Aujourd’hui, maman est enfin venue me chercher pour m’emmener au zoo. Elle me tient par la main pendant que nous marchons dans les allées. Je fais des grimaces aux singes et je leur parle. Ils me répondent en riant de toutes leurs dents et en se grattant la tête. Je profite que maman est en train de discuter avec le monsieur à casquette, ça doit être le général du zoo, pour me sauver et ouvrir la cage de mes amis les singes. J’aime pas les cages. J’ouvre aussi la cage des tigres et des lions, et je libère comme cela tous les animaux, les oiseaux, les serpents et aussi le vieil éléphant aux longues défenses. Pour me remercier, il m’attrape doucement avec sa trompe et me hisse sur son dos. C’est moi le nouveau général du zoo maintenant, le chef suprême de tous les animaux, qui m’obéissent au doigt et à l’œil. Je fais un geste, et le vieil éléphant se dirige vers la sortie, suivi par tous les autres, même le paresseux, les hippopotames et le gnou. J’aperçois maman qui court affolée en criant mon nom. J’aime bien ma maman, mais j’aime encore mieux m’amuser et lui jouer des tours. Après elle me gronde et je suis privé de chocolat.
Nous arrivons dans la rue, le vieil éléphant en tête du cortège, et moi sur son dos, comme un maharadjah hindou. Je salue à la ronde, les gens nous montrent du doigt en ouvrant grands leurs yeux, les enfants applaudissent et sautent de joie, les voitures freinent en faisant crisser leurs pneus, les conducteurs sortent en criant des insultes. Je me retourne, ils sont tous là, au milieu de la chaussée, suivant docilement le vieil éléphant. Au loin, je vois maman qui agite ses bras en ouvrant grand la bouche, mais je n’entends pas ce qu’elle dit. Puis, il y a le monsieur à casquette, l’ancien général, qui essaie de rattraper l’arrière-garde de son ancienne armée pour la ramener au bercail. Mais c’est inutile : c’est moi le nouveau maître. L’éléphant charge droit devant lui, les autres animaux se mettent à galoper, à courir, à ramper plus vite, à voler à tire d’ailes, et l’ancien général n’est bientôt plus qu’un minuscule point noir insignifiant à l’autre bout de la rue, avec un autre point noir derrière lui, aussi petit qu’une fourmi : c’est maman.
Aïe, la rue est barrée par des voitures et des camionnettes bleues, avec des lampes qui clignotent sur leur toit. Les sirènes hurlent et font peur aux animaux. On ne peut plus passer, et des soldats en uniformes bleus nous visent avec des fusils. Impossible de faire demi-tour : d’autres voitures bleues se rapprochent derrière nous, j’entends leur sirènes. Il faut foncer et passer coûte que coûte. Je fais un signe, et le vieil éléphant se met à galoper de toute la vitesse de ses vieilles jambes, il déploie ses oreilles qui battent l’air de plus en plus vite. Tout à coup, il fait un bond et s’envole par-dessus les voitures bleues des soldats médusés. Nous nous élevons dans les airs, dans le ciel bleu d’azur. Je jette un œil à l’arrière des troupes : tout va bien, les singes sont assis sur le dos de l’éléphant, l’un des tigres a saisi la queue du pachyderme entre ses crocs, et tout le monde suit à la queue leu leu, le boa fermant la marche de notre convoi aérien. Je dirige la manœuvre en inclinant les oreilles de l’éléphant, et l’ascension continue, toujours plus haut, à travers les nuages. Mais il fait de plus en plus froid, et nous volons dans une purée cotonneuse et humide. Les oreilles battent de plus en plus lentement et s’arrêtent soudain, pétrifiées de givre. Tous les animaux sont recouverts de glace ! L’éléphant plane encore quelques secondes et tombe comme une pierre dans le vide, il part en vrille et nous entraîne tous vers le sol à une allure vertigineuse. La terre se rapproche, elle grandit, grandit, grandit, et nous allons nous écraser comme des bouses de vache. Je veux hurler de terreur, mais aucun son ne sort de ma bouche, ma langue est gelée. Alors, le miracle se produit : le soleil a fait fondre le givre sur les oreilles de l’éléphant, qui peut les déployer à nouveau et s’en servir comme parachute pour se poser en douceur dans un champ de betteraves. Ouf ! Tout le monde va bien et nous pouvons continuer notre ballade. Fatigué par ces émotions et bercé par le tangage lancinant du rythme de l’éléphant marchant au pas, je m’endors profondément.
Je suis en train de faire un horrible cauchemar. Je suis dans une grande maison blanche avec des barreaux aux fenêtres. Quatre ou cinq types musclés, vêtus de blouses blanches, m’ont attrapé et ceinturé, et ils me conduisent de force dans une pièce sombre, à travers de longs couloirs sinistres. Ils m’allongent sur un lit, me ligotent avec des sangles, et me font des piqûres dans les fesses. Puis, ils me forcent à avaler des pilules bleues et blanches qui ont mauvais goût. Je fais semblant de dormir pour qu’ils me laissent tranquille, mais il y en a toujours deux ou trois qui me surveillent d’un air méchant. Leur chef revient bientôt avec tout un attirail compliqué de morceaux de ferraille, de câbles et de fils. Il passe un cercle de fer autour de ma tête, avec des fils qui sont reliés à une boite bizarre. J’ai peur, ils vont me faire du mal. Le chef actionne un commutateur sur la boite, et je sens une décharge électrique qui me picote désagréablement le cerveau et le crâne. Puis, une autre décharge, plus violente, plus longue, plus douloureuse. Ces types sont des fous, ils veulent me tuer ! Je suis tellement effrayé que je fais pipi dans ma culotte. A la troisième décharge, je m’évanouis et tout est noir…noir….oir.
Quand je me réveille, je suis allongé dans un pré humide de rosée. Mes vêtements sont trempés. Je suis seul, les animaux m’ont abandonné, parce qu’ils avaient faim, sans doute. Quel mauvais général je fais ! Où sont-ils à présent ? Au zoo ? Je regarde autour de moi, c’est bizarre, l’endroit me rappelle quelque chose, le pré et le petit bois où j’allais jouer quand j’étais enfant, avec ma petite sœur, et maman qui nous surveillait de loin. Maman ! Elle est où ma maman ? Oui, c’est ça, c’est bien le pré et le bois que je connais, et la maison n’est pas très loin, au bout de ce sentier. Et j’ai faim, moi aussi, maman me donnera sûrement quelque chose à manger, du chocolat, j’adore le chocolat.
La maison est bien là, et j’aperçois maman derrière la fenêtre de la cuisine, en train de cuisiner, comme d’habitude. Je crois qu’elle m’a vu aussi. J’entre, je m’approche d’elle, et tout de suite, elle me gronde : où tu étais, qu’est-ce que tu faisais, ça fait des heures que je t’attends, et elle n’arrête pas de parler, et moi, j’ai faim, et ça sent rudement bon dans cette cuisine. Elle prépare un gâteau au chocolat, et moi, j’adore le chocolat. Je ne réponds pas à ces questions, je lui demande simplement : j’ai faim m’man, je peux avoir du gâteau ? Elle dit que non, qu’on va bientôt manger, que je peux bien attendre, et que de toutes façons, je serais privé de dessert car je ne suis pas sage. Et elle continue de parler, de parler, et de crier après moi, tellement que j’en ai mal aux oreilles. Et je sens une sourde colère monter en moi, mes mains tremblent, je vois le couteau sur l’évier, je regarde maman qui crie toujours, le visage rouge, elle m’attrape le bras et va pour me gifler. Alors, ma main saisit le couteau et l’enfonce dans le ventre de maman. Sa bouche s’ouvre en forme d’œuf, ses yeux s’écarquillent, il y a du sang plein son ventre, ma main est pleine de sang, le sang gicle sur ma manche. Maman s’écroule sur le carrelage de la cuisine. Je hurle. Réveille-toi, maman, réveille-toi !! Je la frappe avec le couteau pour qu’elle se réveille, rien à faire. Il y a du sang partout, elle ne bouge plus. Je la secoue, secoue, secoue, je me jette sur elle et je pleure, un voile noir et rouge passe devant mes yeux, puis plus rien.
Je suis assis sur une chaise dans la cuisine. Il y a des messieurs en bleu et en blanc autour de moi. Il parlent entre eux : « ce type a poignardé sa mère de 30 coups de couteaux ». Quel type ? J’ai des menottes au poignet. Qu’ont-ils fait de maman ? Il n’y a plus qu’une silhouette de craie et une mare de sang sur le sol de la cuisine. Où est-elle ? Où est ma maman ? Je ne vois plus que des messieurs en bleu et blanc, certainement à cause des pilules qu’on me donne dans la grande maison blanche. Mais maman viendra me chercher demain, pour m’emmener au cinéma, c'est sûr.
LA ZONE -
MAMAN !!!! MAMAN !!!! Elle est où ma maman ? Quand est-ce qu’elle vient me chercher ? Je me suis perdu, je ne sais pas où je suis, allongé sur un lit, dans une chambre aux murs blancs, tout est blanc. Et je ne peux pas bouger. Je veux sortir d’ici, je veux rentrer à la maison avec ma maman ! Elle m’emmènera au zoo, elle m’achètera de la barbe à papa. J’aime bien aller au zoo avec maman, et manger la barbe à papa. J’ai sommeil, …ommeil…..eil.
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Un peu long mais j'aime bien la fin.
Apres avoir lu cette nouvelle je suis directement parti au supermarcher pour m'acheter une caisse de Bledina et 3 paquets de Huggies... là, je finis un biberon et je m'apprete à liberer tous mes amis les animos de la prison de la Santé... on va jouer a Christophe Lamber çà va etre trop rigolo !
Putain ça doit quand même être le classe totale d'avoir quelqu'un qui te torche le cul. C'est toujours ça de moins à faire quoi. Ouais vzavez raison, moi aussi je veux redevenir petit et éjaculer de la morve par les naseaux.
Ouais c'est mignon, bien écrit, mais c'est pas non plus à se taper le cul par terre. Y a un coté poétique sympa et les délires sont au moins originaux. Hélas, on a pas mal de textes en ce moment sur les maladies mentales, du moins qui se terminent en HP, c'est peut-être de là que vient un certain ennui à la lecture.
C'est pas mal foutu, le côté feedback..On plonge bien dans la folie.
Les délires sont bien sympas,mais c'est vrai que l'HP ça commence à devenir un sujet bien rôdé..Peut être qu'en trouvant une alternative à ça ca donnerait quelque chose de vraiment troublant..
Cela dit j'aime l'atmosphère du truc, et puis l'image colle bien au texte.Arg je deviens vraiment trop gentil dans mes commentaires.
Pour le début y'a quand mm bcp de repompage sur :
l'armée des douze singes, mooglie, dumbo et E.T. .
Sinon j'aime bien la maniére dont c'est écris, je veu dire par la que ça se lis tout seul.
A partir du moment ou il plante sa mére c'est quand même plus marrant, ca fais un peu d'action sympatoche.
Rien de trés innovant, mais c'est sympa
J'ai apprécié le style : le ton est infantile, mais guère simpliste. L'intrigue se déroule efficacement mais on sent venir la fin à trois kilomètres. Le coup de désorienter le lecteur en sautillant d'une scène à l'autre et en semant la confusion sur l'état dans lequel se trouve le narrateur (rêve ou réalité? présent ou flashback? boucle temporelle fermée?) ne fonctionne que si l'on a pas lu Cortazar. Franchement, la structure rappelle énormément celle de "La nuit face au ciel", dans "Les armes secrètes". Je l'ai senti trop vite et ça a gâché mon plaisir. Pas mal, malgré tout.