LA ZONE -

ORIENTATION HARDCORSUP

Le 22/09/2025
par FRELICOT HUGO
[illustration] - « Je vais vous donner des nouvelles de vous » se répandait en orthofrappe lors de la dictée de rentrée. Petits pousses, immédiatement invités à caler le genou en angle droit, le quart de dos figé sur le dossier de bois ; terriens à élever, humains atterrés par l’encre et le math.
Si minutieux maîtres de chair emplis de désirs,velléités veineuses, battantes, pulsées, au cœur jeune du monde, soufrant de réanimalisation voyageuse, nomadisme extrêmement fixé aux barreaux de chaises, s’employaient si tôt à végéter » -
Hilda émerge en sueurs.
- On se réveille Mademoiselle ! Vous commencez bien l’année vous !
Hilda écarquille les yeux, le front marqué par le relief de sa montre connectée. Ses mains moites agrippent chaque coté de la table individuelle en inox imitation boiseries tropicales. Tout autour d’elle, une cinquantaine de regards, des gosses, de 15, 16 ans. En face, un mur immensément blanc, illuminé, rempli de graphiques tournoyants, et un grand homme, debout, droit, invisible en contre-jour, continuant de l‘invectiver.
Hilda a la langue nouée, les yeux pâteux. Réveillée cancre, l’élève pourtant modèle se trouve sauvée par une sonnerie stridente ! D’un bond sec, la classe se lève, égoïstement, chaque main empoignée à l’écran lumineux personnel. Il est temps de découvrir où l’application du lycée envoie chaque apprenant pour les cinquante minutes à venir ! Hilda sent les vibrations dans sa main droite, « EE225 » clignote et cliquetique. Une voisine aux cheveux noirs l’interpelle, « Ah, toi aussi ! Bouge, c’est au deuxième étage. » Dans les couloirs, les corps vifs des adolescents se bousculent, ce sera au premier arrivé, au premier placé, occuper la place du fond sera d’emblée marqué comme une accusation de manque de zèle. Les capteurs de l’appli se cachent partout, aux quatre coins des salles de classe, des corridors, de la cour. Essentiel pour surveiller et gérer au mieux la sécurité et la réussite des milliers de jeunes âmes mobilisées.
A l’arrivée, les baskets s’entrechicotent dans un crissement de pneus plastiques. Hilda suit sa partenaire de convocation, la file est indienne, plutôt serrée et express. La bataille des tables prend lieu. Ni musicales, encore moins amicales, les chaises se tirent sec, et les culs s’y jettent sans crier gare ! Quelques collisions s’en suivent. Forcément. Sauf Hilda, personne ne semble s’en soucier.
De son absence de lutte et d’élan vital nécessaire à la compétition, en cet instant de grande incompréhension, Hilda occupe le dernier rang. Sa voisine aux cheveux noirs la méprise aussi vite, ayant réussi à obtenir le troisième. Le grand tableau, tout le mur en fait, s’allume, bleu puis blanc. L’appel se fait, le plan de classe apparaît, une petit cloche électronique vient signifier que l’information est bel et bien enregistrée. Derrière le bureau, un jeune homme leur fait tous face. Le regard vide, il pianote sur le pavé tactile. « Bonjour », achève-t-il après s’être rapidement attelé à une prise de vue panoramique de ses lycéens de l’année. L’enseignant appuie, la vidéo se lance. Une voix suave et off se lance dans une présentation, pédagogique et tout à fait alléchante. Vous avez été choisis pour travailler au sein de la spécialité Arts de la Communication et du Spectacle Numérique Vivant, Félicitations. Hilda voudrait s’enfuir. - Que fait-elle ici. -
Une masse de traitements de texte vient semble-t-il d’être envoyée sur les tablettes, Hilda ne l’a pas encore sortie de son sac. La notification rouge de non-réception vient d’être annoncée sur le mur digital. « Mademoiselle ? Veuillez sortir vos affaires ? Tiens, c’est amusant, je lis votre historique, deux heures de cours, deux remarques et un fond de classe. Bravo ! Hilda, c’est bien ça ? » Tout autour d’elle, ça ricane, ça rit jaune, ça rit mal.
D’habitude les gens sont bizarres, c’est normal. Ici, non. Ils sont rêches. Hilda convoque ses forces intérieures pour ne pas céder à la panique, face à l’effroyable gueule du fatal carnivore, ne plus opérer un seul geste. L’heure s’écoule, d’exercices en corrections automatiques, le classement ne cesse de remuer dans tous les sens sur le grand écran, ça monte et ça descend. Pour certains, la place tend à se fixer, le destin à se sceller. Ça sue sec, sans faiblesse.
Puis Hilda s’effondre, s’évanouit, le visage beurré sur la table. Pleinement imbibée dans le jus de son sommeil paradoxal, Hilda rêve à Kilian, son futur et imaginaire directeur de mémoire. Le paysage, un couloir de linoleum vert-gris, l’air vicié de fumées diverses, toxiques ou de couleurs. L’enseignant de sociologie, vissé sur ses deux cuisses musclées semble protéger une porte de salle de TD. Une dizaine d’étudiants sans le sou répètent les gestes d’un énième exercice d’alerte intrusion, les visages un peu plus crispés qu’à l’habitude. Kilian tient un flashball dans chaque main, les yeux fous, la mèche longue et ensanglantée. Il tire à tout va, hurlant de rire, des lignes de pâles jeunots, musclés, les tempes rasées et le polo habillé de près tentent des approches. Kilian se pisse dessus de joie, il va leur abîmer la gueule jusqu’au bout à ces shériffs, jusqu’au fond de leurs orbites! Le rire de l’enseignant flotte en écume longtemps dans les songes d’Hilda, le bruit de pianotage des claviers se calque au claquement des dents jaunies par les roulés bio de son fantasmatique prof en sciences de la sociologie.
Et puis ça sonne, à nouveau, Hilda émerge et le manège reprend. Changement de salle, boules de couloirs, semelles sur les plates bandes, compétition de silence.
Hilda ne se lève pas cette fois.
Seule dans la salle de classe, face au monsieur le professeur, celui-ci ne pouffe mot. Il annone faiblement, les yeux rivés sur l’écran à éteindre. « Que veux-tu, tu as besoin d’aide, je peux appeler la vie scolaire ? »
« Je voudrais seulement savoir où je suis ? Au lycée, enfin ! Mais pourquoi ? »
« Çà, je suis désolé, mais je ne vois pas comment répondre. Comment ça, pourquoi ? »
Puis tout se met à vibrer, à clignoter, à retentir, le tableau, le portable, la tablette, et ça toque à la porte ouverte, et c’est la représentante de l’autorité de la vie scolaire qui a accouru. « Hilda ? Je t’emmène ! Tu es perdue, en retard ? FB765 ! Expression orale et Motivations professionnelles ! Tu es attendue ! Vite, vite ! »
Hilda suit décontenancée l’assistante de vie scolaire à travers les escaliers et les coursives.
« Tu sais, la première impression, c’est la bonne. Après, c’est vrai, faut continuer. L’assiduité. Et puis jusqu’au bout. Faut être au top. Décrocher une note au top ! Rien n’est perdu, allez ! C’est le premier jour ! Tu peux encore finir première ! »
« Vous dîtes ça à tout le monde ici ? Ils vont tous finir premier alors ? Mais le dernier, si ça trouve il était premier lui aussi ? »
« Comment ? Mais qui ES-TU ? Oh la, ma petit Hilda, ferme bien ta gueule. Tu crois quoi, qu’on a qu’ça à faire d’écouter ton avis ! T’es rien ici, tiens toi à carreau, on verra après.
Allez entre, c’est ta classe ! Bonne journée ! Que je ne te revoie pas ! »
« Tiens, voilà qu’arrive notre chaise manquante ! Ça clignotait, tout le monde en avait marre. Hilda ? On prononce comme ça ? Va au fond !
Bon, je disais. Comme je suis votre quatrième prof principal, quelques petits mots d’abord. Valentin nous a quitté cet année. Qui se souvient de lui, l’a côtoyé l’an dernier ? Bien, j’espère bien sûr, cela va de soi, que vous ne gardez aucun contact, ni une quelconque amitié. Valentin a fait ses choix. Il trouvera à s’en sortir, nous n’en doutons pas, ayant déjà évité la détention, l’enfermement. La détention qui vous pend au nez à tous. Si récidive. Son accident, si je suis obligé de le rappeler, devant le lycée. Diffusé en direct, bien entendu et la saine réaction de mettre fin à ses publications critiques. Par le seul moyen à disposition des forces de sécurité. Voyez bien où en est Valentin aujourd’hui, les jambes dans le fauteuil. « Personne ne veut plus se faire péter les genoux, ici !?». L’enseignant en assénant cette dernière citation rit, rit fort, et les élèves aussi.
« Allez au travail ! Chacun sa place, chacun sa tablette. c’est parti, nous avons 45 minutes ! »
Hilda s’exécute. Il faut placer les oreillettes. Des questions à l’oral et il faut écrire. Des questions à l’écrit et il faut causer. Hilda comble le temps, dissipe le stress, répond à son besoin de toujours s’adapter, obéir, et ça fonctionne ! La voilà qui remonte le classement. Les bonnes réponses ressemblent souvent à travail, discipline, développement, engagement, orientation, discipline, abnégation, règlement, travail, mérite, rémunération, assignation, assiduité, travail, réseau, attitude, professionnel. Hilda, d’une part sait les orthographier, mieux, elle les insère dans des phrases. Tout en haut de la liste, 99 pour cent de réussite, encore une fois la voici qui clignote mais en vert cette fois. Le score est littéralement explosé. Le professeur rit encore. « Eh bien, notre Hilda se fait à nouveau remarquer ! En voilà une qui veut vous écraser bien comme y faut ! ». Les rires fusent.
« C’est bien, c’est bien. Mais j’ai noté ton erreur, quand on sait pas ce qu’est « AvenirSup », on peut toujours se brosser pour désirer quoi que ce soit ! Elle a dit : vivre mes rêves à la question 18 !»
Les rires éclatent. On s’amuse décidément beaucoup dans ce lycée. Hilda voudrait s’évanouir. A nouveau. S’éteindre sans flamme, dévier, dévivre.

= commentaires =

Lapinchien

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Pute : 55
à mort
    le 21/09/2025 à 17:58:00
J'ai bien aimé cette dystopie qui m'a rappelé mes années en math sup/math spé . Tout concéder pour la performance et la méritocratie c'est quand même cher payé. Il y a toute une couche d'anticipation technologique dans ce récit qui ne doit plus être trop loin de ce qui se passe dans nos collèges et lycées en ce moment même.
Lindsay S

Pute : 71
    le 21/09/2025 à 18:11:23
Ce texte souffre d’une saturation totale. Tout est gratuit : les mots qui débordent, s’emmêlent, se superposent ; les images qui saturent l’histoire au point qu’on ne sait plus quoi regarder ; les cours qui devraient valoir “les yeux de la tête” tant l’organisation et le matériel sont poussés à l’extrême.

On a l’impression que l’auteur veut montrer beaucoup, tout, en même temps, mais au final, on obtient surtout une mise en contexte étouffante plutôt qu’une nouvelle structurée. L’intrigue est quasi inexistante : Hilda est ballotée, subit, s’évanouit, se relève… mais rien ne progresse vraiment.

Le texte tente l’immersion et le cauchemar scolaire, et dans ses fulgurances, certaines images sont excellentes. Mais le style étouffe le récit, et la lecture devient un effort de déchiffrement plus qu’un plaisir narratif.
Lapinchien

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Pute : 55
à mort
    le 21/09/2025 à 18:42:02
J'ai été très angoissé à la lecture de ce texte et je pense qu'il a volontairement été écrit pour qu'il soit oppressant. Vraiment j'ai revécu les pires années de ma vie en milieu scolaire et le récit retranscrit à la perfection ce que ressent un étudiant lambda ballotté à gauche et à droite par ce système conçu pour faire émerger des élites au détriment de tout le reste et en particulier le bien-être physique et mental de l'élève. Le malaise provoqué par ce texte est un succès dans la démonstration que veut faire l'auteur.

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