'expéditeur : LAURA MICHEL.
« Qu'est-ce que c'est que cette blague mademoiselle Floriane ? Qui vous a parlé de Laura ? Je trouve que c'est de très mauvais goût. »
Floriane sembla désarçonnée et reprit le téléphone des mains du docteur Michel.
« Je ne sais pas docteur, j'ai reçu ce message juste en sortant de votre cabinet. Mais ce n'est pas ça qui m'a le plus interpellée. »
Elle balaya durant quelques secondes son écran et tendit de nouveau le téléphone. Lorsque le psychiatre regarda le message qui venait d'apparaître, il ouvrit la bouche et écarquilla les yeux en regardant sa patiente.
« Vous pouvez m'expliquer ? Je trouve ça d'un goût douteux mademoiselle Floriane. Je sais que vous n'êtes pas bien, que vous avez des problèmes, mais ce n'est pas une raison pour... »
Il s'interrompit lorsque ses yeux tombèrent sur ce qui, dans la main droite de Floriane, ressemblait fort à un pistolet Glock 17.
« Qu'est-ce que vous faites avec ça ; donnez-moi... »
BOUM !
Le docteur Michel ressentit alors une douleur atroce entre les deux jambes. Sa respiration fut coupée. Il regarda son pantalon beige changeant de couleur pour virer au marron foncé.
« Jean-François, un peu de tenue tout de même, articula Floriane avec un sourire angélique alors que le psychiatre poussait des hurlements et tombait sur les genoux tout en se tenant l'entrecuisse avec les deux mains desquelles coulait un flot continu de sang.
- Vous êtes folle, appelez une ambulance, vite espèce de malade menta... »
BOUM !
Le miroir dans lequel le docteur Michel s'admirait deux minutes auparavant s'était recouvert en son centre d'une masse dégoulinante, mélange gris et rougeâtre, substrat de l'esprit brillant d'un célèbre psychiatre parisien sur le divan duquel étaient passées des dizaines de femmes à la sensibilité à fleur de peau, écorchées jusqu'au sang par les stratégies de guérison très spéciales de celui qui, toujours à genou, arborait alors au milieu du visage un énorme trou dont les extrémités semblaient reliées entre elles par des fils de chair poisseux dégoulinant sur sa bouche toujours entrouverte.
Floriane rangea le Glock dans son sac à main. Elle s'accroupit juste à hauteur de la cavité nouvellement creusée sur le visage du semblant d'homme qui lui faisait maintenant face. Elle sortit de ce même sac un petit tube de rouge à lèvres. Se mirant dans la glace à travers la face décharnée de son psy, elle en repassa sur sa bouche une couche dont l'intensité s'était amenuisée au cours des dix dernières minutes. Les efforts qu'elle avait produits en brisant les cervicales de la secrétaire du docteur Michel après avoir quitté le cabinet l'avaient amenée à se mordiller la lèvre inférieure avec ses dents d'une blancheur immaculée. Et la langue qu'elle s'était passée voluptueusement à plusieurs reprises sur la lèvre supérieure durant les quelques secondes au cours desquelles elle laissa son aimable auditeur la main sur ses testicules ensanglantés, avait terni cet éclat magnifique que renvoyait de nouveau sa bouche imprégnée de rouge à lèvres Chanel et des quelques gouttes de sang qu'elle préleva de l'entrejambe de JF en touchant légèrement celui-ci de l'index avant d’effleurer ses lèvres encore frétillantes de plaisir après le spectacle qu'elle venait de s'offrir.
Il était quinze heures quarante-deux. À ce moment précis, son smartphone vibra.
Vous avez un nouveau message.
Elle lut avec satisfaction le message qu'elle avait montré au psychiatre quelques minutes auparavant. Peut-être celui-ci avait-il été surpris par l'heure auquel il avait été envoyé : quinze heures quarante-deux… Ou par le fait que le portable de Floriane n'avait pas vibré… Cela lui importait peu. Elle lut le SMS même si elle en connaissait déjà le contenu et l'expéditeur :
Du docteur Michel : JE SUIS DCD.
LA ZONE -
![[illustration]](/data/img/images/2025-09-18-glock-big.jpg)
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J'ai bien aimé mais j'ai eu du mal à avaler la fin improbable aux vues de la personnalité des personnages construite tout le début du texte. Le final twist sonne faux.
C'est drôle, ça se lit bien, un peu de mystère et original. Je n'en demande pas plus.
Merci