LA ZONE -

Dernier couloir

Le 21/09/2006
par Abbé Pierre
[illustration] La vie était belle pourtant. Elle prenait tout son sens. Mais de l’eau a coulé sous les ponts, cette eau noire qui serpente entre les bas fonds d’une ville et dépose sur ses rives tout ce qu’elle contient d’immondices.
Je suis de ceux-là, maintenant, le temps marqué en moi comme la peste. Mon crâne se heurte aux pierres qui forment les limites de mon existence. Quelques gouttes de sang viennent se loger sur mes joues, les dernières que je possède, comme chaque fois, depuis vingt et un ans. A l’extérieur, des choses mortes m’appellent, les derniers vestiges d’un moi véritable, mes viscères qui se sont exilées et éparpillées dans un monde que je ne connaîtrai jamais. Je ne les entends plus comme je ne perçois plus l’écho de mes pas sur ces dalles gelées. J’écoute mon cœur, je sens ses pulsations qui me brisent la poitrine, les veines qui se gonflent m’empêchent de respirer, ma cage thoracique, carrefour désert d’un corps putréfié, qui ne pourra retenir encore longtemps les assauts de mon organisme. Cette voix si familière parvient à mes oreilles, celle que j’attendais, celle qui signifie ma mort, celle qui l’a signifiée tant de fois. Non, Seigneur, je ne pleurerai pas, pour Toi je donnerai mon âme, je m’infligerai toutes tortures si Tu me l’ordonnes. Je n’ai pas peur Seigneur, je Te suis vers ma demeure, cette réalité n’est rien, tous sont Tes chiens et tous Te craignent. Ces personnes appellent notre puissance, nous les éradiquerons, nous sommes les armées qui Te servent.

Lâche-moi. Tu n’existes pas. Tu n’es rien. Je ne suis pas ton esclave, quoique tu puisses faire, quoique tu saches, je resterai maître de moi-même. Lâche-moi !

Un cri s’échappe et le rêve s’écroule. Mes mains griffent ma gorge comme si elles pensaient que l’air y pénètrerait plus facilement. Mes poumons brûlent mais je sais que c’est terminé, pour cette fois. Ils devront attendre encore ce jugement qui mettra fin à ce que je suis devenu. C’est moi qui ai crié. L’homme qui se tient devant moi m’en persuade. Il parle mais je ne m’intéresse pas à ses mots, il n’est pas en mesure de s’adresser à moi de la sorte, il n’appartient pas à ma vie. Pourtant, il tente de m’intégrer à la sienne ; les clefs tournent dans la serrure comme l’appel vibrant d’une liberté préconçue. Je ne suis qu’un objet que l’on émerge chaque jour du néant, que l’on traîne tout au long de couloirs fantomatiques présentés comme le labyrinthe tentaculaire de l’existence réelle d’un être humain. Un garde m’apprend des révélations qu’il se doit de juger extatiques sur l’au-delà des barreaux, et que j’oublierai sitôt mon calme retrouvé. Je ne sais plus où il m’emmène mais je me laisse faire. Le temps de la rébellion n’est pas arrivé, Il ne me l’a pas encore dit. Mes repères s’estompent, les murs s’effritent sur mon passage et font apparaître leur nature décharnée, ils me rappellent que je suis l’Envoyé, que je permettrai à tous ceux qui le voudront de se rallier à Lui afin que...Non, Seigneur, arrête, arrête, je T’en prie...ne me frappe plus, je T’en conjure, je ne dirai plus rien, j’attendrai, je ne me montrerai plus si impatient...Mon calvaire est enfin terminé et ma cellule me recueille comme le ferait une mère, la grille se referme sur moi et je sens des bras m’enserrer, caressant ma peau ternie, comme si ce simple fait pouvait détruire chaque parcelle de mes maladies. A cette pensée, je me mets à rire, quoiqu’il puisse se passer, je resterai un monstre que le poids d’une présence étrangère, paisible ou non, n’embarrassera plus dans sa lutte ; je sens alors déferler ces âmes mortes et perdues sur moi, celles qui auraient créé mon passé, comme le ferait une vague, leur douleur figée dans mon crâne telle une balle perdue. Je ris encore alors qu’une seringue rentre dans mon bras et me fait sombrer dans un sommeil sans rêve.

La vie était belle pourtant. Elle traîne encore en moi, fuyante, comme la seule rescapée d’un massacre dont je ne peux plus rien. Elle me rappelle des souvenirs qu’Il avait proscrits, il me fallait oublier tout ça, j’étais mort, je n’étais rien qu’un amas de chairs sanguinolentes, traînant misérablement sur ses propres espoirs. Au fur et à mesure que mon corps disparaît de cette terre, mon esprit s’illumine dans Sa chaleur, mes sens s’aiguisent et mon rôle serait bientôt achevé. Pour l’instant, je dois redevenir comme la marionnette qu’ils exigent, comme le pantin qu’ils veulent faire jouer sur l’autel de la justice. Je ne réponds devant rien, sinon devant mon seul Seigneur. Je porterai pour lui le fardeau de Ses blessures à travers le monde et ils mourront tous car moi seul serai sauvé. Encore un jour, et la lumière blafarde qui filtre à travers la fenêtre agresse mes yeux en me rappelant l’impureté de ce monde, son imperfectibilité naturelle. N’avez-vous donc pas compris que vous n’étiez que des sujets, que des expériences ? N’avez-vous donc pas vu la portée de mes actes au-delà des frontières de votre univers ? J’ai tué pour vous ouvrir les yeux et il ne reste que Lui pour me remercier. Vous croyez que votre sentence s’abattra sur moi et qu’elle restera gravée en moi dans l’éternité mais vous n’avez aucune emprise sur mon esprit, tant que je reste ici, entre ces quatre murs de ma propre liberté. Mon enfermement restera comme le symbole de votre déclin. Lorsque, affolés par la perspective de votre mort misérable, le châtiment qu’Il réserve aux traîtres se révèlera à vos yeux, alors, vous comprendrez.

Une assiette et un verre se tiennent devant moi, les mêmes, depuis toujours, depuis que je suis né. Je ne reconnais pas ce qu’ils contiennent mais mon corps m’oblige à me nourrir. Ma sortie approche, déjà quelques autres condamnés se ruent sur les barreaux, mendiant une heure de promenade supplémentaire. Un sourire se dessine sur mes lèvres exsangues, eux aussi ont perdu, eux aussi sont faibles. Mes pensées m’emportent alors qu’un gardien s’est posté devant ma cellule. Je ne l’avais jamais vu. Il ne dit rien, ne fait pas un geste et attend que je me relève. Je réponds à son appel implicite et tends vers lui ma main décharnée. L’accès au dernier couloir m’est permis après qu’il eût fait jouer ses clefs dans la serrure. Mes mouvements sont ceux d’un malade, je dois m’appuyer sur l’épaule du policier. Il ne me repousse pas et continue sa marche sans qu’un mot ne traverse sa bouche. Il est différent des autres, il n’est pas de ceux qui m’enseignent une morale inexistante et utopique. Il avance avec moi, sans un regard pour l’être qui l’accompagne. Son souffle se répercute jusque sur les parois de mon âme. Il ne prend pas le chemin habituellement réservé aux prisonniers, il s’enfonce plus loin dans le labyrinthe tentaculaire de mon domaine. Je crois, alors que mes jambes se dérobent sous moi, que mes os craquent face à l’effort auxquels ils sont confrontés, qu’il tient à me montrer quelque chose. Nous parvenons à une intersection ; au dernier moment, mon guide se retourne et m’adresse ses premières paroles :

-« Pourquoi te trouves-tu ici ?
- Car Il l’a décidé.»

Ma réponse lapidaire semble le satisfaire. Pourtant, retombant dans son silence, il me ramène, me portant presque, jusqu’à mon lit poussiéreux. Puis me quitte. A cet instant, quelque chose implose en moi et un long râle quitte ma gorge, semblant vouloir annoncer à tous mon inquiétude. Il doit revenir, je dois connaître la vérité, Seigneur, aidez-moi, ayez pitié, j’aimerais pouvoir Vous ordonner de m’obéir, il ne peut appartenir qu’à moi, guidez-moi vers ce qu’il m’a caché, je puis vous offrir mon sang si vous acceptez l’offrande. Pour la première fois depuis mon entrée ici, des larmes coulent librement sur mes joues et viennent enduire mes mains de cette eau salée, signe de notre dégénérescence toujours plus marquée. Pourquoi devait-il m’apparaître, ici, pourquoi devait-il contrarier ce que j’avais prévu ?

Je me lève et remarque les traces de mes ongles sur mes bras. Il ne subsiste rien de la peau humaine que je possédais, mes veines gonflées roulent sous mes doigts noircis par la roche qui reste leur seul autre contact. Je prie tous les Saints, les armées, les hordes bienfaitrices de mon Maître pour que l’homme revienne. La folie qui me transporte gangrène ma raison et je perds toute autre notion que celle de cet individu. De loin, sa respiration se fait entendre. J’en viens à me cramponner aux barreaux de fer, à guetter l’arrivée de celui me mènera dans l’éclat de la réalité physique de ce monde. Je sais qu’au bout de ce couloir inconnu se trouve la preuve de chacun de mes dires. Je sais qu’il est lieu de réalité, mes doutes n’existeront plus et je pourrai embrasser la fierté d’avoir servi si pieusement les exigences du Seigneur. Maudits païens, je vous exècre, la gloire que vous trouvez dans votre propre personne, je la trouverai dans votre sang comme Dieu l’a trouvée dans le mien. Il est devant moi et me prend dans ses bras. Rien ne subsiste d’hier. Les autres cellules ne sont que le fruit de ma trop grande imagination. Cette prison est la mienne, elle est mon unique propriété et elle se désagrège tout autant que mon corps échappe à sa salvation. Le couloir m’apparaît, lui seul semble être resté intact. L’homme hésite et recule. Mes maigres forces me permettent de serrer son épaule, pour lui faire comprendre que je désire avancer. Ses jambes, comme robotisées, ne tardent pas à m’obéir. Il est temps pour moi de remplir ma mission. Je me détache de l’étau que forme à présent la main de mon guide. Il m’étouffe. Je cours sans me retourner vers la seule vérité. Je sens mon âme crier de toutes ses forces pour m’empêcher de commettre mon dernier acte, la porte gigantesque qui se dresse devant moi semble pouvoir empêcher n’importe quelle intrusion mais je n’y fais pas attention. La poignée que je serre brûle mes os déjà apparents, je supporterai, je suis un Serviteur, tous les mondes doivent savoir, nous ne sommes plus vivants, nous n’avons jamais existé, nous oublions tout. Seuls deux mots trouvent le chemin de cette liberté tant voulue, le nom de cet homme que je fus et le nom de ce fils, dont je suis l’assassin, qui m’a volé mon humanité. Je le rejoins et nous périrons, quels que soient nos désirs, nous périrons, car Il l’a décidé. Nous sommes fidèles attentifs de notre fin, répandons-nous en gravats, nous ne valons pas mieux, esclaves de notre propre futur. Je le sais.


« -Il est mort ?
-Ca doit faire un bout de temps qu’il est ici. »
L’eau ruisselait sur les pierres des catacombes et l’humidité faisait frissonner les deux soldats.
« Sortons-le de là, il ne mérite pas son sort.
-Tu m’aides à le porter ?
-Oui. Fais attention en remontant, les marches doivent glisser.
-On l’enterre et on rentre, il me fait peur.»

= commentaires =

Malaxx
    le 21/09/2006 à 21:06:07
J'ai pas trop compris le contexte; j'suis peut être con.
Winteria

Pute : 0
    le 21/09/2006 à 21:34:49
Moi non plus, pas trop compris ce qui se passait. Je vais relire plus tard.

Mais sinon "son imperfectibilité naturelle", c'est moi ou ça pique les yeux très fort ? Mon amie rousse semble confirmer.
Astarté

Pute : 0
    le 21/09/2006 à 22:47:49
Ouais vous êtes un peu con en fait.

L'est beau ce texte
Ange Verhell

Pute : 0
    le 22/09/2006 à 21:52:25
Sais pas, moi j'ai vaguement saisi une variante de dépression morbide, sans doute alcoolique: c'est dans ces moments qu'on croit avoir de l'imagination.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 23/09/2006 à 08:27:47
Je préfère l'Abbé sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing sboing. Bon ben faudrait oublier l'hivers 54 maintenant parce qu'à reçasser tous ses vieux souvenir çà vous plombe une ambiance quant même... C'est beau en tous cas, le genre de beau que je suis infoutu de créer. Tu fréquentes trop nihil, l'abbé, il déteint.
Le Duc

Pute : 1
    le 03/10/2006 à 19:34:40
voici un commentaire constructif :
c plutot pas mal

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