Dès l’instant
où mes souvenirs
sont revenus…
Je me suis rappelé
cette nuit
où, dans l’ivresse
et l’envie de tout jouir
et tout détruire
je me suis rué
sur elle.
Le sang
n’est pas une couleur
ni un écoulement
Il est un goût unique
que l’on ne retrouve
dans aucune autre matière organique.
J’ai croqué.
Puis avalé.
Je sors
de la chambre plongée dans le noir
Je me jette dans le couloir
Je marche
jusqu’à l’ascenseur.
La lumière blafarde
des LEDs
La voix de l’ascenseur
Une voix de femme
Signalant avec précision :
"en descente".
Dans la salle principale
du casino
Je m’installe à une table
Les cartes circulent
Les jetons volent
Il est tard
si tard…
À travers les baies vitrées voilées
La plage s’étire
À l’infini
Marée basse
Du soleil
Et un corps calciné
Roule
Comme un nem
Dans le roulis des vagues.
De la viande enveloppée d’eau salée
Je plonge une seconde mouillette
Dans l’œuf à la coque
Au jaune si orange
Qu’il se confond
Avec le soleil de l’aube.
Le sang
dans mes dents artificielles
Prend du temps
à s’écouler dans ma gorge.
Il n’y avait pas mort d’homme
Puisqu’il y avait mort de femme.
"Tu dors
ou tu es morte ?"
Mon café
préparé vingt minutes plus tôt
Commençait à refroidir.
Quel gâchis…
Je lui demandai donc
D’accélérer la phase d’agonie
Et de disparaître
au plus tôt.
LA ZONE -
![[illustration]](/data/img/images/2025-11-17-sang-big.jpg)
= ajouter un commentaire =
Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.
= commentaires =
J'aime pas quand c'est gratuitement sombre comme ça, c'est faussement subversif.
J’étais très méfiant face à la mise en forme trop contemporaine de ce texte, avec ses vers libres qui semblaient promettre une superficialité tape-à-l’œil. Pourtant, dès les premières lignes, j’ai été happé par une puissance organique et une audace poétique qui m’ont fait ravaler mes préjugés. Ce texte est une plongée brutale dans un univers de sensations crues, où la violence, le désir et la mort s’entrelacent avec une intensité presque insoutenable. L’auteur manie les images avec une précision chirurgicale : le sang, loin d’être une simple couleur, devient un goût, une essence organique qui obsède et définit l’expérience. Les scènes s’enchaînent comme des tableaux macabres, du couloir sombre à l’ascenseur froid, jusqu’à la salle de casino où la frivolité des jetons contraste avec la gravité des actes décrits. La langue est à la fois charnelle et désincarnée, oscillant entre une sensualité dérangeante et une froideur clinique, comme dans cette métaphore du corps calciné roulant dans les vagues. L’ironie mordante des dernières lignes, où le narrateur demande à sa victime d’« accélérer la phase d’agonie », glace le sang par son détachement cynique. Ce texte ne se contente pas de choquer ; il explore les tréfonds de l’âme humaine avec une lucidité dérangeante, transformant une mise en forme audacieuse en un écrin parfait pour une poésie aussi belle que terrifiante. C’est un tour de force, une œuvre qui hante longtemps après la lecture. Dommage que ce soit trop court.
@Sinté : C'est pas faussement sombre gratuitement. C'est le style de l'auteur depuis plusieurs décennies. Il a pas fait ça sur un coup de tête. ça s'inscrit dans une oeuvre.
Ah ouais, j'avais pas vraiment fait gaffe mais je viens de voir qui l'a écrit. J'ai rien lu d'autre de lui mais j'avoue que j'ai pas été touché du tout par ce texte.
Franchement, j’ai aimé ce texte. Vraiment. Un peu comme on aime un plateau de sushis : chaque pièce est superbe, ça claque en bouche, mais au bout de quinze minutes tu te demandes pourquoi tu crèves encore la dalle.
C’est brillant, incisif, chaque image est un petit uppercut — le nem qui roule dans la mer, l’œuf à la coque au soleil, le café refroidi — ça, chapeau. Mais bon, on dirait une succession de haïkus psychopathes qu’un type aurait griffonnés entre deux parties de poker. Et moi, j’en voulais plus. Un peu de chair autour de l’os. Là, c’est beau, mais ça finit comme un buffet minimaliste : on applaudit l’esthétique, et puis on rentre manger un sandwich.
Oui, t'as raison. En fait, c'est un extrait d'un texte plus long. L'affaire est à suivre, donc.
L'illustration est de Léonel Houssam aussi. J'ai oublié d'en parler. Il est aussi photographe.
A suivre alors