LA ZONE -

LORSQUE SHERLOCK HOLMES RENCONTRA EMMA WATSON

Le 12/10/2025
par F MIRABEL-CHAMBAUD
[illustration] Pour faire suite à mon échange par mail avec lapinchien
LORSQUE SHERLOCK HOLMES

RENCONTRA

EMMA WATSON

Ou
La véritable histoire de la machine à explorer le temps


Cette nouvelle est une œuvre de fiction. L’abondante littérature sur les meurtres de Jack l’Éventreur et sur Sherlock Holmes m’a fourni quelques-uns des personnages de ce livre. Ce pastiche est donc entièrement vrai… puisque je l’ai imaginé d’un bout à l’autre. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait pas une coïncidence, mais un véritable miracle. J’en demande pardon d’avance à la réalité.

PREMIÈRE PARTIE :

La machine à explorer le temps.

« Londres 1887 : Récit de Sherlock Holmes »

Ce soir-là, les notes tristes que je tirais de mon violon en interprétant la sonate n°1 de Bach m’amenaient à repenser à l’aventure hors du commun que j’avais vécue.
J’en venais à regretter que l’humanité ne connaisse jamais la vérité sur la révélation figurant dans la première version du roman de mon ami H.G. Wells : « La machine à explorer le temps ». Si sa parution officielle date de 1895, peu de gens savent que la première ébauche a été réalisée durant le printemps 1888 alors qu’il était en convalescence chez moi. Elle avait pour titre : « The Chronic Argonauts » et sa teneur était très éloignée de celle de l’édition finale.
Tout avait commencé en janvier 1887 lors de notre rencontre pendant la conférence de E.A. Hamilton-Gordon consacrée à la quatrième dimension.
Un des gamins des rues, qui faisaient office pour moi d'informateur, avait depuis longtemps attiré mon attention sur cet étudiant qui, bien que de condition modeste, était particulièrement doué en mathématiques. Je trouvai sans peine un prétexte pour échanger avec lui et découvris avec délectation l’univers infini de la géométrie et de l’algèbre. Les similitudes de nos démarches intellectuelles me subjuguèrent. Sa simplicité et sa gentillesse ne pouvaient que créer entre nous un lien d’amitié et de respect profond. Enthousiaste, je lui proposai avec plaisir de l’aider à mettre en place sa conférence .
J’avais parrainé la manifestation en tant que « Sherlock Holmes, détective privé consultant ». Si ma faible notoriété d’alors n’attira pas un public nombreux, la qualité de l’auditoire en compensait le faible effectif.

C’est là que je fis la connaissance d’Herbert. Les indices de son appartenance à la catégorie des élèves-enseignants ne m’échappèrent pas. Son jeune âge, ses prises de notes décousues sur les rares blancs du Science Schools Journal tiré de sa poche, les taches d’encre qui maculaient ses doigts et quelques traces de craie sur ses vêtements élimés ne pouvaient pas me tromper. Sa silhouette maigre ainsi que sa moustache épaisse et ses épaules basses trahissaient, sans équivoque, sa condition ouvrière. J’interprétai sa maigreur extrême comme son état naturel, et non l’effet d’une maladie, car son œil était brillant, son pas rapide et son allure assurée. Enfin, son accent du Sud était caractéristique pour toutes personnes ayant un tant soit peu d’oreille musicale. Mais c’est son regard clair et sa posture volontaire qui retinrent mon attention en premier lieu.
Mes modestes déductions étaient tombées juste et l’avaient décontenancée. Notre passion commune sur le sujet de cette conférence nous entraîna dans d’interminables discussions une grande partie de la nuit.
L’idée même de quatrième dimension et de voyage dans le temps était novatrice. Elle portait un tel potentiel qu’il était impossible à Herbert de ne pas la publier dans le Science Schools Journal dont il était le rédacteur en chef .
Ce fut le point de départ d’un travail de recherche acharné que nous entamions avec la fougue et la passion de notre jeunesse. Enfermés dans mon appartement, isolés du monde, le temps n’avait plus prise sur nous. Les jours se transformèrent en semaines, sans ébranler notre détermination. Nous n’acceptions que les brefs passages de ma logeuse, Mrs Hudson, pour nous amener les repas que nous ingurgitions distraitement et de façon la plus expéditive. Je refusai catégoriquement les quelques propositions d’enquêtes qui me furent soumises. Seules les visites du nouveau médecin installé au rez-de-chaussée de mon immeuble furent tolérées. Ce docteur Watson, que j’avais rencontré quelques semaines plus tôt, avait l’autorisation de pénétrer dans notre antre. Les réponses qu’il apportait à nos questions enfiévrées contribuaient à affiner nos expériences dans les domaines de l’anatomie et des fonctions corporelles. J’étais fasciné par ses connaissances indispensables à l’exercice de ma profession. Je me promis de me rapprocher de lui à la première occasion.
Avec mon goût pour la solitude et mon rejet des conventions sociales, le 221B, Baker Street n’était volontairement pas adapté pour recevoir des hôtes. Cette promiscuité avec Herbert, faisait pousser de hauts cris à Mrs Hudson, mais ne nous gênait en rien. Elle engendrait, bien au contraire, une émulation intellectuelle qui nous réjouissait. Ces expériences scientifiques emportaient nos esprits vers l’infini et au-delà.
Mycroft, mon frère, envoya un jeune commis me porter un billet faisant état de sa grande inquiétude. Nos parties d’échecs au White’s, notre club tant aimé, lui manquaient. Je pris sur moi de perdre quelques instants pour lui griffonner une réponse aussi polie qu’évasive avant de me replonger dans nos recherches.
Nous avions dévoré avec avidité tous les ouvrages scientifiques de ma bibliothèque. Les livres jonchaient le sol, recouvraient le bureau et s’étendaient jusque dans les moindres recoins de mon lodgings. Je circulais avec précaution au milieu de cet amoncellement pour accéder au tiroir secret de mon secrétaire Davenport. Celui-ci me délivra son contenu illicite. La cocaïne à sept pour cent n’était pour moi qu’une simple aide à des réflexions plus approfondies. Mes yeux écarquillés, ma mine blafarde, mes cheveux ébouriffés, et ma robe de chambre hors d’âge me donnaient une allure de tramp halluciné.
De son côté, Herbert prenait les notes qui lui serviraient plus tard de trame pour la première version de son roman. Mais le contenu en était trop explosif et l’aventure qui s’en suivit si dangereuse que, plusieurs années après, il me confia avoir racheté tous les exemplaires disponibles pour les détruire . Le monde n’était pas prêt pour accéder à une telle découverte.
Pour tout bon Anglais qui se respecte, la question du voyage dans le temps avait été abordée pour la première fois en 1610 dans la pièce de théâtre « La Tempête » de William Shakespeare. Mais nous n’étions pas de vulgaires héros de papier. Nos recherches étaient bien réelles et se basaient sur l’existence de la quatrième dimension.
Celle-ci étant invisible, car c’est une dimension de temps, il est difficile de se la représenter. Ce fut là que le génie de E.A. Hamilton-Gordon intervint. Pour imager son exposé, il avait déposé sur un drap tendu, censé représenter le temps, une boule pesante. Ainsi l’espace et le temps étaient clairement distordus par cette courbure accidentelle.
Mais comment influer de telle sorte sur le temps qui semble si linéaire ? Simplement en sachant que ce qui est impossible pour l’homme se réalise naturellement de façon cyclique sur notre planète. Ces conjonctures astrales inquiétaient déjà Mayas et Égyptiens il y a des millénaires. Comme nous n’avions pas la capacité matérielle d’en créer une artificiellement, il suffisait de découvrir un site réputé pour ses phénomènes énigmatiques.
Après de patientes recherches, les mystères de certains lieux fameux trouvaient enfin leur réponse : la nécropole de Gizeh, Stonehenge, les catacombes de Paris, le triangle des Bermudes et… la tour de Londres.
Les fantômes de la White Tower, qui avaient forgé sa sombre notoriété, ne pouvaient être liés qu’aux actes de tortures, aux exécutions sanglantes et aux assassinats qui avaient jalonné son histoire. Cette légende avait d’autres explications. Il n’était pas concevable qu’elle abrite tant d’esprits et de revenants depuis 1066 sans justification scientifique. Seul l’imaginaire débordant des hommes pouvait expliquer les racontars farfelus de soi-disant témoins ayant vu le spectre d’Anne Boleyn déambuler sans tête.

Ici, point de barres d’ivoire, de traverses de cuivre et de compteurs qui s’affolent sur une hypothétique machine à explorer le temps. Une simple barque sur la Tamise avait suffi. Désigné en tant qu’éclaireur de par mon « expérience » du danger, je n’hésitai pas un instant. Une nuit sombre, nimbée d’une brume épaisse, me permit de me glisser dans le tunnel de cette ancienne forteresse qui débouchait sur le fleuve. L’heure exacte et les coordonnées précises avaient été calculées pour correspondre à la fréquence d’ouverture de ce passage temporel.
En un instant, tout devint flou et brumeux. Un murmure vertigineux emplissait mes oreilles, une mystérieuse confusion descendait sur mon esprit. Il est difficile d’exprimer les singulières sensations de voyage dans le temps. Elles sont très déplaisantes. J’éprouvais l’horrible pressentiment d’un écrasement imminent . Un bruit suraigu accompagna une explosion de lumière et de couleurs mêlées.
J’allais mourir !













DEUXIÈME PARTIE :
« Londres 2024 : Récit de Emma Watson »
Médecin légiste à Scotland Yard est une lourde charge. Surtout pour une femme du XXIe siècle, comme moi, qui doit faire face encore à « une certaine » résistance de la part de mes collègues masculins. Voilà pourquoi je mettais beaucoup de conscience professionnelle dans mes enquêtes, et tout particulièrement en ce qui concernait cette série d’assassinats dans l’East End. Le fait que les cinq victimes soient des femmes ayant subi mutilations abdominales, extirpations de l’utérus et égorgements avait choqué profondément l’opinion publique.
Ce soir-là, j’étais retournée, de mon propre chef, au numéro 13 de Miller’s Court dans Spitafields où avait eu lieu ce dernier meurtre. J’avais fait sauter les scellés de l’appartement de cette pauvre artiste, si sauvagement mutilée.
Et c’est là que je le vis pour la première fois.
L’air s’était empli d’une étrange tension. Un halo bleuâtre et vacillant enveloppait son corps tel un spectre en attente d’un nouvel état de réalité. Une image se formait, indéfinissable, comme si chaque molécule de son être s’étirait et se comprimait dans une danse cosmique.
Soudain, tout s’arrêta. Une faible lueur incandescente baignait la pièce. Un homme, à la silhouette svelte et élégante, se redressa lentement. Ajustant un deerstalker cap démodé, il lissait son manteau à rotonde, lui aussi digne de l’époque victorienne.
Avec ma tenue soignée et mon look bourgeois, nous n’étions pas assortis. Pourtant son regard se posait sur moi avec curiosité. Je fus à peine surprise lorsqu’il se fit connaître en tant que Sherlock Holmes. Je me présentai en retour, quelque peu décontenancée par cette scène décalée. L’étrangeté de cette situation ne semblait nullement l’affecter. Bien au contraire, son esprit vif avait analysé le changement d’époque comme il me l’avoua plus tard. Le mobilier fait de matériaux inconnus, le port d’un pantalon pour une femme, les véhicules bruyants circulant au milieu de bâtiments immenses aperçus à travers la fenêtre, tout était indices et sujets à déductions.
Je restais sans voix. Mes pensées demeuraient confuses et je n’arrivais pas encore à accepter cette apparition surnaturelle. Mille questions contradictoires submergeaient mon esprit. Holmes, quant à lui, s’était plongé dans une analyse minutieuse de notre environnement inspectant chaque détail disséminé dans la pièce. Lorsqu’il sortit sa Calabash pipe je crus être la victime d’un abominable canular. Je l’entendais marmonner d’une voix calme, mais empreinte de perplexité « nous sommes arrivés dans un futur que j’ai grand peine à définir ».
J’étais encore décontenancée lorsqu’il me saisit par la manche pour me demander, avec une étincelle de curiosité dans ses yeux, de « sortir pour vérifier ses hypothèses ». Je laissais cette étrange apparition fouiller dans les massifs de fleurs, inspecter la poignée de porte et se pencher sur les marches du perron sans avoir la force de l’en dissuader.
Ce n’est qu’une fois qu’il eut achevé ses recherches qu’il se tourna avec la plus grande courtoisie vers moi pour m’enjoindre « d’aller nous installer dans un pub afin de faire le point sur l’enquête ». Tout en remontant Brick Lane, j’observais, amusée, son regard perçant scruter tout ce qui l’entourait. La nature des lumières qui inondaient la ville et le quartier de Spitafields que nous traversions, peuplé de femmes « aux tenues étranges et fort courtes, quoique seyantes », ne le surprirent étonnamment pas. Sa réaction positive au concert d’une pianiste annoncé sur une immense affiche apposée sur le fronton de la Christ Church me décontenança. Cet esprit brillant faisait fi des stéréotypes de son époque sur les rapports avec la gent féminine. À ses yeux, ma fonction de médecin légiste, mon style d’habillement et la liberté que j’avais de m’installer seule avec lui dans un lieu public n’avaient rien de choquant. Seuls comptaient mes compétences et mon esprit d’indépendance. Il avait immédiatement intégré la place d’une femme dans notre société moderne. Cette approche anachronique exerçait sur moi une fascination singulière. Sans cesser d’observer chaque détail qui l’entourait, il me fit part de ses premières déductions. De par le gant en latex taché de sang que j’avais retrouvé sur place, la lampe à UV pour détecter les infimes traces d’hémoglobine et mes surchaussures jetables, il avait tout de suite défini ma profession bien « qu’inexistante à son époque ». Il fallait situer le meurtre. Le lieu était resté gravé dans sa mémoire et c’est sans surprises qu’il vérifia l’adresse sur la façade. Le numéro 13 de Miller’s Court correspondait bien à une de ses enquêtes : la scène du cinquième crime de Jack l’Éventreur ! Deux homicides dans le même lieu à un siècle d’écart. Coïncidence ou préméditation ?
Les regards des passants se posaient avec trop d’insistance sur l’accoutrement si particulier de ce personnage de légende. Même dans ce quartier de Londres très fashion, nous ne pouvions pas donner le change plus longtemps. Un clin d’œil complice, face à la devanture d’une boutique chic, me fit immédiatement comprendre le plaisir non dissimulé que nous aurions à lui faire essayer toute une panoplie de vêtements tendances. Et c’est ainsi qu’au sortir du magasin dans lequel je l’avais totalement relooké je me surpris à penser qu’il était craquant, mon Sherlock, dans son Levis 501 !
Cet entracte vestimentaire consenti, non sans un certain amusement, n’avait pas affecté sa motivation. Il me susurra à l’oreille en me serrant tendrement contre lui : « Watson, le jeu est en marche. Une énigme nous attend dans ce nouveau siècle. Mais, une chose est certaine : le défi de la raison et de la déduction reste immuable, même face à cette ère moderne. » J’étais impressionnée par sa vivacité d’esprit. Elle lui avait permis de s’adapter sans effort à mon époque. Son désir de tout comprendre et de tout savoir était inextinguible.
La chance était avec nous. J’avais réussi à nous trouver un endroit assez tranquille dans le recoin sombre d’un bar branché. Seuls quelques maigres spots éclairaient le dossier que j’avais étalé devant lui. Son examen fut long et silencieux. Je l’observais avec attention, inspecter chaque paragraphe et détailler les photos une par une. J’esquissai un léger sourire en l’imaginant sortir sa fameuse loupe d’une de ses poches.
Puis vinrent les questions sur mon analyse et mes conclusions. Alors que, pour lui, la dactyloscopie était encore naissante, mes explications techniques à propos de l’ADN du suspect retrouvé sur le corps de la victime ne le déroutèrent pas. Il se pencha à nouveau sur les photos du meurtrier. Un certain Arthur Doyle, marin militaire de son état, condamné plusieurs fois pour violence. Un homme de grande taille, au visage émacié et au regard cruel. Sa réflexion désuète sur « cette haute silhouette d’une maigreur maladive à qui un bon bœuf du Berkshire ne ferait pas de mal » me tira un nouveau sourire.
Après un court silence, qui lui permit d’observer ma main gauche effleurer l’écran de mon smartphone, il posa la sienne avec délicatesse sur mon avant-bras. Cette technologie l’intriguait beaucoup, mais, après de brèves explications, il en assimila le maniement avec une aisance remarquable. Tout en tapotant sans quitter des yeux son clavier, il m’exposa ses conclusions. J’en restai médusée. Ce que « la scientifique » avait mis des semaines à trouver, il l’avait déduit en moins d’une heure.
« Tous les meurtres avaient eu lieu la nuit. Whitechapel était près des docks et ses navires y accostaient le plus souvent le soir. Il était alors facile de faire la liaison avec un marin. Militaire de surcroît donc « habitué » à la violence et éventuellement sujet à des crises périodiques de manies meurtrières. Impulsions sans doute développées par un esprit pseudo religieux en référence à ses tatouages d’inspiration satanique.
Ses probables faibles revenus en tant que simple responsable sonar expliquaient le mobile du vol de la somme importante que la victime portait sur elle.
Les traces de chaussures relevées dans les massifs du jardinet correspondaient aux photos des effets du coupable.
La gorge avait été tranchée de la gauche vers la droite aux vues des éclaboussures de sang retrouvées sur le mur à la droite de sa tête. Ce qui indiquait, de façon certaine, un agresseur gaucher.
Le gant en latex ensanglanté oublié sur la scène du crime révélait qu’il avait été dérangé lorsqu’après ses macabres mutilations il s’apprêtait à retirer l’utérus comme sur ses autres victimes. »
Cette brillante synthèse achevée, je lui fis part de mon admiration pour ces déductions. Elles corroboraient le rapport que j’allais déposer sur le bureau de l’inspecteur en chef du Central Office of Scotland Yard. Il me répondit, sans quitter des yeux l’écran de mon smartphone et non sans une pointe d’humour, « élémentaire mon cher Watson » !
Soudain, ses mains s’ouvrirent, laissant choir l'appareil.
Il me dévisagea longuement puis se leva d’un bon, marmonnant quelques excuses. Il était question de retour dans le passé, de timing précis et d’ouverture de passage temporel.
Je n’eus pas le temps de le retenir.
Il était déjà sorti du pub.

ÉPILOGUE :

Encore sous le coup de cette rencontre trop éphémère, je ne savais plus quoi penser. J’aperçus un homme d’un certain âge à l’allure respectable pénétrer dans le pub. Il se présenta à moi comme Maître Warburton, notaire en l’étude Warburton & Matherson de Greenwich. Après m’avoir fait signer un reçu, il me tendit une missive jaunie par le temps et cachetée à la cire. J’en saisis aussitôt la provenance et l’ouvris fébrilement.
Ma très chère Emma,
C’est en interprétant au violon la sonate n°1 de Bach, bien après mon « retour », que je me suis enfin décidé à vous faire parvenir ce mot, car il est important de ne pas colorer ses jugements par ce que l’on désire qu’ils soient. Pour moi, les années sont passées et me rapprochent de la fin alors que pour vous quelques secondes se sont écoulées entre mon départ et la remise de ce pli. Notre rencontre fut brève et je le regrette amèrement. Cette arrivée dans une époque où l’information est accessible de façon instantanée et à l’échelle globale a perturbé mon raisonnement. Ces téléphones que les gens utilisent sont bien plus que de simples moyens de communication. Ils recèlent l’ensemble du savoir humain et remplacent avantageusement mon abonnement à « La Gazette ».
Ces quelques heures passées en votre agréable compagnie ont représenté pour moi « ici » trois longues années d’absence. Vous ne doutez pas que j’ai dû trouver quelques justificatifs rocambolesques à ce « grand hiatus » pour rassurer mes proches. Mais je ne regrette pas cet effacement de trois ans de ma vie, car c’est auprès de vous que j’ai appris à baser mes enquêtes sur la médecine légale.
Mais là n’est pas le sujet. Je me devais de vous faire part de mes erreurs de jugement sur ces indices peu familiers qui m’ont orienté dans une mauvaise direction.
Désigner un homme, un marin et de plus un militaire comme coupable était facile. Déposer l’ADN d’un récidiviste connu de vos services n’a pas dû être compliqué pour vous au vu de la fonction que vous occupez. J’avais aussi noté que les empreintes de pas avaient un trop faible écartement pour un homme. La pression qui avait été exercée sur la partie centrale indiquait sans équivoque que vous vous étiez glissée dans les chaussures du suspect. Pour moi une personne portant un jeans troué et des tatouages que vous dénommez « ethniques » ne pouvait être qu’un voleur orienté vers le satanisme et indigent. Alors que la somme dérobée paraît énorme à mon époque, elle permet à peine d’acheter un 501 à la vôtre. Vous ne pouviez pas me cacher, en tapotant sur votre clavier, votre appartenance au monde fort rare des gauchers. Enfin, votre geste était maladroit lorsque vous avez tenté de soustraire à ma vue le gant en latex ensanglanté. Vous l’aviez, de toute évidence, perdu après avoir été dérangée pendant votre horrible forfait. Il est clair que vos notions d’anatomie et vos connaissances chirurgicales vous ont permis de vous venger en extirpant, sur chacune de vos victimes, leur utérus. Venger de qui ? De votre mère ancienne prostituée qui vous a abandonnée encore enfant comme je l’ai découvert en consultant votre smartphone. Mais c’est au retour à mon époque que j’ai compris l’origine profonde de votre mobile.
Pendant mon « absence », votre aïeul est devenu veuf sans que l’on sache exactement ce qu’il était advenu de son épouse Mary. Indice flagrant que je n’ai pas osé analyser pendant des années. Mais c’est cette broche en or, qu’il avait récupéré sur le corps d’une victime lors d’une de mes enquêtes, qui m’a alerté lorsque je l’ai vue épinglée sur votre tailleur. Une hérédité lourde qui ne s’efface pas facilement !
Oui, votre aïeul, John Watson, était bien Jack L’Éventreur, et notre profonde amitié ne m’a jamais permis d’avoir le courage de le révéler. Je ne referai pas cette même erreur en ce qui vous concerne. Je me dois de vous dénoncer malgré le trouble que vous avez jeté en moi.
Bien affectueusement, Sherlock


PS « C’est un fait élémentaire de logique que, quand on a éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, doit être la vérité ».

Copie à Monsieur le Chief Inspector du Central Office of Scotland Yard

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Lapinchien

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Pute : 72
à mort
    le 11/10/2025 à 19:23:32
Cette première contribution à l'appel à textes hommage à H.G.Wells m'a bien plu parce que j'y ai appris des tas de choses instructives cependant j'ai trouvé que l'histoire se basait beaucoup trop sur des coïncidences. Mais c'est peut être propre au voyage dans le temps tout ça. Quant à Emma Watson, je préfère celle de Harry Potter.

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