LA ZONE -

Sur tous les fronts

Le 17/07/2007
par Omega-17
[illustration] Règle n˚ 1 : On ne négocie jamais
Victor Seminian, Ministre de l’Intérieur
Quarante-neuf ans, marié, deux enfants
Paris, 11 Octobre 2029
09h47

Les dossiers s’entassent et rien ne semble pouvoir changer véritablement. Les couloirs sentent l’empressement, la fébrilité automatique, comme si tous ces gens se sentaient personnellement investis d’une quelconque mission en dehors de celle qui figure sur leurs contrats ; le système étatique est bien verrouillé, il a su responsabiliser ses agents, les faire siens. Le parquet grince à peine. L’atmosphère est pleine de cette odeur boisée enveloppante qui me rappelle les vieilles bâtisses étrangères au drame humain et à sa latence si particulière dans lesquelles j’ai vécu il y a des siècles de cela. Pourtant je n’y suis plus.
Mon bureau est un type quatre aux dorures et aux raffinements omniprésents, ma table de travail pourrait être de banquet, la vue offre le panorama monochrome et gigantesque des dissensions perpétuelles. De la mort et de la continuité aussi. Comme ce garçon qui tue depuis bientôt deux heures et qui voudrait presque traiter directement avec moi, négocier des otages contre des conneries dont il n’aura jamais l’occasion de se servir. Quel pauvre con.
Sylvie est entrée tendue, son tailleur impeccable, et m’a regardé sérieusement, presque froidement en posant devant moi la chemise contenant l’ensemble des éléments réunis par les renseignements généraux et les autres organismes que je finance discrètement.
Je la saute deux fois par semaine, j’ai trop peu de temps. Son travail l’étouffe c’est évident, mais elle y trouve une justification par l’engagement. Elle croit à l’organisation, à la planification, à la rigueur et aux choses bien faites, elle croit à ce que nous disons tous les jours. Elle ne sait pas grand-chose de moi, elle sait à peine plus que l’opinion publique. C'est-à-dire absolument rien mis à part que j’apprécie trousser sa jupe le mercredi soir, dans le taxi, après avoir fait semblant d’écouter ces crétins incompétents de l’autre côté de l’hémicycle. Je me libère, le samedi en général, pour remettre ça et supporter ma brève apparition dans la famille que j’aie formée autant par nécessité d’image que par stupidité.
Deux engeances tristes qui, à elles deux, peinent à former chez moi une estime supérieure à celle que je porte à leur mère. La première veut suivre mes traces, je comprends cette ambition autant qu’elle me lasse, elle ne sera pas destinée à un avenir plus intéressant que celui de Sylvie et cette perspective semble déjà l’enchanter. La plus jeune me méprise depuis longtemps, dans le silence et le dégoût. C’est de loin ma préférée.
L’aura qui est la mienne depuis ma nomination n’est entachée d’aucunes bavures notables, les services adéquats y ont veillé. Le président reste également attentif à mon bien-être, c’est un homme aussi intelligent que corrompu, comme tous les présidents significatifs qui l’ont précédé. Je lui ai offert sur un plateau sept des cinquante-trois pour cent qui lui permettent aujourd’hui de sodomiser des top-models allemands dans sa résidence officieuse de Palerme. Sans être son bras droit, mon statut direct d’homme de confiance est indiscutable et indiscuté.
Le dossier est complexe au sens où cela ne se règlera pas rapidement malgré les moyens quasiment illimités dont je dispose en matière de gestion de crise. D’après les documents que j’aie sous les yeux, je constate que ce gamin est décidé à pourrir ma journée déjà chargée en affaires pénibles, la suivante et probablement la nuit intermédiaire. Je referme le tout en soupirant. Dehors, le temps est horrible. Evidemment.


Antoine Dessel, sans emploi
Vingt-quatre ans, célibataire, sans enfants
Nantes, 11 Octobre 2029
10h50

Il pleut sans discontinuer depuis ce matin. Il était très tôt, à peine cinq heures, quand je suis sorti de l’appartement, mon sac de voyage en bandoulière et mes pensées bien lointaines. Je suis parti avec un jogging ample, un simple t-shirt et ma casquette des Boston Celtics, afin d’éviter à mon regard le fatiguant spectacle des journées qui débutent. L’air était frais, c’était parfait ; c’était comme cela devait être. Une femme a protesté lorsque je l’ai bousculée, sur le chemin qui menait à la sublimation grandiose de ce que je suis. Je n’ai pas répliqué, mon objectif résidait en un ailleurs qu’elle ne saisirait jamais. Le sac était ridiculement léger en considération du rôle que son contenu allait jouer mais je ne m’en suis aperçu qu’en le posant à terre, arrivé à destination. Et c’est ici que tout est en train de prendre forme, dans sa finalité. La gloire, la peur, les interactions vides de sens et moi, renaissant. J’en suis satisfait.
L’objet de toutes leurs angoisses est greffé dans ma main droite, je le pose doucement sur la table, mettant bien en évidence la distance très réduite qui le sépare de mes doigts moites, à chaque fois que j’allume une cigarette. Un neuf millimètres Echo, l’arme de service standard des flics un tant soit peu gradés depuis la mise au placard de l’obsolète Parabellum, subtilisé directement au domicile de l’un des leurs. Personne ne trouve les combinaisons de coffres par hasard mais tout le monde ne couche pas avec des filles de serruriers expérimentés et peu intègres.
Trois déjà. Je regarde celui que j’aie choisi, de façon aléatoire, pour effectuer un quatrième plongeon de la tour France 3 Centrale Ouest. Je sens bien qu’il n’arrive pas à admettre son futur proche, il ne sautera pas, lui non plus. Il a pourtant bien remarqué qu’il n’y avait aucun échappatoire ; les trois premiers corps étaient tout proches de lui au moment où ils ont franchi la fenêtre grande ouverte. Mais non, il veut encore croire que c’est possible. L’humain a toujours toutes ses volontés tendues vers un espoir innommable afin d’obtenir un sursis de vie glauque. Je comprends difficilement cela.
« Un toutes les heures », j’ai été clair au moment de signaler mes intentions aux autorités locales. Je n’ai rien précisé excepté le lieu précis et mon vague désir d’entamer des tractations avec un haut dirigeant. Pour l’instant, tout doit rester habituel. Je jette un coup d’œil rapide au mur-vidéo : la même scène repasse en boucle, c’était le second. Evidemment, comme je l’escomptais, les médias se sont emparés sans plus de manières de l’offrande que représentait l’évènement, les colonnes des journaux sont souvent remplies laborieusement alors que là, il n’y a qu’à laisser couler l’encre et à faire tourner les imprimeries.
Et pour le public, il y a une règle officiellement inviolable qui se doit d’être respectée par tous les gouvernements dignes de ce nom, crédibilité oblige : on ne négocie jamais. Terroristes et forcenés compétents de tout bord connaissent la règle par cœur. Il n’y aura aucun compromis, aucun pouce de terrain réellement concédé ; je suis en position de force très relative vue de l’extérieur mais il n’y a rien de plus inquiétant dans ce genre de situations qu’une absence de revendications. Quand je sentirai le vent tourner, je demanderai dix millions, pour la forme. Ils ne cèderont pas, malgré les morts, ou feront semblant dans un premier temps pour en gagner. Je conserve encore un atout capital car ils ne savent pas que je compte là-dessus. Leur impuissance à me satisfaire est complète, à l’image de la mienne.


Charly Estiennet et Maxime Leroff, tous deux RMIstes
Trente et trente-six ans, célibataire et marié, sans et trois enfants
Bordeaux, 11 Octobre 2029
12h08

" Ils vont arriver avec un hélico et ça va être sa fête, à cet enfoiré. Ils vont pas le louper.
- Ouais, faut être un malade pour balancer des gens comme ça.
- Deux femmes, Charly : il a flingué deux femmes dans le lot ! Moi, les types de ce genre, je les fais griller sur la chaise électrique. Ca mérite pas de vivre, des saloperies pareilles.
- Moi, je dis qu’ils vont envoyer le GIGN et il va se faire truffer de balles avant ce soir.
- Eh Coco, c’est fini, ça. Maintenant, c’est les Forces Spéciales de Résolution de Crises. Ces types-là, ils sont entraînés à tuer sept jours sur sept, c’est pire que l’armée. Il a aucune chance, je te le dis.
- De toute manière, lui, il veut crever. Si tu veux vivre, tu fais pas des trucs comme ça.
- Ah ouais, ben il a tout gagné, ils lui feront pas de cadeaux. Ca va être vite réglé… Sabrina ! Tu nous amènes deux pressions ? Merci… Ouais, tu vas voir, ils vont pas lui laisser le temps d’en faire valser beaucoup.
- T’as eu des nouvelles de Karl au fait ? C’est dingue comme les gars peuvent disparaître dès qu’ils doivent du fric. Il a qu’à venir me le dire en face qu’il est à sec, et puis on discute.
- Karl… Karl, c’est un bon gars mais je sais pas ce qu’il fout en ce moment ; il est dans son monde, lui aussi.
- Ouais, ben, il va falloir qu’il revienne dans le nôtre. Il a qu’à faire un aller-retour avec ma petite enveloppe.
- Il est loin son monde, à Karl. Pas sûr qu’il y ait des navettes, je te le dis. D’un côté, c’est un type drôle, sympathique quoi : tu peux parler avec lui, il est loin d’être con ; et de l’autre, il y a des jours où on dirait que toute sa famille a brûlé la veille dans un incendie. Karl, c‘est ça. Qu’est-ce que tu veux…
- Ouais. Putain, je vais lui en faire une de navette, moi… Tiens, regarde, ils ont fait venir les négociateurs.
- La négociation, elle va lui rentrer entre les deux yeux et l’affaire va être close. Tu crois que Seminian va se poser des questions ? Il a déjà donné l’ordre de l’abattre, qu’est-ce que tu crois… Y aura un discours de Fabry à vingt heures qui va venir te dire que la France a connu un drame et qu’il présente ses condoléances aux victimes. Et puis terminé. Ils vont pas se faire chier.
- Ca, c’est sûr.
- Il peut pas se rater sur ces coups-là, Fabry, il sait qu’il reste que deux ans avant les élections.
- Les élections… Trente-huit pour cent d’abstention, la dernière fois. Si on arrive à cinquante, il se passe quoi ?
- Faut les refaire, Coco.
- Eh ben putain, on a pas fini.
- Sabrina ! "


Frédéric Novak, membre des FSRC
Vingt-huit ans, fiancé, sans enfants
Nantes, 11 Octobre 2029
13h00

« La négociation n’existe que par la dissuasion, vous êtes là pour créer le doute et l’appréhension ; l’individu négociera, vous jamais », les instructeurs nous le répétaient en permanence. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas. Je ne l’oublie jamais.
Même dans les bras de Chris quand je rentre pour quelques jours. Elle dit qu’elle comprend quand j’ai l’air absent ou agressif, je suis sûr du contraire mais lui parler de tout ça ne servirait à rien. Et je n’en ai pas le droit. On s’est rencontré en boîte, comme des cons. Moi, je ne buvais quasiment pas mais elle avait besoin d’oublier quelqu’un alors je l’ai laissée tenter de réduire sa peine, cette nuit-là. Elle a fait semblant de l’oublier avec moi puis un peu moins après. Ce n’est pas grave. Je sens bien qu’elle voudrait un enfant et qu’elle n’ose pas, sachant trop à quoi s’attendre. Si elle doit partir, elle partira. Ce n’est pas grave.
Trois ans bientôt que je vais de preneurs d’otages en détraqués et nous n’avons aucun échec à notre actif. « L’échec n’existe pas ; s’il existe c’est le vôtre, parce que vous êtes mort », chacun de nous le sait parfaitement. Ca non plus, ça ne s’oublie pas. L’ensemble des méthodes enseignées chez les FSRC viennent des camps militaires étrangers, là où aucune caméra n’ira. Le gouvernement a décidé de faire de nous la seule unité d’élite exclusivement destinée au combat urbain, à la récupération d’otages et à la neutralisation des terroristes sur le territoire. GIPN, GIGN, RAID et autres formations annexes faisaient bien leur travail mais ils étaient trop lents à se déployer et pas encore assez démonstratifs aux yeux des puissants. Alors nous voilà.
A neuf trente, l’alarme a retenti dans la caserne et d’après les premières infos, ça allait probablement être pour nous ; déjà deux morts et toutes les soixante minutes, un civil risquait d’être abattu. La police locale avait trop peu d’éléments, l’accès aux lieux était verrouillé, l’environnement à complet découvert, l’individu était selon les contacts locaux tout à fait lucide et une intrusion frontale de leur part mènerait à des pertes supplémentaires. En gros, ils ont jeté le dossier sur la table des FSRC. « Faîtes votre travail, c’est tout ce qu’on vous demande ». Dès qu’ils ont compris que ça allait devenir un peu trop sérieux, ils nous ont donné moins de deux heures pour être en place. On a décollé à onze zéro zéro et voilà presque une heure trente que la solution que tout le monde nous ordonne de trouver n’arrive pas. Une autre info vient de tomber : la sixième victime vient de s’écraser en bas de la tour. Les pompiers avaient bien positionné les bâches à hélium comprimé et les filets de récupération mais ils se sont retrouvés face à un cadavre, une balle logée dans le crâne.
Du haut de la tour, il a une vue panoramique et il n’est peut-être pas seul. Concernant les otages, on n’a aucune idée de leur nombre. Les flics qui se sont aventurés dans le couloir ont entendu plusieurs voix mise à part celle de la cible. On n’a rien de plus, son dossier est aux trois-quarts vide : « Antoine Dessel, vingt-quatre ans, pas d’enfants, pas d’antécédents judiciaires ou psychiatriques, inconnu des institutions depuis des années. Armé et décidé. A formulé une demande de négociation avec un dirigeant national. Pas de revendications, pas d’identification à un groupuscule connu. » Des agents sont allés interroger la famille : ils n’avaient plus de nouvelles, ils ne comprennent pas. C’est souvent le cas.
Il a passé deux appels à la police nantaise : l’un pour se manifester à huit zéro zéro, le second il y a moins de deux heures pour signifier que s’il observe le moindre positionnement de forces qui pourrait lui sembler hostile, c’est deux corps qu’il nous envoie. On a des hommes dans le bâtiment mais les conduits de ventilation ne nous sont d’aucun secours : pas au bon endroit, inutilisables ; les cloisons sont hors course aussi : trop épaisses, trop de bruit ; les tireurs isolés n’ont pas angle exploitable : trop haut, impossible ; il repèrerait un transport aérien à des kilomètres et les photos numériques infrarouges à très haute définition nous ont seulement montré la présence de plusieurs individus, tous vivants, au moins une dizaine.
Des experts du génie logistique viennent nous parler de sondes miniatures et de tirs de précision assistés par ordinateur, on ne veut pas de leurs gadgets. Il va falloir grimper là-haut et appliquer ce qu’on nous a appris. Ce sera peut-être à moi de l’abattre ou à l’un des autres gars. Quand on sera prêt, on saura quoi faire. Pour le moment, on attend.



Règle n° 2 : Savoir anticiper



Philippe Fabry, Président de la VIème République Française
Cinquante-six ans, marié, trois enfants
Paris, 4 Août 2029
15h45


C’est fait. Un des tours les plus audacieux jamais réalisés par un dirigeant national vient d’être validé. Je n’ai mis aucun politique au courant, l’initiative est bien trop osée pour que je puisse accorder ma confiance à quiconque, moins encore à ceux de mon parti. Ce coup de communication novateur porte un nom tout aussi épique : Cassandre. Je ne rentrerai pas dans les livres d’histoire pour autant, du moins pas avant une époque incertaine qui ne sera plus de mon ressort. En tout cas suis-je amené à l’espérer.
Le quatre Mai. Il y a plus de deux ans. La gloire. Cinquante-trois pour cent face à Médard. Les pronostics allaient bon train, l’issue était assez imprévisible. Comme souvent, nous avons dû aller chercher les derniers bulletins nous-mêmes ; jusqu’à embaucher dans l’heure les étudiants de faculté à leur domicile, dans les cités-dortoirs, pour sonner aux portes de la capitale tant les voix nous manquaient. Une vingtaine de plaintes pour harcèlement immédiatement étouffées et trois points pour faire la différence. En face, ils ne s’en sont pas relevés alors qu’ils étaient en tête dans toutes les prévisions, croyant avoir la majorité des classes moyennes derrière eux. Les prévisions, nous les avions achetées quand cela était possible afin de mettre un coup d’arrêt aux efforts de l’opposition en fin de campagne et les classes moyennes… chacun sait combien elles sont volages. Une stratégie peu reluisante mais efficace. Rien en comparaison de ce que je m’apprête à faire. Ce sera ma dernière pénétration dans le domaine de la manipulation à grande échelle. La dernière et la plus insensée. Justement.
Devant le peu de fiabilité des sondages de toute manière peu encourageants, l’inconsistance de l’électorat global et les taux d’abstention records enregistrés depuis plusieurs suffrages, aucun des analystes politiques qui s’agitent sous ma baguette comme des termites affolés n’a été suffisamment perspicace pour me présenter un rapport compétent de la situation et des mouvements actuels. Ils s’envasent les uns après les autres dans leurs justifications ampoulées tant ils craignent pour leur juteux virement mensuel.
Je me suis donc entouré de quelques observateurs indépendants versant dans l’indifférence du pouvoir par incapacité à y aspirer sérieusement et n’ayant aucun contact notable qui aurait pu faire part de mon projet aux personnes les plus aptes à le retourner contre moi. Mon expérience à la tête du pays et plus sûrement ma fréquentation prolongée des milieux dits autorisés m’a démontré avec une régularité finalement peu étonnante que la subtilité est souvent plus concluante en matière de persuasion lorsqu’elle se camoufle derrière un évènement grossier distillateur de rumeurs toujours méprisées par leur manque cruel de bon sens. En l’occurrence, un attentat envers ma personne, malgré sa nature, son historique classique et la suspicion prévisible qu’il génèrerait, aurait tout à fait pu me propulser en tant que candidat ressenti comme le plus capable et bien évidemment le plus dérangeant des prochaines élections. Les enjeux de cette présidence tant pour cette nation que pour moi-même ne sauraient s’en contenter et j’ai donc opté pour une alternative encore d’actualité mais dotée d’une variante encore peu développée : le terrorisme civil intra-territorial.
J’arrive à la moitié de mon mandat, c’est un repère trop tardif pour s’adonner à l’anticipation, presque rédhibitoire à ce niveau mais le projet Cassandre détient la solution au temps qu’il me manque déjà. Je sais qu’il m’offre l’option que mes adversaires ne pourront atteindre, une option qui verra le plus sérieux d’entre eux évincé de toute ambition politique à vie et mon parcours s’allonger d’un quinquennat.


Chloé Seminian, lycéenne
Dix-huit ans, célibataire, sans enfants
Shanghai, 1er Septembre 2029
19h32

Deux semaines ici ou ailleurs et on ne reviendrait plus en France, si l’on s’écoutait. Tout paraît plus harmonieux, moins indifférent et paradoxalement très calme malgré l’agitation démentielle qui règne dans le pays le plus peuplé et en passe de devenir le plus capitaliste du monde devant les anciennement intouchables Etats-Unis. Cette impression a tout de celle de la touriste béate standard et je n’en suis pas une. Rien n’est standard quand on est fille de ministre, tout est hors catégorie. Moi plus qu’autre chose.
Comme tout homme de pouvoir assez clairvoyant pour en être avide, mon père méprise les gens avec un naturel hors du commun. C’est là notre seul point commun, j’en ai bien peur. Il trompe sans doute ma mère, cette pauvre chose qui s’étonne encore de la hausse des prix des fruits et légumes frais, et personne d’intelligent ne peut lui jeter la pierre. N’importe qui en ferait autant, confronté à l’ersatz de femme avec qui il ne partage plus que les feuilles d’imposition à cinq chiffres. Mes reproches sont bien moins superficiels et largement recentrés sur mes jeunes et naïves attentes d’antan. Il n’a jamais su m’apporter quoi que se soit de valable si ce n’est le goût de l’argent, avec un homme attaché à de telles fonctions, à quoi aurais-je dû m’attendre… Il croit ses principes humains fondamentaux alors qu’ils sont éculés comme ces pagodes moisies semblant avoir été rafraîchies au V33 de chez Delux Valentine qui s’imposent au milieu d’une forêt de nénuphars en décomposition et au milieu desquelles on trouve à coup sûr au moins un couple de sales jaunes décérébrés, souriant largement comme des abrutis inconscients de la vie, des choses, des gens et de leurs motivations. J’aurais bien des choses à annoter en bas de page si l’on me laissait intervenir sur les guides touristiques pour factices routards à tendance crétino-philanthro-démagogiques. Malgré le niveau de vie qu’elle m’offre et que je revendique ouvertement, je ne peux considérer la tâche qui est sienne autrement qu’en la juxtaposant à celle d’un planteur d’ananas dans les plaines de Normandie, fier et assuré de la grandeur de son geste.
Ma sœur est une brave fille qui ressemble trait pour trait à sa génitrice, je sens que mon père le déplore alors qu’avec le temps, je n’y trouve plus à présent qu’une source intarissable d’ironie et comparaison gratifiante, quoique trop aisée et nullement périlleux.
Je me revois dans ce studio modeste proche de la rue des Archives, les jambes écartées face à lui. Je sais qu’il pense à l’influence internationale de mon père quand il me baise. Je ne lui en veux pas, il a raison. Les hommes aiment le pouvoir et j’aime le pouvoir que j’aie sur eux. Par mon statut, par mes moyens, par mon corps. Comme beaucoup de femmes mais à un degré largement supérieur, c’est une vocation intérieure. Le milieu dans lequel j’ai grandi n’y est pas étranger, toutefois je crois qu’il y a quelque chose de plus intensément enfoui dans le sentiment perpétuel de posséder et de déposséder qui est le mien. Je crois à l’inné.
J’ai lu Nietzsche en Seconde, j’étais en accord total sur les réflexions des vingt premières pages. Je me suis arrêtée là. On reconnaît un homme qui développe une idéologie élitiste et profondément réaliste et qui le fera jusqu’au bout. Comme je reconnais la véritable passion et l’engagement sans bornes dans les yeux d’Antoine. Cette passion et cet engagement ne me seront pas destinés, je l’ai compris juste après que nos regards se soient croisés dans le bar attenant au lycée. Il voyait sans regarder, il entendait sans écouter, je crois qu’il s’est toujours levé sans vivre. Lui aussi ira jusqu’au bout de ses intimes convictions, le contraire serait impensable. Il faut savoir anticiper sur l’humain et je me débrouille plutôt bien. L’avenir me donnera raison ; lui à mes côtés, je sens dans l’air la possibilité non pas d’accéder à un phantasme lunaire d’affranchissement des codes normés mais celle d’une annihilation de la pensée démocratique et d’une concrétisation partielle de l’indépendance ouverte de l’idée de scission globale. Je me suis mise à parler comme lui, c’est vrai. Je l’ai remarqué depuis quelques temps. C’est un signe que tout ça tient la route.
Le jet décolle dans moins d’une demi-heure. Beijing, puis Paris via Riyad. Les cours recommencent dans quelques jours, je serai belle et prête à ce nouveau départ de la chasse qui n’en est une que pour les petites putes dans mon genre, à l’affût du mec talentueux qui aura autre chose que de la médiocrité rituelle à me proposer et qui saura me plaquer sur des matelas de gang-bang de cave, cynique et excité par ce que je représente.


Karl Marevik, barman / employé de discothèque
Vingt-six ans, célibataire, sans enfants
Bordeaux, 17 Juillet 2029
00h21

Ce soir, on a droit à « SHOES IN YOUR MOUTH », groupe rétro-punk avec un leader nain d’allure vraiment extraterrestre, très sûr de lui, complètement allumé. Je travaille au Poste à galène deux ou trois nuits par semaines, mon travail consiste à prendre les manteaux des tarés qui défilent ici (goths pleins artifices et d’effets peu spéciaux, flics en civil, défoncés et saoulards virés de la boîte d’à côté, types qui s’emmerdent, voire fans de punk saturnien), à donner un numéro et à encaisser deux euros en essayant de paraître le moins hostile possible. Très souvent, je n’y parviens pas. Au bar, c’est la même chose mais là-bas, tout le monde l’accepte, les habitués partagent mon enthousiasme existentiel. J’y suis presque en sécurité. Par rapport aux gens, s’entend.
Je repense encore à cette première rencontre alors que les premières notes de ‘JimFy Dwarf & Pills’, apparemment un titre phare du répertoire de ces chaussures galactiques, viennent de contorsionner les murs : ce type ressemblait à un spectre ennuyé quand il a débarqué au Friedland ; il a commandé deux Pastis et s’est mis à fouiller parmi les noix de pécan et les cacahuètes du comptoir pour y débusquer une solution au fâcheux dilemme qui semblait le préoccuper. Je sais anticiper le potentiel d’un individu à se dévoiler ou à se refermer sur lui-même tel un bulot crispé. Et il n’avait rien du crustacé. Il a engagé la conversation après deux coupelles d’apéro : il écrivait, il devait bientôt partir à Nantes, un travail incertain. Je connaissais le coin, j’y avais encore beaucoup d’antipathies, vestiges de quelques collaborations humaines aux buts divergents alors que je croyais toujours malgré tout à un quelconque espoir de supporter un jour une relation d’échanges répétés avec un individu de mon espèce. Il avait quelques contacts sur place, soi-disant, mais il hésitait. Rédigeant moi-même des scenarii d’héroic-fantasy dont il était friand, il abandonna petit à petit ses entreprises de fouilles dans la troisième coupelle de raisins secs pour s’investir plus sincèrement dans le dialogue. Après le cinquième verre, il est parti. Non sans avoir noté mon rôle logistique primordial au Poste à galène.
Une semaine plus tard, il s’est présenté à ma loge fin bourré pour me confier sa veste, un soir à peu près identique à celui-là. En compagnie de types discrets pour l’endroit. Une heure avant la fermeture, il est revenu prendre son bien et m’a tendu un billet de vingt en me criant étrangement à l’oreille : « Je n’aime pas partir sur un échec ». Même aujourd’hui, je ne vois pas tout à fait ce qu’il voulait sous-entendre. Je suis rentré chez moi sans réponses aux questions que je ne me posais plus. Je savais que les types de ce genre n’étaient à prendre qu’à moitié au sérieux et que c’était déjà se montrer plus que généreux.
Dix jours après, je prenais un revers magistral avec un e-mail d’une page et demi détaillant la proposition qu’il avait choisi de me faire. Et là, j’ai tout de suite compris que j’avais affaire à un sociopathe emphatique : un mythomane doué mais un mythomane. Quatre jours. Et j’ai répondu en demandant des détails supplémentaires. Et je les ai eus. Avec un chèque à quatre zéros. Je ne connaissais pas ce mec mais un train pour Nantes et un cran d’arrêt dans la poche droite, ça ne coûte pas grand-chose, finalement. Et j’avais déjà de quoi voir venir.
Ca passera. Ou pas. Ca prendra du temps. Ca peut coûter très cher. Ca peut rapporter énormément, à tout le monde et sous toutes formes de payement. L’essentiel, et je me le répète souvent depuis, c’est que je ne regrette rien et surtout pas de l’avoir rencontré, lui et sa proposition.
Antoine… un sacré type.


Règle n° 3 : Agir en silence


Antoine Dessel et quatre interlocuteurs
Paris, 5 Juin 2029
09h09

« Je ne vois pas l’intérêt de cette mascarade. La convocation de la CAF ne précisait pas une fouille au corps, il me semble…
- Cette convocation n’en est pas une, sinon la nôtre vis-à-vis du profond désir qui nous anime dans le cadre d’une collaboration fructueuse avec vous, Monsieur Dessel. En outre, et comme vous l’avez subtilement remarqué, elle ne notifie nullement les armes automatiques portées par les deux agents qui effectuent en ce moment même une palpation rigoureuse sur votre personne par mesure légitime de sécurité. Vous ne savez que trop bien dans quel monde périlleux nous vivons, n’est-ce pas…
- Il n’est pas mentionné sur ledit formulaire que vous copulez grassement avec la fille d’un des hommes les plus puissants de ce pays. Nous avons préféré que cette information ne soit pas ajoutée au contenu tout à fait nul et non avenu de ce document. Vous le déplorez ?
- Votre passif somme toute négligeable ainsi que votre brève mais lucrative apparition dans le secteur de l’escroquerie et de l’abus de confiance ont été occultés dans le même ordre d’idées. A l’image de votre détention peu inspirée et absolument illégale d’une arme de gros calibre appartenant à un agent de police, détail assommant dont vous n’aviez vraiment pas besoin.
- Tout comme vos antécédents remarqués dans la consommation ostentatoire de psychotropes divers allant par déclinaison croissante de l’ivresse publique à des produits plus lourdement proscrits tels que l’ecstasy ou la cocaïne. Vous admettrez notre rigoureux respect à l’égard de la législation concernant l’intimité de chaque citoyen.
- Vous avez des informations précises, c’est bien. Je vous félicite.
- En effet. Bien aimable à vous. Mais nous ne sommes pas ici pour en discuter plus avant. Nous souhaitions seulement vous faire part de notre culture à votre sujet.
- Je vous mets un A. D’autres questions ? Je vous laisse à vos petites enquêtes, alors…
- C’est très probablement vous qui en poserez dans un instant, Monsieur Dessel et il est fort peu recommandé pour votre avenir immédiat de quitter cette pièce sans notre assentiment.
- Dans l’hypothèse où vous y parviendriez par vos propres moyens.
- Ce qui est exclu. Reprenez donc votre chaise.
- Bien. Nous savons qui vous êtes et le mode de vie qui est le vôtre. Les présentations sont donc faites. Vous comprenez évidemment que si vous êtes arrivé jusqu’ici et au vu de l’ambiance, si je puis m’exprimer de cette manière, qui fait de vous le point central de nos attentions, la situation est on ne peut plus déterminante. Nous requerrons votre concours à sa résolution.
- Quelle situation ? Et quel est mon intérêt dans l’histoire ? On parle de quoi réellement, là ?
- Politique, intensément politique. Vous vous en doutez…
- Continuer à vivre de longues et fastes années sans vous soucier de la manière plus ou moins orthodoxe dont vous allez régler votre loyer, comme c’est le cas aujourd’hui.
- D’une prise d’otages accompagnée d’une dizaine de meurtres de sang-froid.
- Un document tout à fait officiel, celui-là, vous garantira une immunité totale sans possibilité de rétractation et ce, quel que soit le gouvernement au pouvoir.
- Signé de la main de celui qui vous présente ses vœux chaque année sur la chaîne nationale.
- Formidable. Et en retour ? Dix morts avec la bénédiction de Fabry ?
- Son aval.
- Et sa protection.
- Vous concevez ce que cela représente ?
- Des présidents meurent régulièrement.
- Pas celui-là, pas avant quelques années.
- Ca mérite réflexion.
- Ne soyez pas stupide, monsieur Dessel, vous avez déjà accepté. Vous savez pertinemment que vous ne vivriez que très brièvement si jamais la folie vous poussait à la fuite.
- Le secret est si évident en de telles circonstances que je ne vous ferai pas l’offense d’aborder ses modalités, les risques capitaux encourus en cas de tentative de divulgation ne serait-ce que partielle ainsi que l’ensemble des pressions et de la surveillance qui seront exercées sur vous dès lors que vous aurez franchi cette porte dans le sens contraire.
- Je ne doute pas de l’étendue de vos relations. Que vient faire Chloé dans ce programme, puisqu’il est flagrant qu’elle est une donnée essentielle de votre problématique ?
- Vous nous rassurez, monsieur Dessel, mes collègues ici présents et moi-même avions cru un instant avoir mal évalué votre aptitude à exécuter ce travail. Mais il n’en est rien, comme vous nous en faîtes la preuve à l’instant.
- Chloé Seminian devra faire partie de cette opération. Son implication directe dans les meurtres n’est pas une obligation, sa présence seule est indispensable. Elle travaillera de concert avec vous et j’ose espérer que vos torrides rapports n’auront pas d’incidences fâcheuses sur le bon déroulement du processus, lequel vous sera fourni de façon très détaillé à la fin de notre entretien, les notions de base avec lesquelles vous ne ferez qu’un ainsi que le profil complet des personnes que vous serez amené à côtoyer, influencer, neutraliser le cas échéant tout le long de votre tâche et ce, jusqu’à son épilogue, espérons le pour vous, heureux.
- La situation requiert une troisième personne pour des raisons purement logistiques. Choisissez avec discernement, nous n’avons pas de critères particuliers, sa sélection vous revient et vous serez donc seul responsable de son décès comme de celui de votre compagne du moment, en cas de difficultés en rapport à l’exécution correcte du plan établi. Votre cas n’étant plus à développer, il me semble.
- Une somme tout à fait conséquente vous sera allouée afin de motiver le recrutement d’une personne que vous estimerez de taille pour cet emploi.
- Et l’issue ?
- La survie en premier lieu. Des ressources financières pour satisfaire vos besoins et plus encore, de manière considérablement agréable, soyez-en certain. Et la sérénité, bien précieux par les temps qui courent, convenez-en.
- Ceci pour vous trois.
- Vous n’avez pas à en savoir plus et je vous certifie que cela n’en vaut pas la peine, ces mouvements souterrains n’auraient qu’une valeur limitée à vos yeux puisque vous n’avez de toute manière aucune fibre politicienne, n’est-ce pas ?
- Ce n’est pas faux.
- L’intégrité physique et morale, au même titre que la jouissance totale de leurs déplacements est assurée, après application exhaustive de notre accord, par deux documents en tout point identiques à celui qui vous a été présenté il y a de ça quelques minutes.
- Vous serez trois mais votre sagacité vous a déjà clairement signalé qu’aucun d’entre vous ne conclura brillamment sans le soutien des deux autres, d’où la cohésion déjà acquise pour moitié sur laquelle nous comptons pour vous voir tous combler nos attentes. Vous agirez communément, précisément et dans un premier temps en silence.
- Ma sagacité se rallie à votre opinion.
- Monsieur Dessel, sachez que je n’en ai, parlant d’égale sincérité au nom de mes collaborateurs, jamais douté.
- L’arme de troisième catégorie, propriété de l’Etat s’il en est, dissimulée fort classiquement sous votre matelas et qui n’a donné que peu de peines à nos agents s’y trouve toujours. Vous l’utiliserez. Un brouillard supplémentaire ne saurait se refuser.
- Le reste du matériel vous sera fourni en temps et en heure.
- Je vous souhaite la bienvenue dans les coulisses du pouvoir, Monsieur Dessel. Ce fut succinct, n’est-ce pas et tant d’informations en si peu de temps vont nécessiter un certain recul, tout cela a été dûment pris en compte, vous pensez bien. Il me reste à vous présenter l’homme qui veillera au bon fonctionnement de tout cela, votre ange-gardien en quelque sorte. Mettons donc un peu de lyrisme dans ce flot concentré d’interrogations et d’appréhensions latentes, si vous me le permettez.
- Il sera votre contact durant la phase majeure de l’action. Vous imaginez parfaitement les consignes qui sont les siennes en cas de défaillance de votre trio, délibérée ou non.
- J’imagine excellemment.
- Souvenez-vous qu’il a droit de vie et de mort sur vous à tout moment.
-Vous êtes, malgré un style comportemental original que vous alimentez pour des raisons sociales et personnelles hors de notre intérêt, un homme cultivé. Vous noterez donc toute la signification du nom de code donné à cette opération : Cassandre.
- Ma culture m’interdit d’y croire, vous m’en voyez désolé.
- Bien, faîtes entrer Monsieur Novak, s’il vous plaît… »


Chloé Seminian
Paris, 12 Juin 2029
21h46

Il ne vient pas de Chicago ni de Los Angeles, et pourtant il pourrait écrire des scripts de polars. Mais je crois qu’il s’en fout complètement. Il écrit. Et ce qu’il écrit est troublant, je ne peux même pas dire que j’aime le lire, on ne peut pas avoir ce genre de sentiment quand on entre dans ses mots. C’est incompréhensiblement différent ; enfin, je ne sais pas comment l’exprimer. Lui-même ne pourrait peut-être pas le faire instantanément. Ce qui m’a frappée, c’est son inconsistance. Il n’est pas là. Il met sa langue dans ma bouche, il presse mon corps contre le sien et je sens qu’il a envie de moi mais il est dans un monde de concepts. Rien d’artificiel, bien au contraire ; il se déplace dans les gens, c’est très dérangeant à écrire et vraiment incohérent à penser dans l’instant mais c’est ce qui se rapproche le plus de ma pensée.
Il m’a regardée longtemps.
Trois semaines qui sont passées comme trois ans. Contrairement à ce que certaines vérités devenues générales ont développé d’acquis au sein des adages populaires, les moments agréables ne créent pas une durée mémorielle réduite en rapport à sa définition temporelle stricte. J’ai souvent observé l’inverse, également. J’ai une théorie satisfaisante à ce sujet qui trouve sa source dans la contradiction délibérée et plus ou moins consciente des contractions et des étalements de durées intimées par le cerveau suite à ce genre d’acquis. Une lutte cérébrale interne. Quand j’ai parlé de ça à Antoine, il m’a dit que j’avais complètement raison et il est parti dans des développements un peu trop aériens pour moi tout en enlevant mon string. J’ai cru qu’il allait continuer en me pénétrant mais il a conclu sa démonstration juste avant. Je crois qu’il n’en avait plus rien à foutre en fait. Trois semaines pendant lesquelles je n’ai quasiment pensé qu’à lui. Je rentrais et je l’appelais dès que l’absence de mes parents se confirmait, c'est-à-dire quatre ou cinq soirs par semaine. Le premier jour, il a regardé le salon durant deux ou trois secondes avec le même air vide ; il m’a embrassée et il m’a sautée sur le tapis persan. Les jours suivants, il ne regardait plus le salon.
Il m’a regardée longtemps.
Il venait d’allumer sa clope et il m’a regardée longtemps en laissant sa main à moitié morte sur ma cuisse, il devait me dire quelque chose et je voulais absolument l’entendre alors j’ai attendu. Il est sorti de la chambre une minute et il est revenu plus décidé, enfin je crois. Son index et son majeur enfoncés dans ma chatte, il a approché son visage du mien et m’a demandé combien valait une vie. Même si j’avais été en état de répondre, j’aurais bafouillé une phrase dénuée de sens. Il a enlevé ses doigts et je me suis tournée pour qu’il me prenne, j’étais en train de venir, ma main crispée sur la table de chevet quand il s’est retiré brutalement.
« Alors, combien ? »
J’ai voulu dire « Quoi ? » ou « Putain… » mais seul un gémissement est sorti.
« Alors, combien ? »
Je le tirais vers moi mais il résistait et j’ai vu comme les bûchers de l’Inquisition dans ses pupilles noires quand il m’a posé la question pour la troisième fois. Je ne l’avais jamais vu aussi grand et aussi… Et aussi vivant. Je ne sais pas ce que reflétait mon visage à ce moment-là et je ne veux jamais le voir, je veux juste garder le moment où il s’est mis à vivre devant moi. Quand il a joui sur ma jambe, il me regardait toujours. Mais je suis à peu près sûre que ce n’était pas moi qu’il voyait. Une demi-heure plus tard, il avait repris son attitude habituelle, les yeux dans le vague, sa clope consumée dans les doigts. Je me suis assise à côté de lui et je l’ai serré contre moi. Il a respiré un peu plus longuement et il m’a fait la proposition la plus incroyable qui soit.
Je crois intimement en lui. Il vient de partir et comme chaque soir, je vais prendre ma douche en prenant soin de nettoyer son sperme en dernier ; je me sens comme enthousiasmée par mon petit rituel à la con. Ce soir, je le fais par reflexe, j’agis en silence et je repense à ce qu’il m’a dit. La perforation des strates humaines. Le contrôle total. Devenir la croyance. Des hommes au service d’un seul. Du pouvoir. Du pouvoir et de la jouissance. Combien.



Règle n° 4 : Frapper fort


Victor Seminian
Nantes, 11 Octobre 2029
14h42

Ce petit con a balancé un cadre de France 3 du quatorzième étage, décédé depuis une demi-heure d’après les légistes présents, le septième. Apparemment, il les tue à l’avance maintenant. Au téléphone, il m’a demandé dix millions ; je lui ai dit qu’il fallait que l’argent soit compté à la Banque de France, qu’il fallait l’acheminer, ça prendrait plusieurs heures. « Les heures ne jouent pas en votre faveur, Monsieur Seminian : elles chutent en même temps que votre courbe de popularité », m’a répondu cet enculé. Comment croit-il s’échapper avec une telle somme ? On va lui amener l’argent : en bas. Il va venir le chercher avec des sacs de sport ? S’il veut un hélicoptère, il l’aura ; avec deux chasseurs en guise d’accompagnement. Où est-ce qu’il ira ? Pas loin. Les FSRC attendent mon ordre d’intervenir, il n’aura pas le temps d’en abattre beaucoup plus mais ces brutes seraient capables de lui farcir la tête de titane. Une reddition serait largement plus couverte par les médias, sans compter sur le procès historique qui s’en suivra : perpétuité avec trente ans de sûreté, sans remise de peine, sans grâce présidentielle, autant dire qu’il ne sortira jamais. La messe est dite mais il le faut vivant et si je dois attendre deux ou trois heures de plus pour ça, je vais les prendre. Ca en vaut largement la peine. Ce gamin frustré va me donner des voix. Dessel… brave garçon.

15h48

Les tireurs isolés ont finalement trouvé un angle de tir. Sur une grue, à huit cents mètres. Il a fallu interdire la circulation dans tout le secteur, en plein-centre-ville. Des travaux sont effectués dans le quartier, ça reste encore crédible. Dessel ne s’est pas manifesté, il n’a sûrement rien remarqué. J’attends le rapport des snipers ; l’argent arrivera dans deux heures, un fourgon de la Brink’s escorté par une dizaine de motards, quatre voitures de sécurité et un camion militaire. Encore une fameuse idée de Philippe, comme si l’on n’avait pas encore assez d’abrutis engagés dans cette opération. Huit morts et il semblerait que ça ne soit pas fini.

Entretien avec Frédéric Novak
16h19

« Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?
- Nous allons effectuer l’extraction des otages et immobiliser la ou les cibles, Monsieur le Ministre.
- Ecoutez-moi, Novak, vous allez ranger votre équipement et attendre mon signal. A quoi jouez-vous ?
- J’obéis aux ordres, Monsieur le Ministre.
- Qui les a donnés ??
- Le Président, Monsieur le Ministre.
- Je vais m’entretenir avec lui sur le champ. Vous n’allez nulle part sans mon autorisation.
- Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Ministre, j’applique les ordres qui ont été clairement formulés. Le Président ne veut pas d’une dixième victime.
- Je me contrefous de votre respect, Novak. Vous et vos hommes ne bougerez pas d’ici.
- Mes supérieurs obéissent aux mêmes ordres, Monsieur le Ministre.
- C’EST MOI, VOTRE SUPERIEUR, NOVAK !!
- L’injonction vient de l’autorité présidentielle, elle surclasse vos ordres, Monsieur le Ministre.
- Soyez très attentif à mes propos, Novak : si vous intervenez maintenant dans cette tour, je fais de vous un dossier personnel qui sera traité sous peu. Vous avez une petite femme, pas encore d’enfants et un bon travail. Nous nous sommes bien compris ?
- Fort et clair, Monsieur le Ministre. »

Communication sécurisée avec Philippe Fabry
16h55

« Philippe, j’attends que tu m’expliques. Qu’est-ce que c’est, cette opération coup-de-poing insensée ?
- Je ne vais pas laisser ce type faire la une des quotidiens avec dix morts à son actif. ‘ Un bain de sang, le gouvernement incapable de régler la crise.’ Pas question. Dix, ça fait un de trop.
- Il le faut vivant, si on lance l’assaut maintenant, il va pleuvoir des corps et celui de Dessel avec. Le peuple jugera, il faut leur donner Dessel en pâture, ils trépignent tous en attendant la curée. Il y a trop longtemps qu’ils veulent se venger sur quelque chose. C’est une occasion à ne pas rater.
- Tu n’es pas encore président, Victor.
- Mort, il ne sert plus à grand-chose et tu le sais très bien.
- Des morts, j’en ai neuf sur les bras.
- Je serais étonné que cela t’arrache une larme. Philippe, encore une heure. Une heure et je coffre ce type pour le bien de tous, y compris le tien.
- Les FSRC interviennent maintenant. Ca a assez duré. Il faut frapper fort.
- Philippe, on ne va tout de même pas… Philippe… ? Philippe ! »

Liaison avec Frédéric Novak
16h59

Passez-moi Novak des Forces Spéciales, je veux parler avec lui sur le champ !
« Novak ?
- Monsieur le Ministre, nous nous déployons au quatorzième étage, les négociateurs vont entrer en contact avec la cible. Je dois faire mon travail.
- Ecoutez Novak : je viens de m’entretenir avec le Président. Dessel doit survivre à l’assaut. Vous avez entendu ? DESSEL DOIT RESTER VIVANT !!
- …
- NOVAK, si ce fils de pute crève, je vous en tiendrais pour personnellement responsable ! »

Compte-rendu d’observation
17h00

« Le rapport des tireurs d’élite, Monsieur le Ministre.
- ET ALORS ? ON A QUOI ?
- Ils sont trois. Et les deux autres ont été identifiés. »


Antoine Dessel, Chloé Seminian, Karl Marevik et plusieurs hommes des FSRC
Au même instant

Derrière la porte, la voix de Novak. Tout est en place, donc.
« Dessel. Vous n’avez aucun moyen de vous en tirer vivant. Vous êtes surveillé depuis des heures. Si vous tentez d’abattre une dixième victime, les snipers ont pour ordre de vous neutraliser sur le champ. Vous êtes encerclé par les factions de résolution de crise, vous savez ce que cela signifie. »
‘FACTIONS’. Alors, ça y est. Le bras de fer vient de commencer, il va falloir frapper fort. Top départ.
« Karl ! Chloé !
- C’est bon pour moi.
- J’y suis.
- ELLES SONT DEJA TREPANEES, VOS VICTIMES, VENEZ LES CHERCHER ! »
La porte blindée du bureau vient de voler en éclat, nous sommes retranchés dans une annexe. Du gaz neuroparalysant. Comme prévu. Les masques positionnés sur le visage, une des grenades de Karl dégoupillée depuis deux secondes roule dans le couloir ; je suis déjà en train de tirer à travers la cloison pour créer la diversion. Quelques cris avant l’explosion, un ordre donné et c’est le chaos. Malgré les protections auditives, j’ai les tympans qui bourdonnent et à travers le masque, je sens quand même l’odeur des corps mêlée à une forte senteur chimique. Je suppose que Karl et Chloé sont dans le même état mais je n’ai pas vraiment le temps d’y penser. Ils viennent de rentrer, ils ont des masques, des boucliers pare-balles et des armes semi-automatiques à visée laser. Le plan est très clair à ce sujet : aucun homme des Forces Spéciales participant au premier assaut ne doit survivre.
Changement de stratégie. Le bureau est immense et empli de poussière, de débris et de fumée. Les otages vivants gémissent et déstabilisent l’orientation, nous les avons placés à terre, allongés entre eux et nous, blessés pour la plupart. S’ils veulent arriver au contact rapidement, ils devront piétiner les corps. Ils ne s’attendaient pas à ça. Nous nous attendions à ces deux ou trois secondes d’hésitation et de reconnaissance du terrain. Ils ont de lourdes protections en kevlar recouvertes d’une fine couche de magnésium, le brillant remplaçant du carbone depuis des années : très léger mais résistant aux hautes températures. Les armes conventionnelles n’ont plus d’utilité. Les fléchettes sifflent et vont pénétrer la chair, juste au niveau des articulations. Un simple effleurement de la rotule et c’est le corps entier qui tombe sans prévenir. Fusils à lunette et chargeur de cinq ; munitions dosées à la kétamine, modifiée en laboratoire. A l’origine, un somnifère puissant utilisé pour endormir les éléphants et les rhinocéros ou pour se shooter peinard. Dans nos mains, une version vile du même produit, attaquant les cellules nerveuses en quelques centièmes de seconde. Hautement létale. Avec les congratulations du gouvernement. Sept sur le carreau.
C’est loin d’être terminé. Quatre hommes de plus font irruption, cette fois ils écrasent les civils sans se préoccuper de quoi que se soit, ils ont compris la leçon. L’un d’eux s’écroule après quelques mètres, bravo ma chérie. Le kevlar moderne détient une capacité remarquable d’encaissement du métal dense à haute vélocité dans les opérations de conflit urbain mais pas quand on reçoit quatre balles perforantes au même endroit : il y a une limite à tout. Les trois autres ne sont plus qu’à une dizaine de mètres et savent où nous sommes maintenant. Il reste les armes blanches si nous n’avons pas d’autre solution mais ces gars-là sont rompus aux techniques de combat au corps-à-corps, nos probabilités de ressortir vainqueurs d’un affrontement de ce type sont minces. Un homme doit faire son travail à présent et j’espère qu’il le fera correctement. Et rapidement.
Toutes mes pensées vont vers lui, je regarde Chloé, elle a peur mais pas autant qu’elle le devrait. Karl me jette un regard tendu, un autre vers son arme, le troisième est pour la porte. Il n’en bougera plus. Aucun de nous n’est gravement touché. En temps normal, j’aurais trouvé cela presque miraculeux mais depuis mon passage dans ce sous-sol, j’ai dû me rendre à l’évidence : la roue a tourné, mon destin est en marche et j’ai choisi de le faire partager à un type qui ne m’a pas encore déçu. C’est peut-être une énième erreur, ce n’est pas sûr mais j’observe ses moindres gestes en ce moment puisque j’en ai le temps. Il se sent investi, lui aussi. Il est prêt à aller jusqu’au bout. C’est mon impression. Chloé respire sans parvenir à dissimuler ses tremblements. Je me surprends à penser à son sexe, la récompense ultime du guerrier. Là, toute habillée et un Uzi chromé dans les mains, je la vois toujours cuisses écartées sur le satin de son couvre-lit. Le parallèle ne m’impressionne pas. Moi aussi, je transpire comme un bœuf, je suis trop tendu mais je ne peux rien y faire. Si tout s’arrête dans cette pièce, ce sera un beau gâchis. Au moindre bruit, je réduis la porte en miettes, Karl suivra le mouvement. Le reste appartiendra à l’histoire. A la nôtre.
« Fais ton travail »


Communication sécurisée entre un interlocuteur et Frédéric Novak
18h03

« Parfait, Monsieur Novak. Je vois que vous vous conformez scrupuleusement aux indications.
- Oui, Monsieur.
- Nos trois éléments sont en vie ?
- Affirmatif, Monsieur, je me suis chargé de cela personnellement.
- Monsieur Novak, vous avez toute notre reconnaissance.
- Merci, Monsieur.
- Les décès de vos infortunés collègues de travail ajoutent de l’eau à notre moulin. En quantité notable. La phase primordiale s’annonce. Continuez à nous satisfaire de la sorte et transmettez nos encouragements aux personnes concernées. Le moment est venu de faire entrer en scène le participant essentiel à la réussite de l’opération Cassandre.
- Bien sûr, Monsieur. »


Victor Seminian et un secrétaire ministériel
18h15

Chloé… Comment tu as pu me faire ça… ? Des terroristes. Des assassins. Qu’est-ce qui t’a poussée à en arriver là… ? Non, ces crétins t’ont confondue avec un des otages. Non, impossible. « Il y a une quinzaine de personnes à terre. Deux sont décédées selon les détecteurs de chaleur longue distance. Trois individus en position debout, deux hommes et une femme. En dehors de Dessel, les logiciels d’identification ont confirmé la présence des deux autres terroristes dans les archives civiles, répondant aux noms de Karl Marevik et de Chloé Seminian. Ils sont munis d’armes allant de la première à la quatrième catégorie. Terminé. » Les otages… Dix-sept pertes chez les Forces spéciales. Mais les otages… Pas de nouvelles de Dessel. Contact rompu. Mais qu’est-ce qu’il veut ? L’argent est en bas, bien en évidence, il l’a vu. Alors pourquoi ne pas se manifester, pourquoi avoir coupé la communication… ? Il ne veut sûrement rien, à part passer à la télévision, cette espèce de salopard. On ne sait pas grand-chose sur ce Marevik non plus : un employé de boîte minable, un tocard sans intérêt. Que fait-il là-dedans ? Valérie doit déjà être au courant, un problème de plus comme si j’en avais encore besoin. Que dire ? Que sa fille est mêlée à une prise d’otages qui a fait douze victimes depuis qu’un taré assoiffé de sang en a abattu trois autres pour répondre à l’intervention des hommes des FSRC ? Je le veux vivant. VIVANT. On fera tout pour camoufler l’identité de Chloé, ça sera difficile mais on y arrivera. On y arrivera.
Un lèche-cul du ministère s’approche de moi, il a l’air tout fier d’être le porteur de son message.
« Veuillez m’excuser, Monsieur le Ministre, l’hélicoptère du Président est en approche de l’aéroport de Nantes.
- COMMENT ÇA ? MAIS QU’EST-CE QU’IL VIENT FOUTRE ICI, CE SODOMITE ?!
- Monsieur…
- FOUTEZ-MOI LE CAMP !
- Enfin, je comprends que…
- JE NE VEUX PAS LE SAVOIR !! »



Règle n° 5 : Observer le résultat


Judith Weyland et Arthur Fillinois, envoyé spécial pour la chaîne nationale et présentateur quotidien
Trente-quatre et trente-huit ans, mariée et célibataire, un et sans enfant
Nantes et Paris, 12 octobre 2029
13h05

« Oui, Arthur, nous sommes évidemment à Nantes depuis hier après-midi, vous pensez bien, dans l’attente du dénouement de cette tragédie et cet épilogue inimaginable jusqu’il y a quelques heures vient de tomber à la surprise générale. Il faut tout d’abord rappeler les évènements initiaux de cet évènement sans précédent dans l’histoire des prises d’otages ; en effet, un jeune homme du nom d’Antoine Dessel a pénétré hier, tôt dans la matinée, l’enceinte du centre de diffusion télévisuel de France 3 Centrale-Ouest, accompagné, comme nous l’avons appris bien plus tard, par deux complices. Après avoir coupé les lignes téléphoniques et séquestré plus d’une trentaine de personnes, en majorité des employés de la chaîne et quelques visiteurs, il n’a pas hésité à abattre le directeur régional présent à ce moment-là. Les caméras ont été rapidement mises hors tension et à cet instant, plus personne n’a pu obtenir d’autres informations sur ce qu’il pouvait se dérouler à l’intérieur de la tour que vous voyez derrière moi jusqu’au dénouement, comme je vous le disais, survenu en toute fin de soirée.
- Savons-nous, Judith, quels sont les profils des trois preneurs d’otages ?
- Eh bien, Arthur, c’est là tout l’aspect exceptionnel de ce drame. Nous avons affaire à trois civils sans passifs judiciaires, aux motivations inconnues et qui malheureusement vont probablement le rester à jamais. Antoine Dessel, toujours considéré comme le cerveau de cet acte terroriste par la foule d’enquêteurs présente sur le site et qui inspecte minutieusement les lieux depuis bientôt douze heures, est un jeune homme d’une vingtaine d’années inconnu de tous les services de renseignements et n’appartenant à aucun groupe extrémiste répertorié. Le profil de Karl Marevik, l’un de ses deux complices, n’a pas offert plus d’éclaircissements, étant lui aussi un parfait inconnu. En revanche, la personne complétant ce triumvirat est une personnalité dont la participation à ce carnage reste incompréhensible, il s’agit de Chloé Seminian, la fille du Ministre de l’Intérieur. Elle aurait peut-être été séquestrée elle-même plusieurs jours auparavant afin de servir de monnaie d’échange, les enquêteurs restent cependant très prudents dans leurs conclusions, considérant cette affaire comme hautement complexe. D’autre part, les responsables du ministère n’ont pas souhaité s’exprimer à ce sujet.
- Le bilan humain de cette prise d’otages est excessivement lourd, n’est-ce pas ?
- Terriblement lourd, oui. On dénombre dix-sept morts civils, tous récupérés par les pompiers et le SAMU après une chute vertigineuse du haut de la tour et abattus d’une balle dans la tête. Une quinzaine de membres de la rédaction de France 3 ont également été retrouvés blessés, gravement pour certains. Les chiffres sont encore approximatifs au vu de l’agitation et de l’empressement extrême qui règne ici depuis maintenant vingt-neuf heures, les informations sont donc à prendre avec prudence. Du côté des forces de l’ordre, une vingtaine d’hommes des FARC, pourtant réputés pour leur efficacité depuis leur création, ont trouvé la mort en tentant de neutraliser les trois individus qui étaient apparemment préparé et entraîné à ce genre d’interventions, élément qui rend les experts d’autant plus perplexes étant donné l’inexistence de passé militaire ou assimilés dans les dossiers des trois preneurs d’otages. Le résultat observé semble réellement disproportionné en regard des exigences de Dessel, à savoir dix millions d’euros dont il s’est tout de suite désintéressé dès que le fourgon a déposé la somme au pied de la tour, en fin d’après-midi.
- La situation, comme vous nous en parliez au début, a donc trouvé une issue…
- En effet. Aux alentours de dix-neuf heures, l’hélicoptère réservé à la présidence s’est présenté sur l’aéroport de Nantes, à moins d’une dizaine de kilomètres du lieu du drame. Trente minutes après, Philippe Fabry a donné une très brève conférence de presse improvisée au Dôme Atlantique, expliquant que la situation était ‘apocalyptique’ selon ses termes et qu’il avait le devoir d’intervenir personnellement dans l’espoir de mettre un terme à cette crise. Una action spectaculaire et tout à fait inattendue s’est produite alors : devant nos caméras, il a pénétré en personne dans la tour après avoir signalé son arrivée à Antoine Dessel qui a semblé accepter cette intrusion. Il avait d’ailleurs, en début de matinée et ce après le premier meurtre, exprimé le souhait de s’entretenir avec un ‘responsable de la nation’ selon l’enregistrement de l’appel passé au commissariat local. Une demi-douzaine de gardes du corps se sont précipités à sa suite avant d’être congédiés par le président. Ils se sont tout de même postés dans les étages, prêts à intervenir, cette décision de la part de Philippe Fabry étant encore maintenant complètement incompréhensible voire suicidaire.
- Le Président a donc pu entrer en contact et raisonner les coupables de ce que l’on doit bien appeler un carnage ?
- Eh bien oui, Arthur, et c’est au bout de plus de trois heures de tractations, pendant lesquelles les hommes de l’Elysée et certains membres des FARC se tenaient prêts à intervenir en urgence au moindre signal, que Philippe Fabry est ressorti de la pièce où se tenaient les terroristes. Après quelques minutes, ceux-ci se sont rendus sans aucune protestation et ont été immédiatement menés à bord d’un fourgon cellulaire garé à proximité et ce, devant une foule considérable plus qu’hostile à l’égard des tueurs.
- Les interrogatoires ont-ils révélé des éléments importants ou les motivations de la prise d’otages la plus sanglante de l’histoire de notre pays restent encore floues ?
- Si nous avions les moyens de répondre à cette question, nous pourrions évidemment y répondre dans un certain laps de temps mais un ultime rebondissement dans cette macabre affaire vient de nous parvenir : le fourgon transportant les trois criminels a été attaqué alors qu’il se dirigeait vers une destination inconnue par mesure de sécurité. D’après nos informations, un camion d’hydrocarbures aurait été incapable de redémarrer sur la N7, à hauteur de la sortie de Nantes, bloquant du même coup la route dans toute sa largeur. Pour des raisons encore inexpliquées et malgré l’absence de toute source de chaleur à proximité, le transport lourd aurait explosé, pulvérisant le fourgon où se trouvaient les réponses à toutes nos interrogations. Ici, beaucoup de gens parlent de vengeance en milieu mafieux, de règlements de comptes, du passé peut-être douteux du protagoniste principal, Antoine Dessel, mais personne ne sait véritablement si nous avons affaire à un accident hasardeux ou à une exécution préméditée par des cercles discrets. Quoi qu’il en soit, il ne reste plus maintenant que cette pièce de cent dix mètres carrés, lieu du drame durant plus de quinze heures, qui pourra permettre, on l’espère, de savoir réellement qui étaient Antoine Dessel et Karl Marevik, pourquoi Chloé Seminian s’est-elle retrouvée en leur compagnie et n’a apparemment subi aucun sévices contrairement à tous les autres otages présents dans la tour et ce qui les a poussés à commettre tous ces meurtres.
Voilà, Arthur, ce que nos équipes ont pu mettre à jour jusqu’ici concernant la tragédie de la tour France 3 qui marquera très longtemps, ici comme dans tout le pays, la mémoire de tous.
- Merci, Judith, pour toutes ces informations on ne peut plus capitales. »


Philippe Fabry et un interlocuteur
Paris, 12 Octobre 2029
20h43


« Je vous fais part de toutes mes félicitations, Monsieur le Président, l’opération Cassandre est un succès total.
- Au vu de l’observation du résultat, votre travail a été irréprochable. C’est moi qui vous félicite. L’organisation brillante et concluante vous revient. Pensez bien que je m’en souviendrai.
- Monsieur…
- Seminian ?
- Le Ministre de l’Intérieur est dans tous ses états. L’identité de Chloé a été diffusée par tous les moyens à notre disposition, les médias se sont emparés avec délice de l’appât que nous leur avions agité. Il n’est plus à proprement parler un obstacle. Cette tâche indélébile le suivra jusqu’à son trépas, il lui reste encore à finir son mandat si jamais vous le lui permettez ; suite à cela, sa crédibilité politique approchera le niveau zéro. La mort de Chloé l’a de toute manière complètement anéanti.
- Oui, je veux qu’il aille au bout. Rien ne me ferait plus plaisir. A propos de l’incident…
- Les experts collectionnent des bribes d’indices ; rien qui ne permettra de remonter à une quelconque personnalité. Un laboratoire privé a été mandaté : ils ne trouveront pas plus de preuves que les autres. L’affaire est d’ores et déjà close.
- Bien. Nos sondages ont relevé un début de mouvement ?
- Certes. Ils vous créditent de neuf points supplémentaires en comparaison des prévisions juxtaposées de l’année dernière. Médard est très loin. Votre avance semble irrattrapable.
- Quelles sont les théories des médias indépendants ?
- Plutôt fumeuses, Monsieur le Président. Elles vont de la responsabilité d’obscurs islamistes dissidents à celle de l’IRA, la mère de Dessel ayant des origines irlandaises. Pour nos rédactions, vous êtes un héros à l’humanisme et à l’empathie débordants.
- L’IRA ? Ils n’ont plus qu’une existence administrative ! Quelle bande d’abrutis…
- Certains, bien sûr, mettent en avant un complot visant à déstabiliser Seminian à votre profit, prenant en considération votre intervention surmédiatisée dans la tour mais ils n’ont que peu d’échos en ce sens, l’entreprise est périlleuse, ils le savent bien. D’autre part, ils bénéficient d’une couverture très limitée.
- Parfait.
- Tout cela est bien trop grossier pour être vrai. Un président commanditant une quarantaine de meurtres, engageant des civils, assassinant la fille de son Ministre de l’Intérieur, elle-même impliquée dans la plus monumentale boucherie terroriste sur le sol français et le tout devant les caméras de l’Occident tout entier ? Qui de sensé et de responsable y croira ? Les rumeurs en resteront, à peine valables au comptoir des troquets dans les quartiers populaires entre deux bières…
- L’effet Cassandre s’est donc propagé…
- Il est optimal, Monsieur…


THE END

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Pute : 1
void
    le 17/07/2007 à 22:28:44
Sur la fin j'aime mois par contre, par rapport à tout le début bien cool. Ca s'embrouille un peu, Omega a pas l'air d'être le roi des scènes d'action, et puis j'aime pas bien cette histoire de complot politique, ça me parait perdre nettement en réalisme pour le coup. Le reste, c'est bonnard. Faut se l'enquiller c'est sur, mais c'est bonnard.
LaHyenne...
    le 18/07/2007 à 15:20:20
Je l'ai lu deux fois.
J'adore.

Le côté politique rajoute un peu à la densité du texte.

Par contre, la fin est à chier.
Le dernier paragraphe est totalement inutile.

Et je suis prèt à parier que l'idée de base vient d'un délire sur HumanBomb. Right ?
Omega-17

Pute : 0
    le 18/07/2007 à 15:54:26
Bravo Lahyenne, c'est absolument pas ça.

Non, j'avais envie : la raison m'a paru suffisante.

Concernant la fin, en effet, elle est torchée.
Fallait bien que je m'en sorte d'une manière ou d'une autre.

J'aime bien ce système 5 d'un coup, on va faire comme ça maintenant : parfait.
Abbé Pierre

Pute : 1
    le 18/07/2007 à 16:48:57
Quelques passages assez lourds du cul pour lesquels j'ai dû clignoter plusieurs fois des yeux afin de m'éviter un gavage pixellisé, mais sinon, c'est très bon. Bien ficelé, l'intrigue politique ne m'a pas déplu, je vais juste éviter de lire autre chose que des menus macdo pendant 2 ou 3 jours, parce que putain, ben, putain.
Hag

Pute : 2
    le 18/07/2007 à 19:17:31
Texte trop long, mais maitrisé, à l'écriture parfois un peu lourde mais fort loin d'être mauvaise, le tout plaqué sur un fond intéressant, ça donne un putain de résultat.

Hag approuve ce texte.
Asa
    le 18/07/2007 à 21:26:37
Excellent, vraiment.

Je m'en vais le lire de ce pas.
LaHyenne...
    le 19/07/2007 à 10:40:56
Dommage parce que c'eut pu.
Inconsciemment ça à joué, sache le.

Non, tu n'as pas le choix.
Ange Verhell

Pute : 0
    le 19/07/2007 à 12:44:24
le style ampoulé des dialogues n'est pas très réaliste, ça devient étouffant à la fin
Omega-17

Pute : 0
    le 19/07/2007 à 14:38:57
L'argumentaire précédent de LaHyenne est balèze : je me couche.

Les dialogues, c'était le plus bandant à écrire.

Et sachez que nous avons les moyens de.

Bien.
M. Yo

Pute : -1
    le 19/07/2007 à 17:20:37
L'argumentaire précédent de.

Les dialogues, c'était.

Et sachez.

Putain.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 19/07/2007 à 18:47:26
Monsieur Yo est un fake de toutes façons, il n'a jamais existé.
Asa
    le 19/07/2007 à 20:38:27
Les divinités ne devraient pas parler d'elles comme ça.
Lol47

Pute : 0
    le 19/07/2007 à 20:53:39
Les tafioles t'adorent...

Un point de pris.

Mes doigts brûlants sur une chatte mouillée.

Fais une/un bis/e à Stef !!!

MH Lol.
Hag

Pute : 2
    le 19/07/2007 à 21:52:22
"Regardez Professeur, en bas.
- Ca alors Mikhail, vous aviez raison. Quelle abomination.
- Un cas typique pourtant, on dit que certaines régions détestées des dieux en regorgent. Mais c'est vrai que...
- Attendez, on dirait qu'il parle.
*bruits lointains et sourds*
- Seigneur tout puissant, c'est immonde. Comment la nature peut-elle tolérer l'existence de si pitoyables êtres.
- Ce ont des ratés professeurs. Des tares ambulantes. Nous devrions presque les plaindre. Qui sait quelle fange habite leur âme ? Nous ne pouvons que leur souhaiter un juste anéantissement...
- Il faudrait les éliminer méthodiquement. Dès qu'un se présente, le tabasser, le mutiler, lui chier dessus, lui ouvrir la chair et la répandre alentour pour le plaisir des bêtes. Trop longtemps avons nous souffert que pareil crétins souillent Internet.
- Mort aus kikoos.
- Mort aux cons.
Omega-17

Pute : 0
    le 24/07/2007 à 09:32:58
J'essayerai d'y penser.

Il est vrai que l'ambiance y est Mortellement Hideuse.

Mais enfin.

Restons picturaux.
Mill

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Pute : 1
    le 20/08/2007 à 17:48:36
De la bonne politique-fiction avec une narration originale et de bonnes trouvailles. Le style m'a paru parfois un peu lourd, quoique plutôt enthousiasmant sur la longueur. Les dialogues m'ont un peu gêné, tout de même : un poil trop ampoulés, pas très réalistes. Cela dit, je n'ai pu m'empêcher de percevoir ce texte comme une fable d'anticipation, extrêmement lucide, donc réaliste dans l'esprit plutôt que dans la forme. Pas mal du tout.
Narak

Pute : 2
    le 23/08/2007 à 18:28:28
Ouais pareil. Je plussoie.
Narak

Pute : 2
    le 23/08/2007 à 18:31:53
Je défie quiconque de faire des commentaires plus pourris que les miens en ce moment
Mill

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Pute : 1
    le 23/08/2007 à 18:35:07
Haha. C'est ici que tu t'planques, salope. Viens, viens, viens te battre.
Narak

Pute : 2
    le 23/08/2007 à 18:49:57
Mill tu n'étais pas inclu dans le "quiconque" bien évidemment. Tu n'as plus de preuves à faire depuis longtemps.
Mill

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Pute : 1
    le 23/08/2007 à 18:58:10
C'est ça, allez, reviens, couard, quoiquoiquoi, t'es pas joisse, t'es pas joisse, tu l'as vu mon poing, hein, hein, reviens, reviens...


Bien évidemment.
Narak

Pute : 2
    le 23/08/2007 à 19:10:01
Quand tu t'énerve ça fait quand même un peu baston de rue à Neuilly dans les années 60.
nihil

Pute : 1
void
    le 23/08/2007 à 19:32:33
Avec des cannes à bec de canard en guide de matraque.
Koax-Koax

Pute : 1
    le 27/08/2009 à 02:52:33
J'aime beaucoup le ton dès le départ, le ministre blasé, antipathique, qui prend les choses à la légère est très bien décrit, sans rentrer dans les clichés habituels, très fin.

Les transitions entre les personnages sont bien foutues, elles ne provoquent pas de coupure dans le texte quand au style d'écrit, c'est très fluide et juste, les individualités sont différemment abordées, ce qui est d'autant plus appréciable.

le fait qu'ils soient tous plus ou moins en relation, ayant des incidences sur chacun est bien amené, cohérent et ça donne aussi un suspens supplémentaire quand à leurs convergences. Le côté politique/machination mettant en valeur tout ces conflits d'intérêt est lui aussi très juste, brillamment décrit.

La vision extérieure et intérieur des faits rends l'ensemble très cinématographique, les dialogues sont réalistes, la psychologie de chacun l'est tout autant. L'ensemble est écrit avec précision, détaillé sans être ennuyeux, le tout est très prenant, à la lecture c'est un peu comme vivre les évènements décrits en direct. Ce texte est génial.





commentaire édité par Koax-Koax le 2009-8-27 3:2:11

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