LA ZONE -

Métal métaux

Le 02/08/2008
par Erruer
[illustration] Il y a en tous cas quelque chose qui ne m'a jamais manqué dans ma vie, c'est le métal.
Petit j'étais chez mes grands-parents à la campagne....quelques images : la lame du couteau du grand-père ; pliable, bien sûr, chaude dans la poche. Il l'avait tellement affûtée qu'elle avait pris une forme, comme une aile, mince, aiguë au bout. L'acier ressemblait à de la soie grise, avec son fil capable d'ouvrir n'importe quoi, d'un seul trait.
C'était pas pour les enfants. On regardait seulement, les yeux à hauteur de table, d'établi, de toiles cirées crades, de bois verni. Le couteau partout faisait son office sur le cuir, la ficelle, la mine noire des crayons, le pain, le cou des poules où il entrait si facilement pendant que je tenais l'assiette, et qu'elles remontaient leurs paupières du bas en gloussant et battant des ailes.
Le métal à la campagne est plutôt épais, brun, piqué. Il tient tout. J'avais toujours du métal glacé ou tiède sous les doigts, dehors, au soleil été comme hiver, parce que je ne faisais rien je crois sauf regarder tout. Il y avait aussi les casseroles bombées de la grand-mère, le tampon d'acier avec lequel elle grattait les fonds brûlés. Et la vieille tondeuse qui faisait une fumée bleue au démarrage et qui a coupé trois doigts du grand-père, trois doigts dans l'herbe, le sang sur le vert de l'herbe faisait rouge et marron, caillait noir. Le métal est l'ennemi de la chair.
Après je suis allé chez mes parents.
J'ai passé beaucoup de temps sur le balcon de leur appart, l'immeuble de la cité d'urgence, gris, avec ses traînées plus foncées au coin des rebords, les stores penchés, couleur caramel. Je me souviens qu'à l'angle de la porte-fenêtre il y avait la cage du canari qui est mort à la fin parce que mon père prétendait qu'il avait encore des graines, alors que ce n'était que les enveloppes sèches. La rambarde peinte avait un goût froid et spécial sous la langue. Je la suçais tout le temps. J'étais accroupi, je suçais les angles des barreaux, je les prenais dans ma bouche. Je fermais les yeux quelquefois tellement c'était laid à voir ces pelouses râpées, ce ciel bas. La porte-fenêtre était fermée, pas la peine de pousser il fallait juste attendre que le temps ait fini de passer, les mains dans les poches. Je suçais aussi la cordelette de mon anorak, quand j'avais eu le temps de le mettre. Elle était salée et raide, je la mâchais, broyais un peu entre mes molaires. Il y avait aussi la fermeture éclair qui pince la peau du cou, la peau sous le menton. Je posais ma langue derrière les petites dents engrenées. Ma mère devait respirer mieux quand je n'étais pas dans l'appart. Elle m'ouvrait quand même avant que mon père arrive.
Ils étaient plutôt d'accord contre moi, les dresseurs de canari, et quand ça commençait, le soir, ça montait très très haut. J'ai souvent cru que j'allais y passer aussi, à la fin des longues scènes de rage, à la fin des coups qui paraissaient toujours différents, nouveaux, pires et imprévisibles. En salves entrecoupées d'accalmie, ou bien ils se relayaient. Mon coeur battait fort, je le sentais presque remonter en cognant, lui aussi, dedans.
Mais parfois c'était entre eux. Je me souviens des couteaux qui sont sortis des tiroirs deux ou trois fois ; d'une main entaillée largement en arrêtant un coup. Je me souviens de mon père pointant son couteau sous sa propre gorge en hurlant.
Le lendemain, quand je goûtais en rentrant de l'école je les regardais, bien tous dans le même sens, dans le tiroir. Ils avaient l'air plus vivants que moi, au repos et tranquilles, leur lumière trouble, avec leur sale petite gueule de requins sans mâchoire, avec leurs dents de scie, leur manche et leur pointe. Il y a un truc que je n'arrêtais pas de me dire, c'est qu'ils avaient l'air pareil mais qu'ils étaient différents. Si j'avais fait assez attention j'aurais pu voir comment chacun était unique et différent des autres, j'aurais compris ce qu'ils pensaient.

Tout ça c'est banal. Personne ne m'a tué. En grandissant la peur s'est enfoncée dans une sorte de fosse - de plus en plus profond - j'avais du mal à la sentir encore dans cette espèce de pénombre qu'on a à l'intérieur. Un jour elle n'était plus qu'un petit rai de lumière glacée que je pouvais rappeler à volonté, et ce jour-là mon poing est parti tout seul dans la gueule de mon père et on ne m'a plus du tout embêté. Au lieu du balcon j'ai eu les pelouses et leurs talus et les chemins de terre tassée qui les parcourent comme un réseau qui ne va nulle part, et les entrées d'immeubles et les grillages des caves individuelles. Bref, ce qu'on voit tout le temps à la télé. J'ai eu un couteau aussi. Il y a eu les disques de métal sombre de la salle de muscu où m'avait inscrit un des éducateurs de rue. Je suis devenu presque comme du métal moi aussi, juste un peu de chair chaude autour comme un habillage, qui saignait quelquefois. Le métal est l'ami de la chair.

Et puis je suis entré à l'armée.
Saigner m'étais si peu sensible, comme avoir des hématomes, l'indifférence complète. Les unités d'élite ça vous mâche peu à peu comme un long combat. Je tenais la fraîcheur des armes dans mes mains, elles étaient fines et élancées, neuves, et si inutiles. J'ai appris à ne pas perdre une seconde à penser, à laisser les mains faire leur geste, les cuisses obéir aux ordres d'un autre. Quand on était tous en tenue, avec nos cagoules, comme les nombreux doigts d'une main, il y avait quelque chose en moi qui se serrait.
Mais c'est partout pareil. Je dois avoir un truc qui attire la haine. Quand le nouveau chef est arrivé j'ai su tout de suite - et il a commencé avec moi.
Pas des coups, autre chose. Je n'ai pas envie d'en parler.
Voilà quatre ans que ça dure, je n'ai aucune issue. Les autres sont trop contents que ça ne tombe pas sur eux. Ils ne me regardent plus maintenant, dévient les yeux quand il s'y met.
Hier en préparant mon arme j'ai regardé les cartouches à blanc et puis juste comme ça j'ai ouvert une boîte de vraies à côté. Elles étaient bien plus vraies : leur forme, leur poids - je les regardais et peu à peu j'ai eu l'impression que tout était fini depuis longtemps, comme si j'étais un mort qui se rappelle.....elles étaient là avec leurs douces pointes toujours frustrées et leurs yeux qu'on ne voit pas. Je les ai mises à leur place, celle qui leur va, dans le ventre de l'arme ; l'une après l'autre elles glissaient, disparaissaient. Je savais qu'elles seraient libérées d'un seul coup.
Comme je n'existais plus, les autres étaient des fantômes aussi, des gens en deux dimensions comme du carton. J'ai senti que je n'avais plus du tout peur, je pouvais faire tout ce que je voulais puisque rien.
J'ai écrit à mon père de regarder la télé. Il habite pas loin mais il ne sort plus du tout, c'est lui le canari maintenant.
La journée a été comme un éclair lent, comme un couloir. Avec au bout cette foule de gens tous pareils. Femmes, hommes, enfants, c'était le même qui me regardait avec fixité. Et moi je m'était coulé dans la cagoule, je léchais de l'intérieur le tissu fin et noir, mon haleine dedans, j'avais l'arme lourde et suante, j'avais l'uniforme, un mannequin en de nombreux exemplaires qui joue un spectacle, un ballet très répété.
Et il y avait encore un truc vivant dans tout ce film : mon index droit, qui bougeait.



= commentaires =

Kwizera

Pute : 1
    le 02/08/2008 à 19:26:12
Je dois être un des amis tafioles dont parle le résumé puisque j'ai beaucoup aimé ce qui y est moqué. Et qu'en revanche la fin ne m'a pas plu du tout, à partir de l'armée. C'est là pour moi que ça devient un truc de tafiole gémissante et sans intérêt.

Bon le reste n'est pas parfait non plus, ya deux trois phrases très moches, et surtout celle là :
"Si j'avais fait assez attention j'aurais pu voir comment chacun était unique et différent des autres, j'aurais compris ce qu'ils pensaient."
nihil

Pute : 1
void
    le 02/08/2008 à 21:20:28
T'étais évidemment le premier visé par mon résumé. Forcément, à force de se balader avec une plume de paon dans le cul...
Kwizera

Pute : 1
    le 02/08/2008 à 21:37:08
c'est une private joke tellement private que t'es le seul à la comprendre ?
nihil

Pute : 1
void
    le 02/08/2008 à 22:58:16
SKOOL BABOULE SPERMKUBE DIEU-COCHON 10000 BITES
Tagueulpute.
Glop-glop

Pute : -1
    le 03/08/2008 à 13:11:15
Ce n'est pas du tout comme ça que ça s'est passé ...
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 03/08/2008 à 16:17:33
Je signale aux bleus de la promo 2008-2009 de la Zone que cette initiative etait un bizutage.
Konsstrukt

Pute : 0
    le 03/08/2008 à 18:07:52
j'aime bien, quelques petites longueurs ; le passage sur l'armée est hors-sujet je trouve, il injecte de la narration là où il n'y en avait pas besoin.
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 03/08/2008 à 21:57:26
C'est agréable à lire, sauf qu'on a l'impression que la dernière partie a été rajoutée plus ou moins à la hâte pour faire coller le texte au sujet.

"Pas des coups, autre chose"... Privé de dessert à la cantine ? Tu peux en parler sur la zone sans t'autocensurer.

Et je désapprouve que l'on s'en prenne aux institutions républicaines.
El Duc
    le 03/08/2008 à 22:18:33
Et vive l'empereur
Konsstrukt

Pute : 0
    le 04/08/2008 à 09:25:26
ouais, d'accord avec dourak. mais je pense que le "pas de coups, autre chose" est une notation psychologique : c'est tellement cruel et affreux que le narrateur ne peut pas en parler. ce qui fait tomber à plat l'idée, ici, à mon avis, c'est que justement le narrateur est présenté comme un type très analytique, et qui maîtrise le langage. donc, il devrait pouvoir en parler. on peut même supposer qu'écrire ce texte est pour lui l'occasion d'en parler. du coup, ça paraît bizarre qu'il se taise au dernier moment.
-Nico
    le 04/08/2008 à 10:43:50
Je désapprouve qu'on parle de notions psychologiques.

Le "Pas des coups, autre chose. Je n'ai pas envie d'en parler." m'a particulièrement ulcéré, ce genre d'interventions a posteriori du narrateur pour renforcer le bouglibougla dramatique, pure forme sans rien dire. Ca me rappelle les phrases ignobles qu'on peut trouver chez Rousseau au milieu d'un passage un peu triste "La plume m'en tombe des mains" etc etc.

Sinon je me suis un peu ennuyé. L'espèce de monotonie amorphe est bien rendue, mais le lecteur est aussi emporté dans l'ennui.
Konsstrukt

Pute : 0
    le 04/08/2008 à 14:15:49
notation, pas notion.
Marquise de Sade

Pute : 0
    le 04/08/2008 à 21:01:19
"L'espèce de monotonie amorphe est bien rendue, mais le lecteur est aussi emporté dans l'ennui. "

Pas LE lecteur, mais toi, parce que moi, lectrice aussi, je ne me suis pas du tout ennuyée.

J'oublie la première partie chez les grands-parents qui n'apporte absolument rien du tout, ni au personnage, ni à l'histoire, et je ne garde que la partie chez les parents.

Pour moi, c'est la meilleure, je la trouve excellente dans de nombreuses phrases.
J'ai aimé la fin également, un peu moins, mais quand même, pas mal du tout pour moi.

Je retiens aussi que ce texte est écrit suite au fait divers proposé en forum, donc qu'il est logique que l'armée et son cortège de cons fassent partie de l'histoire.



commentaire édité par Marquise de Sade le 2008-8-4 21:1:43
Dourak Smerdiakov

site
Pute : 0
ma non troppo
    le 04/08/2008 à 21:34:35
Mais le sens des critiques était justement, pour certains dont moi, de douter que le début du texte ait été écrit pour mener à ce fait divers.
Marquise de Sade

Pute : 0
    le 04/08/2008 à 21:46:50
Très possible oui. Je n'ai compris que vers le milieu que ce texte était destiné au thème imposé, et je ne l'avais pas du tout commencé dans cette optique.
Au final, ça a même été assez surprenant.
Erruer

Pute : 0
    le 07/08/2008 à 22:46:49
Si, le texte a bien été écrit en partant du thème imposé. Je note que chacun s'est ennuyé mais pas au même endroit, ce que j'attribue à mon (inexpérience zonarde et à mon) embarras devant le thème imposé (l'histoire d'un guerrier d'élite qui dérape dans ses rangers, mélangeant ces féroces soldats avec nos fils et nos compagnes). J'ai pris du plaisir à décrire tout ça néanmoins, je l'avoue.
La phrase que je préférais c'est : "J'ai pas envie d'en parler....", que je ne vois pas par quoi remplacer sinon par une centaine de pages. Certes le héros est intelligent et sait s'exprimer, mais là, il n'a pas envie d'en parler parce que c'est un guerrier et merde les guerriers ne pleurnichent pas et ne caftent pas leurs chefs, sauf si on les interroge longuement devant une lampe ou si on raconte les choses à leur place.
Le coup des couteaux c'était pour laisser entendre un dérapage précoce, mais OK, c'est mal écrit.
Ce qui m'a intéressé et qui fait le fil de l'histoire c'est le rapport chair/métal et la question de l'identité mais je suis d'accord avec nihil pour dire que c'est des idées poétiques voire psychologiques de la pire espèce et j'implore miséricorde, je ferai de mon mieux pour me corriger désormais.

ça va être très dur.





commentaire édité par Erruer le 2008-8-7 22:48:21
nihil

Pute : 1
void
    le 07/08/2008 à 23:19:04
MAIS NON pourquoi tu devrais te conformer à nos pauvres opinions de frustrés de littérature de gare ? Affirme-toi et rentre nous nos opinions dans la gueule. LA GUERRE? C4EST LA GUERRE §
Y a déjà assez de clones comme ça dans le coin.
Marquise de Sade

Pute : 0
    le 07/08/2008 à 23:27:01
"pourquoi tu devrais te conformer à nos pauvres opinions de frustrés de littérature de gare ?"

surtout celui de Nihil, c'est le pire de nous tous.
Erruer

Pute : 0
    le 07/08/2008 à 23:57:06
mais parce que j'ai eu envie de venir ici pour me tortiller hors de mes sentiers battus et de m'assouplir tel un guerrier d'élite réduit au massacre par des petits chefs sadiques.

sinon j'aurais été dans un beau salon virtuel.
nihil

Pute : 1
void
    le 08/08/2008 à 00:03:26
Quoi, qu'est-ce qu'il a notre salon ? T'aimes pas le sang de néerlandais sur les murs ? T'aimes pas les bocaux avec les foetus québecons ? Un problème avec le lustre en viande de ragondin ?
Erruer

Pute : 0
    le 08/08/2008 à 10:25:37
oh si c'est beau ! ce que j'aime surtout c'est les morceaux de Saint Con que vous gardez d'une année sur l'autre baignant dans un liquide inconnu, comme pot-pourri. C'est toujours plus raffiné un intérieur avec un pot-pourri.
Ce qui me gêne c'est les mouches dans les yeux, mais je m'y ferai. TOUTCEQUINEMED2TRUITPASMERENDPLUSFORT, hein !
Hag

Pute : 2
    le 23/08/2008 à 01:29:47
Même si le début m'a plus ennuyé qu'autre chose, le dernier paragraphe m'a quant à lui été plus agréable, avec même 2-3 expressions assez jolies et qui ne me font pas regretter ma lecture.
Même si c'est vrai que ça ne va nul part et que c'est loin d'être superbe, j'attends l'auteur sur un sujet de son choix, avec un peu plus de maîtrise ça peut tout à fait être très bon.

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