Malgré tout, j'ai bien dû accepter de réprimer mes pulsions de toute-puissance vengeresse. J'évitais déjà les autres au lycée, autant que possible. Serrer la main d'un type qui allumerait une clope une minute plus tard, c'était me mettre en danger, moi. D'expérimentation en frustration, j'ai glissé, au début de l'âge adulte, vers les frontières du monde des hommes. Après avoir accidentellement mis le feu au chat que j'avais reccueilli, j'ai commencé à avoir vraiment peur. Je crois bien que personne ne pourrait jamais m'aider, ma survie ne dépendait que de moi. J'ai commencé à porter des gants en permanence, à tamponner mes tempes avec un mouchoir, tout le temps. Et à rester encloîtré dans ma taule, le plus possible. Mes études ayant, comme on peut l'imaginer, capoté, je me suis dégotté un petit job de comptabilité en télétravail. Survivre, y avait plus que ça comme option. Dans le souvenir de la frénésie de feu qu'avait été mon adolescence, je trouvais une certaine force, celle du survivant. La résilience du type capable de marcher trente kilomètres au travers d'un champ de bataille en évitant les obus. Tout était à peu près clair dans ma tête, je crois. Je devais tenir. Tenir, tenir.
Ca a bien tenu deux ans, quoi.
Après, évidemment, tout a basculé. Quand les messages de Manon, une comptable de la boîte, ont commencé à devenir moins professionnels.