LA ZONE -

Comment perdre les JO : premier dialogue schizophrénique

Le 10/10/2005
par Johnny
Premier dialogue schizophrénique, où chaque phrase se lit comme une conversation avec moi-même et où chaque point représente un silence de plusieurs secondes.
Lance le javelot. Merde, mon lacet. Lance le javelot. Si je pars maintenant, je m'étale, c'est sûr, comme à Genève, l'année dernière. Souviens-toi des leçons de virtual combat : se battre, se battre, se battre, et lancer au plus haut, pour percer le ciel. Compétition de préparation pour les JO, qu'ils disaient. On appelle ça la méthode Coué. Tu parles. De l'autodétermination pour gagner. Un vrai nid de pubs à la con. Les perdants sont perdants dans leur tête. Ils disaient qu'on devait s'entraîner devant le monde entier, avec des compétitions de haut niveau et une médiatisation qui corresponde à l'événement mondial qu'on représentait. Redresse-toi. Mon cul, oui. Sois fier de ton corps. Porter la flamme, c'est bien, mais devenir homme-sandwich, porter des autocollants sur les t-shirts, faire la parade sur les camions publicitaires, boire les produits des sponsors en public, manger les produits des sponsors en public, rester deux heures dans un cyber café public sur les ordinateurs des sponsors, rouler en public avec les voitures des sponsors, prendre de l'essence en public dans les stations des sponsors, téléphoner en public sur le réseau des sponsors, payer en public avec les cartes bancaires de sponsors, et tout le reste. Souviens-toi, tu as porté la flamme. Ben justement.

Lance le javelot. Merde. Tous les résultats sont minables à côté de ce que tu as fait à l'entraînement. Les campagnes de pub, ça va bien deux minutes. J'ai suivi toutes les équipes depuis plus de trois mois. C'est plutôt eux qui s'en foutent plein les fouilles. J'en ai vu aucune qui a un athlète comme toi. Ouais, le bel athlète. Ils ont des techniques invraisemblables. Levé à six heures. Ils s'entraînent avec des cure-dents et des poteaux électriques. Courir pendant vingt minutes. Le but, c'est de lancer le cure-dent aussi loin que le poteau. Qu'il fasse beau, qu'il pleuve. Ils ont pris les conseils d'un statisticien Suisse qui leur a dit que, pour atteindre une moyenne performante, il fallait jouer avec les extrêmes. Et après, barres énergétiques. Ah, ah, jouer avec les extrêmes. En privé, c'est clair que c'est pas les barres énergétiques des sponsors qu'on nous donne. T'imagines, un cure-dent. Elles servent à rien, les barres énergétiques des sponsors. Et pourquoi pas un poil de cul aussi. C'est dégueulasse. Et pour l'extrêmement lourd, on prendrait la fusée Ariane. Que de la pub. J'espère qu'ils ont quelques bâtons intermédiaires. T'en manges un et t'as mal à l'estomac toute la journée. Crayons, lampes halogènes, tringles à rideaux, tout un appartement sur les stades d'entraînement. J'ai jamais eu autant envie de pioncer qu'après avoir avalé un mars. Et tu lances tout ça sur une autre planète. Ben justement.

Lance le javelot. Ça fait trois fois que je l'attache, ce lacet. Nous, on a des techniques sérieuses. Pas le temps de savoir pourquoi il tient pas. Rien ne vaut une bonne forme physique. Dès que je me baisse, j'ai les pâtes qui remontent dans l'estomac. Un travail sur le moral avant tout. Rien à foutre. Une véritable cure de victoire. Quand je serai à la retraite, je balancerai au monde entier qu'on nous dope et que les lacets des sponsors, c'est de la merde. Apprendre à gagner, à écraser les nuls. Ils vont avoir l'air fin, tiens. C'est pas le niveau des autres qui compte, c'est la capacité à écraser n'importe qui. Des milliers de Chinois au chômage parce qu'un athlète a vendu la mèche. On prend un nul, un bon, un très fort. Je vais inventer la chaussure sans lacets. Tu les écrases à l'aveugle. Je vais faire concurrence au sponsor. Un sac sur la tête. Les foutre sur la paille. Et puis, plus de pitié. Les pousser à vendre, à relocaliser, à payer des commissions d'experts, et dissoudre leurs conseils d'administration. Vlan, vlan, vlan. Y aura des grèves, des pauvres, des exclus. Dans la tête. Piquer les parts de marché et s'enrichir sur le dos des cancres. Que de la technique de vainqueur. Je vais m'installer dans un building de La Défense. Gagner, gagner, gagner. J'aurai des machines à café, des photocopieuses, des imprimantes laser, des secrétaires et des maîtresses. Tu lances le javelot droit au but. Ben justement.

Lance le javelot. Putain de lacet. Aussi léger qu'un cure-dent. Tant pis, j'y vais. Cours, cours, cours. Ah, les pâtes. La gazelle sème le lion. Une, deux, une, deux, une, deux. Plus vite. Pas trop vite. Cours. Lance le javelot. Attention, ton lacet. Ben justement.

Et merde.

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Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 10/10/2005 à 20:39:40
oups pardon... désolé de mon irruption impromptue... je vous laisse entre vous...
    le 10/01/2006 à 20:01:34
Ca fait du bien de retomber sur une perle.
Les trois dialogues schyzophréniques, c'est un exemple parfait de ce que j'aime en écriture : travaillé et peut-être plutôt réfléchi, pesé, jusqu'au dernier petit mot, mais qui tape quand même quand il faut. Parfait.
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 11/01/2006 à 00:56:32
Quand je pense que j'ai cru que c'était de toi. Du coup, c'est un peu comme si tu te masturbais par procuration en disant ça. Et à cause de moi, en plus. On devrait tous se taire jusqu'à la fin des temps, ça éviterait beaucoup de situations gênantes.

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