LA ZONE -

Un conte sur l'ombre et sur le feu

Le 22/10/2007
par Hag
[illustration] Et sous le ciel ocre des nuages lourds de poussières était la terre rouge, plat désert de roches écarlates et brunes s'étendant à l'infini dans toutes les directions, et seule, autour de l'horizon, une couronne de montagnes déchirées, toujours de l'oppressante couleur sang. L'air partout y était sec et brûlant, car il y avait par delà le ciel lourd un vieux soleil qui de lumière et chaleur irradiait la petite terre. Et posé au centre du monde était l'oeuf.
Il était gros et beige, palpitant des veines qui le striaient, posé sur au centre d'une obèse fleur de lotus mauve, et la lumière qui le traversait laissait deviner les formes qui doucement se mouvaient en son sein. La jeune fille s'étirait, l'oeuf était son palais, et la désolation son royaume, car de ces terres brûlées elle était la reine, gouvernant les roches de sang et les ombres tristes et sombres qui parfois s'y aventuraient. Elle s'étirait, et autour d'elle le temps coulait en ruisseaux, et les rayons de soleil qui de l'oeuf traversaient la chair éclataient sur la blanche peau et leurs éclats déments jouaient et dansaient autour du jeune corps. Elle était belle, c'était la reine.
Il s'était éveillé de mauvaise humeur, une fois de plus le réveil l'avait arraché des contrées du rêve. Il essaya de faire le vide et de se concentrer sur la journée à venir. Une journée au boulot. Il voyait embrumés les dossiers à traiter, repensa au client qui le faisait chier depuis une bonne semaine et qu'il faudrait recontacter une fois de plus. Il arriva au radar dans la salle de bain et prit une douche fraîche, mais qui ne parvint pas à l'éveiller autant qu'il l'espérait. Le peignoir lui fut agréable, et il se dirigea vers la cuisine, essayant de ne pas se dire que la journée allait être pourrie, son travail chiant, sa vie gâchée. Il se concentra sur le petit déjeuner, le même depuis des années. Le bol, puis le paquet de muesli, qu'il posa sur la table à la place habituelle. Il crut s'être rendormi, se demanda s'il s'était réveillé. Rien n'y fit. En face de lui, sur la chaise que personne n'avait occupé depuis des années, la jeune fille le regardait toujours. Puis elle avala un autre morceau de brioche.
- Chalut, lui fit-elle la bouche pleine.

[.]

- Qui... êtes-vous ?
- Tu ne me reconnais pas ?
- Euh... Eh bien... Je... devrais ?
- Comme tu veux. Appelle-moi donc Xy.
- Ça ne me dit pas grand chose.
- Ça sort pourtant de ton bouquin préféré.
- Je ne vois... Ah si. Tu veux que je t'appelle comme ce personnage ? Pourquoi ?
- C'est un joli nom. Mais bon. Bien dormi ?
- Mais putain qui tu es et qu'est que tu fais chez moi à sept heures du matin ?
- Tu finira bien par trouver je suppose. Bon, dépêche toi de manger, faudrait pas que t'arrives en retard au boulot. J'vais me doucher. A tout'.

[.]

Il n'avait pas eu la force de faire quoi que ce soit. Il était resté assis, et mangeait le regard vague, essayant de mettre de l'ordre dans ses idées. Il entendait la douche, il regardait le paquet de brioches entamé. Ce ne pouvait avoir été un rêve ou une hallucination. La douche coulait toujours. C'était pas elle qui payait l'eau. Son regard s'égara un temps au fond de son thé, il se sentait encore plus paumé, impuissant qu'il n'avait jamais été. Il se décida finalement à partir, pris le temps de vérifier qu'il n'avait rien oublié, essaya sans succès une nouvelle fois que faire le vide.
Il finit dix minutes plus tard, sur la quatre voie, par être sûr que jamais auparavant il n'avait croisé une telle fille et -et c'est ce qui l'inquiétait le plus- que jamais il n'avait parlé de Xy à quiconque.
- Tu vois vraiment pas ? fit une douce voix dans son dos.

Il parvint à reprendre le contrôle de la petite voiture.

- Bordel mais qu'est ce que tu fais-là ?
- Bon bon d'accord je part.
Il entendit s'ouvrir la portière derrière lui. Il regarda par dessus son épaule, la banquette arrière était vide.
Il hurlait, ses yeux s’embuaient, il se retint de piler. Il braqua, à peine arrêté sur la bande d'arrêt d'urgence il sortit comme un diable et remonta en courant la route. A sa droite le trafic battait son plein, les voitures lancées à 110 le croisait en rugissant, et il n'y avait rien. Il n'y avait rien. Il haletait, cherchait. Il n'y avait rien. Il revint à sa citadine, le moteur tournait toujours, les portes ouvertes. Il reprit sa place, accoudé au tableau de bord il se tenait la tête entre ses mains.
- Je suis fou.
- Ça arrive même aux meilleurs, chantait la voix de la fille à la place du mort.

[.]

- T'existe pas c'est ça ? C'est moi qui imagine des trucs hein ?
- Tu vois que t'as fini par deviner.
- Qu'est-ce qui se passe... Bon Dieu... Comme si j'avais pas assez de merdes comme ça.
- Bah au moins t'es au courant. Y'en a en qui deviennent complètement cinglés tu sais.
- Tu représentes quoi au juste ? Un psy imaginaire ? Ma meilleure amie ? Un fantasme, ma libido refoulée ?
- Ah on en arrive enfin au point clef.
- C'est-à-dire ?
- Je suis là pour que tu regardes.
- Qu'est ce que tu vas faire ?
- Je crois que tu as mal compris. C'est toi qui vas faire. Tu vas regarder.

De sa gracieuse main gauche elle plaqua brutalement le visage de l'homme anxieux contre le tableau de bord.


[~]


La nuit était sombre, sa respiration bruissait dans l'air humide, des feuilles mortes craquaient sous ses pas. Seul, à une centaine de mètres devant lui, un immense brasier. Que faisait-il là ? Il se souvenait qu'à l'instant auparavant c'était le jour, il n'était pas en ce lieu à sa place. Mais il se dirigea, égaré, vers le feu qui semblait vouloir caresser les étoiles.
En cercle autour du feu étaient assis des hommes qui à voix basse conversaient. Lorsqu'il arriva dans le cercle de lumière, ils se turent, et tous le regardèrent. Ils avaient les cheveux ou la barbe longs, étaient vêtus de tuniques simples et de capes de peaux épaisses maintenues par de complexes ornements de métal, certain portaient des armures faites de plaques de cuir ou de lamelle de métal, chacun avait à sa ceinture une dague. Celui qui parla était massif, il avait une voix rugueuse, mais au ton accueillant.
- Ah te voilà enfin. Sois le bienvenu, nous t'attendions.
- Comment cela ?
- Je t'en pris, prends place parmi nous. Tu auras bientôt toutes les réponses à tes questions.

On lui désignait une place vide, il s'y assit. A la lumière du bûcher il réalisa qu'il portait une tenue semblable à celle des hommes présents, on lui passa des morceaux de viande et de légumes dans un plat de métal chaud.
- Partage donc notre repas. Il n'est pas bon d'avoir le ventre vide.
- Mais...
- Ne pose pas de questions maintenant. Profite de l'instant. Cette nuit est douce, elle repose nos âmes. Nous allons chanter pour elle, mange bien, tu es notre hôte.

Bientôt leurs voix montèrent, graves, en un chant lent, calme, comme un souffle profond et interminable, une expiration complexe et puissante. L'air vibrait, la terre aussi, il s'établissait une harmonie pénétrant le monde. Ils chantèrent plusieurs éternités, alternant grave et aigus, mais sans jamais laisser leur voix faiblir, jamais le chant ne s'arrêtait. A peine osait-il manger, à peine bougeait-il, pétrifié, de peur que ses gestes ne détruisent l'harmonie. Le feu même semblait crépiter à l'unisson, la froide clarté stellaire se taisait, l'univers autour d'eux s'était replié.
Et il advint que l'éternité finit.
Les voix tombèrent comme le vent tombe, et s'abattit le silence. Le feu craquait toujours. L'air ne bougeait plus. Puis celui qui semblait être leur chef se leva, finalement, bientôt suivi de ses semblables, et il demanda à l'homme de les accompagner. Certains avaient allumés des torches, ils éteignirent le grand feu et tous cheminèrent en silence sur un sentier discret à travers une lande sèche et épaisse qui crissait sous les pas. Rapidement un étrange bruit se fit entendre, et qui croissait à mesure qu'ils progressaient. Après quelques minutes ils débouchèrent sur ce qui se révéla être le sommet d'une falaise, et qui surplombait de fort haut la région. Il vit. Loin, en contrebas, il y avait des tentes et des feux, formant un camp immense, qui s'étendait jusque par delà l'horizon. Partout, la plaine était constellée des lumières des torches, comme le reflet du ciel étoilé, et partout dans cette infinie ville de toile les gens chantaient à l'unisson ce même champ grave, qui résonnait et faisait trembler la terre.
- Attends ici, quelqu'un va venir. Quelqu'un que tu veux voir, crois-moi. Nous ne restons pas, nous devons rejoindre les nôtres et communier ensemble, car demain sera une journée unique entre toutes.

Alors ils descendirent le long d'une étroite sente à flanc de falaise, guidés seulement par leurs torches qui, à mesure qu'ils s'éloignaient, devenaient un petit serpent de lumière dansant dans le noir.

Il resta seul, en haut, et contempla encore la mer de tentes et sa longue musique. Il se laissa aller sur le dos, et regarda les étoiles. Un frisson le parcouru, aussi à cause de la douceur nocturne et de sa douce humidité qui sous ses doigts nimbait l'herbe d'une agréable fraîcheur. A l'unisson du peuple de la plaine il commença à laisser aller sa voix. Les yeux clos il flottait maintenant, sentait son corps tourner et son esprit s'élever, doucement, un peu plus haut, encore. Une main sur son épaule le fit redescendre. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il vit, penché sur lui, un visage dans l'ombre d'une cape. Seul, à la clarté lunaire, il pouvait percevoir le sourire, celui d'une jeune fille. Celui de la jeune fille.
- Bonsoir, lança sa jolie voix.

[.]

- Quel est cet endroit ?
- Son nom ne te dirait rien. Ce n'est pas un endroit que tu pourrais avoir déjà connu, il était bien trop éloigné de toi. Si ça peut te rassurer, appelle cet endroit la Péninsule, c'est comme ça que l'appelle tous ces nomades. Ils ne sont pas d'ici non plus.
- Qui sont-ils ?
- Les descendants de peuples vivant loin au nord, et qui il y a des générations, pour un motif oublié depuis longtemps, ont déserté leur région pour envahir celle-ci. Ce sont devenus des conquérants, ils n'ont plus ni racines ni objectif. Alors ils marchent et conquièrent ce qui croise leur route. Ils savent aussi qu'après leurs générations d'errance, ils ont ravagés la Péninsule entière, et demain la dernière citée de la dernière région de ce vieux continent disparaîtra à son tour. Demain soir leurs vies perdront leur sens.

Elle regarda vers l'est.
- Le soleil se lèvera dans moins de deux heures. Maintenant allons nous reposer, demain n'aura pas de nuit.

Il la suivi sur le même sentier qu'avait empruntés auparavant les hommes des tribus, et lentement descendirent dans le campement dément. Ici le silence régnait désormais, les flambeaux s'étaient aussi tût, tous se reposaient de la journée à venir. Ils croisèrent les silhouettes de rares sentinelles avec qui elle échangea un signe de tête. Puis, perdue dans l'immensité, se trouva une tente dans laquelle elle le fit entrer. Il y avait un lit, elle lui dit de bien se reposer. Elle repartit dans les ténèbres. Il se retrouva seul, et le lit lui fut confortable. Alors il dormit.

[.]

A son réveil, malgré le soleil haut, on n'y voyait guère, une épaisse brume s'était levée. Le camp était presque vide, seules quelques ombres s'y aventuraient encore, les armes n'étaient plus sur les râteliers. Il suivit les nombreuses traces de pas constellant le sol boueux, qui toutes semblaient se diriger dans une même direction. Il marcha longtemps parmi la jungle des tentes, avant de rencontrer les premiers guerriers. Ils étaient cinq, assis en cercle sur des bancs, et disputaient une sorte de jeu de dés. Quand ils le virent, ils le saluèrent brièvement.
Au fur et à mesure qu'il progressait, il rencontrait de plus en plus de ces soldats, tous semblaient attendre patiemment. Bientôt, où qu'il pose les yeux, il voyait ces hommes et femmes, l'épée au côté, tous parlaient, mais à voix basse, et le silence planait sur cette armée. Il resta observer les armures disparates de cuir ou de métal, couvertes de milliers de symboles comme autant de clans rassemblés. Beaucoup jouaient, certains allongés sur des draps se reposaient, quelques uns écoutaient les histoires contées à voix basses par les confrères. Il rejoignit l'un de ces groupes, on le laissa sans un mot pénétrer le cercle. Celle qui racontait était une femme, au visage triangulaire, et à la bouche au sourire immense. Dans son dos elle portait une épée. Elle parlait de l'histoire d'un homme qui vivait de nombreuses aventures en compagnie d'un ami fait d'un ancien adversaire qu'il avait défait, et ensembles ils arpentaient la Terre.
Ils vivaient de la nature et du larcin, ils se battaient comme des dieux et personne ne pouvait les attraper. Ils se parlaient longuement de leurs cultures, et discutaient de l'ordre des choses. L'homme était fataliste, il disait qu'un destin l'attendait, et que tous les chemins l'y menaient. Il avait le choix de sa vie, et en disposait librement, car il savait que la fin était écrite. Son ami pensait que c'était à chacun de faire sa voie, et qu'en chacun était le chemin et vers la gloire comme vers l'oubli, et que seuls nos choix décidaient de notre sort. Pour l'un la mort était le commencement d'une nouvelle vie, pour l'autre la fin de toute chose. Ils étaient si différents et souvent se disputaient, mais chacun en l'autre reconnaissait un complémentaire. L'entité formée par ce couple était parfaite. Et leurs aventures merveilleuses.

[.]

Un homme vint briser le cercle, coupant net au récit. Il dit que le moment était venu, de se mettre en route, il indiqua une direction. Rapidement, chacun partit dans la brume vers le point de ralliement de cette armée immense. Le silence était tendu. Lui ne bougea pas, il sentait venir un combat dans lequel il n'avait pas sa place. Il s'assit, sur un banc déserté, l'humidité ambiante collait à sa peau. Une silhouette vint s'asseoir à ses côtés. Il la reconnut sans qu'elle ait à se montrer.
- Où vont-ils ?
- Ils assiègent la cité, la dernière citée. Ils vont la contourner dans la brume pendant qu'une moitié fait diversion.
- C'est risqué non ?
- Non. La situation les avantage, et ils sont en nette supériorité numérique. D'ici une ou deux heures l'affaire sera réglée. Il nous reste peu de temps à attendre.
- Attendre quoi ?
- La fin des combats.
- Et après ?
Un sourire oblique lui barra le visage. Elle n'ajouta rien. Elle commença à chantonner de jolie façon, et il resta à l'écouter.

[.]

Elle se tût, s'étira. Elle se leva, le regarda avec un grand sourire.
- On y va.

[.]

Elle le guida à travers la brume, s'enfonçant à travers des prairies que l'on devinaient piétinées récemment par des milliers de pas. Après environ une heure de marche, il vit poindre à travers le brouillard la masse proche d'une imposante construction. C'étaient en fait d'immenses murailles, semblant s'étirer à l'infini. Tandis qu'il s'approchait, il vit les centaines d'échelles toujours dressées, et au pied des murs, la couche de corps amoncelés. Certains étaient tombés des murs, d'autres tués par des projectiles. Rien ne bougeait plus, comme un tableau figé dans un silence mortel. Les deux voyageurs ne s'approchèrent pas, mais poursuivirent leur chemin parallèlement aux remparts. Puis enfin ils trouvèrent la porte.

Ses deux battants épais de bois renforcés de ferrures complexes gisaient brisés sur le sol boueux. Et de l'intérieur de la ville montait une immense clameur. L'entrée de la ville donnait sur une vaste place, et on y avait dressés de gigantesques bûchers, alimentés du bois des maisons. En chaque endroit se pressaient les nomades victorieux, ils désossaient les habitations, les pénétraient à coup de hache ou de masse improvisée, en ressortait chargés de nourriture, de boissons, qu'ils amenaient sur la place, préparant le festin des vainqueurs. Elle ramassa deux bouteilles parmi la masse de victuailles rassemblées et lui en tendit une, elle trinqua, et l'invita à boire. L'alcool était brûlant mais laissait dans la bouche un goût fruité. Il prit une autre gorgée. Tous deux se joignirent à un groupe qui déjà mangeait la viande cuite sur les feux. Ils les accueillirent joyeusement, partagèrent leur repas, burent ensemble. Il resta écouter un immense homme à l'armure déchirée raconter en riant comment il avait tenu tête seul, à cinq ennemis, avant de les défaire un par un. Il se joignit à des chants dont il ne comprenait pas le sens, riait d'histoires tristes, se liait d'amitié avec ces étrangers qui lui offrait une place parmi eux. La place était infernale, les brasiers magnifiques s'ébattaient dans des rugissements assourdissant, menaçant de calciner tout chose alentour, et c'était des milliers de personnes qui circulaient, fêtaient, dînaient autour de ces bouches de feu qui éclairaient d'une lumière infernale les dernières lueurs du soleil couchant.
Il y eu un grand cri, suivit de nombreux autres, et arriva sur la place un troupeau de centaines d'habitants terrifiés rabattus par des guerriers les effrayant en hurlant et frappant. Ils se déversèrent dans la masse grouillante des fêtards, comme de l'essence sur un feu. Il n'y en eu pas pour tout le monde, et beaucoup en furent désappointés. Si les femmes et les filles pouvaient servir plusieurs fois, beaucoup d'hommes étaient trop simplement tués, jetés dans un brasier, trop rapidement torturés. Il en fallait plus, lui et ses compagnons ne purent mettre la main sur une victime, alors, et comme de nombreux autres groupes, il se jetèrent dans les entrailles de la ville, pour y piller, pour y saccager, pour briser ce qui tenait encore debout, pour souiller ce qui était encore beau, pour profaner et marquer dans la chair la cité vaincue.
Ils sont en marche.
Ils rient comme si ils étaient des titans foulant la ville de leurs pas, où qu'ils posent leur regard ils pensent qu'ils en sont les maîtres, mais les rues sont vides, et les maisons muettes et ne savent où chercher. Ils s'impatientent. Alors devant eux ils voient fuir une famille qui ne les a entendus. Ils tombent sur eux comme des fauves hilares, et les plaquent au sol, violemment. Il y a là un homme, une femme, leur deux jeunes filles, et ils rient derechef, ne croyant à leur fortune. Ils relèvent leurs proies chancelantes, et on procède au partage. Il manque d'expérience dans ces choses, ne sait que dire. On lui propose la fille aînée, il accepte. Le groupe se scinde. Lui, en compagnie de deux autres et de la fille, s'en vont dans une cour proche.

[.]

Elle était repliée sur le sol pavé, n'osant regarder ceux qui la contemplait. Elle était jeune, paraissait minuscule face aux hommes qui l'entouraient. On la releva, tirée par les cheveux. On décida de jouer un peu. En triangle ils se la passaient, la jetant avec force au suivant qui l'accueillait d'un poing. Puis ils relevaient le petit mannequin, et repartaient pour un tour. Comme il retenait ses coups, on lui dit.
- Ici jamais tu ne pourra être jugé de ce que tu fais. Nous sommes la nouvelle loi. Laisse-toi guider par tes envies, donne forme à tes fantasmes, c'est le mot d'ordre. Si tu ne t’amuses pas maintenant, jamais tu ne le pourras. Et si la poupée casse, on en trouvera une autre. Amuse-toi.
Alors il voulut s'amuser. Il voulut se libérer du fardeau de la retenue, il voulut ressembler à ces êtres qui respiraient au plus haut point la force et l'assurance, il ne savait pas qui il était mais voulait désormais être libre. Sous ses poings serrés, la petite chose gémissait pitoyablement. Il la frappait, la rattrapait avant qu'elle ne s'effondre, et la jetait au suivant. Le jeu s'accélérait, la poupée trimbalée ne trouvait plus les forces pour pleurer tant les coups lui coupaient le souffle. Elle haletait, elle ne tenait plus sur ses petites jambes, alors on la laissa à terre, brisée. On la laissa reprendre son souffle, gentiment. Elle finit par ouvrir ses yeux humides, le visage tuméfié tordu par la souffrance elle essayait de regarder ses tortionnaires. A mesure que son souffle revenait, on entendait ses sanglots bruyants, entrecoupés de cris de douleurs quand qu'elle essayait de bouger.
Jamais de sa vie il n'avait admiré pareil spectacle, et hésitait encore entre l'horreur et la fascination. Il croisa le regard de ce reste d'enfant, dans ses yeux la lune faisait briller les larmes.

[.]

On s'est bien amusé, mais le corps ne tiendra plus longtemps, alors on jette la poupée contre le mur, on la redresse et la plaque contre les pierres. On lui laissa l'honneur. Il maintient fermement contre le mur la nuque du pantin gémissant, et de l'autre main prépare son affaire. Il se lance.

[.]

Le cadavre est encore chaud, on l'abandonne dans la cour, le dernier guerrier achève tout juste de réajuster son pantalon. On repart dans la rue attendre les autres. Ceux qui s'occupaient de l'autre fille ont déjà fini. Rapidement le groupe se reforme, ceux qui s'amusèrent avec la femme sont hilares et couverts de sang. On reprend le chemin, satisfait. Au détour d'une ruelle les murs des maisons sont éclairés d'une puissante lumière dansante.

En en cherchant la source ils arrive sur une esplanade. Ici est une des bouche de l'enfer, entre des bûchers d'une hauteur phénoménale dans laquelle sont jetés des habitants qui s'y consument en crépitant et craquant, sont creusées des fosses remplies d'hères misérables, et dressés jusqu'au ciel des poteaux, immenses gibets chargés de leurs lourds fruits encore geignant, les allées sont bordées en tout sens de pals formant par endroit de par leur taille des forêts ruisselantes d'humeurs. Les flammes démentes brûlent les yeux, et entre les pavés des torrents de sang et d'alcool qui vont alimenter les feux ou remplir les fosses. Au milieu de ce chaos dantesque se promènent les envahisseurs. A mesure qu'ils s'approchent d'un de ces trous, ils voient, entassés, ces êtres qui les regardent passer, certains résignés, d'autres terrifiés, parfois certains éclatent de haine et invectivent leurs bourreaux, essayant de grimper hors des fosses communes. Ceux qui ne sont pas repoussés d'un pied dans la tête sont relevés et amenés à garnir le prochain pal, à se balancer au prochain gibet, à être jeté dans les flammes et parfois dévoré, cuit, brûlé, ou vif. On se divertit en lançant des pierres ou des brandons enflammés sur ces tas humains. Ils meurent, mais toujours des groupes de guerriers en ramènent d'autres des boyaux de la ville, et sont versés pêle-mêle dans ces trous où ils viennent piétiner les corps de leurs semblables. On moissonne la ville, on fouille les abris, on ouvre les caves et les armoires, tout les habitants sont rassemblés, acheminés vers ce centre d'anéantissement infernal pour venir agrandir les grands trophées de chair, ils ne sont que la matière première d'une oeuvre cruelle, belle pour ceux qui la façonne, les sculpteurs à la hache.

La petite compagnie se noie dans ce délire fantastique, hypnotisés par les flammes qui éclairent violemment les milliers de corps suppliciés hurlant, gémissant, pleurant, criant, implorant dans une discordante et étourdissante symphonie confuse et belle. On contemple le spectacle en riant, on torture en chantant, on tue à la chaîne avec délice, les bras et l'armure de chacun sont maculés de sang, on mange et on bois, on viole et on massacre, le bétail est inépuisable, et ils goûtent à la viande humaine, festoient de chair et de sang, font des orgies au pieds des pendus. Au centre de la place il voit une estrade sur laquelle diverses personnes, de tout âge et de tout sexe, sont méthodiquement dépecées. Nombreux sont ceux qui assistent au spectacle, on entend à peine les cris parmi le rugissement de la foule et du feu. Il va boire aux tonneaux d'alcools qui sont partout, il aide un temps un petit groupe à mettre toute une famille sur un même pal, leur exploit ne passe pas inaperçu et les enthousiastes cherchent immédiatement à battre le record. Plus loin des hommes ont le sexe coupé et cousu dans la bouche, et pour les femmes les seins arrachés et cousus de pareille manière. Là on vérifie combien de temps survit un enfant l'intestin à l'air, ici on observe danser sur le sol des femmes aux yeux arrachés. Le spectacle est partout, chacun s'improvise créateur, façonnant les corps, perçant, coupant les victimes hurlant à l'unisson leurs fascinants cris de douleurs. Il se perd en contemplation, à chaque coup qu'il donne il plonge plus loin dans l'ivresse, alors il ne fait plus qu'un avec la foule des tueurs, à son tour il s'offre entier à l'orgie apocalyptique, au massacre divin, le feu rejoint l'odeur nauséeuse du sang, les cris se mêlent au champs, du carnage naît une émotion magnifique qui transcende les bourreaux, les artistes qui sculptent la chair et peignent avec le sang, ceux qui se repaissent des mortels dans les fosses.
Sublime sensation de puissance et d'accomplissement.

[.]

C'est fini, la réalité se rétablit, chassant l'enfer paradisiaque, les feux meurent doucement. Derrières les murailles poind l'aube, on massacre ceux qui ne sont pas encore mort. On enjambe les cadavres déchirés, démembrés, brûlés, ou encore les compagnons vaincu par la fatigue des libations qui dorment dans les flaques d'indistinctes substances nauséabondes. Les gestes sont moins sûrs, on trouve encore la force de tuer, machinalement, sans raffinement, rapidement.

Il erre hagard dans les décombres de l'enfer, ne sachant trop que faire. Les milliers de pendus s'agitent toujours doucement à chaque souffle de vent, plus personne ne chante au pied des pals qui puent la mort. Il trébuche parfois sur des débris, humains ou non. Finalement il atteint le bout de la place, et s'enfonce dans une rue. Il entre dans la première maison à la porte ouverte, trouve un fauteuil dans lequel il s'affale. Ses paupières s'effondrent, il sent le sommeil l'envahir. Un bruit encore.
- Alors, c'était bien ?

La voix de la jeune fille perçait doucement le silence.

= commentaires =

nihil

Pute : 1
void
    le 22/10/2007 à 19:56:43
Message complémentaire de l'auteur (béni soit-il) : C'est long et incompréhensible (et poliorcétique). J'écrirai sans doute une suite qui vous permettra d'entraver quelque chose (oui, ce bordel a une explication -mais je n'irai pas jusqu'à dire rationnelle), en attendant, enjoy the show.
MonsieurMaurice
    le 22/10/2007 à 20:02:49
Avec un peu de chance, Hag sera fusillé comme Guy Moquet
nihil

Pute : 1
void
    le 22/10/2007 à 20:16:21
Les collégiens à qui on lira son texte dans 50 ans risquent de s'endormir avant la fin par contre.
B52

Pute : 0
    le 23/10/2007 à 00:06:28
Moi aussi j'aime les brioches!
Traffic

Pute : 1
    le 23/10/2007 à 14:23:25
J'aime bien les textes de Hag.

Il y a toujours quelque chose d'épique et le coté incompréhensible fait qu'on s'accroche aux descriptions avec intensité.

Comme l'écriture est bien léchée, moi j'adhère.

MonsieurMaurice
    le 23/10/2007 à 18:46:05
Maitre Nihil;

[.]
[.]
[.]
[~]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]
[.]


signifisse-t-il qu'il y a eu de la censure sur Ze Zaune?
MonsieurMaurice
    le 23/10/2007 à 18:46:36
j'ai oublié les " et les "
MonsieurMaurice
    le 23/10/2007 à 18:47:16
putain avec deux graames qu'estce qu'on se sent super bien
nihil

Pute : 1
void
    le 23/10/2007 à 19:19:46
Censurer, moi ? Jamais. Je me contente de supprimer la moitié des textes juste parce que je les aime pas. Non je sais pas c'est un genre de mise en forme à la Bioman souhaitée par le connard d'auteur.
MonsieurMaurice
    le 23/10/2007 à 20:15:47
OK
Moi je n'autrais laisé que les [.] et enlevé le reste
Hag

Pute : 2
    le 23/10/2007 à 21:27:03
[.]
Marvin

Pute : 0
    le 24/10/2007 à 23:48:03
zdoing zdoing, bruit de cythare.
Bordel, c'que c'est bon.
Béatitude en technicolore.

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