Le commando
I - Infiltration
Je n’avais rien vu venir. La mission était pourtant simple. J’ai été formé pour ça. Infiltration, destruction, exfiltration. Rien de complexe, pour l’élite des forces spéciales auxquelles j’ai l’honneur d’appartenir. J’étais à l’aise, territoire inconnu, mode opératoire familier. Mon rôle était simple, en mission solitaire, en totale autonomie. Si je venais à être capturé, le commandement nierait toute implication. C’était le jeu, et j’en avais accepté les règles. Je connaissais les risques. Aucun équipement identifiable ne m’avait été accordé. Si je venais à être capturé, la hiérarchie prétendrait que j’avais agi de ma propre initiative. Les seules aides qui m’avaient gracieusement été octroyées étaient les traditionnelles dotations des commandos de mon rang. Appareil de vision nocturne standard, arme blanche, revêtements silencieux pour les pieds. Ça me suffisait. J’avais toujours éprouvé un certain dédain pour mes camarades de l’armée régulière, surarmés de tous ces engins bruyants, aux pétarades vulgaires. La crème de la crème, à laquelle j’avais eu l’honneur d’être incorporé, méprisait toute cette technologie.
Mon rôle ne changeait rien de ce qui m’était habituellement assigné. Saccager la plantation de végétaux mortels pour ceux qui avaient le malheur d’en ingérer. Mettre le plus de bâtons dans les roues de ces agents de mort. Travail de sape. Coup d’épée dans l’eau. Inlassables, ils recommençaient une fois mon boulot effectué. Mais une fois rentré au régiment, sentiment du devoir accompli, mon cœur se gonflait de fierté. Un jour, mon camp, celui du bien, connaitrait le triomphe et la gloire qu’il méritait. D’interminables minutes durant, j’avais rampé jusqu’à mon objectif. J’évoluais en milieu urbain. Je devais composer avec les passants, les feux des voitures. Je devais alors, dans l’urgence, me faufiler dans un endroit à l’abri des vues et des coups. Un jeu d’enfant. Les civils ne soupçonnaient pas ma présence, ma démarche était souple, silencieuse, et le dispositif de vision nocturne me donnait l’avantage pour cartographier la disposition des lieux. J’attendais patiemment, tapi dans l’ombre, que ces insouciantes patrouillent passent leur chemin, avant de reprendre ma progression, évitant les projeteurs comme autant de pièges mortels, tentant courant d’un point d’ombre à un autre, tantôt avançant lentement dans une prudente reptation. Comme de coutume, je m’abstins de mettre en œuvre mon modeste armement. Je n’avais pas besoin que le hurlement d’une sentinelle mette tout le dispositif en état d’alerte. La mission aurait été compromise, et j’aurais été contraint de regagner la base, queue entre les jambes. Les dieux des commandos étaient avec moi. Une nuit sans lune, opaque, me permettaient d’avancer avec une discrétion presque reptilienne. Seuls les maigres faisceaux des miradors, facile à esquiver, troublaient difficilement l’obscurité poisseuse.
J’arrivais bientôt sur zone. Ma longue expérience m’avait appris à prendre mon temps. Ne pas confondre vitesse et précipitation. Combien de camarade étaient revenus mutilés, quand ils avaient la chance d’en réchapper, après avoir été décelés par l’ennemi ? Beaucoup trop, trop de frères d’armes avaient été mis définitivement hors de combat par la barbarie sans bornes de nos adversaires. Aussi silencieusement que possible, je me hissais sur les hauteurs d’un arbre, m’offrant une vue imprenable sur la zone d’opération. Je retenais mon souffle, balayant le secteur comme on me l’avait appris. Du plus loin au plus proche. Pas un mouvement ne troublait l’apparente tranquillité des lieux. Un silence uniquement troublé par le faible bruissement d’un voile doux sur la végétation. Je humais à plein poumon. Aucune fragrance, odeur de nourriture ou de cigarette que le soldat imprudent s’autorisait parfois, pendant ses interminables heures de surveillance. Mon regard détailla le bunker où ces hommes prenaient leurs quartiers, y dormant, y mangeant. Pas un rai de lumière n’y filtrait, pas un mouvement ne bruissait de l’intérieur de ces murs. Tout était calme, paisible. Le risque d’embuscade était proche du néant. Je cartographiais une ultime fois le carré de verdure nauséabonde, mon cœur battant dans ma poitrine. Malgré l’expérience, on ne peut jamais empêcher l’adrénaline de saturer son système sanguin, les minutes précédant l’action. D’un saut agile, j’atterris en douceur au pied de l’arbre. Je me mis à progresser furtivement vers ma cible, les plants de ce végétal mortel, qui était responsable de bien trop de victimes. J’arrivais à leur hauteur, leurs relents nauséabonds me donnaient déjà des hauts-le-cœur.
Alors que j’allais me mettre au boulot, un bruissement, derrière moi, quasiment imperceptible, mais bien réel, me figea. Merde. J’allais pour sortir mon arme, mais l’ennemi ne m’en laissa pas le temps. Je fus plaqué au sol, sans ménagement. Je n’émis pas un son. Je m’étais fait capturer, j’avais déjà assimilé l’information, et acceptais cet état de fait. Après toutes ces opérations de sabotage, tous ces assassinats de nuisibles, pendant lesquels j’arrivais et repartais comme une ombre, dame chance venait de m’abandonner. Le type qui m’avait choppé avait une force herculéenne, aucune chance d’échapper à sa poigne de fer. Si je jouais au con à essayer de me débattre, je ne ferais qu’aggraver ma situation déjà critique. Le plus sage était d’adopter une posture attentiste. Pour le moment, je ne risquais rien, il me voulait comme prisonnier, bien vivant. S’il avait voulu me buter, il l’aurait déjà fait. Rester calme. Attendre, observer. Après m’avoir soumis, le colosse me souleva comme une plume, entravant habilement mes membres supérieurs, et me conduisit au bunker. Surtout ne pas paniquer. Sang froid et observation. Une pièce qui doit servir de réfectoire. Une voix : “Ah, enfin, on l’a eu, depuis le temps qu’il flingue nos plants”. Une volée de marches menant à une cave. Une porte. Je suis jeté sans ménagement sur un sol de béton brut. La porte se referme sur cette pièce nue uniquement éclairée d’un soupirail d’où filtre la faible lueur de la nuit.
II - Détention
Pour passer le temps et récupérer des forces, je m’efforçais de dormir, trouvant la position la plus confortable possible sur un sol froid et humide. Je fus tiré de mon sommeil par mon geôlier. Il commença son interrogatoire :
- Alors, tu es qui, toi ?
- Je ne parlerai pas. répondis-je.
Il me contempla d’un air dubitatif. Sans que je ne m’y attende, avec une vivacité inattendue, il me saisit par le cou. Je n’émis pas un son, je me refusais à lui donner ce plaisir. D’une main leste, il s’empara de ma plaque d’identification, que je ne quittait jamais depuis qu’elle m’avait été remise, au régiment. Il lut à haute voix les maigres informations qui y étaient gravées. Mon nom et mon matricule. Il renifla :
- Je finirai bien par savoir d’où tu viens.
Alors c’était donc ça, l’idée ? M’utiliser comme source pour remonter à ma hiérarchie. Peut-être avons-nous sous estimé la puissance de ces gens. D’après mes reconnaissances, j’en avais déduit qu’ils travaillaient seuls. Mais une telle témérité ne peut que signifier qu’ils sont les petites mains d’un réseau de grande envergure. Comment ais-je pu passer à côté de ça ? Le type me lâche et se barre, me laissant en compagnie de ma solitude. Le jour commence à poindre à travers la seule ouverture de la pièce. Je regardai avec amertume ma tenue au motif rayé, bien loin du camouflage règlementaire des mecs de l’armée régulière. Le miens est beaucoup adapté pour se dissimuler en milieu naturel. Cette liberté est l’apanage des commandos, ceux des forces spéciales. Ma tenue était crade. Seul avec mes pensées, j’entreprids de la brosser, pour m’occuper l’esprit, ne pas devenir fou. Pour tenir le coup.
Après une durée indéterminée, mon geôlier fit de nouveau irruption dans ma cellule. Il me tendit une écuelle de flotte et une assiette où gisait un magma informe dégageant une infecte odeur de putréfaction. Je le toisais avec insolence. Même à la cantine du régiment ils n’osaient pas nous servir une merde pareille. Il soutint mon regard, manifestement peu impressionné. Sa voix se fit doucereuse :
- Tu dois manger pour reprendre des forces.
Ben voyons. Qui sait quel saloperie il avait glissé dans ce brouet infâme. Un sérum de vérité, pour me faire parler, que je déballe tout ce que je savais. Mon unité, ma mission, les noms des officiers. je m’abstins de lui dire d’aller se faire foutre, et continuais à le fixer avec un air de défi. Il pinça les lèvres. Nous y étions. L’heure du passage à tabac avait sonné. Préliminaire traditionnel de tout interrogatoire digne de ce nom. Mais il était mal tombé. J’étais aguerris, endurci. Des coups, j’en avais déjà reçu tellement que je n’aurais su les compter. J’avais grandi dans la rue, à la dure, survivant en respectant les lois de la jungle. C’est l’armée qui m’avait sauvé. Recueilli, nourri, logé, blanchi. En redevance de telles largesses, je me bornais à mener quelques missions d’assassinats ciblés. Uniquement sur des cibles nuisibles. L’armée française demeurait à mes yeux une armée morale. Intègre. Jamais je n’aurais pu trahir mes camarades, ceux à qui je devais mon salut. Mais non, la grêle de coups à laquelle je m’attendais ne tomba pas. Il se contenta de hausser les épaules et de me laisser de nouveau seul, avec sa flotte et la mixture informe qui l’accompagnait. Je refusais toujours d’y toucher.
La pitance commençait à pourrir quand le gardien vint de nouveau me visiter. Il grimaça en constatant que j’avais engagé une grève de la faim. Je restais prostré dans un coin de la cellule. L’homme posa les poings sur ses hanches et me considéra, méditatif :
- Qu’est-ce-que tu penserais si je te proposais de rester ici, avec nous ? Tu serais bien traité, et on a besoin du genre de compétences dont tu disposes. Je suis sûr que tu te plairais parmi nous. La vie y est facile, tu y serais mieux que là d’où tu viens. Toi et nous, nous pouvons nous entraider, plutôt que de nous battre.
Classique. Tenter de retourner les prisonniers de guerre pour en faire des agents doubles. A quoi cet imbécile s’attendait-il ? Me croyait-il donc naïf au point de croire que moi, l’élite de l’élite, allait retourner ma veste pour rejoindre un minable groupuscule terroriste ? Un crachat au sol plein de mépris fut ma seule réponse. Il récupéra l’assiette de bouillie corrompue, et en posa une nouvelle sur le sol, remplie de la même substance infecte. Son arrogance le poussait à croire que je finirai par craquer. C’était mal connaître. J’avais connu pire. Tellement pire. La mort plutôt que le déshonneur.
III - Incorporation
Mon esprit commença à vagabonder. Je me remémorais mon amour de jeunesse. Nina. Une superbe brune, peu farouche. Connue dans la rue. Nous nous étions fréquentés quelques temps, oubliant la misère de notre condition lors de longues étreintes passionnées. Puis, un beau jour, elle avait disparu de ma vie. Jamais plus je ne l’avais revue. Une légende urbaine, qu’on se racontait entre gosses des rues, disait que des types patrouillaient et enlevaient ceux d’entre nous qui avaient l’infortune de croiser leur chemin. Une fois entre leurs griffes, l’histoire voulait que ces mecs se livrent sur nous à toutes sortes d’expériences bizarres, avant de nous vendre au plus offrant. Je laissais ces types dire. Pour moi, tout ça, c’était des conneries, des trucs pour se faire peur, pour passer le temps. Pour rendre nos vies moins chiantes. Jusqu’à ce que Nina se volatilise sans laisser de trace. J’eus la confirmation, quelques semaines plus tard, que cette légende était issue d’une réalité tout aussi tordue que l’histoire que l’on m’avait narré. C’était une nuit d’hiver. Il caillait dur, et j’en étais réduit à faire les poubelles tellement je crevais la dalle. Je venais de trouver un truc qui m’avais semblé à peu près comestible, quand je fus ébloui par les phares d’un gros fourgon. Deux costauds en sont sortis, et avant que je ne puisse réaliser ce qui m’arrivait, j’étais emmené de force dans le compartiment arrière de leur camionette. On a roulé longtemps, avant d’arriver dans leur foutue maison des horreurs. J’ai été balancé dans une cellule si exigüe que je pouvais à peine m’y allonger pour roupiller. Et je n’étais pas seul. Des tas de gamins, comme moi, des anonymes, des orphelins dont tout le monde se foutait, croupissaient dans ces geôles. On devenait dingues. On gueulait à s’en arracher les cordes vocales. Certains sombraient dans une telle folie qu’ils allaient jusqu’à mordre les barreaux de leur cellule. Parfois, certains disparaissaient sans que jamais on ne les revoit. D’autres étaient menés de force à l’extérieur, et revenaient, quelques heures plus tard, hagards, la terreur se lisant sur leur visage, refusant de dire aux autres quels sévices, quelles tortures, ils venaient de subir. On appelait ça entre nous la “promenade”.
Mon tour n’avait pas tardé à arriver. Entravé, mené de force vers ce qui ressemblait à une salle d’opération chirugicale, on me fit immédiatement une injection d’un liquide translucide. Certainement un cocktail de tranquilisants. J’ignore la nature exacte des sévices qu’ils m’ont fait subir pendant que j’étais plongé dans le coma. Tout ce que je sais, c’est que ces sadiques m’avaient sectionné les burnes. Ils m’avaient ôté ma virilité. Je m’en étais ouvert à un de mes camarades. A ma grande surprise, il accepta de desserrer les mâchoires :
- Pour te rendre plus docile, mon pote. La clientèle de cette enfer n’est pas vraiment adepte des francs tireurs bourrés de testostérone. Sans nos couilles, notre valeur sur le marché augmente. il ajouta, ses grands yeux verts perdus dans le lointain : Quelle vie de merde.
Je sombrais dans une profonde dépression. Je refusais de me nourrir, même de boire. Je dépérissais, attendant la mort, refusant une vie de servitude. Puis, mon sauveur arriva pour me tirer des griffes de ces malades. Un type en treillis militaire, mâchoire carrée, béret vissé sur crâne rasé, il nous inspecta tous, uns à uns, soutenant nos regards les uns après autres, dos droit, mains derrière le dos. Mes camarades, par instinct de soumission, baissaient les yeux au bout de quelques secondes. Pas moi. On peut mutiler mon corps, mais pas ma combativité. Il plissa les paupières. Je ne bronchait toujours pas. Visiblement satisfait, il entreprit un conciliabule silencieux avec un des bouchers en blouse blanche qui faisait office de guide. Après un bref échange, la porte de ma cellule s’ouvrit. Affaibli par la dénutrition que je m’étais moi-même imposé en protestation des traitements qui nous avaient été infligés, je n’eus pas la force de lutter lorsque je fut de nouveau saisi et trainé jusqu’à une nouvelle cage, qu’ils installèrent à l’arrière d’une fourgonnette. L’opération s’était déroulée de nuit. La prison était installée dans une friche industrielle, éloignée de toute civilisation. Brailler pour demander de l’aide aurait été inutile. Là encore, j’adoptais une posture d’attente et d’observation. Depuis ma position, j’étais en mesure de voir la physionomie de notre itinéraire. D’interminables routes de campagne, serpentant au milieu d’épaisses forêts. Je n’en menait pas large. Puis nous arrivâmes dans un vaste espace dégagé, au milieu duquel tronaît une austère structure de béton, ceinturée de hauts murs d’enceinte protégés par des barbelés. Je frémissais en pensant aux horreurs qui m’attendaient au coeur de cette fortification. Après avoir passé un poste de garde, on me fit débarquer sans ménagement. Le soldat qui m’avait acheté, probablement à vil prix, me fit sortir. Machinalement, je secouais mes jambes ankylosées pour les détendre. Le militaire me regarda de haut, et me déclara d’un ton martial :
- Tu es dans l’armée, maintenant.
je fus bringuebalé de bâtiment en bâtiment. On m’attribua d’autorité une identité et un matricule, gravés sur un pendentif que je quitterai jamais. Je passais la traditionnelle visite médicale, où on m’injecta un tel nombre de vaccin que mon corps resta engoudi deux jours entiers. Enfin, on me présenta à ma future unité, avec qui je partageais ma couche. Malgré mes légitimes appréhensions, je fus accueilli à bras ouverts. La proverbiale camaraderie militaire n’était donc pas un mythe. Il apparut rapidement que, contrairement au soldat ordinaire, je n’étais pas taillé pour une obéissance aveugle aux ordres de l’autorité. Cependant, mon autonomie naturelle, alliée à une condition physique hors du commun me permirent rapidement d’acquérir un statut spécial. Je n’étais pas gradé, et recevait mes consignes d’un simple sergent. Mais il me laissait carte blanche quant à l’exécution de ma mission. Nous nous rendions dans une zone déterminée, et il se bornait à me demander de la nettoyer. Comprendre éliminer tout ce qu’il s’y trouvait. A mon grand étonnement, je me découvris une appétence pour le goût du sang, et pris plaisir à donner la mort à nos ennemis. Ma liberté dans la prise d’initiative devint telle que je pris rapidement la liberté d’ajouter les opérations de sabotage à celles d’assassinat. Je m’étais notamment spécialisé en destruction de serveurs informatiques. Puis était arrivée à mes oreilles l’histoire de ces monstres qui inondaient le marché d’une plante aux effets mortels, vendues aux plus offrants, qui semaient la désolation partout sur leur passage. Le terrorisme dans sa forme la plus vile. Et maintenant j’étais là, captif de ces pourritures, attendant une mort certaine. Mais j’étais fermement décidé à ne pas crever sans me battre.
IV - Évasion
Je continuais à broyer du noir lorsque je réalisai que mon hôte ne m’avait pas désarmé. J’étais toujours équipé. Mon arme de mêlée ne me quittait jamais, elle faisait pour ainsi dire partie intégrante de ma personne, si bien que j’en avais oublié jusqu’à sa présence. Obnubilé que j’étais par l’observation de mon environnement, le ressassement de mon passé, le fait de ne pas divulguer d’information à l’ennemi, j’en avais oublié ma fonction première : le combat. Je me traitai mentalement une bonne centaine de fois de crétin. Je me promis que la prochaine fois que je verrai le maton, j’irai directement au contact.
Le gardien ne tarda pas à revenir. Son visage affichait une expression triomphante. Il s’adressa à moi :
- J’ai passé quelques coups de fil. Je sais d’où tu viens. À présent, je vais…
Je ne lui laissai pas le temps d’achever sa phrase. Dès qu’il pénétra dans la pièce, je dégainai mon arme et, d’un bond vif, lui sauta à la gorge. D’un revers rageur, je lui ouvris l’artère carotide, avant de faire de même avec sa veine jugulaire. Je vis la stupéfaction gagner son regard, pendant que son sang jaillissait par jets puissants. Il ouvrit la bouche, mais s’écroula lourdement avant d’avoir pu prononcer le moindre mot. Je devais faire vite, l’autre n’allait probablement pas tarder à rappliquer. En s’affalant comme une masse, ce connard avait fait un raffut du diable. Je quittai la pièce sans un regard pour mon ravisseur agonisant, et gravis les escaliers avec souplesse. Je devais évacuer la zone avant que son camarade ne vienne en renfort. Trop tard, la porte s’ouvre alors que je suis sur l’avant-dernière marche menant au rez-de-chaussée. La cave étant plongée dans la pénombre, l’adversaire ne me voit pas immédiatement. Je profite de sa cécité temporaire pour plonger dans ses jambes, le faisant culbuter en avant. Je l’entends dévaler les escaliers. Plusieurs craquements sonores retentissent. Nuque brisée, vie terminée. Pas le temps de vérifier que l’adversaire est bien neutralisé, et hors de question de faire un deadcheck. Si j’avais jusqu’ici identifié avec certitude un binôme d’ennemis, rien ne me certifiait que d’autres n’occupaient pas aussi le bunker.
La disposition des lieux est chaotique. Je peine à m’orienter. Je ne trouve pas la sortie. Après avoir erré un moment, ne relâchant jamais ma vigilance, je tombe sur du pain béni : une fenêtre ouverte. D’une détente souple, je l’escalade et me retrouve dehors. Le soleil est à son zénith. J’ai dû passer une douzaine d’heures séquestré dans cet enfer. Sans réfléchir, je file ventre à terre vers le régiment. Après vingt minutes de course effrénée, je franchis le poste de garde sous le regard éberlué des sentinelles. Je ne leur accorde pas la moindre attention. Je dois immédiatement faire mon compte rendu au capitaine. Je suis à bout de souffle, épuisé. Mes besoins primaires, faim, sommeil, se rappellent à moi. Je vacille. J’entends des rangers marteler le sol derrière moi. Une voix résonne. Le sergent Perrot. Je reconnaitrais cet organe vibrant entre mille :
- Rambo ? Ça va, mon vieux ?
Je suis exsangue, je ne parviens pas à formuler une réponse. Perrot comprend immédiatement que je suis sur le point de défaillir. Il me porte jusqu’à ma couche, où je m’étends et sombre dans un profond sommeil.
Lorsque j’émerge, je me sens reposé, mais affamé. Je file vers l’ordinaire. Le soleil se lève tout juste. C’est l’heure du petit-déjeuner. Les soldats n’ont le droit qu’à du café insipide et deux petits pains, mais le cuistot m’a à la bonne, et me gratifie d’un menu carné que je dévore à pleines dents. Repu et satisfait, je n’oublie pas que ma mission demeure inachevée tant que je n’ai pas fait mon compte rendu au capitaine, notre commandant d’unité. Je quitte l’ordinaire et file à l’escadron de reconnaissance, l’unité à laquelle j’ai été affecté lors de mon incorporation. La porte du bureau du vieux est entrebâillée. J’entre d’autorité. Il m’a à la bonne, je suis le seul de ses subordonnés qui est autorisé à prendre une telle liberté. Son siège est vide. Il doit encore être en train de glander au mess des officiers, ce gros flemmard. Je décide de patienter à la popote, ce que les civils appellent “cafétéria”. Il y a déjà du monde. Je vais m’installer à côté de l’adjudant Perez. Comme tous les matins, il compulse scrupuleusement le journal local. Il a un gros faible pour la rubrique “faits divers”. Demandant à la cantonade qu’on l’écoute, il lit à haute voix :
- Un couple de cultivateurs d’oignons et d’échalotes retrouvé mort à son domicile. C’est une macabre découverte que l’assistante de vie d’un couple d’octogénaires a fait hier après-midi. Aux alentours de seize heures, alors qu’elle passait prodiguer leurs soins quotidiens au couple de cultivateurs, elle trouva les corps sans vie de Ginette et Robert Chaplin, retraités, connus dans la communauté pour leur culture d’oignons et d’échalotes qu’ils distribuaient généreusement, sans demander de contrepartie financière. Selon une source proche du dossier, la piste criminelle est privilégiée. Cependant, le motif crapuleux a été écarté, dans la mesure où bijoux et liquidités ont été retrouvés à leur domicile. La police continue ses investigations.
Il pose le journal sur ses genoux. Le caporal Boyard souffla sur son café brulant avant d’intervenir :
- Quel monde de taré. Quel genre de tordu irait buter un couple de petits vieux, comme ça, sans raison ?
- Sûr, sale affaire. Vraiment bizarre. répondit Perez.
Il se tourna vers moi :
- T’en penses quoi toi, Rambo ?
Je lui répondis laconiquement que je m’en branlais.
- Sûr que tu t’en bats les couilles. approuva l’adjudant.
- S’il lui en restait ! rigola Boyard.
Je le fixe du regard avec un mépris froid. Boyard a toujours été un abruti. C’était pas pour rien qu’à trente balais, il stagnait toujours au grade de caporal.
- L’écoute pas, Rambo. grogna Perez. C’est un vilain monsieur.
- Un sac à merde, ouais. raillais-je.
L’adjudant, toujours prompt à me soutenir, me grattouilla l’arrière du crâne. Je ronronnai de plaisir. Le couple Chaplin avait mérité son funeste sort. Pour nous, les chats, les oignons sont mortels en cas d’ingestion. Combien de chatons inconscients du danger sont morts en en ingérant, leur curiosité les poussant à faire fi de l’odeur répugnante de ces végétaux mortels ? Beaucoup trop. Alors, nuit après nuit, je m’évertuais à venir saloper leur plantation, grattant la terre pour retirer les bulbes, et les mener à coups de pattes dans le ruisseau voisin. Mais ils persistaient à replanter, inlassablement. Dommage pour eux. S’ils ne m’avaient pas capturé, ils seraient toujours de ce monde. Je m’étire sur l’accoudoir du fauteuil où j’étais allongé, et affute mon arme. Une arme, ça s’entretient. Celle-ci ne me quitte jamais, et ne m’a jamais fait défaut. Sa fiabilité avait encore été mise à l’épreuve hier, et comme de coutume, je n’avais pas été déçu.
- Hé ! Arrête de faire tes griffes sur le fauteuil, con de chat ! brailla Boyard.
- N’insulte pas la mascotte de l’escadron. siffla Perez. C’est la nature, et c’est pas toi qui a raqué pour ces fauteuils. Alors fous-lui la paix.
- Ouais, ferme ta gueule, pour une fois. approuvai-je.
Perez me regarda de travers :
- On jurerait qu’il comprend tout ce qu’on dit. Il ne lui manque vraiment que la parole. dit-il, pensif.
Je lui adressai un clignement d’yeux appuyé. Soudain, mes oreilles se dressèrent. Je venais de percevoir un grattement caractéristique. Un mulot. Pas loin, juste à l’extérieur, le grattement venait de la fenêtre ouverte. Dix mètres. Douze tout au plus. Je sautai sur le sol avec un roucoulement, et bondis dehors en passant par l’ouverture. Je vis ma cible trottiner vers l’ordinaire. Ça, c’était une mission d’élimination pour Rambo. Ma spécialité. Exterminer cette racaille de rongeurs.
Et demain, j’irai régler leur compte à ces foutus piafs qui piaillent sous les fenêtres du capitaine. Pas pour rien que le vieux m’a à la bonne.
LA ZONE -
![[illustration]](/data/img/images/2025-10-06-rambo-big.jpg)
Ce militaire chevronné devra chèrement vendre sa peau pour assurer son salut.
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Je me suis bien fait surprendre avec le final twist qui redéfinit toute l'histoire aussi je me suis bien bidonné à la relecture avec toutes les subtilités croustillantes que j'avais loupé au premier passage.