LA ZONE -

Une discussion simple

Le 17/02/2016
par Muscadet
[illustration] C'est encore moi.

Oui. Bonjour. Alors, comment ça se passe de votre côté ? Est-ce que vous avez réfléchi à ce qu'on s'était dit la dernière fois ? Vous devez prendre la décision de toute façon, vous le savez bien.

Non, je ne crois pas.
Ben si, étant donné la situation, ce serait beaucoup plus simple pour vous comme pour nous si l'on pouvait se voir. Vous venez et vous donnez votre version, tout simplement, et d'après ce que vous m'avez dit, vous avez réagi parce que vous vous sentiez menacé, donc...

En état de légitime défense. Tout simplement.

Oui, bon ça, ce sera à la justice d'en décider. Moi, je vous dis seulement que la meilleure façon de faire, c'est de venir vous expliquer sur les faits, c'est toujours la meilleure option, parce qu'en ayant un mandat de recherche comme ça, ce qu'il va se passer, c'est que le magistrat va estimer que vous fuyez votre responsabilité parce que vous n'avez aucune circonstance atténuante, alors qu'en réalité, et moi je vous crois parce que j'ai l'habitude, il y en a toujours, des circonstances.

Je plaisantais, pour la légitime défense. Personne n'y croira, c'est une femme, je suis un homme.

Peut-être, mais peu importe. Dans tous les cas, vous n'avez rien à gagner à être recherché, ça ne fait que compliquer les choses pour la suite, et vous savez que plus vous vous cachez, plus ce sera difficile ensuite de faire valoir votre version, vous le savez, ça. Je ne suis pas avocat, mais je classe suffisamment d'affaires de ce type dans l'année pour savoir que là, vous faites le mauvais choix.

Oui, j'ai fait des choix discutables qui en ont amené d'autres. Mais actuellement, je suis pas en état de les regretter.

Ca, j'imagine, quand on tue quelqu'un, on n'est pas en grande forme en général. Je l'entends, à votre voix, que vous êtes fatigué. Vous savez, des disputes conjugales qui tournent mal, vous n'êtes pas le premier à qui ça arrive hein. J'en ai des classeurs pleins. Des gens qui n'avaient rien à se reprocher jusque-là, et puis, sur un coup de sang... C'est comme ça. Je vais pas vous dire que si vous venez, on va vous laisser repartir dans le quart d'heure, vous savez bien que non, mais ça reste le seul moyen de limiter les dégâts au maximum. Je n'ai aucun intérêt à vous mentir ou à vous piéger, je n'y gagne rien, moi.

Pour quelqu'un qui n'a rien à y gagner, vous vous démenez.

Non. Je ne me démène pas, je veux juste que les choses rentrent dans l'ordre et trouvent un sens que tout le monde pourra comprendre : moi, vous, les juges, le procureur de la République et la famille de votre femme, que tout le monde comprenne comment ça s'est passé et pourquoi, c'est mon métier, rien de plus. Quand ce sera terminé, vous vous rendrez compte que c'était ce qu'il fallait faire parce que les autres solutions que vous êtes en train de chercher, elles n'existent pas. Croyez-moi, j'essaye juste de vous faire gagner du temps et de faire en sorte que ce soit un peu moins pénible.

C'est impossible maintenant, ce sera impossible et insupportable, je ne pourrai pas le supporter.

Mais si, bien sûr que si. Je comprends parfaitement que vous ayez peur de venir, vous portez un poids énorme, c'est normal, tout le monde réagit comme ça vous savez, donnez-moi juste une adresse, je passe vous prendre tranquillement, personne ne vous fera de mal vous avez ma parole de lieutenant, je viendrai moi-même, on parlera de tout depuis le début et ça se passera beaucoup mieux que vous le pensez. Moi, ce que je ne veux pas, c'est que vous fassiez une bêtise parce que vous avez peur. Une bêtise, ce serait de vous faire du mal par exemple. Ou de quitter le territoire. Je ne veux pas que vous fassiez ça, parce que derrière, on ajoute du drame au drame, et tout se complique avec un mandat international : je ne serais plus votre interlocuteur, à ce moment-là, je passe la main, vous comprenez ?

Je ne suis pas dangereux, je suis malheureux.

Ça, évidemment, vous m'auriez dit que vous étiez heureux, je ne vous aurais pas cru. Vous vous êtes disputé avec votre compagne comme des milliers d'autres couples, elle a pris un objet qui est devenu une arme d'opportunité, vous en avez pris une autre, et l'un des deux est décédé. C'est une histoire vieille comme le monde. Vous n'êtes pas dangereux, vous n'êtes pas un criminel, vous êtes quelqu'un qui s'est énervé contre sa femme, moi aussi je m'agace de ma femme. J'espère que j'en arriverai jamais là bien sûr, mais la vérité, c'est que je n'en sais rien.

Vous répétez votre texte, c'est trop rôdé pour être honnête, ça suffit.

Trop rôdé ? Mais à votre avis, pourquoi il est rôdé ? Parce que je m'amuse à piéger les gens au téléphone du matin au soir ? Vous pensez bien que non. Parce que malheureusement, depuis quatorze ans, vous n'êtes pas le premier mari à m'appeler depuis un coin de campagne après avoir vidé son compte courant, vous êtes peut-être mon dixième ou mon quinzième, je ne tiens pas les comptes. Alors oui, je suis rôdé. Je suis rôdé à sortir les gens qui ont fait une erreur comme vous de la situation intenable dans laquelle ils se mettent. Et je le fais pour pas cher, en plus, simplement parce que c'est utile pour tout le monde.

Je vous ai appelé pour avoir une discussion simple et honnête, et vous êtes en train de me balader.

Pas du tout. Pas du tout. Vous vous trompez complètement. Regardez, hier ou avant-hier, avant-hier, les parents de votre compagne sont revenus pour la troisième fois dans mon bureau, me demander ce que je savais, où vous étiez, comment ça allait se passer. Ils étaient livides, sa mère tenait à peine debout. Vous croyez que j'invente ces choses-là pour vous amadouer ? Ca ne servirait à rien. Mais qu'est-ce que je peux leur répondre ? Pour l'instant rien. Et quand le juge d'instruction m'appelle pour connaître l'avancement de l'enquête ? Ben pas grand-chose non plus, tout le monde imagine comment ça s'est passé, mais personne ne le sait vraiment : vous êtes le seul témoin, le seul qui sache toute la vérité, mais pour l'instant vous voulez la garder pour vous.

J'ai mes raisons. Ils vont tout salir, tout mépriser, tout bafouer comme d'habitude.

Ca, c'est ce que vous croyez parce que vous êtes en état de choc. Je vais vous dire, quand on tue quelqu'un, volontairement ou involontairement, le traumatisme vous transforme, vous n'êtes pas vraiment vous-même depuis quelques jours, et moi j'ai l'expérience de ce traumatisme, et de la façon dont les gens se transforment après ce genre de faits. Je le vois devant moi. Faites-moi au moins confiance là-dessus, sinon on peut passer la journée au téléphone, ça ne changera rien à la situation. Votre porte de sortie, c'est de tout dire.

J'ai préparé une longue lettre, très détaillée sur les faits, mais aussi sur toute notre relation. J'ai déjà tout mis à plat et ça m'a beaucoup apaisé.

D'accord, parfait. Pour moi, c'est parfait, je veux la lire le plus vite possible, et pas seulement moi. Mais il faut que vous veniez aussi. Si vous venez maintenant, ou même ce soir, moi je m'en fiche, on est ouvert jour et nuit de toute façon, on commencera en lisant la lettre et je m'en servirai pour la déposition. Si elle est aussi détaillée que ça, ça plaira au magistrat vous pouvez en être sûr, vous savez quand les gens facilitent notre travail au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues, ils en retirent toujours quelque chose. La justice sait récompenser la sincérité aussi. Alors, est-ce qu'on peut se mettre d'accord ? Allô ? Vous êtes toujours là ?

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 4
à mort
    le 17/02/2016 à 23:18:01
Quand je dis que Muscadet continue à décortiquer les lieux communs dans les séries policières en fait je veux dire en les prenant à contrepied et en décrivant la manière dont ça se passe dans la réalité.

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