Elle a senti que ça commençait sous sa peau,
comme une gerçure. Dure à l’extérieur, sèche mais suintante,
de sang rouge, chaud, pulsé.
Une douleur qui lance,
une envie de s’arracher avec les ongles.
C’était insidieux.
sans choc, pervers, inutile.
Comme une fièvre sourde, rampante,
une démangeaison psychique et chaotique,
un vertige sans chute.
Pourtant, avec Lui, l’histoire avait si bien commencé.
Il était beau.
Beau comme un dieu grec, une chimère taillée dans le marbre,
comme quelque chose qu’on apprend à aimer avec le temps, la maturité, un regard lucide.
Chaque fois que ses yeux se posaient sur lui, elle se pâmait.
Il était beau, il était doux, il savait l’écouter.
Il savait attendre ses silences,
les combler d’une présence tiède, juste là.
Pas envahissant. Pas au début.
Elle s’était attachée à lui sans résistance —
pas comme un coup de foudre, non,
plutôt comme une reprise sur une chaussette :
un trou béant, comblé.
Ça se voyait, et c’était heureux.
Enfin, elle croyait.
Puis elle a senti que ça pesait.
Lourd. Atroce.
Une sensation de rance,
comme si quelque chose avait pris vie en elle, mais pas une vie féconde, une vie rampante, effrayante.
Un ferment ancien, oublié dans le ventre.
Elle a vu que ça pourrissait.
Pas comme la viande morte dans un ballet d’insectes.
Un cliché entomologique, d'une beauté froide mais réelle. Non.
Comme de la vase,
épaisse, impénétrable,
remuant parfois des morceaux indéfinissables,
des bulles de soufre, de honte. marron, grumeleux, comme ce sang que les femmes évacuent.
Il l’aimait. Elle le savait.
D’un amour pur, une abnégation totale.
Il l’adorait même.
Mais ce n’était pas un amour qui libère.
C’était un amour qui enserre.
Et pourtant, il n’était pas possessif.
Il était pire : inévitable.
Elle savait ce qu’elle avait fait.
Elle savait qu’elle serait punie.
Elle ne savait plus exactement quand ni pourquoi.
Peut-être rien qu’un éclat dans ses yeux.
Un soir où elle n’a pas souri assez vite.
Un mot de travers, ou un silence.
Mais elle aurait recommencé.
Même en sachant.
Elle était prête à mourir pour ça.
Et même cette pourriture interne,
cette décomposition lente —
elle l’aurait souhaitée.
Pourvu qu’il disparaisse.
Lui, et ce qu’il avait laissé en elle.
Les jours se répétaient.
Elle ne mangeait plus. Ou trop.
Elle se réveillait avec l’impression d’avoir dormi à l’envers,
la bouche pleine de cendre,
le ventre vide mais gonflé.
Il était là. Toujours.
Même quand elle le chassait.
Il revenait.
Silencieux.
Patient.
Comme un parasite amoureux.
Elle ne savait plus s’il respirait.
Mais elle sentait son souffle.
Il traînait dans la maison comme une brume.
Il la regardait dormir.
Il l’effleurait quand elle cuisinait.
Il entrait en elle, par tous les interstices de sa vie.
Quand elle a saisi la lampe,
ce n’était plus pour se défendre.
Ni pour se venger.
Même pas pour rendre les coups,
ou les morsures.
C’était pour effacer.
Pour nier.
Pour arracher de la mémoire
jusqu’à la racine de ce lien.
Elle ne voulait pas qu’il meure.
Elle voulait qu’il cesse d’avoir existé.
Elle voulait effacer ses gestes,
ses regards,
ses attentes,
et ce qu’il avait planté en elle :
un jardin de moisissures,
de dépendance,
de fatigue collante.
Ses pattes grattaient encore dans ses cauchemars.
Ses poils s’accrochaient à ses vêtements,
comme une trace chimique.
Comme un avertissement :
Tu m’appartiens. Tu m’as laissée entrer. Tu ne sortiras pas.
Elle avait regardé son corps désarticulé se relâcher,
sentant la rage et le trauma éructer de ses entrailles.
Elle l’avait pelé, évidé.
Comme sa grand-mère le faisait.
Avec soin. Méthode. Respect même.
C’est ce qu’on doit faire aux lapins.
Elle l’a dévoré, à même le sol.
Non par faim.
Par nécessité. Un besoin de l'effacer.
Elle arrachait les morceaux avec ses dents,
tirait sur les petits os cassants,
regardait ses yeux vitreux —
et souhaitait, dans cet acte,
s’effacer elle aussi.
C’était un festin de désespoir.
Un rituel.
Un dernier lien entre eux.
La seule manière de vraiment le faire taire.
Elle a senti que ça l’emportait.
Pas le deuil.
La transmutation.
La fureur devenue digestion.
L’horreur devenue silence.
Elle s’est couchée là, à côté de ce qu’il restait.
Et dans la flaque tiède du sang,
elle a fermé les yeux.
Tant pis.
La vie est une blague cruelle.
LA ZONE -
= commentaires =
ça envoie du bois ! Fait pas bon d'être un piti lapin dans le coin.
Wouah, désolée, j'ai pas de mot ! Excellent ! Les mecs, vous n'avez qu'à bien vous tenir sinon, hop, dans la casserole ! Euh, non, vous les mangez tout crus ! Si je peux me permettre, avec la peau, vous vous faites un sac à main ?
Du coup, cela m'a ramené à mon enfance quand ma mère "déshabillait les lapins".
Sérieusement, je trouve que ça peut être une description de l'emprise.
@Corinne,
Oui l'emprise, c'était l'idée de départ. Pour la peau j'ai pas réfléchi, mais si je la retrouve, on peut voir ensemble, si tu as des idées :p
@LC ni un gros !
La Zone est un vrai repaire à juilletistes
Ah, j'hésite entre une veste, un ensemble lingerie, ou carrément créer une fondation d'aide aux femmes victimes de violences conjugales, la vente des créations cuir assurant le financement...
=D
petites culottes et soutifs en dentelle sont les nouvelles chaînes
Vraiment pas mal ce petit texte, ça m'a fait penser à la charogne de Baudelaire dans la description du corps. Le style est vraiment intéressant, ou comme on pourrait dire : une belle plume. Je cherchais un truc drôle à dire, mais j'ai la gueule dans le pâté.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
la gueule dans le pâté est une bonne image, c'est drôle :p
la gueule dans le pâté de sable, j'imagine.