LA ZONE -

Dépôts de poussière

Le 19/07/2023
par Charogne
[illustration] J'ai la bouche sèche. Dans l'appartement haussmannien, une lumière sépia tapisse le sol de carrelage marron. Quelques plantes en pot sont suspendues dans le salon. Depuis les escaliers, le son distant d'une perceuse résonne. On doit être le matin, car à travers les fenêtres, le soleil est éblouissant d'un éclat fade. Je me dirige vers la cuisine. Ici, moins de luminosité que dans le salon, mais je crois voir quelque chose ramper sur le sol et se cacher sous l'évier le temps que mes yeux s'adaptent à l'ombre. Le hall est à ma gauche, et j'entends un peu plus fort le bruit de perceuse derrière la porte. Soudain, une main se pose sur mon épaule, et on me murmure à l'oreille : « Fais attention aux tiques. »

Je me retourne. C'est mon ami. Puis, en regardant un peu plus attentivement au sol, je me rends compte qu'une dizaine de poissons d'argent rampent dans la cuisine. « Ils piquent », me prévient mon ami. Il a l'air très sérieux. Alors, en m'approchant de l'évier, je soulève l'éponge qui trône sur le rebord. Dessous, une colonie de perce-oreilles semble surprise de mon geste et ils tentent de se dérober de notre vue. Mon ami attrape sa chaussure et l'écrase sur ces derniers avant de repartir, un air satisfait sur son visage. Le bruit de la perceuse s'intensifie. Le soleil s'élève dans le ciel, et la luminosité s'améliore dans la cuisine. C'est là que je remarque qu'à l'image des plantes dans le salon, des bocaux de verre sont suspendus dans la cuisine. En m'approchant de l'un d'eux, je remarque deux vers luisants morts, leur carapace devenue beige. Leur immense abdomen, disproportionné par rapport à leurs petites tête et thorax, remplit à lui seul le plus gros bocal. Désormais, j'entends la perceuse vrombir dans mes oreilles. Elle est trop forte pour que je ne me réveille pas. Je déglutis une dernière fois, puis je me sens happé loin de ce rêve.
...
J'ai la gorge sèche. De la salive ne couvre pas constamment les parois de ma bouche. Des amas de nourriture restent collés dans mon palais, le long de mon œsophage, formant des filets secs. De la poussière s'accumule, et la moisissure se forme, grâce à l'air humide et nauséabond expulsé de mes poumons.


Des profondeurs de ma voix, le bruit de la perceuse se transforme en un râle désagréable, irritant le fond de ma bouche. Quand j'ouvre les yeux, le riche appartement parisien laisse progressivement place au T2 de banlieue que mes aides me permettent de louer. Et les insectes domestiques se sont transformées en blattes et en souriceaux, longeant la moquette moisie. Finalement, je chasse de mon esprit ces restes de rêves et je me lève, en direction de la salle de bain. Ma langue est pâteuse, comme d'habitude.

Je n'essaye même plus d'évacuer ce que je fourre dans ma bouche. La mousse de dentifrice reste collée à mes dents. Sans salive, le seul souffle rance exhumé de ma cavité buccale ne permet pas de le recracher. La saleté qui s'y accumule ne ressort jamais de mon gosier. Faute de mieux, j'avale un peu d'eau, et me prépare à sortir. Quand j'avais cherché des conseils pour régler mon problème sur internet, on me conseillait de boire beaucoup d'eau et de ne pas rester chez moi... et à défaut de régler mes problèmes, prendre l'air me permet d'oublier au moins quelques instants ma torture quotidienne. J'enfile mon manteau puis mon masque. Louée soit la pandémie, je n'ai pas besoin d'exhiber mon défaut au monde.


Le peu d'eau que j'avale ne fait que passer à travers ces mailles gluantes, n'emportant rien dans sa coulée. Mon estomac ressemble à un sac d'aspirateur que l'on avait laissé à l'abandon, à pourrir entre les cheveux, la poussière et les miettes avalées par mégarde. Si sec que des araignées pourraient y élire domicile, tapissant le fond de mon ventre d'une mosaïque d’œufs. Petits œufs blancs ovales.


Après quelques minutes, je m'installe à la terrasse d'un café. Il est midi passé : je me suis levé tard, mais je n'ai pas faim ; je n'ai plus faim depuis longtemps. J'ai commandé un café mais je ne le boirai pas : j'en profite juste pour me poser à ma table, observer les passants, regarder les environs. Fixer du regard une table vide à quelques mètres. Je me souviens, ça c'était passé à cet endroit précisément, il y a quelques mois. J'ai un jour essayé de boire la salive de quelqu'un. Ça ne lui avait pas plu.

Je l'avais rencontrée ici pour la première fois. Une femme, dont j'ai oublié le nom, si je l'ai connu. Ce qui m'avait tout de suite attiré, chez elle, était l'aspect de ses lèvres. Elles semblaient si douces, légèrement teintées de rose, pulpeuses sans être vulgaires. L'exact opposé de ma malheureuse condition. Je crois qu'elle avait remarqué mon regard, comme je semblais être le seul à avoir remarqué sa bouche angélique et que je ne la quittais pas des yeux. À vrai dire, il n'y avait pas grand chose d'autre à voir chez elle : ses yeux étaient fatigués, ses cheveux gras et en bataille, elle était en surpoids. Mais ses lèvres étaient si belles que je me suis levé, et qu'après avoir prétexté souffrir d'un rhume pour justifier ma voix étrange et mon port du masque, je m'étais auprès d'elle présenté.


Jamais je n'ai connu de parois roses lisses, évacuant les déchets avec propreté. Jamais je n'ai connu une gorge souple, ou un estomac vide, ou la joie de déglutir un glaire le long de ma trachée. J'ai du mal à engloutir la moindre bouchée, toujours mon estomac me gratte et m'irrite de l'intérieur comme si une nuée de cloportes s'y promenait en permanence.


La soirée avait été insupportable, et je préférerais cent fois tenter de séduire la vermine grouillant dans mon appartement que de réitérer l'expérience avec une femme pareille. Mais j'avais réussi à jouer le jeu jusqu'au bout, jusqu'à l'amener chez moi. Elle avait trop bu pour se rendre compte que mon logement était loin de ressembler à « ce fabuleux rooftop » dont je lui avait parlé, et elle était trop fatiguée pour se débattre quand je l'allongeais sur mon lit et lui liais bras et jambes à l'aide de ceintures qui traînaient dans ma chambre. Malgré tout cela, elle se mit à hurler au moment où je retirais mon masque et lui dévoilais l'apparence de ma bouche. Alors pour la faire taire, je collais mes lèvres aux siennes. Enfin je pouvais goûter la douceur d'une telle substance ! Mais je n'avais pas préparé ce dessein dans l'unique but de l'embrasser.

Il me fallait accommoder ma bouche à une bouche normale. Si le problème venait de ma salive, ou d'un taux d'humidité trop faible, alors peut-être qu'associer ma bouche avec celle de quelqu'un d'autre pouvait régler le problème. Au départ, cela ne lui plaisait pas. Elle pouvait sentir des fils entre nos bouches, elle avait l'impression que des morceaux de nourriture rampaient sous sa langue. À chaque fois que nos lèvres se séparaient, des fils de salive noirs de saleté retombaient sur son menton. Par la suite, cela n'a plus été un problème, car à partir du moment où elle tentait de me mordre la langue dès que je m'approchais, j'ai commencé à l'endormir systématiquement, grâce à quelques pilules. Elle était alors si calme que je pouvais me livrer à mes tests comme je le souhaitais : passer des heures entières, des jours à joindre nos visages, à laisser la bave et les dépôts se transférer d'une bouche à l'autre. Rester immobile dans cette position, la bouche ouverte, visage tourné vers le sol, n'était pas vraiment agréable, mais je ressentais un bref réconfort dès que sa salive, pure liqueur aux arrière goûts sucrés, parcourais mon palais. Cependant, fatalement le processus échoua. Je finis par dessécher sa bouche à force d'essais, car ce n'est pas ses glandes qui accommodèrent mon système : mais l'inverse qui se produisit. L'aridité de ma gorge avait pris place dans la sienne. Alors je la libérais, l'allongea sur un banc public une nuit où elle était encore endormie, et n'entendis plus parler d'elle. Je n'ai pas subi de répercussions. Peut-être un jour rencontrerais-je une autre personne avec laquelle je serais compatible : c'est la raison pour laquelle je reviens à ce café.


Mes gencives s'effritent, ne retiennent pas mes dents qui tremblent. Ma langue est épaisse, lourde à se mouvoir, semblable à une pâte d'argile gisant dans le creux de ma mâchoire. Quant à l'intérieur de mes joues, les déchets les cisaillent en continu ; mais depuis bien longtemps même le sang s'est transformé en poudre âpre. De l’extérieur, mes joues sont des surfaces blêmes et rêches aux pores détendus, infertiles. Des cratères de peau morte. Et mes lèvres sont des muscles à vif, exsangues mais rouges de friction, craquelés de blessures et d'irritation.


J'ai encore la gorge sèche. Sortant de mes rêveries, je réalise que le ciel a pris une teinte semblable au café froid trônant encore devant moi. L'odeur qui en émane me donne envie de vomir- bien que j'en serais incapable. Je me lève pour rentrer chez moi et mettre fin à ma journée. Demain, sûrement, je trouverai une nouvelle muse aux lèvres aussi belles. Dans les rues, le peu de lumière éclairant le pavé émane de lampes suspendues à des potences de fer, lanternes semblables à des bocaux à insecte.

= commentaires =

Lunatik

Pute : 1
    le 19/07/2023 à 23:18:51
Un texte comme j'aime, bien glauque, bien dérangeant.
Il y a encore un peu de boulot à fournir sur la forme, mais le fond est bel et bon.

Mention spéciale pour les descriptions en italiques.
Un Dégueulis

Pute : -139
chiquée pas chère
    le 19/07/2023 à 23:24:45
C'est pas mal du tout vraiment je l'ai lu d'une traite.

Notons toutefois qu'un rinçage quotidien à la listerine et à l'eau aurait vite réglé le problème.

Y a des gens qui préfèrent passer leur vie à boire la bave des autres que de s'astreindre aux routines les plus basiques.
Clacker

Pute : 3
Fromage de tête AOP    le 20/07/2023 à 00:32:52
On attaque le bousin en se disant qu'il est spé, ce rêve (enfin c'est un rêve, quoi, c'est toujours spé ces trucs-là), mais en fait il est bien moins étrange que ce qui se passe dans la réalité de la véritable vraie vie du narrateur.

Ouais, du bon Charogne. Texte Chelou et poisseux, avec des descriptions bien gaulées dans le genre problèmes bucco-dentaires. Va falloir songer à consulter.

Le titre est bien classe, aussi.

On aurait peut-être aimé retrouver un petit commencement de pétage de genoux, à l'ancienne, subreptice, mais ne soyons pas trop gourmands.

Il y a du rab ?
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 20/07/2023 à 14:40:15
J'ai tout vomi mon goûter !
Un Dégueulis

Pute : -139
chiquée pas chère
    le 22/07/2023 à 02:24:00
COUPEZ-VOUS LES COUILLES !!!!!!!!


Et faites-z'h-en du boudin boudin boudin boudin boudiiiiin...

LALALALALALALAAAAAAAAAAAA

Couip-couip.
Charogne

Pute : 3
    le 22/07/2023 à 22:18:57
J'aime beaucoup la miniature
Lunatik

Pute : 1
    le 22/07/2023 à 23:54:44
Ça me fait chaud à mon ptit coeur de pierre, mon bon Charogne.
Je t'ai retiré un point pute pour la peine, car j'ai une réputation à tenir et tout n'est qu'injustice en ce bas monde.
Un Dégueulis

Pute : -139
chiquée pas chère
    le 10/08/2023 à 03:47:35
Ké... depuis le nouveau système de connexion on ne peut plus changer de pseudo pour poster si on est connecté ? Vous vous rendez compte que vous avez tué l'un des meilleurs aspects de la Zone, là ?
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 10/08/2023 à 22:42:58
Une fonctionnalité si capitale qu'il aura presque fallu six mois pour que quelqu'un le fasse remarquer, en effet.

Heureusement, pour compenser sa frustration, l'utilisateur connecté peut toujours te retirer des points putes.
Un Dégueulis

Pute : -139
chiquée pas chère
    le 11/08/2023 à 02:54:59
Tu connais le phoque You ? Petite créature à piques qui vit exclusivement dans les cavités tubulaires et sécrète un poison fortement urticant ?
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 11/08/2023 à 14:06:56
Je ne trouve trace que d'un malheureux phocidé élevés dans l'amour de l'être humain par des surfeurs dégénérés et girondins. Je pense que tu es un troll à la solde des lions de mer violeurs de pingouins.
Un Dégueulis

Pute : -139
chiquée pas chère
    le 12/08/2023 à 02:30:40
BEN DONNE-LUI UN POISSON QU'IL GIGOTTE !!!

M'enfin.

C'te manière.

Troll toi-même.

Pingouin toi-même.

Solde.

Espèce de pantalon des marais.
Un Dégueulis

Pute : -139
chiquée pas chère
Pute Sub Dégueulienne    le 16/08/2023 à 02:56:08
Bonsoir. J'ai le Dégueulis en moi donc je gigote.
Dourak Smerdiakov

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Pute : 0
ma non troppo
    le 17/08/2023 à 23:20:38
J'ai essayé de visualiser, je n'y suis pas arrivé. Je suis fort aise de réaliser que je ne suis pas capable de visualiser Un Dégueulis gigotant, le Dégueulis en lui-même.
Le Thaumaturge

Pute : 0
    le 02/09/2023 à 17:55:27
J'aime bien les textes dans le grotesque en général, la description du baiser était immonde comme il le faut, du vrai french kiss.
Outre ça les formules de phrase sont très simples.
Capitaine Haddock
    le 07/09/2023 à 16:10:37
Pardon, vous n'auriez pas vu ma pipe ?
Clacker

Pute : 3
    le 10/09/2023 à 02:19:34
PDTM,s
Clacker

Pute : 3
Explicitation    le 10/09/2023 à 04:32:59
(Pas Dans Ton Magritte, salope)

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